L’Encéphale (2012) 38, S75-S80 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep Les variations de la neuro-anatomie structurale cérébrale sont-elles des endophénotypes candidats prometteurs dans le trouble bipolaire ? Are variations of structural neuro-anatomy promising endophenotype candidates in bipolar disorder? P. Mazzola-Pomiettoa, *, J.-M. Azorinb, R. Belzeauxb, E. Fakrab, M. Adidab, A. Kaladjianc aInstitut de Neurosciences de la Timone (INT), UMR 7289, CNRS – Aix Marseille Université Campus santé Timone, 27, boulevard Jean Moulin, 13385 Marseille cedex 5, France bPôle Universitaire de Psychiatrie, Hôpital de Sainte-Marguerite, 270, boulevard de Sainte-Marguerite, 13274 Marseille cedex 09, France cPôle de Psychiatrie des Adultes, CHU Robert Debré, Avenue du Général Koenig, 51092 Reims cedex, France MOTS CLÉS Endophénotype ; Neuro-anatomie ; Imagerie par Résonance Magnétique ; Trouble bipolaire ; Revue KEYWORDS Bipolar disorder; Endophenotype; Magnetic Resonance Imaging; Neuro-anatomy; Review Résumé Le trouble bipolaire est une pathologie complexe ayant une composante héritable indéniable. Les études épidémiologiques soulignent la contribution de facteurs génétiques à cette composante héréditaire. Néanmoins, les travaux de biologie moléculaire utilisant des approches de génétique classique n’ont pas permis d’identifier ces facteurs. Pour pallier cette difficulté, plusieurs stratégies sont mises en œuvre. La recherche d’endophénotype est l’une d’entre elles. Son objectif est d’identifier des phénotypes biologiques dont l’expression répond à des mécanismes génétiques plus simples que ceux impliqués dans la manifestation de la maladie. Les endophénotypes représentent, donc, des marqueurs intermédiaires entre gènes et états pathologiques, et leur utilisation devrait faciliter l’identification de loci génétiques associés à la pathologie. Dans cet article, nous décrirons les principaux phénotypes de la neuro-imagerie structurale cérébrale qui sont utilisés en recherche et rapporteront leur héritabilité en population générale. Puis nous nous centrerons sur les résultats des études réalisées dans les familles de patients souffrant de trouble bipolaire. Les données qui, sont encore peu nombreuses, suggèrent que de discrètes anomalies de la neuro-anatomie cérébrale, en particulier au niveau des faisceaux de fibres de la matière blanche, sont des endophénotypes candidats prometteurs dans le cadre de cette pathologie. © L’Encéphale, Paris, 2012 Summary Bipolar disorder is a complex pathology which has a strong heritability component. Epidemiologic studies have pinpointed the contribution of genetic factors to the heritability component. The molecular studies, that have used classical genetic approaches, have been inconclusive at indentifying genes involved in the etiology of this disorder. To overcome these difficulties, a number of strategies have been developed. One of them is the endophenotypic approach. Its main scope is to identify biological markers that are influenced by genetic factors that are less complex than those involved in the clinical expression of the disorder. Thus, it is likely these markers will be more readily linked to specific genetic loci. In this article, we describe the main phenotypes of neuro-anatomic *Correspondance. Adresse e-mail : [email protected] © L’Encéphale, Paris, 2012. Tous droits réservés. S76 P. Mazzola-Pomietto et al. measurements that are widely used in research, and report data on their heritability in the general population. Then, we focus on the results of the few structural neuro-imaging studies that have been carried out in families of patients suffering of bipolar disorders. The current data converge to indicate that subtle structural abnormalities, particularly at the level white matter tracts, seem to be promising endophenotype candidates for bipolar disorder. © L’Encéphale, Paris, 2012 Les troubles bipolaires sont des troubles sévères et chroniques de l’humeur aux effets souvent dévastateurs. Dans leurs