Les Sociétés occidentales du milieu du VIe à la fin du IXe siècle

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Philippe DEPREUX
Les sociétés occidentales
du milieu du VIe à la fin du IXe siècle
PRESSES UNIVERSITAIRES DE RENNES
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Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest
Annales de l’Est
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Archiv für Urkundenforschung
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Transactions of the Royal Historical Society
Zeitschrift für bayerische Landesgeschichte
Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins
Zeitschrift der Savigny-Stiftung für Rechtsgeschichte. Germanische Abteilung
— Kanonistische Abteilung
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Avant-propos + Introduction
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Avant-propos
Ce livre a été écrit, en premier lieu, à l’attention des candidats aux
concours de recrutement de l’Enseignement secondaire, étant donné que
la question d’histoire médiévale du programme de l’Agrégation d’histoire
et du CAPES d’histoire et de géographie de la session 2 003 porte sur
« les sociétés en Europe du milieu du VIe siècle à la fin du IXe siècle
(mondes byzantin, musulman et slave exclus) ». Il s’agit d’un sujet immense
puisque, somme toute, il inclut l’ensemble des aspects de la vie humaine
et des rapports sociaux. On dispose d’ouvrages plus ou moins volumineux
sur la question – aucune somme n’épuise le sujet 1. Par conséquent, il
serait inconscient de prétendre à l’exhaustivité et déplacé d’espérer tout
évoquer en quelques dizaines de pages. La raison d’être de ce livre est donc
modeste : il s’agit de proposer une grille de lecture, de présenter certains
exemples dont tous les étudiants devraient savoir que leur maniement
judicieux fait la valeur d’une copie bien argumentée, d’offrir des pistes de
réflexion. Il y a ainsi deux niveaux de lecture : le texte et les notes (rappelons que – venia sit dicto – les érudits du haut Moyen Âge ont connu le
principe de la Bible glosée 2) ; puissent le texte servir de trame de travail et
les notes permettre de cerner rapidement l’état de la question sur les
thèmes ici traités. Plus généralement, puisse ce livre rendre également
quelque service à ceux qui, de manière moins intéressée, prêtent attention
aux sociétés du haut Moyen Âge.
1. RICHÉ 1 973 constitue une excellente introduction. On se reportera aux orientations bibliographiques publiées par Stéphane LEBECQ, Régine LE JAN et Céline MARTIN dans le n° 379 de la revue
Historiens et Géographes (juillet-août 2002), p. 375-382. Dans l’historiographie de langue allemande,
aux deux extrêmes chronologiques de la question, on peut citer SCHEIBELREITER 1 999 et le chefd’œuvre de Heinrich FICHTENAU, Lebensordnungen des 10. Jahrhunderts. Studien über Denkart und
Existenz im einstigen Karolingerreich, Stuttgart, 1 984. Cf. également Karl BOSL, Die Gesellschaft in
der Geschichte des Mittelalters, 3e éd., Göttingen, 1 975 ; GOETZ 1 986.
2. Guy LOBRICHON, « Une nouveauté : les gloses de la Bible », dans Pierre RICHÉ & Guy LOBRICHON
(éd.), Le Moyen Âge et la Bible, Paris, 1984, p. 95-114 ; Margaret GIBSON, « Carolingian glossed
Psalters », dans Richard GAMESON (éd.), The early medieval Bible. Its production, decoration and use,
Cambridge, 1994, p. 78-100.
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J’ai eu accès, pour la préparation de cet ouvrage, à l’excellente bibliothèque du Max-Planck Institut für Geschichte de Göttingen : mes plus vifs
remerciements vont au Professeur O. G. Oexle, son Directeur, et à ses
collaborateurs, qui m’y ont accueilli en juillet 2002. En aval et en amont
de ce séjour, j’ai bénéficié de l’aide diligente de la responsable du PEB de
la Bibliothèque universitaire de Tours et du soutien de l’UMR 6 575
« Archéologie et Territoires ». Je remercie également certains collègues, de
Tours ou d’ailleurs, de leurs suggestions et dédie ces pages à ma femme.
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Introduction
Les sociétés en Europe
durant le haut Moyen Âge
Parler « des » sociétés et non de « la » société lorsqu’on entend étudier
les formes de la vie sociale dans des espaces aussi différents que l’Irlande,
l’Espagne wisigothique, la Gaule franque ou l’Italie lombarde semble aller
de soi – c’est ainsi qu’on peut même parler des Italie byzantines1. Ce pluriel
s’avère également adéquat au sein même d’un territoire, car les éléments
constitutifs de la société d’alors sont des groupes de personnes ayant certes
des rapports entre eux, mais vivant également au sein de « leur » monde.
L’idée de groupe prime alors sur le statut des personnes, et il faut garder à
l’esprit qu’on parle en fait de « groupes de nobles » lorsqu’on évoque la « noblesse », de « communautés de moines » lorsqu’on parle de « monachisme 2 ».
