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Résumé
Face à l’opacité interprétative et la faillite du langage auxquelles nous nous heurtons dans
l’analyse des œuvres-chocs de Sarah Kane, quelle approche nous permettrait de commenter
exhaustivement les formes et les moyens mis en œuvre par la dramaturge pour imprimer sa marque
dans l’esprit du spectateur contemporain? Le théâtre postdramatique, paradigme élaboré par Hans-
Thies Lehmann, présenterait a priori un dispositif pertinent pour faire lumière sur des problématiques
contemporaines cruciales en jeu dans l’œuvre de Kane. Aucunement univoque, car soumis à
l’interprétation et à l’engagement du spectateur, le caractère politique des pièces, pourtant spectral,
s’avère ici essentiel. Ce spectre politique se laisse percevoir à travers le prisme de la violence et la
nécessité du choc semble être son parti pris pour redéfinir le rôle du théâtre dans nos sociétés
modernes caractérisées par la circulation massive des images à travers les nouveaux médias. Un lien
de coresponsabilité de l’artiste et du spectateur se crée: l’œuvre nous interroge, spectateur/lecteur,
sur la part mystérieuse de ce fond de cruauté humaine et sur notre complicité dans l’omniprésence de
la violence à travers la consommation de ses produits. Mettant en relief les caractères transgressifs
venant bousculer nos affects à travers des références à la « culture d’en bas » et un exercice des limites
du spectaculaire centré sur l’obscène et le détournement des codes de la pornographie, cette lecture
postdramatique de Cleansed et de Phaedra’s love entend restituer à l’œuvre de Kane son énergie pour
un changement qui passe par un éveil des sens.
Mots clés : Sarah Kane, « In-Yer-Face theatre », violence, théâtre postdramatique, spectre politique,
imagination pornographique, obscène, culture d’en bas, esthétique de l’indécidabilité, « Nasty
nineties ».