Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com La Revue de médecine interne 29 (2008) 139–144 Communications brèves Syndrome néphrotique : penser à rechercher une hypothyroïdie associée Nephrotic syndrome: Don’t forget to search for hypothyroidism S. Trouillier ∗ , I. Delèvaux, N. Rancé, M. André, H. Voinchet, O. Aumaître Service de médecine interne, CHU Gabriel-Montpied, 58, rue Montalembert, B.P. 69, 63001 Clermont-Ferrand cedex, France Disponible sur Internet le 20 novembre 2007 Résumé Introduction. – Si, au cours d’un syndrome néphrotique, des anomalies des indices fonctionnels thyroïdiens ont souvent été observées, une hypothyroïdie n’a été qu’exceptionnellement décrite. Exégèse. – Nous rapportons trois observations de patients adultes (1, 2, 3) qui ont eu une hypothyroïdie associée à un syndrome néphrotique (atteinte glomérulaire minime [1], glomérulonéphrite extramembraneuse idiopathique de stade I [2] et de stade II [3]). Le traitement était celui de la glomérulopathie et une hormonothérapie substitutive thyroïdienne. L’euthyroïdie était obtenue avec une faible substitution (1, 2) quand la protéinurie diminuait et avec une hormonothérapie plus forte (3) lorsque le syndrome néphrotique n’était pas contrôlé. Conclusion. – La fuite urinaire des hormones thyroïdiennes et de leurs protéines porteuses au cours du syndrome néphrotique engendre, si elle est abondante, une diminution de la T4 libre et une augmentation de la TSH. La recherche systématique d’une hypothyroïdie associée est nécessaire, surtout si la protéinurie est massive et prolongée. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Introduction. – If abnormal thyroid function indices have been reported in patients with nephrotic syndrome, hypothyroidism is exceptional. Exegesis. – We report three adult patients (1, 2, 3) with hypothyroidism associated with nephrotic syndrome (minimal change glomerulonephritis [1], idiopathic membranous nephropathy stage I [2], stage II [3]). Glomerulopathy treatment and thyroid hormon replacement therapy were both initiated. Low replacement (1, 2) was sufficient when proteinuria decreased. It was higher when nephrotic syndrome was uncontrolled (3). Conclusion. – Excessive thyroxine-binding protein and thyroxine urinary loss generate low rate of free thyroxine and elevated TSH. Systematic thyroid hormonal test is necessary if nephrotic syndrome is severe and prolonged. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Syndrome néphrotique ; Hypothyroïdie Keywords: Nephrotic syndrome; Hypothyroidism 1. Introduction Dès 1917, Epstein envisageait la possibilité d’une insuffisance thyroïdienne chez les patients ayant un syndrome néphrotique (SN) mais ce n’est qu’à partir de 1948 qu’une baisse de l’activité thyroïdienne était évoquée chez ces patients [1]. Depuis, une augmentation du taux de la TSH associée à des signes cliniques d’hypothyroïdie a exceptionnellement été Abréviations: T4, thyroxine ; T3, tri-iodothyronine ; TBG, thyroxine-binding globulin ; TSH, thyroid-stimulating hormone. ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (S. Trouillier). 0248-8663/$ – see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2007.10.412 décrite. Elle a surtout été constatée chez l’enfant [2–5] mais reste très rare chez l’adulte [6]. Nous rapportons trois observations d’hypothyroïdie associée à un syndrome néphrotique et survenant à l’âge adulte. 2. Observations 2.1. Observation 1 Un patient de 44 ans sans antécédent particulier était hospitalisé en octobre 2006 pour l’apparition depuis six mois d’œdèmes des membres inférieurs. À son admission, ces œdèmes étaient déclives, prenaient le godet et remontaient jusqu’aux fosses 140 S. Trouillier et al. / La Revue de médecine interne 29 (2008) 139–144 Tableau 1 Caractéristiques biologiques des patients en hospitalisation avant et au cours de leur traitement Âge (ans) Sexe Protéinurie (g/24 h) avant traitement après traitement Créatininémie (mol/l) avant traitement après traitement Biopsie rénale TSH (mUI/l) [0,27–4,20] avant traitement après traitement T4libre (pmol/l) [12–22] avant traitement après traitement Délai entre la première et la dernière évaluation biologique Anticorps antithyroïdien Traitements Patients 1 44 H 2 69 H 3 36 H 14 6,86 4,13 0,16 12,26 11,28 58 590 Atteinte glomérulaire minime 54 75 GEM type I idiopathique 73 96 GEM type II idiopathique 5,90 1,27 5,63 2,30 9,06 2,07 12,3 15,4 6 mois 10,5 # 11 mois 11 # 13 mois – Ramipril, candésartan, furosemide, prednisone, cyclosporine, AVK, lévothyroxine (12,5 g/j) – Irbésartan, furosémide, nicardipine, AVK, lévothyroxine (25 g/j) – Ramipril, candésartan, furosémide, AVK, lévothyroxine (75 g/j) – : négatif ; H : homme ; GEM : glomérulonéphrite extramembraneuse. # : non disponible ; AVK : antivitamine K. lombaires. La fréquence cardiaque était de 60 par minute et la pression artérielle à 104/60 mm Hg. La palpation thyroïdienne était normale. Le reste de l’examen était sans particularité. La biologie révélait un SN pur (protéinurie à 14 g par 24 heures moyennement sélective dont 68 % albumine et 32 % de globuline sur l’électrophorèse des protéines urinaires, protidémie à 45 g/l, albuminémie à 12,8 g/l), un pic monoclonal à IgG lambda sans répression de synthèse des autres immunoglobulines, sans cytopénie sur l’hémogramme ni hypercalcémie et sans insuffisance rénale (créatininémie à 58 mol/l). La plasmocytose médullaire était à 3 %. Les radiographies osseuses ne montraient pas de lacunes. L’analyse anatomopathologique d’une biopsie des glandes salivaires ne retrouvait pas de dépôts amyloïdes. La ponction biopsie rénale permettait de rattacher le SN à des lésions glomérulaires minimes sans argument pour une amylose. Il existait une hypothyroïdie (TSH à 4,9 mUI/l deux semaines avant l’hospitalisation puis TSH à 5,9 mUI/l [Normale : 0,27–4,20] et T4 libre dans les valeurs basses de la normale à 12,3 pmol/l (Normale : 12–22). L’échographie thyroïdienne ne retrouvait pas d’anomalies. Le traitement initial comprenait un diurétique (furosémide : 60 mg/j), un inhibiteur de l’enzyme de conversion à doses progressives (ramipril jusqu’à 5 mg/j), une anticoagulation et une hormonothérapie substitutive (lévothyroxine : 12,5 g/j). Après un mois d’évolution, la persistance d’œdèmes déclives et la majoration de la protéinurie (protéinurie à 18,94 g par 24 heures) motivaient l’introduction d’une corticothérapie à forte dose (1 mg/kg par jour soit 80 mg/j). Deux semaines plus tard, l’absence d’amélioration clinique nécessitait la majoration de la posologie du furosémide à 120 mg/j, du ramipril à 10 mg/j et l’introduction d’un antagoniste du récepteur de l’angiotensine II (candésartan : 4 mg/j). En février 2007, au terme de trois mois de corticothérapie, une amélioration clinique était constatée avec une diminution des œdèmes et une perte de poids de 8 kg. Le SN persistait malgré une diminution de la protéinurie (4,67 g par 24 heures). L’albuminémie gardait des valeurs très basses (9 g/l). La fonction rénale restait conservée (clairance de la créatinine calculée à 128 ml par minute). Un traitement par ciclosporine était donc introduit mais ne permettait pas la régression du syndrome néphrotique à six mois d’évolution. Une insuffisance rénale aiguë survenait fin avril 2007 à l’occasion d’une déshydratation sur perte digestive (Tableau 1). L’euthyroïdie biologique (TSH à 3,9 mUI/l) était obtenue dès la troisième semaine de traitement (l-thyroxine, inhibiteur de l’enzyme de conversion) et avant l’introduction des corticoïdes. La posologie de substitution thyroïdienne a été maintenue à 12,5 g/j. À six mois de traitement, la TSH était à 1,27 mUI/l. 2.2. Observation 2 Un homme de 69 ans était hospitalisé en octobre 2006 pour une asthénie évoluant depuis six mois associée depuis deux mois à des œdèmes généralisés déclives et depuis quelques semaines à une fébricule. De ses antécédents, on retenait des infections sinusiennes et pulmonaires à répétition depuis plus de 20 ans. Un scanner abdominopelvien fait deux semaines avant son hospitalisation en raison des œdèmes révélait une thrombose de la veine rénale gauche. Un traitement anticoagulant et diurétique (furosémide et spironolactone) était débuté avant son hospitalisation. Par ailleurs, une hypothyroïdie biologique était diagnostiquée un mois avant son hospitalisation (TSH à 5,63 mUI/l, T4 libre à 10 pmol/l). À son admission, il était hypertendu à 200/120 mmHg. Il n’avait pas de signe d’insuffisance cardiaque. La fréquence S. Trouillier et al. / La Revue de médecine interne 29 (2008) 139–144 cardiaque était de 80 par minute. La biologie révélait un SN impur (protéinurie à 4,13 g par 24 heures, albuminémie à 12,6 g/l, protidémie à 68 g/l, hématurie à 8000 hématies/ml) ainsi qu’un syndrome inflammatoire (CRP à 112 mg/l, VS à 98 mm à la première heure, fibrinogénémie à 9,6 g/l). La fonction rénale était conservée (créatininémie à 54 mol/l). La ponction biopsie rénale révélait une glomérulonéphrite extramembraneuse (GEM) de type I. Aucune cause n’était retrouvée après un bilan exhaustif (sérologie hépatite B, anticorps antinucléaires et antithyroïdiens négatifs, scanner thoracoabdominopelvien, fibroscopie œsogastroduodénale, coloscopie). Une hormonothérapie substitutive était débutée une semaine après le traitement du SN qui associait au diurétique (furosémide : 40 puis 80 mg/j), un antagoniste du récepteur de l’angiotensine II à doses progressives (irbésartan jusqu’à 300 mg/j), un inhibiteur calcique (nicardipine : 50 mg deux fois par jour) et un hypocholestérolémiant (simvastatine 20 mg/j). L’hypothyroïdie biologique et clinique se confirmait en début de traitement devant l’asthénie et l’augmentation de la TSH à 16,2 mUI/l. La posologie de l’hormonothérapie était de 12,5 g/j, pendant une semaine, puis de 25 g/j. L’évolution était rapidement favorable avec disparition des œdèmes, perte de poids, correction de l’hypertension artérielle, disparition du syndrome inflammatoire, diminution de la protéinurie à 1,5 g par 24 heures après un mois, puis 0,47 g par 24 heures à quatre mois et demi, puis 0,16 g par 24 heures à 11 mois de traitement. L’albuminémie était en franche augmentation à 32 g/l dès la troisième semaine de traitement (39 g/l à quatre mois et demi de traitement). Le traitement anticoagulant oral par antivitamine K était poursuivi pendant un mois, puis arrêté devant la normalisation de l’albuminémie. La fonction rénale restait conservée. Sans modifier l’hormonothérapie, l’euthyroïdie était obtenue trois semaines après le début du traitement du SN (TSH à 3,79 mUI/l, T4 libre à 12,15 pmol/l) et maintenue à 11 mois (TSH à 2,30 mUI/l). 2.3. Observation 3 Un homme âgé de 36 ans était hospitalisé en mars 2006 pour des œdèmes des membres inférieurs déclives, mous, prenant le godet, une prise de poids de 10 kg en deux mois associés à une protéinurie à 18 g par 24 heures et à une hématurie microscopique découverte un mois avant l’hospitalisation. Neuf mois avant son hospitalisation, une protéinurie avait été notée fortuitement à la médecine de travail sans qu’elle ait été quantifiée. Deux mois avant son admission, une TSH était réalisée devant la présence d’œdèmes. Elle était augmentée à 5,27 mUI/l. À son admission, il décrivait une asthénie modérée. La pression artérielle était de 140/90 mm Hg pour une fréquence cardiaque à 100 par minute. Il existait des lésions de prurigo eczématisées localisées aux quatre membres. La biologie montrait un SN (protéinurie à 12,26 g par 24 heures constituée essentiellement d’albumine, albuminémie à 10,2 g/l, protidémie à 44 g/l). Il n’y avait plus d’hématurie. La fonction rénale était conservée (créatininémie à 69 mol/l). Il n’y avait pas de syndrome inflammatoire. L’hypothyroïdie biologique se confirmait (TSH modérément augmentée à 4,82 mUI/l, T4 libre basse à 11 pmol/l). Les anticorps antinucléaires, antithyropé- 141 roxydases et antithyroglobulines étaient négatifs. Les sérologies des hépatites B et C et VIH étaient négatives. Le scanner thoracoabdominopelvien ne montrait pas d’anomalie significative. La ponction biopsie rénale objectivait une GEM de type II avec des lésions segmentaires et focales. Une supplémentation en lévothyroxine était débutée début avril 2006, deux semaines après l’introduction d’un traitement du SN qui associait à un inhibiteur de l’enzyme de conversion (ramipril), une statine (pravastatine) et un antivitamine K. L’évolution qui n’était pas favorable nécessitait, dés le premier mois de la prise en charge, une augmentation de la posologie du ramipril à 10 mg/j et l’introduction d’un diurétique (furosémide). À six mois, il persistait des œdèmes malgré l’augmentation progressive du furosémide jusqu’à 40 mg/j. La protéinurie était stabilisée mais toujours abondante à 10,4 g par 24 heures. L’albuminémie augmentait progressivement (26 g/l à six mois) autorisant l’arrêt des anticoagulants oraux et le relais par antiagrégant plaquettaire. La posologie du furosémide était majorée à 60 mg/j et un antagoniste des récepteurs de l’angiotensine II (candésartan : 4 mg/j) lui était associé. Au treizième mois, on constatait toujours des œdèmes des membres inférieurs modérés et l’albuminémie était à 34 g/l. Durant toute la prise en charge, la fonction rénale restait satisfaisante (créatininémie à 96 mol/l, clairance calculée de la créatinine à 139 ml par minute à 13 mois). L’euthyroïdie était obtenue à deux mois du début du traitement du SN et un mois et demi après le début de l’hormonothérapie (TSH à 1,81 mUI/l). Cette dernière n’a cependant pas pu être diminuée en dessous de 75 g de lévothyroxine par jour durant les 13 premiers mois de la substitution (TSH à 1,95 mUI/l à six mois, TSH à 2,07 mUI/l à 13 mois). 3. Discussion Nous rapportons trois observations de SN associé à une hypothyroïdie biologique (Tableau 1). Un des trois patients avait des signes cliniques d’hypothyroïdie (patient n◦ 2). La TSH avait été demandée dans le bilan d’œdèmes pour les deux autres. L’hypothyroïdie biologique de nos patients ne semble pas correspondre aux perturbations hormonales constatées au cours des processus pathologiques sévères et prolongés (choc septique par exemple). Ces perturbations sont caractérisées par la baisse des taux de T4 et T3 libres mais également du taux de la TSH alors que la TSH de nos patients est modérément augmentée [7]. La baisse de la T4 libre au cours de ces processus pathologiques sévères peut être liée dans certaines conditions de dosage à une baisse importante des protéines porteuses que sont essentiellement la thyroxine-binding globulin (TBG) et l’albumine. À l’inverse, le taux de T4 totale quelle que soit la méthode de dosage est principalement déterminé par celui de la TBG qui est la protéine de transport principale et la plus affine [8]. Au cours de certaines méthodes de dosage de la T4 libre (dilution du sérum dans le milieu réactif par exemple), le taux est habituellement maintenu constant par dissociation de l’hormone de sa protéine vectrice. Lorsque les taux de protéines porteuses sont trop abaissés, la fraction liée trop faible n’arrive plus à rétablir cet équilibre et le dosage de la T4 libre peut être sous-estimé [8]. La diminution de la TSH au cours des processus pathologiques sévères et prolongés est due à un dysfonctionnement 142 S. Trouillier et al. / La Revue de médecine interne 29 (2008) 139–144 hypothalamique. La diminution de la T4 libre dans ces conditions est ainsi également liée à une stimulation thyréotrope plus faible [7]. La fréquence de survenue des anomalies biologiques thyroïdiennes au cours d’un SN n’est pas connue. Un bilan hormonal thyroïdien systématique n’a en effet jamais été pratiqué dans une large cohorte de SN. Seuls dix patients atteints de SN ont été comparés à un groupe témoin [9]. Toutefois on sait que dès 1917 certains auteurs proposaient à des patients néphrotiques chez qui ils avaient constaté une baisse du métabolisme basal, une hypercholestérolémie, voire des signes cliniques d’hypothyroïdie, des extraits thyroïdiens [1]. Ils notaient que de fortes doses d’extraits thyroïdiens n’induisaient pas d’hypermétabolisme et que des signes d’hyperthyroïdie ne survenaient qu’à des posologies plus fortes que chez les patients hypothyroïdiens non néphrotiques [1,10]. Une insuffisance de l’activité thyroïdienne n’était évoquée qu’à partir de 1948, mais les