Les variations de la neuro-anatomie structurale cérébrale sont

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L’Encéphale (2012) 38, S75-S80
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep
Les variations de la neuro-anatomie structurale
cérébrale sont-elles des endophénotypes candidats
prometteurs dans le trouble bipolaire ?
Are variations of structural neuro-anatomy promising endophenotype
candidates in bipolar disorder?
P. Mazzola-Pomiettoa, *, J.-M. Azorinb, R. Belzeauxb, E. Fakrab, M. Adidab,
A. Kaladjianc
aInstitut de Neurosciences de la Timone (INT), UMR 7289, CNRS – Aix Marseille Université Campus santé Timone, 27,
boulevard Jean Moulin, 13385 Marseille cedex 5, France
bPôle Universitaire de Psychiatrie, Hôpital de Sainte-Marguerite, 270, boulevard de Sainte-Marguerite, 13274 Marseille
cedex 09, France
cPôle de Psychiatrie des Adultes, CHU Robert Debré, Avenue du Général Koenig, 51092 Reims cedex, France
MOTS CLÉS
Endophénotype ;
Neuro-anatomie ;
Imagerie par
Résonance
Magnétique ;
Trouble bipolaire ;
Revue
KEYWORDS
Bipolar disorder;
Endophenotype;
Magnetic Resonance
Imaging;
Neuro-anatomy;
Review
Résumé Le trouble bipolaire est une pathologie complexe ayant une composante héritable
indéniable. Les études épidémiologiques soulignent la contribution de facteurs génétiques
à cette composante héréditaire. Néanmoins, les travaux de biologie moléculaire utilisant
des approches de génétique classique n’ont pas permis d’identifier ces facteurs. Pour pallier
cette difficulté, plusieurs stratégies sont mises en œuvre. La recherche d’endophénotype est
l’une d’entre elles. Son objectif est d’identifier des phénotypes biologiques dont l’expression
répond à des mécanismes génétiques plus simples que ceux impliqués dans la manifestation
de la maladie. Les endophénotypes représentent, donc, des marqueurs intermédiaires entre
gènes et états pathologiques, et leur utilisation devrait faciliter l’identification de loci
génétiques associés à la pathologie. Dans cet article, nous décrirons les principaux phénotypes
de la neuro-imagerie structurale cérébrale qui sont utilisés en recherche et rapporteront
leur héritabilité en population générale. Puis nous nous centrerons sur les résultats des
études réalisées dans les familles de patients souffrant de trouble bipolaire. Les données qui,
sont encore peu nombreuses, suggèrent que de discrètes anomalies de la neuro-anatomie
cérébrale, en particulier au niveau des faisceaux de fibres de la matière blanche, sont des
endophénotypes candidats prometteurs dans le cadre de cette pathologie.
© L’Encéphale, Paris, 2012
Summary Bipolar disorder is a complex pathology which has a strong heritability
component. Epidemiologic studies have pinpointed the contribution of genetic factors
to the heritability component. The molecular studies, that have used classical genetic
approaches, have been inconclusive at indentifying genes involved in the etiology of this
disorder. To overcome these difficulties, a number of strategies have been developed. One of
them is the endophenotypic approach. Its main scope is to identify biological markers that
are influenced by genetic factors that are less complex than those involved in the clinical
expression of the disorder. Thus, it is likely these markers will be more readily linked to
specific genetic loci. In this article, we describe the main phenotypes of neuro-anatomic
*Correspondance.
Adresse e-mail : [email protected]
© L’Encéphale, Paris, 2012. Tous droits réservés.
S76
P. Mazzola-Pomietto et al.
measurements that are widely used in research, and report data on their heritability in
the general population. Then, we focus on the results of the few structural neuro-imaging
studies that have been carried out in families of patients suffering of bipolar disorders.
The current data converge to indicate that subtle structural abnormalities, particularly
at the level white matter tracts, seem to be promising endophenotype candidates for
bipolar disorder.
© L’Encéphale, Paris, 2012
Les troubles bipolaires sont des troubles sévères et chroniques de l’humeur aux effets souvent dévastateurs. Dans
leurs formes les plus classiques, ces troubles se manifestent
par la survenue généralement répétée d’épisodes dépressifs,
maniaques, hypomaniaques ou mixtes séparés par des intervalles dits libres au cours desquels les sujets sont a priori
indemnes de dysfonctionnements psychiques majeurs. Il est
toutefois important de souligner que la présentation clinique
de cette pathologie, comme celle de la plupart des autres
troubles psychiatriques, est très hétérogène : chaque patient
présente sa propre symptomatologie qui, dans la grande
partie des cas, se répétera à l’identique au cours du temps.
Épidémiologie et génétique
La prévalence des troubles bipolaires est de 1 à 2 % en
population générale, et de 0,3 % chez l’adolescent. L’âge le
plus fréquent de la première manifestation des symptômes
se situe entre 15 et 19 ans, avec un âge moyen de 18 ans.
Ainsi, bien que la littérature anglo-saxonne sur les formes
infantiles des troubles bipolaires soit florissante, ces formes
doivent être considérées comme exceptionnelles.
Il est, aujourd’hui, bien établi que l’étiologie des
troubles bipolaires est hautement héritable. Les nombreuses
études familiales ayant utilisé une approche transversale
ont rapporté que le risque pour un enfant de développer un
trouble bipolaire au décours de sa vie est quatre fois supérieur à celui rencontré en population générale, si l’un de ses
parents souffrait de ce trouble : ce risque est évalué entre
3 % et 27 % selon les travaux [1]. Il est également intéressant
de noter que, dans une récente étude longitudinale danoise
menée sur plus de 2 millions personnes (dont 2300 patients
présentant un trouble bipolaire) ayant été suivies à partir de
l’âge de 15 ans et durant 28 ans, il a été observé une nette
corrélation entre l’existence de ce trouble et sa présence
chez un apparenté du premier degré (frères, sœurs ou
parents) : le risque relatif estimé étant 14 fois supérieur à
celui rapporté en population générale [2]. Ces données montrent l’importance, dans le trouble bipolaire, de l’agrégation
familiale. Néanmoins, elles n’indiquent pas nécessairement
que cette transmissibilité est véhiculée par des facteurs
génétiques. En effet, si les parents transmettent une partie
de leur patrimoine génétique à leurs enfants, ces mêmes
parents sont aussi généralement ceux qui les éduquent.
Les parents interviennent donc par un double facteur de
transmission, environnemental et génétique.
L’idée d’une contribution de facteurs génétiques dans le
trouble bipolaire prend essentiellement appui sur les études
réalisées chez les paires de jumeaux. Ces études rapportent
que lorsqu’un jumeau présente un trouble bipolaire, le risque
pour l’autre frère de développer le trouble est de 51 à 82 %
lorsqu’il s’agit d’un homozygote et de 14 à 40 % lorsqu’il
s’agit d’un dizygote. Cette différence de concordance a
permis d’estimer que l’héritabilité est très élevée ; 69 à 87 %
selon les travaux ayant étudié d’importantes populations de
jumeaux [1,3-7].
Aucune des études portant sur le mode de transmission
génétique des troubles bipolaires n’a permis de conclure
à l’existence d’un gène majeur transmis selon un modèle
mendélien classique et, ce même si une pénétrance incomplète est prise en compte (les individus héritant d’un gène
altéré développeraient une vulnérabilité à la maladie et
non pas la maladie). Un faisceau d’arguments suggère que,
dans la plupart des cas, l’étiologie du trouble bipolaire est
complexe et résulte de l’interaction de multiples gènes avec
des facteurs environnementaux. De nombreux travaux faisant
appel à des techniques de biologie moléculaire dites « classiques » (études de liaison ou d’association) ont bien sûr
tenté d’identifier les gènes impliqués dans l’étiologie des
troubles bipolaires. Néanmoins, leurs résultats se sont avérés
peu concluants. Cet état de fait a conduit à une réflexion sur
le choix des méthodes et au développement de stratégies
expérimentales alternatives.
Le concept d’endophénotype
et son objectif
Le concept d’endophénotype a été introduit par Gottesman
et Gould [8] pour répondre aux besoins de la génétique
conventionnelle qui se heurtait dans le champ de la psychiatrie aux imprécisions du phénotypage réalisé par les systèmes
de classification en cours (i.e. de type DSM ou CIM). Dans
son acception la plus rigoureuse, le terme d’endophénotype
doit être utilisé pour des traits qui ne sont pas directement
observables. En effet, ce terme est un vocable emprunté
aux entomologistes qui distinguent le phénotype « apparent,
évident ou externe » (ou exophénotype), d’un phénotype
« microscopique ou interne » (ou endophénotype).
