Regard anthropologique en Prothèse Maxillo-Faciale : entre science et
conscience.
F. Destruhaut, E. Vigarios, B. Andrieu, Ph. Pomar
Service d'Odontologie - Unité de Prothèse maxillo-faciale (P.M.F.) - Hôpital Rangueil - Toulouse
Introduction
La Prothèse Maxillo-Faciale est souvent définie comme la science de la
reconstruction artificielle de la face en cas de mutilation ou de dysmorphose de cette
dernière. Le regard récent des socio-anthropologues donne à présent un nouveau
visage à cette discipline dont les études culturelles avaient longtemps été limitées à
des aspects strictement historiques, eux-même restreints à une période allant
d’Ambroise Paré aux « gueules cassées » de la grande guerre. L’anthropologie
historique et sociale du début du millénaire ouvre de nouveaux champs d’étude
encore inexplorés : en s’ouvrant aux sciences humaines et sociales, les praticiens en
Prothèse Maxillo-Faciale redécouvrent leur profession par la remise en cause de ses
origines, de ses aspects socio-culturels, mais aussi de ses finalités thérapeutiques.
L’anthropologie, par son approche symbolique, parfois à la frontière avec la
philosophie, apporte d’une part un regard nouveau sur nos patients mutilés, et nous
permet d’autre part de « repenser » la Prothèse. Plus que de simples concepts
épistémologiques qui limiteraient ces études à de la recherche stérile, c’est toute la
prise en charge du patient qui s’en trouve profondément modifiée. L’anthropologie
culturelle devient appliquée et la Prothèse Maxillo-Faciale raisonnée.
Ainsi, les auteurs ont voulu présenter leur discipline clinique, la Prothèse Maxillo-
Faciale, redéfinie par le regard et l’analyse des anthropologues, plus seulement
cantonnés à des contrées exotiques, mais qui investissent de plus en plus nos
territoires occidentaux dans lesquels l’hôpital se présente comme un nouveau terrain
d’analyse. Cet article prolonge les premières études anthropologiques effectuées au
sein du monde hospitalier parmi lesquelles se trouve notamment l’étude des rapports
sociaux et de la violence par Marie-Christine Pouchelle
1
, celle sur la formation des
internes en médecine par Emmanuelle Godeau
2
. Mais il est novateur dans le sens où
il s’inscrit dans une recherche plus approfondie sur une « culture » de métier centrée
sur une entité anatomique hautement symbolique, le visage, restauré par un autre
organe chargé de sens, la main ; entre les deux, la prothèse faciale, et la nouvelle
manière de la voir et la concevoir, la « prothémisation ».
Démarches thérapeutique et culturelle
De l’anthropologie faciale à l’anthropologie du visage
Nous qualifions souvent dans le monde médical d’ « anthropologie » ce qu’est
seulement l’ « anthropologie physique » ou l’« anthropobiologie », c’est-à-dire cette
science qui étudie les groupes humains d’un point de vue physique. Au-delà de cette
vision « biologique » ou « naturelle » de l’homme, s’est individualisée, du côté des
sciences humaines et sociales, parfois dénigrée sous les termes de « sciences
molles », l’anthropologie socio-culturelle, discipline exceptionnellement vaste basée
sur l’étude des cultures humaines allant de l’individu (son mode de pensée, son
imaginaire symbolique) à la collectivité (l’organisation sociale, les rapports entre les
hommes et la nature, les croyances déclinées sous forme de mythes et de rites,
etc.). Complexe et complète, l’anthropologie socio-culturelle est devenue une
véritable science grâce à des grands auteurs comme Claude Lévi-Strauss proposant
des méthodes d’analyse permettant de redessiner l’ensemble des pratiques
humaines. Cette anthropologie, basée sur la pensée et l’imaginaire, nous fait
basculer peu à peu de la face (avec ses proportions anatomiques et ses données
céphalométriques) au visage chargé de sens et de symboles.
1
POUCHELLE Marie-Christine. Postures guerrières de la médecine, CETSAH, guerre et médecine,
Paris, 2004.
2
GODEAU Emmanuelle. L’ « esprit de corps ». Sexe et mort dans la formation des internes en
médecine, Paris, éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2007.
Face et visage.
A gauche : « face écorchée » ; au centre : reconstitution faciale tridimensionnelle ; à droite : Mona Lisa
ou la Joconde, visage et regard aux multiples mystères.