paramètres biologiques que les auteurs utilisaient, comme par exemple le taux sérique de protéines porteuses d’iode, restaient trop imprécis pour tirer des conclusions définitives [1,10,11]. En fait, chez les patients néphrotiques les perturbations du taux sérique des hormones thyroïdiennes n’ont été décrites qu’à partir des années 1970 [2–6,9,10,13]. Dans une étude portant sur dix patients adultes néphrotiques euthyroïdiens, Gavin et al. ont retrouvé chez neuf patients sur dix des taux normaux de T4 liée sérique, de TSH et de TBG. Il constatait, en revanche, une baisse de la T3 totale sérique et une élévation significative de la T4 libre. Seul le patient dont la protéinurie était la plus élevée (24 g par 24 heures) avait une diminution du taux sérique de T4 liée et de TBG avec une TSH normale et sans signe d’hypothyroïdie [9]. Bien que la protéinurie moyenne de cette cohorte (11,1 ± 5,7 g par 24 heures [5,2–24]) soit sensiblement identique à la protéinurie moyenne de nos patients, ces patients sont difficilement comparables aux nôtres car il s’agissait pour sept patients sur dix de glomérulopathie diabétique et leur fonction rénale était altérée (clairance moyenne de la créatinine à 43 ml par minute) [9]. En effet, certains mécanismes pathogéniques responsables d’hypothyroïdie semblent être propres à la néphropathie diabétique, comme l’excès d’iode dans le sérum [14]. Dans une cohorte de sept patients néphrotiques adultes en euthyroïdie (protéinurie moyenne : 5,1 g par 24 heures, albuminémie moyenne : 25 g/l), Afrasiabi et al. ont constaté un taux sérique normal de T4 totale, de T4 libre, de TSH et une diminution du taux sérique de T3 et de TBG. Le SN de ces patients paraît cependant moins sévère que celui de nos patients [12]. Ito et al. ont, quant à eux, noté sur une cohorte de sept enfants néphrotiques non traités une baisse significative des taux sériques de T4, T3 et TBG avec une T4 libre et une TSH normales [13]. Ainsi une diminution des taux plasmatiques de TBG, de T3 totale a été constatée alors que les taux de TSH et de T4 libre restent dans la plupart des cas normaux. Au moment du diagnostic de l’hypothyroïdie chez nos patients, la TSH initiale moyenne était à 5,26 mUI/l (4,89–5,63). La TSH maximale moyenne dosée lors de l’hospitalisation initiale était de 10,38 mUI/l [5,9–16,2]. À l’admission en hospitalisation, la T4 libre initiale moyenne était à 11,27 pmol/l [10,5–12,3]. Aucun patient n’avait d’anticorps antithyroïdiens. Chez le patient no 1, l’hypothyroïdie était mise en évidence de façon concomitante au SN. Étant donné l’apparition des œdèmes apparus six mois auparavant, on peut supposer sans pouvoir le certifier que le SN existait déjà avant le diagnostic de l’hypothyroïdie. Chez le patient no 2, l’hypothyroïdie était diagnostiquée un mois avant le SN. Ce patient était asthénique depuis six mois sans que l’on puisse certifier que l’hypothyroïdie ait précédé l’atteinte rénale car ni la TSH ni la protéinurie n’avaient été réalisées six mois avant l’admission du patient. Par ailleurs, étant donné que la TSH restait inférieure à 10 mUI/l avant sa prise en charge, l’asthénie ne pouvait pas initialement être attribuée à l’hypothyroïdie [15]. Chez le patient no 3, l’hypothyroïdie était diagnostiquée un mois avant le SN mais il existait une protéinurie non quantifiée sept mois avant la découverte de l’hypothyroïdie. L’atteinte rénale était ainsi peut-être présente avant l’hypothyroïdie. Ainsi, tous nos patients ont une T4 libre basse et une TSH modérément augmentée, mais un seul a une hypothyroïdie clinique probable. Il est cependant difficile de faire la part entre les signes cliniques dus à l’hypothyroïdie et ceux liés au SN. Ces anomalies biologiques associées à des signes cliniques d’hypothyroïdie restent rares. Elles ont surtout été constatées chez l’enfant, notamment en cas de SN congénital [2–5] mais parfois chez l’adulte [6]. La série la plus importante de patients néphrotiques adultes ayant une hypothyroïdie a été rapportée par Fonseca et al. Elle comptait quatre patients avec des données cliniques et