Ces auteurs ont proposé qu’un ensemble de 5 critères soit
retenu pour définir un « endophénotype ». Un « endophénotype » est un marqueur biologique qui doit :
• 1) être associé avec la maladie ;
• 2) être indépendant vis-à-vis de l’état (le marqueur doit
être stable au cours du temps, reproductible, et présent
quelle que soit la phase de la maladie) ;
• 3) être héritable ;
• 4) coségréger avec la maladie au sein des familles ;
• 5) démontrer une prévalence plus importante chez les
apparentés non atteints que dans la population générale.
Il convient de noter que nombre d’auteurs proposent
d’affiner cette définition en le réservant aux seuls marqueurs
qui sont des variables continues, et qui font sens au regard
des hypothèses couramment admises sur l’étiologie de la
maladie. Dans l’idéal, ces marqueurs devraient également
Les variations de la neuro-anatomie structurale cérébrale sont-elles des endophénotypes candidats prometteurs dans le trouble bipolaire ? S77
refléter l’expression de variants génétiques plus simples que
ceux impliqués dans la maladie.
L’engouement pour l’approche endophénotypique a largement bénéficié des avancés techniques dans le champ des
neurosciences et, en particulier dans celui de la neuro-imagerie, qui ont ouvert de nouvelles perspectives de recherche
en permettant le repérage précis d’anomalies structurales
sans avoir recours à des méthodes invasives.
Les techniques de la neuro-imagerie
structurale
L’imagerie cérébrale en recherche s’appuie essentiellement
sur deux techniques d’imagerie par résonnance magnétique
(IRM) non invasives, l’IRM anatomique conventionnelle et
l’IRM du tenseur de diffusion.
L’IRM anatomique permet le repérage de changements
morphologiques en permettant de distinguer différents tissus
(la substance blanche, la substance grise et le liquide corticospinal). Selon la méthode d’analyse retenue, la nature des
données recueillies diffère. L’analyse volumétrique permet de
mesurer le volume total du cerveau et/ou des ventricules ou
lorsqu’une segmentation manuelle est appliquée de mesurer
les volumes de régions spécifiques. Les études récentes privilégient l’analyse morphométrique dite voxel par voxel (VBM).
Cette analyse permet d’effectuer une analyse exploratoire
systématique des variations densité/concentration (version
standard) ou de volume (version optimisée) de la substance
blanche ou de la substance grise en tout point du cerveau,
et ce indépendamment de modifications de volume qui
pourraient affecter certaines régions du cerveau. La VBM
permet, en outre, l’exploration structurale de sous-régions
cérébrales qui sont fonctionnellement différentes mais qu’il
reste difficile de délimiter avec une approche manuelle (par
exemple les différentes régions du cortex préfrontal). Bien
que la très grande majorité des résultats des travaux en IRM
conventionnelle s’appuient sur les données issues d’analyses
volumétriques classiques ou de la VBM, il convient de noter
que les mesures rapportées peuvent également concerner
l’épaisseur corticale mais également, la forme, la longueur,
et l’épaisseur des sillons et circonvolutions (gyri).
L’imagerie du tenseur de diffusion (ITD) est le développement le plus récent de l’IRM. Elle trouve son application dans
l’étude de la substance blanche en se positionnant comme
l’unique méthode permettant d’accéder à sa microstructure
ainsi qu’à l’organisation des fibres blanches. Les séquences
d’IRM pondérées en diffusion présentent la particularité
d’être sensibles aux mouvements macroscopiques de l’eau
extracellulaire. Dans la substance grise, la diffusion de l’eau
se fait dans toutes les directions de l’espace (de manière
isotrope) alors que dans la substance blanche, elle est
« guidée » par la myéline, dans la direction imposée par les
fibres nerveuses de gros calibres (de manière anisotrope).
Les mesures réalisées lors d’une imagerie dite du tenseur de
diffusion fournissent des marqueurs indirects de l’intégrité
des fibres nerveuses. La plus communément évaluée est la
fraction d’anisotropie (FA). Sa valeur est nulle lorsque la
diffusion est isotrope et élevée lorsque la diffusion est anisotrope. Une perte de l’organisation ou de la cohérence des
fibres conduit à une diminution de l’anisotropie et, donc, de
la FA. Cette mesure constitue, par conséquent, un marqueur
non invasif de l’intégrité des faisceaux de fibres blanches.