En ce qui concerne le cadre de vie (les formes d’habitat, la topographie)
et le rapport à la mort et aux morts, l’approche archéologique s’avère d’un
apport fondamental. L’interprétation de ces données n’a pas grand sens si
l’on ne peut se référer sans cesse aux plans et relevés qui l’étayent, ce qui
suppose un corpus documentaire dont l’ampleur et la technicité du commentaire interdisent qu’on les reproduise dans cet ouvrage et qu’on les
discute ici. Par conséquent, les développements relatifs à ces thèmes consisteront essentiellement en une présentation de la bibliographie récente, avec
laquelle il est indispensable de se familiariser par un contact direct. Il n’est
d’ailleurs pas possible, de manière plus générale, de rendre ici compte de
tous les travaux récents et de toutes les tendances historiographiques, dont
la bibliographie citée n’est (en dépit de son ampleur relative) qu’un pâle
reflet. Il s’agit par conséquent de choix, qui ont vocation à sensibiliser le
1. Enrico ZANINI, Le Italie bizantine. Territorio, insediamenti ed economia nella provincia bizantina
d’Italia (VI -VIII secolo), Bari, 1 998.
2. Otto Gerhard OEXLE, « Soziale Gruppen in der Ständegesellschaft : Lebensformen des Mittelalters
und ihre historischen Wirkungen », dans Otto Gerhard OEXLE & Andrea VON HÜLSEN-ESCH (éd.),
Die Repräsentation der Gruppen. Texte – Bilder – Objekte, Göttingen, 1998, p. 9-44.
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LES SOCIÉTÉS OCCIDENTALES DU MILIEU DU VIE À LA FIN DU IXE SIÈCLE
lecteur (en premier lieu : l’étudiant) à certains aspects de l’historiographie
récente lorsqu’il s’agit d’appréhender les sociétés du haut Moyen Âge.
Ce livre est conçu comme un diptyque dont le gond serait constitué
du chapitre médian, qui traite de la question centrale (et bien délicate à
maints égards) de la place de l’individu dans la société. Les quatre premiers
chapitres visent à cerner les contextes (spatiaux, sociaux, mentaux) dans
lesquels les hommes et les femmes du haut Moyen Âge évoluaient, alors que
les derniers chapitres sont destinés à présenter brièvement les tendances
récentes de l’historiographie et les principaux thèmes dont le traitement
constitue un enjeu pour la compréhension des règles de la vie sociale. Par
conséquent, les chapitres qui forment les deux parties de ce livre sont
conçus de manières différentes : les premiers offrent une réflexion sur les
divers niveaux et les diverses échelles de la vie sociale ; les derniers visent
à introduire à quelques thèmes essentiels de l’étude des sociétés du haut
Moyen Âge. Les chapitres de cette partie sont notamment conçus pour
aider les étudiants dans la poursuite de leur réflexion. Ils sont intentionnellement courts : ce sont des instruments de travail – alors qu’on dispose
de nombreux ouvrages sur la plupart des thèmes évoqués ; ils devraient
simplement permettre de cerner l’ampleur des champs d’investigation
qu’embrasse une approche des rapports sociaux durant le haut Moyen Âge.
C’est à dessein qu’il est fait abondamment référence à la littérature
étrangère : la recherche est, de fait, une entreprise à laquelle participent
des historiens de traditions diverses, de sensibilités variées, de langues
différentes – tous contribuent à leur manière à la connaissance des sociétés
passées.
Les lettrés de l’Antiquité tardive ne concevaient pas que le mot
« Europe » ne fût pas associé au christianisme et ne désignât pas la
Chrétienté 3. Par conséquent, l’exclusion du monde musulman semble
assez naturelle – d’un point de vue romano-franc, somme toute assez
étranger au destin de la péninsule ibérique (si ce n’est par l’amorce ou le
soutien de la « reconquête »). Au VIIIe et au IXe siècle, le terme d’« Europe »
désigne désormais « un ensemble politique » constitué autour des deux
pôles que sont le monde carolingien et la papauté 4 – ce sentiment trouve
son expression même dans la conception géographique de l’époque 5. Or
l’histoire du haut Moyen Âge est caractérisée par une séparation progressive des destins de l’Orient et de l’Occident (ce qui ne veut pas dire qu’il
3. Patrick LAURENCE, « Europa et Ecclesia. La notion d’Europe chez les écrivains chrétiens de langue
latine du IIIe au VIe siècle », dans Rémy POIGNAULT & Odile WATTEL-DE CROIZANT (éd.), D’Europe
à l’Europe. I. Le mythe d’Europe dans l’art et la culture de l’Antiquité au XVIII e siècle, Tours, 1998,
p. 103-115.
4. Pierre RICHÉ, « L’idée d’Europe sous les Carolingiens (VIIIe-Xe siècles) », ibid., p. 149-153.
5. Patrick GAUTIER DALCHÉ, « Tradition et renouvellement dans la représentation de l’espace géographique au IXe siècle », SM 24 (1 983), p. 121-165 ; rééd. GAUTIER DALCHÉ 1 997 (n° IV).
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INTRODUCTION : LES SOCIÉTÉS EN EUROPE DURANT LE HAUT MOYEN ÂGE
n’y a pas de contacts) ; l’incompréhension prédomine – qu’elle se traduise,
en fonction du moment et du lieu, par une indifférence, une provocation,
ou une rivalité. L’enjeu de la conversion des Bulgares et des Moraves, dans
la seconde moitié du IXe siècle, en est une illustration. De par l’impact
qu’eurent les Vikings sur les populations de l’ouest de l’Europe, leur prise
en compte semble naturelle ; pour une raison similaire, il s’avère difficile
de ne pas intégrer dans la réflexion les Slaves vivant aux confins du monde
franc, voire en son sein : on ne saurait concevoir l’histoire de la partie
orientale du royaume des Francs sans eux 6 – nous aurons l’occasion d’en
donner quelques exemples.
Il s’agit donc ici d’une étude des rapport sociaux au terme des mouvements de populations qui ont bouleversé l’ordre romain, au moment où
se constitue la Chrétienté occidentale autour du catholicisme. Alors que
les Francs se sont désormais imposés au nord des Alpes et des Pyrénées,
confinant les Wisigoths à la péninsule ibérique et à la Septimanie, d’autres
peuples germaniques achèvent leurs migrations : installés en GrandeBretagne depuis un siècle environ, les Anglo-Saxons poursuivent leur
progression vers l’ouest, poussant certaines populations bretonnes à l’exil ;
en 568, les Lombards s’établissent en Italie, qu’ils ne dominent qu’en partie.
Le ralliement de l’ensemble des populations chrétiennes au catholicisme,
consommé au VIIe siècle, et le détachement de Rome du monde byzantin
conférèrent une certaine cohésion à l’Europe occidentale, sous l’influence
ou la domination directe du pouvoir franc. Les limites de cet espace
évoluèrent : si l’on constate un resserrement au sud (en raison de l’intégration de la majeure partie de l’Espagne au monde musulman au début
du VIIIe siècle, qui suscite rapidement un mouvement de reconquête), on
observe aussi un élargissement au nord et à l’est, lié en particulier aux
entreprises missionnaires ; à cet égard, l’intégration de la Saxe au monde
franc est exemplaire. Les relations commerciales jouèrent aussi un rôle
décisif, notamment à propos de l’entrée en contact des Scandinaves avec
les sociétés occidentales ; les raids vikings en Angleterre et dans l’Empire
franc marquèrent profondément l’histoire de l’Occident et servirent de
catalyseurs de l’évolution des sociétés occidentales au cours du IXe siècle.
En ce qui concerne l’histoire sociale au Moyen Âge, il va sans dire que
les bornes chronologiques n’ont de sens qu’en tant qu’elles sont relatives.
L’étude des sociétés entre le milieu du VIe siècle et la fin du IXe siècle
procède ainsi par exclusion : on a affaire à un espace qui n’est, peu ou prou,
plus soumis aux grands mouvements de populations qui ont affecté
l’Empire romain durant les deux siècles qui précèdent ; on abandonne ces
sociétés alors même qu’elles commencent à prendre quelques couleurs
6. Cf. l’article bibliographique de Matthew INNES, « Franks and Slaves c. 700-1000 : the problem of
European expansion before the millenium », EME 6 (1 997), p. 201-216.
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« nationales » (encore fort ténues 7) et, surtout, avant qu’elles ne deviennent
réellement « féodales ». De part et d’autre de l’Antiquité romaine et du
Moyen Âge classique, les siècles auxquels ces pages sont consacrées forment,
somme toute, un « entre-deux » assez cohérent – l’origine du petit port de
Sandwich, sur les côtes du Kent, remonte d’ailleurs au VIIe siècle !
7. Le règne d’Alfred le Grand occupe une place toute particulière dans le développement de l’unité
anglaise ; par ailleurs, les historiens allemands se plaisent à chercher le début de leur histoire vers le
premier quart du X e siècle. Avec la Reconquista, l’histoire espagnole avait néanmoins commencé dès
le VIIIe siècle.
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Appréhender les sociétés du haut Moyen Âge
Pour Ratramne, un moine de l’abbaye de Corbie qui comptait parmi
les théologiens faisant autorité dans le troisième quart du IXe siècle (il fut
plusieurs fois consulté par le roi Charles le Chauve), ce qui distingue les
hommes des bêtes, c’est que les premiers vivent en société 1. Cette affirmation peut faire sourire : l’étude du comportement social des animaux
constitue en effet un domaine de recherche dont l’anthropologue tire
grand parti. C’est d’ailleurs moins le respect des règles à l’intérieur du
groupe et la participation fonctionnelle au principe d’échange qui fait
l’originalité de l’être humain, que sa faculté de s’en écarter dans un geste
gratuit, témoignant du sentiment d’altruisme 2. En dépit des réserves qu’on
peut émettre à l’encontre de l’analyse du moine de Corbie, qui considère
que les manifestations de vie sociale chez les Cynocéphales (les êtres « à tête
de chien ») montrent qu’ils sont doués de raison, son argumentation n’est
pas sans intérêt.
Ratramne répondait en fait au prêtre Rimbert († 888), impliqué à la
suite de saint Anschaire († 865), dont il fut le successeur, dans la conversion
des peuples scandinaves. Cette lettre est antérieure à l’accession de Rimbert
au siège archiépiscopal de Hambourg-Brême. Ce qui intéressait ce dernier,
c’était de savoir s’il pouvait baptiser des Cynocéphales au cas où il en rencontrerait – autrement dit, il importait de savoir s’ils étaient des fils d’Adam. On
touche ici à l’une des grandes questions de l’histoire de haut Moyen Âge :
la conversion des peuples païens, qui fut une préoccupation majeure de
certains souverains et sur laquelle nous reviendrons au cours de ce chapitre.
Dans l’exégèse d’alors, le chien était considéré comme une figure du Païen 3 :
1. Ce qui suit est fondé sur l’analyse de la lettre de Ratramne de Corbie n° 12 : Epistolae Karolini aevi,
tome IV, éd. Ernst DÜMMLER, MGH Epistolae 6, p. 155-157.
