
L’alliance thérapeutique, un enjeu dans la schizophrénie 83
Les taux de non-adhésion
La faible adhésion au traitement se retrouve pour
l’ensemble des pathologies chroniques, elle est estimée à
environ 50 %. Ces taux sont comparables à ceux qui sont
retrouvés pour les patients psychiatriques [42]. L’absence
de standard d’évaluation explique la variabilité des don-
nées de la littérature [36]. Une méta-analyse portant sur
les patients souffrant de schizophrénie rendait compte de
la non-adhésion thérapeutique chez environ 25 % des sujets
[29,59]. L’un des résultats les plus marquants de l’étude
Catie était que 74 % des 1493 patients avaient cessé leur
médicament antipsychotique avant la fin de l’étude (18
mois) et environ 30 % ont interrompu le traitement de leur
propre volonté. Trois moyens d’évaluation de l’adhésion
avaient été utilisés :
•hétéroquestionnaire ;
•pilulier à compteur d’unité ;
•et dosages plasmatiques des principes actifs [34,53].
Les auteurs attribuent ce résultat à la lourdeur du
suivi imposé au patient (répétition trimestrielle d’examens
cliniques, de prélèvements biologiques et d’entretiens stan-
dardisés). Il peut leur être opposé l’argument du biais de
sélection d’une population s’alliant à un contrat thérapeu-
tique de recherche, informée des objectifs du protocole
donc très volontaire [36].
Au-delà des chiffres bruts de l’observance, les études
concordent à démontrer les effets délétères d’une faible
observance thérapeutique. En effet, 40 % des cas de rechute
survenant un an après une première hospitalisation sont
imputables au défaut d’adhésion thérapeutique, avec un
risque moyen de rechute qui est 3,7 fois plus élevé que
chez les patients adhérents. Les patients non adhérents
ont un risque majoré de réhospitalisation, de passages à
l’acte auto- et hétéroagressif et sont plus souvent dans
une situation de précarité sociale [40,61]. De plus, les
sujets non observants présentent une majoration du risque
de mortalité par suicide [57]. Le surcoût économique de
la non-adhésion thérapeutique est bien mis en évidence
en médecine somatique (77 milliards d’euros par an aux
États-Unis, en 2005) et dans la schizophrénie (1,77 milliards
d’euros par an aux États-Unis, en 1993) [21,61]. Enfin,
l’adhésion aux soins évolue avec le temps. On observe que
si l’adhésion thérapeutique à un an était de 50 %, elle se
réduit à 25 % à deux ans de suivi. De plus, il faut noter qu’un
patient qui prend des vacances de ses thérapeutiques habi-
tuelles durant plus de dix jours n’y adhérera à nouveau que
dans 9 % des cas [18,60].
Les facteurs influenc¸ant l’adhésion
thérapeutique
Plusieurs facteurs prédictifs d’une faible adhésion théra-
peutique ont été identifiés grâce à des études portant sur
différentes maladies chroniques. Il est utile de les connaître
afin de pouvoir les intégrer à notre pratique et ainsi, de
mieux identifier parmi les patients la population à risqueé
[42] (Tableau 2). Cet inventaire nous permet de mieux
appréhender les difficultés rencontrées dans la prise en
charge des patients qui cumulent souvent plusieurs de ces
facteurs de risques. Dans le cadre spécifique de la schi-
zophrénie, on peut préciser les facteurs qui influencent
l’alliance thérapeutique. Il est habituel d’identifier quatre
sous-types de facteurs :
•ceux liés au retentissement de la maladie ;
•ceux liés aux médicaments ;
•ceux liés au médecin ;
•ceux liés au patient et à son entourage.
Cette catégorisation est évidemment schématique, car
nombre de ces facteurs interagissent [31].
Les caractéristiques de la maladie
Les maladies chroniques ont pour préoccupation principale
de devoir favoriser l’alliance thérapeutique à court et long
terme. Cette alliance se constitue dès la première rencontre
avec le psychiatre et son équipe. Cependant, il est démon-
tré que l’adhésion thérapeutique des patients atteints de
schizophrénie décroît à moyen terme, c’est-à-dire dans les
premières années de la maladie [18]. Puis, les interactions
patient—médecin semblent s’organiser et se maintenir sur
le plus long cours. Ainsi, une alliance thérapeutique absente
ou partielle dans les premières années de la maladie peut
évoluer en projet de soins cohérent. Certains signes de la
maladie sont reconnus pour être des éléments prédictifs de
faible adhésion thérapeutique :
•délire franc ;
•anosognosie, défaut d’insight ;
•manie (hypomanie) ;
•désorganisation ;
•syndrome d’influence ;
•syndrome de persécution ;
•réticence ;
•ambivalence ;
•ralentissement, apragmatisme ;
•mélancolie ;
•négativisme.
Dans la plupart des études, il apparaît que l’insight
des patients influence leur capacité d’alliance thérapeu-
tique [13,15,40]. Le délire du patient est une cause
classique de non-adhésion thérapeutique ; la crainte de
l’empoisonnement peut être une préoccupation majeure
entravant l’adhésion thérapeutique [28]. De même, les
effets secondaires des thérapeutiques médicamenteuses
peuvent être interprétés comme autant d’éléments hostiles
ou invasifs [65].
Les facteurs liés au patient
La compréhension de sa maladie par le patient, ainsi que
la stratégie thérapeutique mise en place, est essentielle.
En effet, dans une étude prospective menée sur 60 patients
souffrant de schizophrénie, informés sur un médicament
fictif, seulement 15 % d’entre eux montraient une bonne
compréhension des informations, 40 % une compréhension
partielle, 45 % étaient peu ou pas informés avec, comme