Il convient de noter que la sensibilité de cette mesure tient
essentiellement aux nombres de direction de diffusion
qui sont appliquées lors de l’acquisition des données. Par
ailleurs, la FA peut être estimée, soit localement dans une
région d’intérêt, soit voxel par voxel sur cerveau entier.
La plupart des travaux récents privilégient une approche
exploratoire en cartographiant la FA sur cerveau entier.
Les mesures réalisées en imagerie du tenseur de diffusion
peuvent être également utilisées pour reconstruire ex vivo
le trajet des faisceaux des fibres apportant ainsi des informations sur la connectivité structurale. Néanmoins aucun
travail de ce type n’a été encore publié dans le cadre d’une
recherche d’endophénotypes dans le trouble bipolaire.
Héritabilité et génétique des phénotypes
de l’imagerie structurale en population
générale
Les travaux d’IRM, qui ont porté sur l’étude de l’héritabilité
(c’est-à-dire la proportion de la variance pour un marqueur
donné, que l’on peut attribuer à des différences génétiques
interindividuelles) de la morphométrie cérébrale, proviennent essentiellement d’études familiales qui ont comparé
des couples de jumeaux sains monozygotes et hétérozygotes.
Les mesures qui ont été explorées sont variées.
Les études qui ont centré leurs investigations sur la
mesure de volumes globaux ou totaux rapportent des résultats homogènes. Les volumes des grands compartiments
cérébraux sont hautement héritables. L’héritabilité moyenne
estimée pour le volume intracrânien, le volume total du
cerveau, de la matière grise, et de la matière blanche est
toujours supérieure à 70 % [9-17].
L’héritabilité des volumes et/ou de la concentration de
matière grise au niveau des différents lobes a fait l’objet
de moins d’études. Néanmoins, les données indiquent que
l’héritabilité est d’élevée à très élevée au niveau du cortex
préfrontal (54 à 83 %, y compris dans les régions médiales
et orbitofrontales) [13,17,18] et du cortex occipital (69 à
85 %) [13,18]. Ce sont des cortex qui jouent, respectivement,
un rôle clé dans la régulation des émotions et la perception.
Une contribution génétique modérée a été rapportée pour le
cortex pariétal (47 %) [13], dont la partie supérieure est impliquée dans le ressenti émotionnel. Concernant les structures
limbiques et paralimbiques, il est, à l’heure actuelle, difficile
de tirer une conclusion quant à leur héritabilité dans la mesure
où les données sont à la fois peu nombreuses et très hétérogènes (hippocampe, 12-64 % ; amygdale, 15-80 %) [17-20].
La plupart des travaux portant sur l’étude de l’héritabilité de la substance blanche ont utilisé une approche en ITD
et évalué la FA. La FA est la mesure de l’ITD qui présente
la meilleure héritabilité sur cerveau entier. La contribution
génétique moyenne est de 52 % [21]. Néanmoins, le profil
d’héritabilité de la FA varie selon la structure considérée.
L’héritabilité est élevée pour les différentes régions du corps
calleux (54 à 66 %), le faisceau longitudinal supérieur [10],
la couronne radiante [22], modérée pour la capsule interne
et externe [23], le faisceau supérieur/inférieur fronto-occipital, et le stratum sagittal (40 %) et faible dans le faisceau
cingulaire (37 %) [21].
Les études portant sur la recherche des gènes qui ont
un effet sur la microstructure de la substance banche sont
en plein essor. À titre d’exemple, il a été observé que les
valeurs de la FA sont influencées par des gènes communs
présentant des polymorphismes simples tels que le gène
pour le Brain-Derived Neurotrophic Growth Factor (BDNF),
S78
la clusterine (CLU), le récepteur de la neureguline 1 (ErbB4),
le récepteur au facteur de croissance neurale à tyrosine
kinase (NTRK1), la Catechol-O-méthyltransferase (COMT) et,
celui pour l’hémochromatose (HFE). Ces gènes exercent, en
général, des effets de petite taille. En d’autres termes, pris
individuellement, chacun de leur variant n’explique qu’une
très faible proportion de la variance de la FA. Néanmoins,
dans un récent travail de modélisation qui a centré son analyse sur les valeurs de la FA au sein du corps calleux, il a été
déterminé que la prise en compte des variants génétiques de
5 gènes (le rs11136000 pour le gène de la CLU, le rs460 pour
celui de la COMT, le rs6336 pour celui de la NTRK1, le rs83923
pour celui d’ErB4, et le rs1799945 pour celui de la HFE) sur
les 6 testés suffisait à expliquer 6 % de la variance de la FA
dans cette structure [24]. Il convient également de souligner
que les auteurs ont également observé qu’en tenant compte
du profil génétique de ces 5 gènes, ils pouvaient élaborer
un modèle prédictif qui avait un effet sur la valeur de la FA
dans 82 % des voxels du corps calleux [24]. Si cette approche
est validée et étendue à d’autres structures ou faisceaux
de matière blanche, il sera possible, dans un avenir proche,
d’anticiper la cohérence de la substance blanche à partir
d’un profil génétique restreint d’une part et de disposer des
marqueurs de risque ou de résilience pour de nombreuses
pathologies cérébrales d’autre part.
Les « endophénotytpes » structuraux
candidats dans le trouble bipolaire
Une méta-analyse a été récemment consacrée aux résultats
des travaux qui ont porté sur les comparaisons des volumes
intra-incérébraux et du volume total de matière grise chez
des apparentés non atteints de patients bipolaires. Les
auteurs rapportent que le volume intracérébral tend à être
augmenté chez les sujets à risque de développer un trouble
bipolaire en comparaison à celui mesuré chez des sujets
sains [25]. Par ailleurs, leurs données indiquent que le volume
total de matière grise des patients est significativement
diminué par rapport à celui rapporté chez les sujets à risque
et les sujets sains. Ces données sont en accord avec celles
d’une autre méta-analyse [26] qui montrent qu’à l’issue d’un
1er épisode de la pathologie, aucun déficit du volume total
de matière grise n’est observé. Ainsi, il peut être suggéré
que cette diminution résulte d’un processus associé à la
chronicité de la pathologie et non pas de facteurs génétiques.
Le volume de substance grise a été également appréhendé
au niveau de différentes régions/structures cérébrales. En
effet, on peut faire l’hypothèse qu’en l’absence d’une
modification du volume total, des modifications locales
existent. Les volumes de matière grise ont été les plus
étudiés dans l’hippocampe et l’amygdale avec une moyenne
de 7 à 8 travaux. Ceci n’est pas surprenant dans la mesure
où ces structures sont impliquées dans le traitement de
l’information émotionnelle. Une moyenne de 3 à 4 travaux
a été publiée pour le thalamus, le striatum, la glande pituitaire, et le lobe frontal. Les résultats de ces études ont été
compilés dans une récente méta-analyse [25]. Les auteurs
ne rapportent aucun changement significatif des volumes de
substance grise entre patients bipolaires, apparentés non
atteints et volontaires sains, et ce quel que soit la région ou
structure considérée. Néanmoins, il est intéressant de noter
que dans la seule étude réalisée chez des jumeaux dizygotes
et monozygotes, concordants ou discordants pour le trouble
bipolaire, il a été montré que la vulnérabilité génétique à
P. Mazzola-Pomietto et al.
développer ce trouble est associée à une diminution de la
densité de matière grise dans 4 loci très circonscrits. Ces loci
sont localisés dans le cortex préfrontal dorsolatéral [(aire
de Broadman (BA) 9/46)] au sein de l’hémisphère gauche et
dans l’insula (BA13) et le cortex orbito-frontal médian (BA11)
dans l’hémisphère droit [27].
La substance blanche a fait l’objet de moins de travaux
que la substance grise. Dans une étude réalisée chez des
jumeaux concordants et discordants pour le trouble bipolaire,
il a été observé que les deux membres de la fratrie présentaient une réduction du volume de la substance blanche
dans l’hémisphère gauche en comparaison à des volontaires
sains [28]. McDonald et al. [29] quant à eux, ont rapporté que
l’augmentation du risque génétique à développer un trouble
bipolaire avec des caractéristiques psychotiques est associé à
une diminution du volume de la matière blanche dans différentes zones cérébrales incluant la partie antérieure du corps
calleux et des régions préfrontales bilatéralement. McIntosh
et al. [30] ne retrouvent pas cette association. Néanmoins,
ces deniers auteurs suggèrent que l’approche méthodologique
qu’ils ont utilisée est probablement moins sensible que celle
mise en œuvre par McDonald et al. [29]. Dans une étude
conduite sur une importante population de jumeaux dizygotes
et monozygotes, concordants et discordants pour le trouble
bipolaire, Van der Schot et al. [31] rapportent une diminution
du volume de la substance blanche dans les régions temporales
et frontales chez les patients bipolaires en comparaison à leurs
apparentés non atteints. Les auteurs montent également,
à l’aide d’outils de modélisation, que cette altération des
volumes de la substance blanche est héritable d’une part, et
que cette héritabilité relève à la fois de facteurs génétiques
et de facteurs environnementaux. Dans un travail plus récent,
ces mêmes auteurs ont poursuivi leur travail en se focalisant
cette fois sur la densité de la matière blanche. Ils observent
que la vulnérabilité à développer un trouble bipolaire est
associée à une diminution de la densité de la matière blanche
au niveau des régions cérébrales qui se positionnent dans les
parties frontales du faisceau longitudinal supérieur (parties I
et II). En outre, ils démontrent que la réduction de la densité
de matière blanche observée au niveau de ce faisceau et celle
mise en évidence au niveau de la matière grise (conférer fin
du paragraphe précédent) est sous-tendue par des facteurs
génétiques communs. Néanmoins, ils rapportent également
que la contribution des facteurs génétiques pour la substance
blanche est supérieure à celle évaluée pour la substance
grise.
Les données portant sur l’étude de la substance blanche
telle qu’appréhendée en ITD semblent converger avec les
données obtenues en IRM conventionnelle. Dans une étude
comparant les valeurs de la FA chez trois groupes de sujets,
des patients bipolaires adultes, leurs apparentés non atteints
(1er degré) et des volontaires sains, la présence du trouble
bipolaire ainsi que l’augmentation de risque génétique à
développer ce trouble chez les apparentés étaient associées
à une diminution de la FA au sein de différentes régions
cérébrales qui correspondent aux parties antérieures des
faisceaux fronto-occipitaux et longitudinaux supérieurs bilatéralement, à la portion du faisceau longitudinal supérieur
localisée à proximité de la couronne radiante dans l’hémisphère gauche ainsi qu’à la partie postérieure du faisceau
longitudinal et fronto-occipital inférieur dans l’hémisphère
droit [32]. Une diminution de la FA au niveau du faisceau
longitudinal supérieur bilatéralement a été également
observé chez des enfants à risque de développer le trouble
bipolaire en comparaison à des enfants témoins [33].
Les variations de la neuro-anatomie structurale cérébrale sont-elles des endophénotypes candidats prometteurs dans le trouble bipolaire ? S79
Conclusion et perspectives
L’ensemble de ces données suggèrent qu’une altération de
volume/densité de la substance blanche et de la FA, en particulier au niveau faisceau longitudinal supérieur se positionne
comme un « endophénotype » candidat dans le trouble bipolaire. Il convient de noter que certains des facteurs génétiques
qui sous-tendent l’intégrité de ce faisceau dans ce trouble
sont également ceux qui semblent être à l’origine d’anomalies
très ponctuelles de la matière grise dans les régions du cortex
préfrontal. Néanmoins, la contribution des facteurs génétiques
semble supérieure pour la substance blanche. Ainsi, on peut
faire l’hypothèse que ces sont des désordres au sein de la structure de la substance blanche qui sont à l’origine d’anomalies
ponctuelles au sein de la substance grise.
Sur le plan structural, le faisceau longitudinal supérieur
est un faisceau d’association majeure de la substance
blanche qui interconnecte les structures corticales postérieures au niveau du cortex frontal [34]. Sur le plan
fonctionnel, ce faisceau semble jouer un rôle central
dans la régulation de l’attention et du langage, les comportements moteurs et le traitement de l’information
somato-sensorielle [35]. Ainsi, une perte de son intégrité
fonctionnelle pourrait être à l’origine de certains des
déficits attentionnels et cognitifs qui ont été rapportés
dans le trouble bipolaire [36-38].
Les études familiales dans le trouble bipolaire qui portent
sur la substance blanche n’en étant encore qu’à leur début,
il est probable que, dans un avenir proche, d’autres faisceaux
ou fibres soient proposés comme des « endophénotypes »
candidats.
Déclaration d’intérêts
Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt en lien
avec cet article.
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