formes les plus classiques, ces troubles se manifestent par la survenue généralement répétée d’épisodes dépressifs, maniaques, hypomaniaques ou mixtes séparés par des intervalles dits libres au cours desquels les sujets sont a priori indemnes de dysfonctionnements psychiques majeurs. Il est toutefois important de souligner que la présentation clinique de cette pathologie, comme celle de la plupart des autres troubles psychiatriques, est très hétérogène : chaque patient présente sa propre symptomatologie qui, dans la grande partie des cas, se répétera à l’identique au cours du temps. Épidémiologie et génétique La prévalence des troubles bipolaires est de 1 à 2 % en population générale, et de 0,3 % chez l’adolescent. L’âge le plus fréquent de la première manifestation des symptômes se situe entre 15 et 19 ans, avec un âge moyen de 18 ans. Ainsi, bien que la littérature anglo-saxonne sur les formes infantiles des troubles bipolaires soit florissante, ces formes doivent être considérées comme exceptionnelles. Il est, aujourd’hui, bien établi que l’étiologie des troubles bipolaires est hautement héritable. Les nombreuses études familiales ayant utilisé une approche transversale ont rapporté que le risque pour un enfant de développer un trouble bipolaire au décours de sa vie est quatre fois supérieur à celui rencontré en population générale, si l’un de ses parents souffrait de ce trouble : ce risque est évalué entre 3 % et 27 % selon les travaux [1]. Il est également intéressant de noter que, dans une récente étude longitudinale danoise menée sur plus de 2 millions personnes (dont 2300 patients présentant un trouble bipolaire) ayant été suivies à partir de l’âge de 15 ans et durant 28 ans, il a été observé une nette corrélation entre l’existence de ce trouble et sa présence chez un apparenté du premier degré (frères, sœurs ou parents) : le risque relatif estimé étant 14 fois supérieur à celui rapporté en population générale [2]. Ces données montrent l’importance, dans le trouble bipolaire, de l’agrégation familiale. Néanmoins, elles n’indiquent pas nécessairement que cette transmissibilité est véhiculée par des facteurs génétiques. En effet, si les parents transmettent une partie de leur patrimoine génétique à leurs enfants, ces mêmes parents sont aussi généralement ceux qui les éduquent. Les parents interviennent donc par un double facteur de transmission, environnemental et génétique. L’idée d’une contribution de facteurs génétiques dans le trouble bipolaire prend essentiellement appui sur les études réalisées chez les paires de jumeaux. Ces études rapportent que lorsqu’un jumeau présente un trouble bipolaire, le risque pour l’autre frère de développer le trouble est de 51 à 82 % lorsqu’il s’agit d’un homozygote et de 14 à 40 % lorsqu’il s’agit d’un dizygote. Cette différence de concordance a permis d’estimer que l’héritabilité est très élevée ; 69 à 87 % selon les travaux ayant étudié d’importantes populations de jumeaux [1,3-7]. Aucune des études portant sur le mode de transmission génétique des troubles bipolaires n’a permis de conclure à l’existence d’un gène majeur transmis selon un modèle mendélien classique et, ce même si une pénétrance incomplète est prise en compte (les individus héritant d’un gène altéré développeraient une vulnérabilité à la maladie et non pas la maladie). Un faisceau d’arguments suggère que, dans la plupart des cas, l’étiologie du trouble bipolaire est complexe et résulte de l’interaction de multiples gènes avec des facteurs environnementaux. De nombreux travaux faisant appel à des techniques de biologie moléculaire dites « classiques » (études de liaison ou d’association) ont bien sûr tenté d’identifier les gènes impliqués dans l’étiologie des troubles bipolaires. Néanmoins, leurs résultats se sont avérés peu concluants. Cet état de fait a conduit à une réflexion sur le choix des méthodes et au développement de stratégies expérimentales alternatives. Le concept d’endophénotype et son objectif Le concept d’endophénotype a été introduit par Gottesman et Gould [8] pour répondre aux besoins de la génétique conventionnelle qui se heurtait dans le champ de la psychiatrie aux imprécisions du phénotypage réalisé par les systèmes de classification en cours (i.e. de type DSM ou CIM). Dans son acception la plus rigoureuse, le terme d’endophénotype doit être utilisé pour des traits qui ne sont pas directement observables. En effet, ce terme est un vocable emprunté aux entomologistes qui distinguent le phénotype « apparent, évident ou externe » (ou exophénotype), d’un phénotype « microscopique ou interne » (ou endophénotype). Ces auteurs ont proposé qu’un ensemble de 5 critères soit retenu pour définir un « endophénotype ». Un « endophénotype » est un marqueur biologique qui doit : • 1) être associé avec la maladie ; • 2) être indépendant vis-à-vis de l’état (le marqueur doit être stable au cours du temps, reproductible, et présent quelle que soit la phase de la maladie) ; • 3) être héritable ; • 4) coségréger avec la maladie au sein des familles ; • 5) démontrer une prévalence plus importante chez les apparentés non atteints que dans la population générale. Il convient de noter que nombre d’auteurs proposent d’affiner cette définition en le réservant aux seuls marqueurs qui sont des variables continues, et qui font sens au regard des hypothèses couramment admises sur l’étiologie de la maladie. Dans l’idéal, ces marqueurs devraient également Les variations de la neuro-anatomie structurale cérébrale sont-elles des endophénotypes candidats prometteurs dans le trouble bipolaire ? S77 refléter l’expression de variants génétiques plus simples que ceux impliqués dans la maladie. L’engouement pour l’approche endophénotypique a largement bénéficié des avancés techniques dans le champ des neurosciences et, en particulier dans celui de la neuro-imagerie, qui ont ouvert de nouvelles perspectives de recherche en permettant le repérage précis d’anomalies structurales sans avoir recours à des méthodes invasives. Les techniques de la neuro-imagerie structurale L’imagerie cérébrale en recherche s’appuie essentiellement sur deux techniques d’imagerie par résonnance magnétique (IRM) non invasives, l’IRM anatomique conventionnelle et l’IRM du tenseur de diffusion. L’IRM anatomique permet le repérage de changements morphologiques en permettant de distinguer différents tissus (la substance blanche, la substance grise et le liquide corticospinal). Selon la méthode d’analyse retenue, la nature des données recueillies diffère. L’analyse volumétrique permet de mesurer le volume total du cerveau et/ou des ventricules ou lorsqu’une segmentation manuelle est appliquée de mesurer les volumes de régions spécifiques. Les études récentes privilégient l’analyse morphométrique dite voxel par voxel (VBM). Cette analyse permet d’effectuer une analyse exploratoire systématique des variations densité/concentration (version standard) ou de volume (version optimisée) de la substance blanche ou de la substance grise en tout point du cerveau, et ce indépendamment de modifications de volume qui pourraient affecter certaines régions du cerveau. La VBM permet, en outre, l’exploration structurale de sous-régions cérébrales qui sont fonctionnellement différentes mais qu’il reste difficile de délimiter avec une approche manuelle (par exemple les différentes régions du cortex préfrontal). Bien que la très grande majorité des résultats des travaux en IRM conventionnelle s’appuient sur les données issues d’analyses volumétriques classiques ou de la VBM, il convient de noter que les mesures rapportées peuvent également concerner l’épaisseur corticale mais également, la forme, la longueur, et l’épaisseur des sillons et circonvolutions (gyri). L’imagerie du tenseur de diffusion (ITD) est le développement le plus récent de l’IRM. Elle trouve son application dans l’étude de la substance blanche en se positionnant comme l’unique méthode permettant d’accéder à sa microstructure ainsi qu’à l’organisation des fibres blanches. Les séquences d’IRM pondérées