LE RICHE ET LE PAUVRE
Charles d’Hooghvorst
Tout dans ce monde sert d’image ou de symbole pour dire le secret du
monde à venir, celui de la création de l’Homme Parfait.
L’homme déchu et son monde ne sont donc que l’image obscurcie de
l’Adam primitif et de son monde édénique, dont Elohim dit : « Nous ferons
Adam… » (Genèse I, 26). Il sagit aussi de celui qui a été rétabli et recréé, et
qui s’est manifesté en secret sur le Mont Tabor.
« Nous ferons Adam dans notre ressemblance, comme notre image »
(Genèse I, 26). Pourquoi ce pluriel dans la bouche du Dieu unique ? Certains
ont pensé trouver ici un argument contre l’unicité du Dieu des hébreux,
prouvant par là même leur méconnaissance de l’exégèse des Maître du
judaïsme.
Celle-ci procède subtilement, plus par induction que par raisonnement
logique. C’est d’ailleurs une caractéristique propre aux mentalités sémitiques,
qui surprend toujours nos esprits cartésiens.
Nous en avons un bel exemple dans ce commentaire du Zohar sur le
verset de la Genèse que nous venons de citer :
« Le neuvième commandement consiste à exercer la charité vis-à-vis des
pauvres et à leur donner l’aliment. C’est pourquoi il est écrit : « nous
ferons Adam dans notre ressemblance, comme notre image ».
« Nous ferons Adam » : il s’agit d’une participation, d’une union car
Elohim unit le Mâle et la Femelle. « Dans notre ressemblance » (Tzelem),
c’est-à-dire les riches. « Comme notre image » (Demout), c’est-à-dire les
pauvres. Le Mâle, en effet, représente le Riche, et la Femelle, le Pauvre.
Ils sont associés (ou unis) en un : l’un se repose sur l’autre, l’un comble
l’autre de grâces. Ainsi dans ce monde, les hommes doivent faire de
même : que le riche et le pauvre s’unissent en un, qu’ils se donnent l’un à
l’autre, et qu’ils se comblent de bénéfices ».
Lorsqu’Elohim fit Adam, il a uni deux choses (Tzelem et Demout). Il a uni le
Mâle et la Femelle. Il s’agit d’une union générative. Ces deux choses qui
doivent être unies pour que l’Homme Parfait soit fait, sont aussi symbolisées
par le Riche et le Pauvre. Ils ont besoin l’un de l’autre afin de réaliser l’œuvre
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divine. Le Pauvre sans le Riche demeure démuni du tout. Le Riche sans le
Pauvre reste seul et ne peut se manifester.
Il semble donc que le Zohar veuille nous faire entendre que ces
deux aspects sont divins puisqu’il est dit : « nous ferons ». Ils ne sont pas deux,
car ils doivent être en un. Il s’agit du même, dans deux états différents, tant
qu’il n’est pas réuni en un.
Si, comme nous l’avons dit, ce monde constitue l’image obscurcie de
l’Autre Monde, les différents préceptes et commandements qui s’adressent à
l’homme, ne représentent que le seul et unique commandement, qui consiste
à faire l’œuvre de régénération. Et nous comprenons pourquoi le Zohar dit :
« Ainsi dans ce monde, les hommes doivent faire de même : que le riche et le
pauvre s’unissent en un… » Nous avons donc ici, il nous semble, le fondement
profond du précepte qui recommande la pratique de la charité envers le
pauvre. Le riche qui donne l’aliment, et le pauvre qui reçoit, imitent,
participent d’une certaine manière, symboliquement, à l’œuvre divine de
régénération de l’homme, et contribuent à hâter sa réalisation.
Quand aux mauvais riches et les mauvais pauvres, ils donnent ou
reçoivent sans bénédiction.
« Heureux celui qui s’intéresse au pauvre » (Psaumes XLII, 2). « Celui qui a pit
du pauvre prête à Dieu » (Proverbes XIX, 17). « Heureux les pauvres en esprit,
car le Royaume des Cieux leur appartient » (Matthieu V, 3).
La racine hébraïque du mot ‘riche’ est ashor, verbe qui signifie avoir
l’abondance ; quant au mot ‘pauvre’, il procède du verbe qui signifie
répondre, exaucer une prière, annoncer.
Le riche est comme le ciel, sans lequel la terre du pauvre ne peut rien
produire ; mais sans la terre, le ciel ne peut se manifester. C’est l’abondance
du ciel qui fait fructifier la terre. C’est pourquoi il est dit dans le premier livre
de Samuel : « De la poussière Il retire le pauvre, et du fumier Il relève
l’indigent » (Samuel II, 8). Peut-être pouvons-nous comprendre, à la lumière
du Zohar, le sens profond de la Parabole du bon samaritain : « …un homme
descendait de Jérusalem à Jéricho ; il tomba entre les mains de brigands… »
(Luc X 25 à 37).
« Descendait de Jérusalem », qui signifie Fondation de paix, « à Jéricho »,
le mot procède d’une racine qui signifie Lune. Il s’agit donc du monde
sublunaire. L’homme qui descendait de Jérusalem est l’Adam tombé, qui
entraîna dans sa chute sa partie divine ; et « tomba entre les mains de
brigands », signifie : au pouvoir du Prince de ce monde, celui qui a dit :
« …car cette puissance et la gloire de ces royaumes m’ont été remises et je la
donne à qui je veux » (Luc IV, 6).
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Qui donc est le plus près de ce pauvre tombé aux mains des brigands ?
Qui est son prochain ? Certainement, c’est le Bon Samaritain, celui qui
pratiqua la miséricorde envers lui. Lui seul – le Riche – peut le faire, parce qu’il
est son Prochain, parce qu’il est de la même nature que le Pauvre.
Quand le Riche délivre le Pauvre tombé aux mains du brigand – depuis
la Transgression Adamique - , l’Homme est refait à la ressemblance et image
de Dieu.
Le Riche lui annonce la Bonne Nouvelle, Evangelion en grec, c’est
pourquoi il est dit : « La Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres » (Matthieu
XI, 5). Est-ce par hasard, si le mystère de l’Incarnation commence
précisément par une « Annonciation » ? N’est-ce pas Gabriel (l’homme de
Dieu), Le Riche, qui visita Marie ?
Il ne faut pourtant pas oublier que, de même qu’il l’a recommandé à
l’hôtelier, le Bon Samaritain nous dit aussi : « Prends soin de ‘cet homme’ (le
pauvre), et ce que tu pourrais dépenser en plus, c’est moi qui te le
rembourserai à mon retour » (Luc X, 35).
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