La face est un terme purement anatomique ; du grec fascia (« bande, bandage ») ou
encore facia (« portrait »), ce terme désigne la partie antérieure de l’extrémité
céphalique. Elle est située sous le crâne et est composée de structures osseuses,
musculaires, graisseuses, vasculaires, nerveuses, et tégumentaires. Cette définition
anatomique de la face nous amène à parler naturellement des structures
tégumentaires, donc de la peau et c’est bien cet aspect qui nous fait basculer de la
face au visage. Ce terme vient du latin visus, participe passé substantivé de videre :
« ce qui est vu ». L’étymologie fait référence à l’aspect visible du visage. Pour Le
Breton
3
, c’est en réalité le lieu originaire l’existence de l’homme prend sens. Le
visage a ainsi de multiples facettes, expressive, identitaire et sociale. La dimension
expressive est liée aux mimiques de l’individu, aux sourires, ou encore à la
profondeur du regard. De cet aspect, il n’y a qu’un pas pour affirmer que le visage est
au centre des moyens de communications et d’interactions entre les individus.
D’ailleurs, pour Goffman
4
, les mouvements du visage s’inscrivent dans le « dialecte
de l’engagement » se coulent les gestes, les contacts, les mimiques qui scandent
rituellement toute interaction. Au-delà, la dimension sociale témoigne de l’identité de
la personne : l’existence de l’homme ne prend sens qu’à condition d’être nourrie des
3
LE BRETON David, « La défiguration : un handicap d’apparence », dans Des visages. Essai
d’Anthropologie, Paris, Métailié sciences humaines, 2003.
4
GOFFMAN Erving, Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Éditions de Minuit, coll. le
Sens commun, 1963.
valeurs de la communauté sociale à laquelle il appartient. L’ensemble de ces aspects
socio-culturels est mieux compris par contraste, en cas de dysmorphose du visage
ou de mutilation que l’on pourrait alors qualifier au niveau sociologique de
« stigmates ».
« C’est curieux un visage, n’est-ce pas ? Quand on en possède un, on n’y pense
pas. Mais dès qu’on n’en a plus, on se sent comme si la moitié du monde avait été
arrachée. »
Kôbô Abbé, La face d’un autre
L’anthropologie nous fait passer de la face au visage, des aspects anatomiques et
scientifiques de l’un aux aspects sociologiques et culturels de l’autre. Par
conséquent, pour réaliser une prothèse faciale, il s’agit tout d’abord de restaurer
artificiellement une face : il est donc indispensable de connaître l’anatomie et plus
précisément l’anatomie artistique, c’est-à-dire l’ensemble des éléments qui donne au
corps sa forme extérieure. En réalisant une prothèse faciale en silicone aux
proportions esthétiques idéales, nous opérons une hybridation entre chair et matière,
entre corps et artifice. En outre, réaliser une prothèse faciale, c’est redonner un
visage au patient à l’origine d’une réintégration familiale et sociale, la mutilation
rejetant l’individu hors des interactions sociales habituelles. L’identité de l’individu,
grâce à sa prothèse, sera peu à peu restaurée et c’est son schéma neuro-psycho-
physiologique qui en sera profondément remanié. Le geste prothétique facial semble
ainsi relever d’un « entre-deux » ou plus exactement de multiples entre-deux : entre
face et visage, entre corps et pensée, entre science et culture, entre science et art…
pour n’en citer que quelques uns.
La prothèse maxillo-faciale (P.M.F.)
« Etudie la science de l’Art, mais aussi l’art de la Science »
Léonard de Vinci
La Prothèse Maxillo-Faciale peut être définie comme l’art et la science de la
reconstruction artificielle du massif facial, art car elle applique des règles artisanales
et empiriques, science de par son rigorisme technique et son intégration au sein des
disciplines médicales
5
. Comme la chirurgie plastique, la P.M.F. est confrontée aux
problèmes de reconstruction faciale, eux-même liés à des aspects d’ordre technique
et psychologique, et vise à réhabiliter des patients présentant des pertes de
substance du revêtement cutané et des structures sous-jacentes par une prise en
charge « clinique » des lésions faciales et une prise en charge « psycho-sociale »
des stigmates du visage. Ces prises en charge passent par la confection d’une
épithèse faciale ou prothèse plastique faciale dont l’étymologie est éloquente :
« prothèse » vient du grec pro-tithêmi, je place au lieu de ; « plastique » de plastein,
remodelage et « épithèse » provient de la contraction « épi-prothèse », epi signifiant
au-dessus, à l’extrémité de. Ce masque facial à usage médical est donc un dispositif
artificiel disposé au niveau de l’extrémité céphalique et destiné à remodeler les
contours d’une face altérée mais aussi à redonner un visage et par voie de
conséquence une identité à un patient mutilé et stigmatisé.
A gauche : perte de la pyramide nasale (chirurgie d’exérèse carcinologie) ; à droite : réhabilitation par
épithèse nasale.
Source : auteurs – épithésiste : Eric Toulouse
5
POMAR Philippe, DICHAMP J., « Introduction à la Prothèse Maxillo-Faciale », Encyclopédie Médico-
Chirurgicale, Paris, Elsevier Masson SAS, 2004, 22-66-B-50.
1 / 14 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !