L`industrie chimique et pharmaceutique, un puissant moteur de

Série
39 La Vie économique Revue de politique économique 6-2007
L’industrie chimique et pharmaceutique
suisse enregistre des taux de croissance supé-
rieurs à la moyenne et sa participation aux
performances économiques du pays est de
plus en plus importante. Elle représente donc
un véritable moteur de croissance pour l’en-
semble de la Suisse. Ces 25 dernières années, sa
valeur ajoutée brute a progressé en moyenne
de 5,3% en termes réels annuels (économie
nationale: +1,5%). La chimie-pharmaceuti-
que contribuait pour 2,6% à la création natio-
nale de richesse en 1980, pour 3,8% en 2005.
Modifications structurelles
Cette progression est, en grande partie, due
à l’évolution structurelle de la branche, qui a
constamment renforcé sa stratégie des spécia-
lités ces vingt dernières années. À telle ensei-
gne que dans l’éventail complet de sa produc-
tion, la proportion des produits spécialisés
de haute valeur ajoutée pour la plupart -
passe aujourd’hui 90%. Ceux-ci assurent aux
entreprises suisses qui les détiennent non seu-
lement une présence mondiale, mais très
souvent aussi le «leadership» des marchés.
L’évolution de l’emploi ces 25 dernières
années présente, cependant, une image toute
différente. Entre 1980 et 2005, la part de la
population active nationale occupée dans
l’industrie chimique et pharmaceutique est
tombée de 2,1% à 1,6%. De 69 300 personnes
en 1980, les effectifs de la branche sont passés
aujourd’hui à 66600 employés environ. C’est
dans la décennie 1990-2000 que le recul a été
le plus sensible. Il augmente, toutefois, de nou-
veau depuis peu. Cette évolution en ciseaux de
la valeur ajoutée et des effectifs traduit les
gains de productivité de la branche.
L’industrie chimique et pharmaceutique,
un puissant moteur de croissance
Avec son taux de croissance ex-
ceptionnel et sa forte implication
dans l’économie nationale, l’in-
dustrie chimique et pharmaceu-
tique appartient aux branches les
plus actives de notre pays. Ces
vingt dernières années, elle a
évolué vers une production pres-
que exclusivement axée sur les
spécialités et n’a cessé de renfor-
cer sa présence internationale.
Aujourd’hui, elle n’écoule pas
plus de 5% de ses produits sur le
marché helvétique. La Suisse
reste, néanmoins, pour elle un
centre de production et de recher-
che très important. Demain
comme hier, l’innovation sera la
clé de son succès. Pour que cette
industrie puisse conserver dans la
durée son dynamisme actuel, il lui
faut une réglementation offi-
cielle qui ne l’empêche pas de
progresser dans les nouveaux do-
maines scientifiques; par ailleurs,
elle doit encore augmenter ses ef-
fectifs en collaborateurs quali-
fiés.
Nina Ryser
Économiste, spécialiste
de l’industrie chimique
et pharmaceutique,
BAK Basel Economics
Vue de la zone industrielle de Schweizerhalle, avec la ville de Bâle à l’arrière-plan. Près de la moitié de la valeur ajoutée
de l’industrie chimique et pharmaceutique suisse est produite dans le nord-ouest du pays. Photo: Keystone
Série
40 La Vie économique Revue de politique économique 6-2007
Importance croissante du commerce
extérieur
La commercialisation mondiale de ses spé-
cialités a permis à la chimie-pharmaceutique
d’étendre ses activité internationales. Le mar-
ché intérieur suisse représente très peu pour
elle, puisqu’il n’absorbe pas plus de 5% de sa
production. L’essentiel de son chiffre d’affaires
est donc réalisé hors de nos frontières et lui a
rapporté quelque 63 milliards de francs suisses
en 2006, soit environ 36% de la valeur totale
des exportations helvétiques. Cette industrie
constitue actuellement le principal pilier du
commerce extérieur suisse. Entre 1990 et 2005,
ses exportations en valeur ont progressé de
200% ou 8% en moyenne annuelle. C’est bien
la preuve que les entreprises chimiques et
pharmaceutiques suisses regardent toujours
plus vers l’international.