2. Otto Gerhard OEXLE, « Gruppenbindung und Gruppenverhalten bei Menschen und Tieren.
Beobachtungen zur Geschichte der mittelalterlichen Gilden », Saeculum 36 (1 985), p. 28-45.
3. Geneviève BÜHRER-THIERRY, « Des païens comme chiens dans le monde germanique et slave du
haut Moyen Âge », dans MARY & SOT 2 002, p. 175-187 (sur les pratiques chamaniques : p. 184).
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la référence aux peuples « à tête de chien » s’explique donc aisément. Dans
le cas des peuples nordiques, la crainte du missionnaire de rencontrer des
Cynocéphales peut également s’expliquer par l’existence de certaines pratiques relevant du chamanisme. Quelques années après la rédaction de la
lettre de Ratramne à Rimbert, Notker le Bègue, un moine de Saint-Gall qui
rédigea une Geste de Charlemagne (Gesta Karoli) à l’attention de Charles
le Gros, désignait également les Normands comme des Cynocéphales.
Commentant donc la description que lui avait faite Rimbert, le moine de
Corbie constate que les Cynocéphales observent les règles de la vie sociale
(iura societatis) puisqu’ils habitent ensemble dans des villae – ce terme,
dont la traduction est particulièrement controversée chez les médiévistes,
selon qu’ils considèrent ou non qu’on peut parler de « village » au haut
Moyen Âge, est d’une compréhension encore plus délicate dans ce contexte;
ce qu’il importe toutefois de noter ici, c’est que, précisément, la villa est
le cadre de la vie sociale qui s’impose à l’esprit du moine, alors même qu’il
se réfère à la définition cicéronienne de la civitas comme forme d’organisation de l’assemblée des hommes. La culture des champs et le port de
vêtements, qui témoigne du sentiment de pudeur, sont aussi l’expression
de l’humanité des Cynocéphales. À cet égard, l’importance attachée au fait
qu’ils ne portent pas de simples peaux de bêtes, mais de véritables vêtements, a du piquant lorsqu’on sait que les noms donnés, dans les textes
épiques scandinaves, aux guerriers se travestissant à des fins cultuelles tirent,
précisément, leur origine du fait de porter telle ou telle pelisse 4.
Pour Ratramne, le fait que les Cynocéphales observent des règles est
essentiel : étant doués de raison, ils peuvent être baptisés. Pour l’historien,
le critère social, qui conditionne leur intégration, est d’autant plus intéressant qu’une fois convertis, ces nouveaux chrétiens devront se couler dans
un cadre juridique et institutionnel nouveau. C’est à l’étude de ces règles
du comportement social que les pages qui suivent sont consacrées.
L’originalité du haut Moyen Âge
Un exemple entre mille peut introduire à l’étude de la société du haut
Moyen Âge. Il s’agit du premier article d’un pénitentiel composé en Italie
du Nord vers l’extrême fin du IXe siècle ou au début du Xe siècle 5 :
« Si un clerc commet un homicide, qu’il fasse pénitence en exil dix ans
durant et qu’il soit ensuite reçu dans sa patrie, à condition qu’il ait bien
accompli sa pénitence (en ne mangeant que) du pain, selon le témoignage
de l’évêque ou du prêtre auprès de qui il fit pénitence et à qui il fut confié,
et à condition qu’il fasse satisfaction aux parents dont il a tué le fils en se
4. VOISENET 2000, p. 261-262.
5. Günter HÄGELE, Das Paenitentiale Vallicellianum I. Ein oberitalienischer Zweig der frühmittelalterlichen kontinentalen Bußbücher. Überlieferung, Verbreitung und Quellen, Sigmaringen, 1984, p. 99.
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APPRÉHENDER LES SOCIÉTÉS DU HAUT MOYEN ÂGE
rendant à la place du fils et en disant : “je ferai ce que vous voudrez”. S’il
n’a pas fait satisfaction aux parents, que jamais il ne soit reçu dans sa patrie,
mais qu’à l’instar de Caïn, il erre de par la terre comme un vagabond en
fuite. »
Une glose complète ce texte en disant qu’un exilé (exul) est un étranger
(peregrinus) en marche hors de sa patrie 6. Ce pénitentiel n’a pas fait l’objet
d’une édition scientifique prenant en compte l’ensemble (en l’occurrence,
assez restreint) de la tradition manuscrite et certains problèmes d’interprétation demeurent. Notamment, l’éditeur propose de remplacer le mot
« clerc » par « laïc » ; il n’empêche que le manuscrit sur lequel il se fonde 7
porte bien cette mention. Quoi qu’il en soit, cet extrait peut être considéré
comme représentatif de deux traits essentiels de la civilisation du haut
Moyen Âge qu’illustrent, d’une part, la nature de la peine et, d’autre part,
la nécessité d’offrir une compensation à la famille lésée.
La forme de la « satisfaction » que doit fournir l’assassin est ici laissée
à la libre appréciation des parents, mais elle participe du même esprit que
les compositions bien attestées dans nombre de textes juridiques, où la paix
ne peut être rétablie qu’après le paiement du Wergeld 8, le « prix de l’homme ».
C’est ce qui permet d’éviter la faide, un devoir de vengeance impliquant
l’ensemble des membres de la parentèle. L’histoire carolingienne est marquée
par la volonté de contrôler cette vengeance en imposant les droits du roi en
matière de règlement des conflits, car ces « règlements de compte » pouvaient
impliquer une grande partie de l’aristocratie et marquer profondément
la vie politique : l’opposition entre Frédégonde et Brunehaut, à la fin du
VIe siècle, en est l’illustration. Au tout début du Xe siècle, la faide (connue
sous le nom de « faide des Babenberg ») qui opposa les Popponides aux
Conradiens et dans laquelle l’archevêque de Mayence, Hatton, fut impliqué, montre que cette pratique ne fut en rien éradiquée.
L’autre élément de l’extrait de pénitentiel qui nous retient ici est peutêtre encore plus révélateur de ce qui constitue cette société : le besoin de
protection, protection dont la condamnation à l’exil constitue la privation.
Nous reviendrons plus tard sur la protection royale s’appliquant, précisément, aux voyageurs (marchands et pèlerins), qui du fait de leur éloignement
sont privés de la protection qu’apporte, en premier lieu, la présence des
parents et alliés. Il y a une progression dans les sanctions prévues par l’auteur
du pénitentiel : durant ses dix années de pénitence, celui qui est présenté
comme un « exilé » vit sous la protection du clerc auquel il a été confié.
La sanction consiste en ce qu’il doit vivre ailleurs, hors de sa patria, le lieu
6. « Poenitentiale Vallicellanum I », dans Hermann Josef SCHMITZ, Die Bußbücher und die Bußdisciplin
der Kirche, tome I, Mayence, 1883, p. 247.
7. Rome, Biblioteca Vallicelliana, ms. E 15 (la partie du manuscrit comprenant le pénitentiel en
question date de la première moitié du XIe siècle).
8. OLBERG 1991, p. 48 sqq.
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où il a ses attaches et où sa présence serait susceptible de trouble. Sa
réception dans la communauté est conditionnée par son amendement et
l’acquittement d’une composition ; s’il ne s’y soumet pas, il se condamne
à un exil dont l’allusion à Caïn peut être assimilée à une malédiction.
C’est alors qu’il est livré à lui-même.
Tendances historiographiques : l’exemple des institutions
Durant le haut Moyen Âge, les rapports sociaux sont tout particulièrement conditionnés par la quête de protection 9. On pourrait d’emblée
mettre cette question sous le signe de la permanence ou de la décadence
de l’idée d’Etat à cette époque. Il s’agit d’un thème qui a suscité – et
suscite encore – de nombreuses polémiques, parfois un peu vaines 10. Il est
évident que les structures romaines n’ont pas subsisté en l’état, et que les
références de la Cité antique ont passé ; ce qui n’empêchait pas les lettrés
du haut Moyen Âge de se référer au vocabulaire politique dont ils avaient
hérité : c’est ce que fait par exemple Nithard, un comte assez cultivé pour
composer lui-même une histoire de la guerre civile ayant éclaté à la mort de
Louis le Pieux (fils du poète Angilbert et de Berthe, la fille de Charlemagne,
il avait pu bénéficier d’une éducation de choix). L’usage qu’il fait de l’expression res publica, qui réapparaît en Aquitaine du temps de Louis le Pieux,
prouve que Nithard a une conscience aiguë de la notion de « bien commun »,
opposé aux intérêts particuliers 11. On rejoint ici, d’une certaine manière,
l’analyse de Ratramne, dans la lettre sur les Cynocéphales, qui considère
qu’il « ne peut exister de droit qui n’ait été décidé d’un consensus mutuel 12 ».
Le moine de Corbie se fait l’écho d’une opinion généralement partagée.
Dans un florilège des Etymologies d’Isidore de Séville « sur les lois divines et
humaines » copié dans plusieurs manuscrits comprenant le texte de capitulaires, la loi est définie comme ce qui a été établi et jugé droit par les maiores
natu (ceux qui se distinguent par leur haute extraction) et les peuples 13.
L’absence d’un « Etat » au sens moderne du terme n’exclut pas l’existence
de règles et d’un mode de gouvernement – à cet égard, le sous-titre d’un
ouvrage récent consacré à la vie politique sous les souverains ottoniens
peut sembler emblématique 14 : il s’agit d’une étude du « pouvoir royal en
9. Il s’agit, plus généralement, d’une dimension fondamentale de la « société féodale », comme
l’avait observé Marc Bloch.
10. À ce propos, cf. en dernier lieu les réflexions de INNES 2000, p. 254 sqq.
11. Philippe DEPREUX, « Nithard et la res publica : un regard critique sur le règne de Louis le Pieux »,
Médiévales 22-23 (1 992), p. 149-161 ; sur Nithard, cf. Janet L. NELSON, « Public Histories and
Private History in the Work of Nithard », Speculum 60 (1 985), p. 251-93 ; rééd. dans NELSON
1986, p. 195-238.
12. Epistolae Karolini aevi, tome IV, éd. Ernst DÜMMLER, MGH Epistolae 6, p. 155.
13. BÜHLER 1986, p. 478.
14. Gerd ALTHOFF, Die Ottonen. Königsherrschaft ohne Staat, Stuttgart, 2 000.
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l’absence d’un Etat ». Si la dichotomie public/privé n’est pas sans présenter
de risque d’anachronisme15, force est de reconnaître que l’insistance avec
laquelle le terme publicus apparaît dans les sources suggère l’existence d’un
principe supérieur qui s’impose à chacun. De là à y reconnaître la permanence des structure antiques, il y a un pas qu’on peut difficilement franchir,
particulièrement à propos des temps carolingiens.
Un courant historiographique s’emploie pourtant à défendre l’idée de
la permanences des structures romaines, notamment en matière d’impôt
(citons les noms de W. Goffart, E. Magnou-Nortier, J. Durliat). Cette
approche romaniste ou fiscaliste a fait l’objet de nombreuses critiques16.
On peut certes chercher les traces de permanence des traditions antiques17
– parfois, un examen critique prouve que la continuité relève plus du
postulat que du fait avéré, comme c’est le cas à propos du lien entre les
biens fiscaux de l’époque romaine et ceux appartenant au souverain franc
dans la vallée du Rhin moyen18. On peut recenser les diverses allusions au
droit romain pour en mesurer les « survivances », en constatant que les
traditions romaines sont plus vivaces en tel ou tel endroit, par exemple à
Ravenne, demeurée longtemps territoire byzantin19 – de fait, l’étude des
traditions romaines peut permettre une meilleure compréhension de certains
textes, comme c’est par exemple le cas de la législation de Clotaire II 20.
Mais ainsi que le notait J.-Fr. Lemarignier, « le déclin du droit romain
dans les actes de la pratique n’est pas tant un phénomène de décadence
qu’un phénomène de reconstruction de quelque chose de neuf 21 » : de
même que le droit romain vulgaire doit être étudié pour lui même 22, les
pratiques juridiques des temps mérovingiens et carolingiens ne doivent pas
être mesurées à l’aune de critères désuets, mais comme un ensemble de
règles qui, somme toute, fonctionnaient. La manière dont les documents
normatifs de cette époque doivent être appréhendés nécessite elle-même
réflexion : une clef pour comprendre les capitulaires consiste notamment
15. Peter VON MOOS, « Das Öffentliche und das Private im Mittelalter. Für einen kontrollierten
Anachronismus », dans MELVILLE & MOOS 1998, p. 3-83.
16. Il n’y a pas lieu d’en faire ici l’inventaire ; il suffit de renvoyer à Chris WICKHAM, La chute de
Rome n’aura pas lieu, MA 99 (1 993), p. 107-126, qui présente (et réfute) les arguments et la
bibliographie de ce courant historiographique. Dès avant la publication de DURLIAT 1990, que
vise l’article de C. Wickham, certaines analyses fiscalistes, présentées sous forme d’articles, avaient
fait l’objet d’une note critique de la part de Jean-Pierre DEVROEY, Polyptyques et fiscalité à
l’époque carolingienne : une nouvelle approche ?, RBPH 63 (1 985), p. 783-794.
17. A titre d’exemples, cf. LAURANSON-ROSAZ 1 987 ; STAAB 1 994.
18. GOCKEL 1970, p. 14 sqq.
19. Jean GAUDEMET, « Survivances romaines dans le droit de la monarchie franque du V e au Xe siècle »,
TRG 23 (1955), p. 149-206; id, « Ravenne et la survivance du droit romain au Haut Moyen-Age »,
dans BRIESKORN et alii 1994, p. 135-146.
20. ESDERS 1 997.
21. LEMARIGNIER 1950, p. 72.
22. Ernst LEVY, West Roman Vulgar Law. The Law of Property, Philadelphie 1 951 ; id., Weströmisches
Vulgarrecht. Das Obligationenrecht, Weimar 1 956.
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à les considérer moins comme les éléments d’un code juridique qu’on
appliquerait à la lettre, que comme un cadre, comme l’expression d’une
« rhétorique d’exhortation permettant aux responsables politiques de
satisfaire aux demandes du roi au niveau local 23 ».
La question de la recherche des origines des institutions du haut Moyen
Âge (en l’occurrence : la recherche des traits relevant de la tradition romaine
et de la tradition germanique) constitue depuis longtemps un domaine de
recherche pour les historiens du droit et des institutions. C’est au XIXe siècle
que leur heure de gloire sonna ; leurs travaux doivent être utilisés avec prudence, car l’actualité nationaliste marqua certains ouvrages de son empreinte,
mais nous sommes encore souvent redevables envers les publications d’historiens comme N. D. Fustel de Coulanges ou H. Brunner. Actuellement,
cette préoccupation peut sembler à certains égards stérile. Le problème n’est
en effet pas de chercher à traquer les indices de telle ou telle origine dans une
société qui, précisément, est caractérisée par la conjugaison des éléments
germaniques, romains et chrétiens en un tout 24, un écheveau dont on ne
peut plus démêler les fils. Même dans le cas, fort célèbre, de l’exclusion des
femmes de l’héritage de la terra salica, généralement considérée comme le
parangon du principe institutionnel germanique, une origine romaine est
probable 25. Qui plus est, il faut reconnaître que l’identification des origines,
si tant est qu’elle soit possible, laisse facilement place à la subjectivité,
comme l’illustre l’exemple suivant, qui concerne l’hommage. Dans son
Essai sur l’origine de la noblesse, P. Guilhiermoz écrivait :
« Cet acte a une telle conformité avec les usages germaniques qu’on ne
peut guère douter que, si les Germains avaient connu la vassalité, ils ne se
fussent servis d’un procédé de cette sorte pour former le lien vassalique.