en diffusion présentent la particularité d’être sensibles aux mouvements macroscopiques de l’eau extracellulaire. Dans la substance grise, la diffusion de l’eau se fait dans toutes les directions de l’espace (de manière isotrope) alors que dans la substance blanche, elle est « guidée » par la myéline, dans la direction imposée par les fibres nerveuses de gros calibres (de manière anisotrope). Les mesures réalisées lors d’une imagerie dite du tenseur de diffusion fournissent des marqueurs indirects de l’intégrité des fibres nerveuses. La plus communément évaluée est la fraction d’anisotropie (FA). Sa valeur est nulle lorsque la diffusion est isotrope et élevée lorsque la diffusion est anisotrope. Une perte de l’organisation ou de la cohérence des fibres conduit à une diminution de l’anisotropie et, donc, de la FA. Cette mesure constitue, par conséquent, un marqueur non invasif de l’intégrité des faisceaux de fibres blanches. Il convient de noter que la sensibilité de cette mesure tient essentiellement aux nombres de direction de diffusion qui sont appliquées lors de l’acquisition des données. Par ailleurs, la FA peut être estimée, soit localement dans une région d’intérêt, soit voxel par voxel sur cerveau entier. La plupart des travaux récents privilégient une approche exploratoire en cartographiant la FA sur cerveau entier. Les mesures réalisées en imagerie du tenseur de diffusion peuvent être également utilisées pour reconstruire ex vivo le trajet des faisceaux des fibres apportant ainsi des informations sur la connectivité structurale. Néanmoins aucun travail de ce type n’a été encore publié dans le cadre d’une recherche d’endophénotypes dans le trouble bipolaire. Héritabilité et génétique des phénotypes de l’imagerie structurale en population générale Les travaux d’IRM, qui ont porté sur l’étude de l’héritabilité (c’est-à-dire la proportion de la variance pour un marqueur donné, que l’on peut attribuer à des différences génétiques interindividuelles) de la morphométrie cérébrale, proviennent essentiellement d’études familiales qui ont comparé des couples de jumeaux sains monozygotes et hétérozygotes. Les mesures qui ont été explorées sont variées. Les études qui ont centré leurs investigations sur la mesure de volumes globaux ou totaux rapportent des résultats homogènes. Les volumes des grands compartiments cérébraux sont hautement héritables. L’héritabilité moyenne estimée pour le volume intracrânien, le volume total du cerveau, de la matière grise, et de la matière blanche est toujours supérieure à 70 % [9-17]. L’héritabilité des volumes et/ou de la concentration de matière grise au niveau des différents lobes a fait l’objet de moins d’études. Néanmoins, les données indiquent que l’héritabilité est d’élevée à très élevée au niveau du cortex préfrontal (54 à 83 %, y compris dans les régions médiales et orbitofrontales) [13,17,18] et du cortex occipital (69 à 85 %) [13,18]. Ce sont des cortex qui jouent, respectivement, un rôle clé dans la régulation des émotions et la perception. Une contribution génétique modérée a été rapportée pour le cortex pariétal (47 %) [13], dont la partie supérieure est impliquée dans le ressenti émotionnel. Concernant les structures limbiques et paralimbiques, il est, à l’heure actuelle, difficile de tirer une conclusion quant à leur héritabilité dans la mesure où les données sont à la fois peu nombreuses et très hétérogènes (hippocampe, 12-64 % ; amygdale, 15-80 %) [17-20]. La plupart des travaux portant sur l’étude de l’héritabilité de la substance blanche ont utilisé une approche en ITD et évalué la FA. La FA est la mesure de l’ITD qui présente la meilleure héritabilité sur cerveau entier. La contribution génétique moyenne est de 52 % [21]. Néanmoins, le profil d’héritabilité de la FA varie selon la structure considérée. L’héritabilité est élevée pour les différentes régions du corps calleux (54 à 66 %), le faisceau longitudinal supérieur [10], la couronne radiante [22], modérée pour la capsule interne et externe [23], le