Ischémie coronaire per et postopératoire : diagnostics et épidémiologie en 2012 Yannick Le Manach, Hadrien Gibert Département d’Anesthésie Réanimation, Groupe Hospitalier Pitié Salpêtrière, 47-83 boulevard de l'Hôpital 75013 Paris. Introduction Prévenir de façon efficace la survenue d’un infarctus du myocarde et ainsi préserver l’espérance de vie du coronarien à chaque étape de la prise en charge péri-opératoire est une véritable démarche qualité, intégrant d’une part des objectifs de soins et d’autre part des indicateurs assurant que la prise en charge de l’opéré coronarien a atteint son but : éviter tout dommage myocardique péri-opératoire. Le cardiologue et l’anesthésiste réanimateur ont un rôle prépondérant dans cette prise en charge de l’opéré souffrant d’une pathologie coronarienne : •En préopératoire, en s’assurant que l’opéré bénéficie d’un traitement médical « optimal » adapté à ses facteurs de risque, et en définissant comment devront être administrés les traitements cardiovasculaires pris au long cours par l’opéré. •En proposant des thérapeutiques prophylactiques adaptées à l’évaluation préopératoire. •Tout au long de la période opératoire en détectant toute instabilité de la maladie coronarienne et en mettant en place en urgence un traitement médical spécifique à cette pathologie. •En postopératoire en contrôlant l’ensemble des facteurs qui déstabilisent la maladie coronarienne. Ces facteurs vont bien au-delà de la décharge catécholergique ; ils concernent la dysfonction endothéliale, l’inflammation et l’hyperagrégabilité plaquettaire. •A la sortie du milieu chirurgical en prescrivant à l’opéré ayant présenté un signe d’instabilité de la maladie coronarienne pendant la période opératoire une prévention secondaire de la maladie coronarienne et un bilan cardiologique. L’ensemble de ces interventions nécessite une bonne communication entre les praticiens, qui passe, entre autre, par une définition uniforme de l’événement coronaire postopératoire. 100 MAPAR 2012 1. Diagnostic des événements coronaires postopératoires La définition des événements coronaires postopératoires a évolué à plusieurs reprises dans les 20 dernières années. Le diagnostic proposé, en 1998, par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) ne reposait que sur la clinique (signes cliniques et électrocardiographiques classiques). L’avènement de biomarqueurs cardio-spécifiques (CK puis troponines) a entraîné plusieurs modifications successives de cette définition classique. Ainsi, en 2000 l’European Society of Cardiology (ESC) a proposé l’utilisation conjointe de signes cliniques, éléctrocardiographiques et de dosages de ces biomarqueurs [1]. Puis en 2003, l’American Heart Association et l’American Collège of Cardiology (AHA/ACC) proposèrent une définition entièrement biologique des événements cardiaques ischémiques [2]. Finalement, l’évolution la plus récente de la définition de l’infarctus du myocarde (péri-opératoire ou non) rappelle la nécessité de signes cliniques et/ou électrocardiographiques d’ischémie en plus de biomarqueurs cardiaques. Cette définition dite « universelle » [3] répond au fait qu’une élévation de biomarqueur cardiaque (troponines en pratique) est certes spécifique du cœur, mais n’est pas spécifique d’un mécanisme ischémique et encore moins d’une atteinte athérosclérotique. 1.1.Définition « Universelle » de l’infarctus du myocarde Pour la conférence d’experts réunie par l’American Heart Association et l’American Collège of Cardiology [3], un infarctus du myocarde est caractérisé par l’élévation d’un biomarqueur myocardique associée à : •Soit une symptomatologie clinique (douleur thoracique par exemple). •Soit une modification électrocardiographique. •Soit la mise en évidence d’une perte de viabilité myocardique par échographie, scintigraphie ou imagerie par résonance magnétique nucléaire. L’infarctus postopératoire n’est que rarement associé à une symptomatologie clinique. Par ailleurs, les modifications électrocardiographiques sont le plus souvent frustes et/ou non spécifiques. Finalement, la mise en évidence de perte de viabilité a montré ses limites en période postopératoire [4]. Cette définition universelle de l’infarctus du myocarde n’est donc pas vraiment adaptée à la période péri-opératoire. Une autre entité nosographique est donc couramment utilisée pour caractériser les événements cardiaques péri-opératoires : l’élévation de troponine ou syndrome coronaire postopératoire. 1.2.Syndrome Coronaire Postopératoire (SCP) Toute valeur de troponine supérieure au 99e percentile de la distribution des valeurs normales du laboratoire définit un syndrome coronaire postopératoire (SCP). Tous les infarctus du myocarde (selon la définition « universelle » [3]) sont donc inclus dans l’ensemble des SCP. Néanmoins, en excluant les critères évocateurs d’un processus ischémique de la définition, les SCP prennent en compte aussi des événements qui ne sont pas en rapport avec une maladie coronaire chronique (anémie profonde sur coronaires saines, par exemple). La résonance magnétique, qui quantifie avec précision les territoires myocardiques touchés par la nécrose et les territoires myocardiques siège d’un œdème sans nécrose, a confirmé la spécificité de l’élévation du taux de troponine pour déterminer l’étendue des nécroses. Néanmoins, il apparaît indispensable de conduire un diagnostic étiologique face à un SCP, car il existe des causes non Infarctus du myocarde péri-opératoire 101 ischémiques de SCP (traumatisme cardiaque par exemple) mais aussi des causes ischémiques sans rapport avec une atteinte artérielle coronaire sous-jacente. 