Or, inconnu des Wisigoths, inconnu des Lombards, inconnu des Germains
orientaux, il n’apparaît pas chez les Francs avant l’époque carolingienne 26. »
On ne saurait mieux avouer un a priori. Plus près de nous, et concernant
un thème particulièrement bien étudié dans les dernières décennies, celui de
l’amicitia, la question des origines de cette forme de pacte où les contractants
sont à pied d’égalité a également fait l’objet d’analyses divergentes – mais
force est d’admettre qu’on ne peut en faire un pur produit du droit franc 27.
23. INNES 2000, p. 254.
24. ZÖLLNER 1970, p. 262.
25. Karl KROESCHELL, « Söhne und Töchter im germanischen Erbrecht », dans Studien zu den germanischen Volksrechten. Gedächtnisschrift für W. Ebel, 1982, p. 87-116 ; rééd. dans KROESCHELL 1995,
p. 35-64 ; id., « Germanisches Recht als Forschungsproblem », dans Festschrift für H. Thieme,
1986, p. 3-19 ; rééd. dans KROESCHELL 1995, p. 65-88, à la p. 71.
26. Paul GUILHIERMOZ, Essai sur l’origine de la noblesse en France au Moyen Âge, Paris 1902, p. 78 ; cf.
également BRUNNER 1906, p. 190.
27. Telle est l’analyse de Claudia GARNIER, Amicus amicis, inimicus inimicis. Politische Freundschaft und
fürstliche Netzwerke im 13. Jahrhundert, Stuttgart 2000, p. 9-10, qui fait la synthèse des travaux
de FRITZE 1 954 et de EPP 1 999.
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Depuis quelque temps, l’histoire des institutions est revisitée dans le cadre
d’une approche anthropologique, qui vise moins à décrire les structures
institutionnelles qu’à cerner les enjeux des pratiques sociales. L’exemple
classique est désormais celui de l’immunité, étudiée par B. Rosenwein. Son
analyse n’invalide pas pour autant celle des historiens du droit, mais elle
révèle le caractère mouvant, évolutif, de ce privilège aux diverses facettes 28.
Dans ce domaine, la réflexion sur les formes et fonctions du don, cette ars
donandi dont parle Grégoire de Tours à propos de Sigebert I er lorsqu’il
évoque la manière dont le roi échappa à la geôle du khan des Avars 29,
occupe une place de choix dans l’étude de la société du haut Moyen Âge.
Le principe du contre-don est bien connu des historiens du droit et des
institutions, notamment par le biais du launegild, ce contre-don indispensable à la validité d’un don. Dans sa législation30, le roi lombard Liutprand
(† 744) prévoit en effet qu’un don effectué sans la prestation d’un launegild
en contre-partie peut être repris, à l’exception d’un don fait aux lieux saints
« parce qu’il est fait au bénéfice de l’âme » (pro anima) – autrement dit : la
prière des clercs en constitue la contre-partie. La réception d’un « bénéfice »
n’en est finalement pas très éloignée, puisque c’est elle qui, réellement (dans
tous les sens du terme), oblige. Un exemple extrait d’une correspondance
versifiée transmise avec les Formules de Sens, du VIIIe siècle, et mettant en
scène un conflit opposant l’évêque de Paris à celui de Tours dans les
années 660 en apporte l’illustration. Chrodebert avait été aidé par le
maire du palais, Grimoald ; il lui avait vendu sa terre et en avait reçu un
« bienfait ». Mais il contribua à la chute de son protecteur et, devenu
évêque de Tours, tint sa femme recluse dans un monastère de sa cité :
« Qui oublie celui qui l’a aidé
Et perd le souvenir de son nourricier
A foulé aux pieds le droit et l’honneur,
Qui oublie le feo donné
Et de son ancien alleu l’acquéreur
Vomit, le sale, son honneur. »
Comme le note J.-P. Poly, « le mot de la langue vulgaire s’est […] glissé,
parmi d’autres, à la faveur des invectives ». Il s’agit, on le sait, d’un mot
promis à un bel avenir 31.
Les réflexions d’anthropologues tels A. Weiner et M. Godelier, qui
mettent en évidence l’existence de « choses qu’on donne » et de choses
28. ROSENWEIN 1 999.
29. Gregorii episcopi Turonensis Historiarum liber IV, c. 29, éd. Bruno KRUSCH, MGH SS rer. Merov. 1/1,
Hanovre 1937, p. 162 ; à ce propos, cf. POHL 1988, p. 46.
30. Claudio AZZARA & Stefano GASPARRI (éd.), Le Leggi dei Longobardi. Storia, memoria e diritto di
un popolo germanico, Milan 1992, p. 164 (c. 73).
31. Jean-Pierre POLY, « Vocabulaire “féodo-vassalique” et aires de culture durant le haut Moyen Âge »,
dans La lexicographie du latin médiéval et ses rapports avec les recherches actuelles sur la civilisation
du Moyen Âge, Paris 1981, p. 167-190 (citation : p. 180).