faisceau supérieur/inférieur fronto-occipital, et le stratum sagittal (40 %) et faible dans le faisceau cingulaire (37 %) [21]. Les études portant sur la recherche des gènes qui ont un effet sur la microstructure de la substance banche sont en plein essor. À titre d’exemple, il a été observé que les valeurs de la FA sont influencées par des gènes communs présentant des polymorphismes simples tels que le gène pour le Brain-Derived Neurotrophic Growth Factor (BDNF), S78 la clusterine (CLU), le récepteur de la neureguline 1 (ErbB4), le récepteur au facteur de croissance neurale à tyrosine kinase (NTRK1), la Catechol-O-méthyltransferase (COMT) et, celui pour l’hémochromatose (HFE). Ces gènes exercent, en général, des effets de petite taille. En d’autres termes, pris individuellement, chacun de leur variant n’explique qu’une très faible proportion de la variance de la FA. Néanmoins, dans un récent travail de modélisation qui a centré son analyse sur les valeurs de la FA au sein du corps calleux, il a été déterminé que la prise en compte des variants génétiques de 5 gènes (le rs11136000 pour le gène de la CLU, le rs460 pour celui de la COMT, le rs6336 pour celui de la NTRK1, le rs83923 pour celui d’ErB4, et le rs1799945 pour celui de la HFE) sur les 6 testés suffisait à expliquer 6 % de la variance de la FA dans cette structure [24]. Il convient également de souligner que les auteurs ont également observé qu’en tenant compte du profil génétique de ces 5 gènes, ils pouvaient élaborer un modèle prédictif qui avait un effet sur la valeur de la FA dans 82 % des voxels du corps calleux [24]. Si cette approche est validée et étendue à d’autres structures ou faisceaux de matière blanche, il sera possible, dans un avenir proche, d’anticiper la cohérence de la substance blanche à partir d’un profil génétique restreint d’une part et de disposer des marqueurs de risque ou de résilience pour de nombreuses pathologies cérébrales d’autre part. Les « endophénotytpes » structuraux candidats dans le trouble bipolaire Une méta-analyse a été récemment consacrée aux résultats des travaux qui ont porté sur les comparaisons des volumes intra-incérébraux et du volume total de matière grise chez des apparentés non atteints de patients bipolaires. Les auteurs rapportent que le volume intracérébral tend à être augmenté chez les sujets à risque de développer un trouble bipolaire en comparaison à celui mesuré chez des sujets sains [25]. Par ailleurs, leurs données indiquent que le volume total de matière grise des patients est significativement diminué par rapport à celui rapporté chez les sujets à risque et les sujets sains. Ces données sont en accord avec celles d’une autre méta-analyse [26] qui montrent qu’à l’issue d’un 1er épisode de la pathologie, aucun déficit du volume total de matière grise n’est observé. Ainsi, il peut être suggéré que cette diminution résulte d’un processus associé à la chronicité de la pathologie et non pas de facteurs génétiques. Le volume de substance grise a été également appréhendé au niveau de différentes régions/structures cérébrales. En effet, on peut faire l’hypothèse qu’en l’absence d’une modification du volume total, des modifications locales existent. Les volumes de matière grise ont été les plus étudiés dans l’hippocampe et l’amygdale avec une moyenne de 7 à 8 travaux. Ceci n’est pas surprenant dans la mesure où ces structures sont impliquées dans le traitement de l’information émotionnelle. Une moyenne de 3 à 4 travaux a été publiée pour le thalamus, le striatum, la glande pituitaire, et le lobe frontal. Les résultats de ces études ont été compilés dans une récente méta-analyse [25]. Les auteurs ne rapportent aucun changement significatif des volumes de substance grise entre patients bipolaires, apparentés non atteints et volontaires sains, et ce quel que soit la région ou structure considérée. Néanmoins, il est intéressant de noter que dans la seule étude réalisée chez des jumeaux dizygotes et monozygotes, concordants ou discordants pour le trouble