
142 S. Trouillier et al. / La Revue de médecine interne 29 (2008) 139–144
hypothalamique. La diminution de la T4 libre dans ces condi-
tions est ainsi également liée à une stimulation thyréotrope plus
faible [7].
La fréquence de survenue des anomalies biologiques thyroï-
diennes au cours d’un SN n’est pas connue. Un bilan hormonal
thyroïdien systématique n’a en effet jamais été pratiqué dans
une large cohorte de SN. Seuls dix patients atteints de SN ont été
comparés à un groupe témoin [9]. Toutefois on sait que dès 1917
certains auteurs proposaient à des patients néphrotiques chez qui
ils avaient constaté une baisse du métabolisme basal, une hyper-
cholestérolémie, voire des signes cliniques d’hypothyroïdie,
des extraits thyroïdiens [1]. Ils notaient que de fortes doses
d’extraits thyroïdiens n’induisaient pas d’hypermétabolisme et
que des signes d’hyperthyroïdie ne survenaient qu’à des poso-
logies plus fortes que chez les patients hypothyroïdiens non
néphrotiques [1,10]. Une insuffisance de l’activité thyroïdienne
n’était évoquée qu’à partir de 1948, mais les paramètres bio-
logiques que les auteurs utilisaient, comme par exemple le
taux sérique de protéines porteuses d’iode, restaient trop impré-
cis pour tirer des conclusions définitives [1,10,11]. En fait,
chez les patients néphrotiques les perturbations du taux sérique
des hormones thyroïdiennes n’ont été décrites qu’à partir des
années 1970 [2–6,9,10,13]. Dans une étude portant sur dix
patients adultes néphrotiques euthyroïdiens, Gavin et al. ont
retrouvé chez neuf patients sur dix des taux normaux de T4
liée sérique, de TSH et de TBG. Il constatait, en revanche, une
baisse de la T3 totale sérique et une élévation significative de
la T4 libre. Seul le patient dont la protéinurie était la plus éle-
vée (24 g par 24 heures) avait une diminution du taux sérique
de T4 liée et de TBG avec une TSH normale et sans signe
d’hypothyroïdie [9]. Bien que la protéinurie moyenne de cette
cohorte (11,1 ±5,7 g par 24 heures [5,2–24]) soit sensiblement
identique à la protéinurie moyenne de nos patients, ces patients
sont difficilement comparables aux nôtres car il s’agissait pour
sept patients sur dix de glomérulopathie diabétique et leur fonc-
tion rénale était altérée (clairance moyenne de la créatinine à
43 ml par minute) [9]. En effet, certains mécanismes pathogé-
niques responsables d’hypothyroïdie semblent être propres à la
néphropathie diabétique, comme l’excès d’iode dans le sérum
[14]. Dans une cohorte de sept patients néphrotiques adultes en
euthyroïdie (protéinurie moyenne : 5,1 g par 24 heures, albumi-
némie moyenne : 25 g/l), Afrasiabi et al. ont constaté un taux
sérique normal de T4 totale, de T4 libre, de TSH et une diminu-
tion du taux sérique de T3 et de TBG. Le SN de ces patients paraît
cependant moins sévère que celui de nos patients [12]. Ito et al.
ont, quant à eux, noté sur une cohorte de sept enfants néphro-
tiques non traités une baisse significative des taux sériques de
T4, T3 et TBG avec une T4 libre et une TSH normales [13]. Ainsi
une diminution des taux plasmatiques de TBG, de T3 totale a
été constatée alors que les taux de TSH et de T4 libre restent
dans la plupart des cas normaux.
Au moment du diagnostic de l’hypothyroïdie chez nos
patients, la TSH initiale moyenne était à 5,26 mUI/l (4,89–5,63).
La TSH maximale moyenne dosée lors de l’hospitalisation
initiale était de 10,38 mUI/l [5,9–16,2]. À l’admission en hos-
pitalisation, la T4 libre initiale moyenne était à 11,27 pmol/l
[10,5–12,3]. Aucun patient n’avait d’anticorps antithyroïdiens.
Chez le patient no1, l’hypothyroïdie était mise en évidence
de fac¸on concomitante au SN. Étant donné l’apparition des
œdèmes apparus six mois auparavant, on peut supposer sans
pouvoir le certifier que le SN existait déjà avant le diagnostic de
l’hypothyroïdie. Chez le patient no2, l’hypothyroïdie était diag-
nostiquée un mois avant le SN. Ce patient était asthénique depuis
six mois sans que l’on puisse certifier que l’hypothyroïdie ait pré-
cédé l’atteinte rénale car ni la TSH ni la protéinurie n’avaient
été réalisées six mois avant l’admission du patient. Par ailleurs,
étant donné que la TSH restait inférieure à 10 mUI/l avant sa
prise en charge, l’asthénie ne pouvait pas initialement être attri-
buée à l’hypothyroïdie [15]. Chez le patient no3, l’hypothyroïdie
était diagnostiquée un mois avant le SN mais il existait une
protéinurie non quantifiée sept mois avant la découverte de
l’hypothyroïdie. L’atteinte rénale était ainsi peut-être présente
avant l’hypothyroïdie. Ainsi, tous nos patients ont une T4 libre
basse et une TSH modérément augmentée, mais un seul a une
hypothyroïdie clinique probable. Il est cependant difficile de
faire la part entre les signes cliniques dus à l’hypothyroïdie et
ceux liés au SN. Ces anomalies biologiques associées à des
signes cliniques d’hypothyroïdie restent rares. Elles ont sur-
tout été constatées chez l’enfant, notamment en cas de SN
congénital [2–5] mais parfois chez l’adulte [6]. La série la plus
importante de patients néphrotiques adultes ayant une hypothy-
roïdie a été rapportée par Fonseca et al. Elle comptait quatre
patients avec des données cliniques et biologiques et cinq autres
patients pour lesquels seuls les paramètres biologiques sont rap-
portés [6]. En se fondant sur les données biologiques initiales
de leurs patients, si les taux de protéinurie étaient sensiblement
identiques à ceux de nos patients (protéinurie moyenne : 9,3 g
par 24 heures [5,7–14,5]), trois des quatre patients avaient une
insuffisance rénale. Le taux moyen de TSH était en revanche
plus élevé que celui observé chez nos patients (12,15 mUI/l
[8,6–26] contre 10,38 mUI/l [5,9–16,2]) et un de leurs patients a
nécessité une posologie de lévothyroxine plus importante (150,
voire 300 g/j). Il est cependant impossible de comparer pour
chacun de leurs patients les posologies substitutives en fonc-
tion de la sévérité du SN. Les données cliniques concernant
l’hypothyroïdie n’étaient pas mentionnées lors de la présentation
initiale et elles n’ont pas été évaluées par la suite.
En 1956, Rasmussen a étudié la distribution, les modes
d’élimination et la demi-vie de la l-thyroxine marquée à l’iode
radioactif chez trois patients néphrotiques. Ils ont attribué le
taux sérique bas en protéines porteuses d’iode chez les patients
néphrotiques à quatre facteurs :
•la perte urinaire significative d’iode organique ;
•la perte fécale excessive d’iode ;
•la dilution de l’iode organique résultant de l’inflation hydro-
sodée du secteur extracellulaire ;
•l’inaptitude de l’axe hypophyse–thyroïde à compenser le défi-
cit en thyroxine [11].
La principale hypothèse pathogénique pour expliquer les ano-
malies thyroïdiennes biologiques sériques est en fait une perte
excessive de TBG, de T4 totale et libre et de T3 totale et libre