biologiques et cinq autres patients pour lesquels seuls les paramètres biologiques sont rapportés [6]. En se fondant sur les données biologiques initiales de leurs patients, si les taux de protéinurie étaient sensiblement identiques à ceux de nos patients (protéinurie moyenne : 9,3 g par 24 heures [5,7–14,5]), trois des quatre patients avaient une insuffisance rénale. Le taux moyen de TSH était en revanche plus élevé que celui observé chez nos patients (12,15 mUI/l [8,6–26] contre 10,38 mUI/l [5,9–16,2]) et un de leurs patients a nécessité une posologie de lévothyroxine plus importante (150, voire 300 g/j). Il est cependant impossible de comparer pour chacun de leurs patients les posologies substitutives en fonction de la sévérité du SN. Les données cliniques concernant l’hypothyroïdie n’étaient pas mentionnées lors de la présentation initiale et elles n’ont pas été évaluées par la suite. En 1956, Rasmussen a étudié la distribution, les modes d’élimination et la demi-vie de la l-thyroxine marquée à l’iode radioactif chez trois patients néphrotiques. Ils ont attribué le taux sérique bas en protéines porteuses d’iode chez les patients néphrotiques à quatre facteurs : • la perte urinaire significative d’iode organique ; • la perte fécale excessive d’iode ; • la dilution de l’iode organique résultant de l’inflation hydrosodée du secteur extracellulaire ; • l’inaptitude de l’axe hypophyse–thyroïde à compenser le déficit en thyroxine [11]. La principale hypothèse pathogénique pour expliquer les anomalies thyroïdiennes biologiques sériques est en fait une perte excessive de TBG, de T4 totale et libre et de T3 totale et libre S. Trouillier et al. / La Revue de médecine interne 29 (2008) 139–144 dans les urines [3,9,12,13]. Gavin et al. et Afrasiabi et al. ont trouvé une corrélation positive entre la protéinurie des 24 heures et l’excrétion urinaire quotidienne de TBG et de T4 [9,12]. Certains auteurs ont pu établir une corrélation inverse entre la quantité de T4 et de T3 urinaire excrétée et leurs taux plasmatiques [6]. Dans la majorité des cas, la glande thyroïde compense l’excès de perte urinaire des hormones et de leurs protéines porteuses, ce qui pourrait expliquer pourquoi Gavin et al. n’avaient pas noté de corrélation inverse entre le taux sérique de T4 totale et l’excrétion urinaire de T4 [6,9]. Grâce à cette compensation de la glande thyroïde, la fuite urinaire n’est que rarement à l’origine d’une augmentation de la TSH et d’une authentique hypothyroïdie [5,6]. De multiples observations viennent étayer cette hypothèse pathogénique. En effet, les cas d’hypothyroïdie rapportés dans la littérature sont apparus au décours de protéinurie massive [2–5]. Pour certains auteurs, la protéinurie et donc la perte urinaire d’hormones et de leurs protéines porteuses rapportées au poids corporel seraient plus importantes chez l’enfant que chez l’adulte, ce qui expliquerait la survenue plus fréquente d’hypothyroïdie dans cette classe d’âge [3]. Lorsque le SN régresse, la TSH lorsqu’elle était initialement augmentée peut retourner à des valeurs normales sans qu’il n’y ait besoin d’une substitution hormonale [6]. L’hormonothérapie peut aussi être diminuée, voire arrêtée après disparition du SN [6]. La néphrectomie bilatérale chez des enfants ayant un SN congénital a permis de stopper la substitution [5]. À l’inverse, une hypothyroïdie difficilement substituable avec augmentation importante des posologies substitutives et révélant un syndrome néphrotique a été également rapportée [16]. Pour notre cas no 2 l’évolution du SN est rapidement favorable et l’hormonothérapie substitutive était faible alors qu’elle était plus élevée chez le patient no 3 dont le SN n’était pas contrôlé et ce de façon prolongée. Chez ce dernier, les œdèmes des membres inférieurs n’avaient pas totalement disparu et la protéinurie était encore à plus de 10 g par 24 heures au treizième mois de traitement. L’albuminémie restait inférieure à 30 g/l après six mois de traitement. Chez le patient no 1, cette hypothèse pathogénique est plus difficile à retenir. En effet, l’hormonothérapie