bipolaire, il a été montré que la vulnérabilité génétique à P. Mazzola-Pomietto et al. développer ce trouble est associée à une diminution de la densité de matière grise dans 4 loci très circonscrits. Ces loci sont localisés dans le cortex préfrontal dorsolatéral [(aire de Broadman (BA) 9/46)] au sein de l’hémisphère gauche et dans l’insula (BA13) et le cortex orbito-frontal médian (BA11) dans l’hémisphère droit [27]. La substance blanche a fait l’objet de moins de travaux que la substance grise. Dans une étude réalisée chez des jumeaux concordants et discordants pour le trouble bipolaire, il a été observé que les deux membres de la fratrie présentaient une réduction du volume de la substance blanche dans l’hémisphère gauche en comparaison à des volontaires sains [28]. McDonald et al. [29] quant à eux, ont rapporté que l’augmentation du risque génétique à développer un trouble bipolaire avec des caractéristiques psychotiques est associé à une diminution du volume de la matière blanche dans différentes zones cérébrales incluant la partie antérieure du corps calleux et des régions préfrontales bilatéralement. McIntosh et al. [30] ne retrouvent pas cette association. Néanmoins, ces deniers auteurs suggèrent que l’approche méthodologique qu’ils ont utilisée est probablement moins sensible que celle mise en œuvre par McDonald et al. [29]. Dans une étude conduite sur une importante population de jumeaux dizygotes et monozygotes, concordants et discordants pour le trouble bipolaire, Van der Schot et al. [31] rapportent une diminution du volume de la substance blanche dans les régions temporales et frontales chez les patients bipolaires en comparaison à leurs apparentés non atteints. Les auteurs montent également, à l’aide d’outils de modélisation, que cette altération des volumes de la substance blanche est héritable d’une part, et que cette héritabilité relève à la fois de facteurs génétiques et de facteurs environnementaux. Dans un travail plus récent, ces mêmes auteurs ont poursuivi leur travail en se focalisant cette fois sur la densité de la matière blanche. Ils observent que la vulnérabilité à développer un trouble bipolaire est associée à une diminution de la densité de la matière blanche au niveau des régions cérébrales qui se positionnent dans les parties frontales du faisceau longitudinal supérieur (parties I et II). En outre, ils démontrent que la réduction de la densité de matière blanche observée au niveau de ce faisceau et celle mise en évidence au niveau de la matière grise (conférer fin du paragraphe précédent) est sous-tendue par des facteurs génétiques communs. Néanmoins, ils rapportent également que la contribution des facteurs génétiques pour la substance blanche est supérieure à celle évaluée pour la substance grise. Les données portant sur l’étude de la substance blanche telle qu’appréhendée en ITD semblent converger avec les données obtenues en IRM conventionnelle. Dans une étude comparant les valeurs de la FA chez trois groupes de sujets, des patients bipolaires adultes, leurs apparentés non atteints (1er degré) et des volontaires sains, la présence du trouble bipolaire ainsi que l’augmentation de risque génétique à développer ce trouble chez les apparentés étaient associées à une diminution de la FA au sein de différentes régions cérébrales qui correspondent aux parties antérieures des faisceaux fronto-occipitaux et longitudinaux supérieurs bilatéralement, à la portion du faisceau longitudinal supérieur localisée à proximité de la couronne radiante dans l’hémisphère gauche ainsi qu’à la partie postérieure du faisceau longitudinal et fronto-occipital inférieur dans l’hémisphère droit [32]. Une diminution de la FA au niveau du faisceau longitudinal supérieur bilatéralement a été également observé chez des enfants à risque de développer le trouble bipolaire en comparaison à des enfants témoins [33]. Les variations de la neuro-anatomie structurale cérébrale sont-elles des endophénotypes candidats prometteurs dans le trouble bipolaire ? S79 