Compte tenu des étroites connexions inter-
nes qui lient entre eux les établissements des
groupes, une grande partie des exportations
sont des produits intermédiaires fabriqués en
Suisse par la maison mère et livrés à ses filiales
pour être transformés en produits finis. Cette
pratique permet de réaliser des gains d’échelle
et d’adapter les produits sur place aux condi-
tions locales. Le haut degré de spécialisation
permet, certes, aux grandes sociétés multina-
tionales de la branche d’écouler facilement
leurs produits dans le monde, mais de nom-
breuses petites et moyennes entreprises (PME)
appliquent, elles aussi, des stratégies de niche
efficaces qui leur ouvrent les marchés interna-
tionaux.
En examinant l’évolution des exportations
par sous-secteurs, on est surtout frappé par la
progression très supérieure à la moyenne des
ventes à l’étranger de produits pharmaceuti-
ques, vitamines et produits de diagnostic.
Celles-ci ont, en effet, progressé de 400% ces
quinze dernières années. Elles représentaient
44% des exportations de la chimie-pharma-
ceutique en 1990; 73% en 2005. Entre ces deux
dates, les exportations d’autres secteurs, com-
me les matières premières et de base (+74%),
les produits agrochimiques (+6%) et les colo-
rants (+4%) n’ont de loin pas progressé aussi
vite, ce qui montre bien l’importance crois-
sante que prend la pharmaceutique au sein de
la branche.
Encadré 1
L’industrie chimique et pharmaceutique
Comme son nom l’indique, cette industrie (Noga 24)
se compose pour l’essentiel de deux secteurs d’activité:
la chimie et les produits pharmaceutiques. Les entre-
prises de la chimie fabriquent essentiellement des
matières premières et de base, des produits agrochimi-
ques et des corps colorants. Celles de la pharmaceuti-
que développent surtout des substances de base et des
préparations médicales. L’ensemble de la branche
compte un millier d’entreprises, dont un quart environ
sont actives dans le domaine pharmaceutique. Les
effectifs se répartissent pour moitié environ entre
chimie et pharmaceutique.
En %
1980 2005
EmploiValeur ajoutée brute nominale
0.0
0.5
1.0
1.5
2.0
2.5
3.0
3.5
4.0
Source: OFS, BAK Basel Economics / La Vie économique
Graphique 1
Quote-part de l’industrie chimique et pharmaceutique dans l’économie suisse, 1980 et 2005
Chimie/pharmaceutique
Indice 1980 = 100
Reste de l'économie
1980
1981
1982
1983
1984
1985
1986
1987
1988
1989
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2005
2004
2003
2002
2001
2000
0
100
200
300
400
Source: OFS, BAK Basel Economics / La Vie économique
Graphique 2
Évolution de la valeur ajoutée brute réelle dans l’industrie chimique et pharmaceutique en comparaison
avec le reste de l’économie, 1980–2005
Série
41 La Vie économique Revue de politique économique 6-2007
Eu égard au poids considérable des échan-
ges extérieurs dans l’industrie chimique et
pharmaceutique, la valeur ajoutée de cette
branche évolue aussi en fonction des fluc-
tuations conjoncturelles internationales. Le
secteur de la chimie, en particulier, pro-
fite actuellement de la bonne forme de l’éco-
nomie mondiale. Celui des produits phar-
maceutiques est, en revanche, moins sensi-
ble aux aléas conjoncturels puisqu’il est
surtout lié à la demande de prestations sani-
taires.
Une forte productivité liée à
une croissance supérieure à la moyenne
Les produits de la branche chimie-phar-
maceutique suisse étant pour l’essentiel ven-
dus à l’étranger, les entreprises doivent comp-
ter avec la concurrence internationale.
Conserver leur compétitivité est donc pour
elles une nécessité vitale. Un bon indicateur en
ce domaine est la productivité horaire par
branche, autrement dit sa valeur ajoutée par
heure. Une comparaison internationale avec
ses grands concurrents européens et les États-
Unis montre que la productivité horaire no-
minale de l’industrie chimique et pharmaceu-
tique suisse est supérieure à la moyenne. Un
salarié helvétique produisait 147 francs de
valeur ajoutée à l’heure en 2005, soit 43% de
plus que la moyenne des pays d’Europe occi-
dentale. Cette productivité élevée s’explique
notamment par le fait que les entreprises ont
résolument axé leurs activités sur les spéciali-
tés à forte valeur ajoutée. La productivité ho-
raire de l’industrie chimique et pharmaceuti-
que est, d’ailleurs, supérieure à celle de
l’économie générale dans la quasi-totalité des
pays.