permettant d’obtenir une euthyroïdie biologique est très faible alors que le syndrome néphrotique reste sévère. Même si les œdèmes ont diminué avec une perte de 11 kg en six mois, la protéinurie est restée supérieure à 3 g par 24 heures avec une albuminémie à 13 g/l. Il est possible que le type de glomérulopathie de ce patient soit responsable d’une perte en hormones thyroïdiennes et en protéines porteuses plus faible. Cette hypothèse n’a pas été vérifiée car nous n’avons pas réalisé de dosages quantitatifs urinaires de TBG ou de T4 pour nos patients. L’insuffisance rénale, absente initialement chez nos patients, peut également générer des anomalies biologiques thyroïdiennes, comme une baisse de la T3 par le biais d’une altération de la désiodation de la T4 en T3 [17]. La glande thyroïde des patients avec SN et perturbation du bilan thyroïdien ne semble pas porter de caractère pathologique [1,3,9,10]. Ainsi, l’analyse autopsique de la thyroïde quand elle a été effectuée ne montrait pas d’anomalies franches de son parenchyme [1]. Une thyroïdite auto-immune peut être éliminée devant la négativité des anticorps antithyroglobuline et antithy- 143 ropéroxidase. Cette éventualité doit être écartée lorsque le SN est dû à une GEM (comme pour nos patients no 2 et 3). En effet, les thyroïdites auto-immunes peuvent être associées à une GEM et elles la précèdent souvent [18,19]. L’hormonothérapie substitutive, le traitement du syndrome néphrotique, de la glomérulopathie, voire la néphrectomie bilatérale dans le cadre de syndromes néphrotiques congénitaux constituent les traitements proposés dans l’hypothyroïdie liée à un SN [3,5]. McLean et al. ont même constaté un développement staturopondéral normal avec une baisse de la TSH chez un enfant atteint d’un SN congénital avec hypothyroïdie après introduction d’une hormonothérapie substitutive [3]. Des recommandations pour la prise en charge des SN congénitaux ont été proposées il y a dix ans [20]. Elles consistent en une supplémentation thyroïdienne systématique dès la naissance, un régime hyperprotidique et hypercalorique, un apport quotidien d’albumine et de vitamine D2 , une anticoagulation et une antibiothérapie systématique en cas d’infection [20]. La prise en charge est beaucoup moins codifiée chez l’adulte et le bénéfice d’une opothérapie transitoire est plus difficile à évaluer. La régression du SN a permis la normalisation de la fonction thyroïdienne parfois sans substitution et l’arrêt de l’hormonothérapie après près d’un an de traitement pour certains patients [6]. Nous n’avons pour notre part pas encore assez de recul pour nos patients qui restaient toujours substitués. Chez ces trois patients, les traitements du SN et l’hormonothérapie ont quasiment été introduits en même temps. L’euthyroïdie a été obtenue rapidement, trois semaines après le début du traitement du SN chez les patients nos 1 et 2 et après deux mois chez le patient no 3. L’hormonothérapie qui a permis d’obtenir une euthyroïdie était faible chez les patients nos 1 et 2 (12,5 et 25 g/j de lévothyroxine). Elle était plus élevée chez le patient no 3 (75 g/j). Après l’instauration du traitement du SN, l’évolution clinique et biologique a été favorable en deux mois chez le patient no 2. Cette amélioration n’était peut-être pas uniquement le fait du traitement puisque les GEM peuvent régresser spontanément [18]. L’évolution clinique et biologique a été plus lente chez les patients nos 1 et 3. La sévérité du SN n’exige pas obligatoirement une hormonothérapie forte comme chez le patient no 1. Les patients nos 1 et 3 ont nécessité l’association à un inhibiteur de l’enzyme de conversion d’un antagoniste du récepteur de l’angiotensine II alors que le patient no 2 n’a reçu qu’un antagoniste du récepteur de l’angiotensine II. L’élévation de la TSH avec une T4 libre limite inférieure observée chez nos patients témoignait à notre sens de l’incapacité de leur thyroïde à compenser les pertes urinaires en raison d’un SN majeur. Nous avons ainsi choisi d’associer au traitement de la glomérulopathie une hormonothérapie