Conclusion et perspectives L’ensemble de ces données suggèrent qu’une altération de volume/densité de la substance blanche et de la FA, en particulier au niveau faisceau longitudinal supérieur se positionne comme un « endophénotype » candidat dans le trouble bipolaire. Il convient de noter que certains des facteurs génétiques qui sous-tendent l’intégrité de ce faisceau dans ce trouble sont également ceux qui semblent être à l’origine d’anomalies très ponctuelles de la matière grise dans les régions du cortex préfrontal. Néanmoins, la contribution des facteurs génétiques semble supérieure pour la substance blanche. Ainsi, on peut faire l’hypothèse que ces sont des désordres au sein de la structure de la substance blanche qui sont à l’origine d’anomalies ponctuelles au sein de la substance grise. Sur le plan structural, le faisceau longitudinal supérieur est un faisceau d’association majeure de la substance blanche qui interconnecte les structures corticales postérieures au niveau du cortex frontal [34]. Sur le plan fonctionnel, ce faisceau semble jouer un rôle central dans la régulation de l’attention et du langage, les comportements moteurs et le traitement de l’information somato-sensorielle [35]. Ainsi, une perte de son intégrité fonctionnelle pourrait être à l’origine de certains des déficits attentionnels et cognitifs qui ont été rapportés dans le trouble bipolaire [36-38]. Les études familiales dans le trouble bipolaire qui portent sur la substance blanche n’en étant encore qu’à leur début, il est probable que, dans un avenir proche, d’autres faisceaux ou fibres soient proposés comme des « endophénotypes » candidats. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt en lien avec cet article. Références [1] Smoller JW, Finn CT. Family, twin, and adoption studies of bipolar disorder. Am J Med Genet C Semin Med Genet 2003;123C:48-58. [2] Mortensen PB, Pedersen CB, Melbye M, et al. Individual and familial risk factors for bipolar affective disorders in Denmark. Arch Gen Psychiatry 2003;60:1209-15. [3] Bertelsen A, Harvald B, Hauge M. A Danish twin study of manicdepressive disorders. Br J Psychiatry 1977;130:330-51. [4] Cardno AG, Marshall EJ, Coid B, et al. Heritability estimates for psychotic disorders: the Maudsley twin psychosis series. Arch Gen Psychiatry 1999;56:162-8. [5] Edvardsen J, Torgersen S, Roysamb E, et al. Heritability of bipolar spectrum disorders. Unity or heterogeneity? J Affect Disord 2008;106:229-40. [6] Kendler KS. Twin studies of psychiatric illness. Current status and future directions. Arch Gen Psychiatry 1993;50:905-15. [7] Kendler KS. Twin studies of psychiatric illness: an update. Arch Gen Psychiatry 2001;58:1005-14. [8] Gottesman II, Gould TD. The endophenotype concept in psychiatry: etymology and strategic intentions. Am J Psychiatry 2003;160:636-45. [9] Atwood LD, Wolf PA, Heard-Costa NL, et al. Genetic variation in white matter hyperintensity volume in the Framingham Study. Stroke 2004;35:1609-13. [10] Baare WF, Hulshoff Pol HE, Boomsma DI, et al. Quantitative genetic modeling of variation in human brain morphology. Cereb Cortex 2001;11:816-24. [11] Bartley AJ, Jones DW, Weinberger DR. Genetic variability of human brain size and cortical gyral patterns. Brain 1997;120(Pt2):257-69. [12] Hulshoff Pol HE, Brans RG, van Haren NE, et al. Gray and white matter volume abnormalities in monozygotic and same-gender dizygotic twins discordant for schizophrenia. Biol Psychiatry 2004;55:126-30. [13] Geschwind DH, Miller BL, DeCarli C, et al. Heritability of lobar brain volumes in twins supports genetic models of cerebral laterality and handedness. Proc Natl Acad Sci U S A 2002;99:3176-81. [14] Narr KL, Cannon TD, Woods RP, et al. Genetic contributions to altered callosal morphology in schizophrenia. J Neurosci 2002;22:3720-9. [15] Pennington BF, Filipek PA, Lefly D, et al. A twin MRI study of size variations in human brain. J Cogn Neurosci 2000;12:223-32. [16] Posthuma D, de Geus EJ, Neale MC, et al. Multivariate genetic analysis of