Cette importante productivité est l’une
des raisons de la croissance extraordinaire-
ment vive de la valeur ajoutée de la branche
(environ 7% par année) observée entre 1990 et
2005. En comparaison internationale, l’indus-
trie chimique et pharmaceutique suisse assure
ainsi une part élevée du produit intérieur brut
de notre pays et affiche une croissance réelle
supérieure à la moyenne. Ces deux facteurs
permettent à la branche de contribuer forte-
ment à l’essor de l’économie nationale. L’ap-
port annuel moyen de l’industrie chimique et
pharmaceutique à la croissance de l’économie
suisse avoisinait 0,2 point de pourcentage en-
tre 1990 et 2005; c’est nettement plus que dans
les autres pays d’Europe occidentale ou aux
États-Unis.
Une forte présence dans le nord-ouest
de la Suisse
Un coup d’œil sur la répartition géographi-
que de l’industrie chimique et pharmaceuti-
que met immédiatement en évidence sa très
forte implantation dans le nord-ouest de la
Suisse. Près de la moitié de ses effectifs s’y
trouvent et y produisent 58% de la valeur
ajoutée totale de la branche. Quelque 25% de
l’ensemble de ses employés travaillent dans le
canton de Bâle-Ville, son importance est
également très forte en termes de valeur ajou-
tée: la branche assure, à elle seule, 27,5% de la
< = 0.5 < = 1.5 < = 2.5 < = 10.0 < = 30.0
Source: OFS, BAK Basel Economics / La Vie économique
Graphique 3a
Quote-part de la valeur ajoutée brute de l’industrie chimique et pharmaceutique dans l’économie des
régions MS suisses, 2005
MS = Mobilité spatiale
Valeur ajoutée brute nominale
En millions
de francs
6.977,00
2.000,00
300,00
Source: BAK Basel Economics / La Vie économique
Graphique 3b
Répartition de la valeur ajoutée brute nominale de l’industrie chimique et pharmaceutique
dans les régions MS suisses, 2005
MS = Mobilité spatiale
Série
42 La Vie économique Revue de politique économique 6-2007
valeur ajoutée brute du canton. Cet apport
substantiel est principalement imputable aux
deux grands groupes multinationaux établis à
Bâle. Dans leur entourage, cependant, de
nombreuses PME contribuent aussi de ma-
nière non négligeable à la prospérité économi-
que de la région.
Une importante proportion de la popu-
lation active des cantons de Bâle-Campagne
et d’Argovie est également occupée dans
l’industrie chimique et pharmaceutique. La
branche contribue à la valeur ajoutée totale de
ces cantons pour 12,2% (Bâle-Campagne) et
4,3% (Argovie), des chiffres supérieurs à la
moyenne. Par ordre d’importance, le deuxiè-
me lieu d’implantation de l’industrie chimi-
que et pharmaceutique suisse est la région
lémanique. Si le nord-ouest de la Suisse abrite
surtout des entreprises actives dans le domai-
ne pharmaceutique, la production de matières
chimiques brutes et de base est, pour l’essen-
tiel, installée en Valais.
L’innovation, clé du succès
Dans le monde entier, l’industrie chimique
et pharmaceutique traverse actuellement une
phase de profonds bouleversements. D’une
part, la révolution technologique du génie
génétique, s’ajoutant à celle de la communica-
tion et de l’informatique, transforme le pay-
sage économique. D’autre part, la concurrence
mondiale s’exacerbe sans cesse avec l’appari-
tion de nouveaux concurrents, en Asie et en
Europe de l’Est notamment. Pour maîtriser ce
nouvel environnement, il faut impérative-
ment disposer d’une capacité d’innovation
prononcée.
Le succès économique de l’industrie chimi-
que et pharmaceutique dépend grandement
de l’innovation scientifique et technique.
Demain comme hier, le secteur de la recherche
et du développement (R&D) conservera toute
son importance pour l’industrie chimique et
pharmaceutique suisse. En comparaison in-
ternationale, celle-ci présente aujourd’hui un
fort coefficient de recherche (part des dépen-
ses de R&D dans le chiffre d’affaires). La Suisse
n’est donc pas seulement pour la branche un
site de production important; elle est aussi son
centre de recherche. Pour que les innovations
techniques et scientifiques puissent continuer
d’assurer les succès futurs de la chimie et de la
pharmaceutique en Suisse, l’État doit mettre
en place des conditions-cadres favorables. À
notre époque marquée par l’importance de
plus en plus considérable de la biotechnologie,
maintenir un climat ouvert aux nouveaux
champs d’exploration scientifique et aux tech-
nologies nouvelles est plus que jamais le
meilleur gage de succès de cette industrie à
long terme.