thyroïdienne. Il convient de souligner que l’hormonothérapie peut faciliter l’action de la corticothérapie lorsqu’elle est introduite dans le cadre de la glomérulopathie [13]. En effet, dans l’hypothyroïdie le nombre de récepteurs aux glucocorticoïdes est réduit, ce qui limite leur effet [13]. Un cas de régression d’un SN résistant aux glucocorticoïdes après introduction de lévothyroxine a d’ailleurs été décrit chez un enfant qui présentait également des signes d’hypothyroïdie [13]. Ainsi, si l’on souhaite pouvoir déterminer la fréquence de survenue d’une hypothyroïdie au cours d’un SN chez l’adulte et savoir quels patients pourraient tirer bénéfice d’une hormono- 144 S. Trouillier et al. / La Revue de médecine interne 29 (2008) 139–144 thérapie substitutive, il serait souhaitable de conduire une étude prospective sur une large cohorte de SN. 4. Conclusion Contrairement aux observations pédiatriques, la survenue d’hypothyroïdie au cours d’un SN chez l’adulte est rarement décrite. Il nous semble utile de rechercher systématiquement une hypothyroïdie en dosant la TSH et la T4 libre devant tout SN notamment lorsque la protéinurie est massive et prolongée. Références [1] Peters JP, Man EB. The relation of albumin to precipitable iodine of serum. J Clin Invest 1948;27:397–405. [2] Etling N, Lenoir G, Gehin-Fouque F. Thyroid function in a child with nephrotic syndrome evolving to renal failure. Arch Fr Pediatr 1980;37:545–8. [3] McLean RH, Kennedy TL, Rosoulpour M, Ratzan SK, Siegel NJ, Kauschansky A, et al. Hypothyroidism in the congenital nephrotic syndrome. J Pediatr 1982;101:72–5. [4] Mattoo TK. Hypothyroidism in infants with nephrotic syndrome. Pediatr Nephrol 1994;8:657–9. [5] Chadha V, Alon US. Bilateral nephrectomy reverses hypothyroidism in congenital nephrotic syndrome. Pediatr Nephrol 1999;13:209–11. [6] Fonseca V, Thomas M, Katrak A, Sweny P, Moorhead JF. Can urinary thyroid hormone loss cause hypothyroidism ? Lancet 1991;338:475–6. [7] Van den Berghe G. Novel insights into the neuroendocrinology of critical illness. Eur J Endocrinol 2000;143:1–13. [8] Piketty ML. Dosage de la TSH et des hormones thyroïdiennes. In: Chanson P, Young J, editors. Traité d’endocrinologie. Paris: MédecineSciences; 2007. p. 131–6. [9] Gavin LA, McMahon FA, Castle JN, Cavalieri RR. Alterations in serum thyroid hormones and thyroxine-binding globulin in patients with nephrosis. J Clin Endocrinol Metab 1978;46:125–30. [10] Recant L, Riggs DS. Thyroid function in nephrosis. J Clin Invest 1952;31:789–97. [11] Rasmussen H. Thyroxine metabolism in the nephrotic syndrome. Clin Invest 1956;35:792–9. [12] Afrasiabi MA, Vaziri ND, Gwinup G, Mays DM, Barton CH, Ness RL, et al. Thyroid function studies in the nephrotic syndrome. Ann Intern Med 1979;90:335–8. [13] Ito S, Kano K, Ando T, Ichimura T. Thyroid function in children with nephrotic syndrome. Pediatr Nephrol 1994;8: 412–5. [14] Bando U, Ushiogi Y, Toya D, Tanaka N, Fujisawa M. Diabetic nephropathy accompanied by iodine-induced non-autoimmune primary hypothyroidism: two case reports. Endocr J 1999;46:803–10. [15] Burger A. Formes circulantes des hormones thyroïdiennes. In: Chanson P, Young J, editors. Traité d’endocrinologie. Paris: Médecine-Sciences; 2007. p. 116–8. [16] Junglee NA, Scanlon MF, Rees DA. Increasing thyroxine requirements in primary hypothyroidism: don’t forget the urinalysis ! J Postgrad Med 2006;52:201–3. [17] Kaptein EM. Thyroid hormone metabolism and thyroid diseases in chronic renal failure. Endocr Rev 1996;17:45–63. [18] Reich H, Cattran D. Membranous nephropathy. In: Davidson AM, Stewart Cameron J, Grünfeld JP, Ponticelli C, Ritz E, Winearls CG, Van Ypersele C, editors. Oxford Textbook of Clinical Nephrology, Vol 1. New-York: Oxford University Press; 2005. p. 503–22. [19] Mahjoub S, Ben Dhia N, Achour A, Zebidi A, Frih A, Elmay M. Primary hypothyroidism and glomerular involvement. Ann Endocrinol (Paris) 1991;52:289–92. [20] Holmberg C, Antikainen M, Ronnholm K, Ala Houhala M, Jalanko H. Management of congenital nephrotic syndrome of the Finnish type. Pediatr Nephrol 1995;9:87–93.