brain structure in an extended twin design. Behav Genet 2000;30:311-9. [17] Wright IC, Sham P, Murray RM, et al. Genetic contributions to regional variability in human brain structure: methods and preliminary results. Neuro-image 2002;17:256-71. [18] Hulshoff Pol HE, Schnack HG, Mandl RC, et al. Gray and white matter density changes in monozygotic and same-sex dizygotic twins discordant for schizophrenia using voxel-based morphometry. Neuro-image 2006;31:482-8. [19] Gatt JM, Korgaonkar MS, Schofield PR, et al. The TWIN-E project in emotional wellbeing: study protocol and preliminary heritability results across four MRI and DTI measures. Twin Res Hum Genet 2012;15:419-41. [20] Kremen WS, Prom-Wormley E, Panizzon MS, et al. Genetic and environmental influences on the size of specific brain regions in midlife: the VETSA MRI study. Neuro-image 2010;49:1213-23. [21] Kochunov P, Glahn DC, Lancaster JL, et al. Genetics of microstructure of cerebral white matter using diffusion tensor imaging. Neuro-image 2010;53:1109-16. [22] Carmelli D, DeCarli C, Swan GE, et al. Evidence for genetic variance in white matter hyperintensity volume in normal elderly male twins. Stroke 1998;29:1177-81. [23] Singh MK, Delbello MP, Adler CM, et al. Neuroanatomical characterization of child offspring of bipolar parents. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 2008;47:526-31. [24] Kohannim O, Jahanshad N, Braskie MN, et al. Predicting white matter integrity from multiple common genetic variants. Neuropsychopharmacology 2012;37:2012-9. [25] Fusar-Poli P, Howes O, Bechdolf A, et al. Mapping vulnerability to bipolar disorder: a systematic review and meta-analysis of neuro-imaging studies. J Psychiatry Neurosci 2012;37:170-84. [26] Vita A, De Peri L, Sacchetti E. Gray matter, white matter, brain, and intracranial volumes in first-episode bipolar disorder: a meta-analysis of magnetic resonance imaging studies. Bipolar Disord 2009;11:807-14. [27] van der Schot AC, Vonk R, Brouwer RM, et al. Genetic and environmental influences on focal brain density in bipolar disord disorder. Brain 2010;133:3080-92. [28] Kieseppa T, van Erp TG, Haukka J, et al. Reduced left hemispheric white matter volume in twins with bipolar I disorder. Biol Psychiatry 2003;54:896-905. [29] McDonald C, Bullmore ET, Sham PC, et al. Association of genetic risks for schizophrenia and bipolar disorder with specific and generic brain structural endophenotypes. Arch Gen Psychiatry 2004;61:974-84. [30] McIntosh AM, Job DE, Moorhead WJ, et al. Genetic liability to schizophrenia or bipolar disorder and its relationship to brain structure. Am J Med Genet B Neuropsychiatr Genet 2006;141B:76-83. [31] van der Schot AC, Vonk R, Brans RG, et al. Influence of genes and environment on brain volumes in twin pairs concordant and discordant for bipolar disorder. Arch Gen Psychiatry 2009;66:142-51. [32] Chaddock CA, Barker GJ, Marshall N, et al. White matter microstructural impairments and genetic liability to familial bipolar I disorder. Br J Psychiatry 2009;194:527-34. S80 [33] Frazier JA, Breeze JL, Papadimitriou G, et al. White matter abnormalities in children with and at risk for bipolar disorder. Bipolar Disord 2007;9:799-809. [34] Makris N, Kennedy DN, McInerney S, et al. Segmentation of subcomponents within the superior longitudinal fascicle in humans: a quantitative, in vivo, DT-MRI study. Cereb Cortex 2005;15:854-69. [35] Stuss DT, Knight RT. Principles of frontal lobe function. Oxford; New York: Oxford University Press; 2002. P. Mazzola-Pomietto et al. [36] Goldberg JF, Chengappa KN. Identifying and treating cognitive impairment in bipolar disorder. Bipolar Disord 2009;11(Suppl.2):123-37. [37] Martinez-Aran A, Vieta E, Reinares M, et al. Cognitive function across manic or hypomanic, depressed, and euthymic states in bipolar disorder. Am J Psychiatry 2004;161:262-70. [38] Wingo AP, Harvey PD, Baldessarini RJ. Neurocognitive impairment in bipolar disorder patients: functional implications. Bipolar Disord 2009;11:113-25.