Un autre ingrédient essentiel de l’innova-
tion est le capital humain. De ce point de vue,
la politique d’une branche en matière de for-
mation est l’un des facteurs clés de sa capacité
novatrice. Étant donné l’importance que revêt
aujourd’hui la nouveauté non seulement pour
les produits et les procédés de fabrication,
Produits pharmaceutiques, vitamines et produits de diagnostic
Indice 1990 = 100
Matières premières et de base Corps colorants
Total des exportations chimiques et pharmaceutiques Produits agrochimiques
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2005
2004
2003
2002
2001
2000
0
100
200
300
400
500
Source: OFS, BAK Basel Economics / La Vie économique
Graphique 4
Exportations de l’industrie chimique et pharmaceutique suisse, 1990–2005
Croissance de la valeur ajoutée brute annuelle, en termes réels, 1990–2005
Quote-part des branches dans le PIB, en termes nominaux, 1990–2005
0
1
2
3
4
5
6
8
7
41 2 3
Contribution
annuelle à la crois-
sance 1990–2005
0.1%
0.5%
0.25%
0
Suède
Suisse
Allemagne
Pays-Bas
Royaume-Uni
États-Unis
Italie
Autriche
France
Europe occidentale (17)
Espagne
Source: BAK Basel Economics / La Vie économique
Graphique 5
Contribution de l’industrie chimique et pharmaceutique à la croissance annuelle de l’économie
nationale, 1990–2005
Série
43 La Vie économique Revue de politique économique 6-2007
mais aussi dans le déroulement de la produc-
tion, les structures organisationnelles et la
commercialisation, l’innovation ne dépend
plus seulement du niveau de compétence de
quelques chercheurs de pointe, mais aussi,
toujours plus, des qualifications de l’ensemble
des actifs d’une entreprise. Dans l’industrie
chimique et pharmaceutique suisse, quelque
83% des employés possèdent au minimum un
certificat de fin d’études secondaires (ce taux
est de 80% pour l’ensemble de l’économie). En
comparaison internationale, la proportion de
travailleurs hautement qualifiés est aussi forte
en Suisse qu’aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et
en Allemagne. Seuls la Suède et les États-Unis
la dépassent légèrement.
Compte tenu de l’évolution technologique
et de la demande continue de produits sanitai-
res, l’avenir sourit incontestablement à l’in-
dustrie chimique et pharmaceutique suisse.
Encore faut-il ne négliger aucune possibilité
d’améliorer ses conditions générales d’activité
et la qualité de vie de ses salariés hautement
qualifiés.
Encadré 2
Sources
BAK Basel Economics, CH-PLUS – Analysen und
Prognosen für die Schweizer Wirtschaft, Bâle, 2006.
BAK Basel Economics, International Benchmarking
Report 2006, Bâle, 2006.
Office fédéral de la statistique, Noga, nomenclature
générale des activités économiques, Neuchâtel,
2006.
SGCI Chemie Pharma Schweiz, Société suisse des
industries chimiques, Zurich, 2006.
Chimie/pharmaceutique
Productivité nominale horaire en francs
Économie suisse
0
20
40
60
80
100
120
140
160
180
Suisse
Allemagne
France
Italie
Autriche
Royaume-Uni
Espagne
Pays-Bas
Suède
États-Unis
Europe occidentale (17)
Source: BAK Basel Economics / La Vie économique
Graphique 6
Productivité nominale horaire dans l’industrie chimique et pharmaceutique ainsi
que dans l’économie nationale, 2005
En %
Suisse
Allemagne
France
Italie
Autriche
Royaume-Uni
Espagne
Pays-Bas
Suède
États-Unis
Europe occidentale (17)
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
100
Chimie/pharmaceutique Économie suisse
Source: diverses, BAK Basel Economics / La Vie économique
Graphique 7
Quote-part des employés très qualifiés dans l’industie chimique et pharmaceutique
en comparaison internationale, 2005
Proportion d’employés possédant au minimum un diplôme d’études secondaires
1 / 5 100%
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