séparant complètement de la matière, que notre intellection de lui sera
plus certaine et plus vraie.
On peut remarquer que jusqu’ici, la conception d’un Dieu transcendant
d’Al-Farabi, ne rentre pas véritablement en contradiction avec l’islam. Il va
en être autrement pour sa conception de la création. En islam c’est une création
ex-nihilo. Il ne peut en être ainsi pour Al-Farabi, pour qui l’unité absolue de la Cause
Première ne peut être l’origine d’une multitude d’êtres. On reconnaît là la réflexion d’Aristote
« de l’un ne peut procéder que l’un ». Ainsi Al-Farabi va utiliser un système plotinien pour
résoudre ce problème. C’est un système d’émanation (Fayd) qui exprime la relation de l’Etre
Premier avec les autres êtres. « Fayd » est un terme arabe qui veut dire aussi débordement.
L’existence des êtres sensibles et intelligibles suit nécessairement de l’existence de l’Etre
premier, de sa surabondance qu’aucun obstacle ne saurait entraver. Cette idée implique celle
de l’Eternité du monde, qui fut généralement admise chez les philosophes musulmans, et leur
attira de fortes critiques de la part des théologiens. L’idée de l’éternité du monde provoqua
aussi de grandes controverses dans le monde chrétien médiéval2. Parmi les protagonistes, il y
eu de grands noms de la scolastique tel que, Thomas d’Aquin, Bonaventure, Guillaume
d’Ockham, etc.…
L’émanation nécessaire implique également le panthéisme qui fut généralement rejeté. Aussi,
Al-Farabi explique immédiatement, mais sans le démontrer, que cette procession n’entame en
rien l’être de Dieu, ni ne lui vaut quelque perfection extérieure à lui. Il reste absolument le
même. Cette procession s’effectue de façon graduelle et implique une hiérarchie, elle
commence par l’être le plus parfait et descend jusqu’au degré le plus infime. Même si ces
êtres sont multiples, ils sont liés entre eux, de tel façon qu’ils forment un système qui est
comme un seul être. C’est qu’ils émanent l’un de l’autre successivement. De l’être Premier,
émane de toute éternité l’Intellect Universelle. C’est celui-ci qui est à l’origine de la
multiplicité, et ainsi Dieu garde son unité, vu qu’un seul être a émané de lui et ce de toute
éternité. Cet être est contingent, n’étant pas cause de lui-même. Il est aussi incorporelle, une
intelligence pure qui se connaît elle-même et connaît le Premier. De sa connaissance du
Premier résulte un troisième être, de la connaissance de sa propre nature émane le premier
ciel. Le troisième être est également incorporelle, de ce qu’il intellige du Premier résulte l’être
d’un quatrième, du fait qu’il connaît sa propre nature, il émane de lui la sphère des étoiles
fixe. Cette double émanation se poursuit jusqu’au 9e corps céleste, la lune et au onzième être,
qui est l’Intellect agent. Donc, après l’Etre Premier, il y a dix êtres incorporels hiérarchisés, en
allant du plus parfait au moins parfait. Se sont les dix intellects. Par contre il y a neuf corps
céleste : le premier ciel, la sphère des étoiles fixes, Saturne, Jupiter, Mars, le Soleil, Vénus,
Mercure et la Lune. Tous ces êtres célestes débutent en possédant toute la perfection de leur
substance, contrairement aux êtres sublunaires, dont la nature n’est pas de posséder leur
ultime perfection substantielle dès le début, mais d’avoir d’abord leur être le moins parfait,
qui s’élève graduellement jusqu’à ce que chaque espèce atteigne l’extrême perfection dans sa
substance, puis se corrompe.
Les corps célestes participent à la matière comme les êtres sublunaire. Mais leur matière est
immuable, car s’ils sont composés d’un sujet matériel et d’une forme. La forme, ici, est une
intelligence qui ne peut avoir de contraire étant immatérielle, car pour avoir un contraire il
faut participer de la même matière que celui-ci. Le sujet matériel est immuablement attaché à
sa forme, il ne saurait recevoir une autre forme que la sienne ni exister sans elle. Chacun de
ces corps céleste jouit de soi, parce qu’il intellige de soi, mais aussi par ce qu’il intellige du
2 Thomas d’Aquin et la controverse sur l’éternité du monde, trad. fr. Cyrille Michon, Paris, Flammarion 2004.