1.3.Place des troponines Ultra Sensibles L’amélioration des techniques de mesure a permis d’obtenir des troponines d’une nouvelle génération appelée « troponines ultra sensibles ». Ces troponines ultra sensibles présentent une positivité plus précoce (dès la première heure) et d’une fréquence supérieure, car des événements non détectés par les tests standards sont maintenant révélés par ces tests plus sensibles. Les progrès en termes de sensibilité apportés par cette nouvelle génération de tests sont équivalents à l’amélioration observée sur les tests standards entre 1995 et 2010. L’identification de ces événements coronaires mineurs soulève cependant de nombreuses interrogations sur l’attitude thérapeutique à adopter. En effet, les SCP définis par une élévation des troponines ultrasensibles ne semblent pas imposer une intervention thérapeutique urgente (angioplastie par exemple), bien que toute élévation de ces biomarqueurs soit associée à une réduction de l’espérance de vie à long terme des opérés. Des études multicentriques internationales sont actuellement en cours pour mieux comprendre les mécanismes impliqués dans cette surmortalité à long terme et pour tester des stratégies thérapeutiques de prévention secondaire après SCP. 2. Fréquence et chronologie des événements coronariens postopératoires Les nouveaux critères diagnostiques de la nécrose myocardique aiguë postopératoire qui permettent son diagnostic avec une grande fiabilité, conduisent à reconsidérer l’incidence de cette complication. L’analyse des études publiées ces cinq dernières années retrouve en chirurgie non cardiaque, un taux de décès postopératoire d’origine cardiaque compris entre 0,5 et 1,5 %, et une incidence des complications cardiaques postopératoires majeures entre 2 et 3,5 %. L’incidence des SCP était évaluée entre 2 et 15 %, et la fréquence des troponines supérieure à 1,5 mg.ml-1 variait entre 5 et 10 %. L’étude POISE [5], qui représente la plus grande étude randomisée réalisée à ce jour sur le sujet, retrouve sur 8351 patients opérés de chirurgie non cardiaque, un taux de mortalité postopératoire d’origine cardiaque de 1,6 %, et un taux d’infarctus du myocarde postopératoire non létal de 4,4 %. L’utilisation de troponines ultra sensibles permet d’identifier un grand nombre d’événements supplémentaires. Ainsi, en chirurgie vasculaire majeure, la fréquence des élévations de troponine est classiquement de 10 à 12 %, celle des troponines ultra sensibles était de 47 %. Ceci permet de définir une nouvelle sous-population avec une élévation « isolée » de troponine ultra sensible. En 2012, nous savons que cet état est associé à une surmortalité [6-8]. Néanmoins, l’attitude thérapeutique à adopter face à ces événements n’est pas connue, tout comme la fréquence des faux positifs liés à la présence dans le plasma d’autoanticorps dirigés contre la troponine. L’utilisation d’un diagnostic biologique a permis de préciser la chronologie des SCP. A la douzième heure postopératoire, plus de 30 % des opérés qui développent un SCP sont déjà entrés dans une phase d’instabilité de la maladie coronaire, caractérisée par l’élévation modérée du taux de troponine (Figure 1). 102 MAPAR 2012 Pourcentages cumulés (%) Le délai court qui existe entre la première valeur anormale de troponine et la fin de l’intervention confirme que ce sont bien les contraintes métaboliques, inflammatoires et circulatoires de la période opératoire qui sont à l’origine des SCP. Alors que la mortalité d’origine cardiaque, et plus particulièrement celle liée à une insuffisance coronarienne, était il y a 15 ans la première cause de mortalité postopératoire, aujourd’hui plus de 70 % des décès postopératoires touchent des opérés indemnes de toute élévation de troponine pendant la période opératoire. Par ailleurs, 75 % des décès postopératoires surviennent chez des malades souffrant d’une complication chirurgicale. Troponine lc standard Troponine lc Ultra Sensible Délai postopératoire (h) Figure 1 : Chronologie des élévations de troponines standard et ultra sensibles en postopératoire. Conclusion La fréquence de survenue des complications coronaires chez les opérés à risque coronaire ainsi que leurs effets délétères sur l’espérance de vie à court et à moyen terme imposent de définir de façon prospective une démarche préventive péri-opératoire efficace de ces complications. Préserver l’espérance de vie du coronarien, en prévenant ou en contrôlant toute instabilité de la maladie coronaire pendant la période péri-opératoire, est la finalité moderne de la prise en charge de tout patient à risque adressé en milieu chirurgical. La troponine, marqueur biologique hautement spécifique du dommage myocardique, doit être utilisée à la fois comme référentiel de la qualité de la prise en charge, conditionnant l’espérance de vie à court et à long terme de l’opéré, et comme élément diagnostique qui guide les modalités de prise en charge de ces patients à risque. Infarctus du myocarde péri-opératoire 103 Références bibliographiques [1] Alpert JS, Thygesen K, Antman E, Bassand JP. Myocardial infarction redefined--a consensus document of The Joint European Society of Cardiology/American College of Cardiology Committee for the redefinition of myocardial infarction. Journal of the American College of Cardiology. Sep 2000;36(3):959-969 [2] Luepker RV. 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