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« qu’il faut garder » ainsi que le principe selon lequel il est possible de
conserver tout en donnant (le « paradoxe » du Keeping-while-Giving),
sont particulièrement féconds lorsqu’il s’agit de reconsidérer les pratiques
relatives aux transferts patrimoniaux, qu’on porte son attention sur la
circulation des biens à l’intérieur de la famille ou sur les donations aux
églises 32, tempérées par la précaire. C’est ainsi qu’on peut distinguer des
biens ayant vocation à circuler, tels ceux constituant la dot, ou des biens
destinés à être donnés – ceux du fisc notamment 33. Le testament fait en
616 par l’évêque du Mans, Berthramn, comporte à cet égard une clause
particulièrement parlante. Berthramn donne à Clotaire II des biens sis dans
la civitas de Rouen, que le roi lui avait donnés une quinzaine d’années
plus tôt, en justifiant de la sorte son geste : « nous offrons à votre regnum
(quelque chose) de vos largesses 34 ». Dans cette perspective, de nombreuses
pratiques nécessitent un nouvel examen, tels les « dons annuels » présentés
au roi lors des plaids généraux 35.
Aux environs de 700, une ligne de partage des eaux ?
Nous avons vu qu’un des fils d’Ariane inspirant les travaux sur le haut
Moyen Âge est constitué par la recherche des permanences, des survivances
des institutions antiques et du cadre de la vie sociale qu’offrait le monde
romain. L’étude de la forme des privilèges et diplômes royaux menée par
P. Classen offre un exemple parmi d’autres de l’absence de rupture nette
entre l’époque antique et les temps médiévaux 36 ; d’une certaine manière,
des travaux récents menés sur les privilèges d’exemption de tonlieux mettent
également en évidence le poids de l’héritage romain 37. Or cet héritage est
fort variable d’une région à l’autre, et ce qui peut paraître ici le fruit d’une
évolution peut sembler là une novation 38. La diversité médiévale reflète
les manières fort diverses dont les Romains laissèrent leur empreinte (en
Espagne et en Aquitaine, ou de part et d’autre du limes rhénan) ou n’en
32. A ce propos, cf. Ilana F. SILBER, « Gift-giving in the great traditions : the case of donations to
monasteries in the medieval West », Archives européennes de Sociologie 36 (1 995), p. 209-243.
33. Il est fait ici allusion au cycle de colloques sur les transferts patrimoniaux dont le premier volume
a paru dans les Mélanges de l’École française de Rome en 1999 ; cf. en particulier l’introduction de
Régine LE JAN : Transferts patrimoniaux 1999, p. 489-497.
34. WEIDEMANN 1986, p. 15 (n° 10).
35. Jürgen HANNIG, « Ars donandi. Zur Ökonomie des Schenkens im früheren Mittelalter »,
dans Richard VON DÜLMEN (éd.), Armut, Liebe, Ehre. Studien zur historischen Kulturforschung,
Francfort / Main 1988, p. 11-37. Sur la polysémie du terme « Gabe », cf. D. SCHWAB dans HRG 1,
col. 1364-1366.
36. CLASSEN 1 977.
37. STOCLET 1 999.
38. Cf. par exemple Adriaan VERHULST, « Quelques remarques à propos des corvées de colons à l’époque
du Bas-Empire et du Haut Moyen Âge », dans D’une déposition à un couronnement, 476-800
(Rupture ou continuité dans la naissance de l’Occident médiéval) = Revue de l’Université de Bruxelles,
1977, p. 89-95 ; rééd. dans VERHULST 1 992 (n° II ).
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laissèrent presque pas – en (Grande-)Bretagne, par exemple (sans parler
de l’Irlande, qui constitue à ce propos un cas particulier dans l’Occident
du premier millénaire). Quiconque veut appréhender l’histoire de cette
période doit la considérer comme quelque chose de différent – du monde
antique d’une part, de l’Europe des « nations » qui émerge au cours du
(bas) Moyen Âge d’autre part. À cet égard, le titre de l’ouvrage, par ailleurs
excellent, de P. Geary sur le monde mérovingien était plus heureux dans
sa version originelle que dans sa traduction : le propos réputé concerner
une époque before France and Germany devient malencontreusement l’évocation de la « naissance de la France » à l’attention du public francophone.
On ne saurait trop insister sur l’altérité de cette époque entre deux âges.
Désormais, l’idée d’une « Antiquité tardive » s’est imposée dans l’historiographie 39 : elle exprime bien le lent mouvement d’évolution de la société (ou,
plutôt, des sociétés) entre le Ve et le VIIe siècle. C’est à cette échelle chronologique qu’il faut raisonner : l’histoire mérovingienne est, pour une bonne part,
celle de la gestion de l’héritage romain 40 et de la « transformation du monde
romain », leitmotiv qui marque profondément l’historiographie actuelle 41 ;
cette période est en effet caractérisée par « la coexistence, parfois harmonieuse, parfois paradoxale, d’une civilisation romaine qui n’en finit pas de mourir
et d’une civilisation germanique qui se surimpose à elle sans l’évacuer 42 ».
Le personnage de l’évêque est particulièrement emblématique du
passage du monde romain au monde médiéval. On peut synthétiser comme
suit cette évolution, qui se situe grosso modo entre 400 et 600 : du fait de
l’accession des membres de l’aristocratie sénatoriale à l’épiscopat, cette
charge, devenue mondaine, s’est transformée en instrument de pouvoir
au point de s’imposer comme la clef de la vie politique à l’échelle de la
civitas 43. Le cas de la Gaule est en ce sens assez différent de ce qui se passa
dans l’Espagne wisigothique, où l’on rencontre des évêques d’humble
extraction. Il est probable que la conversion tardive des Wisigoths au
catholicisme (en 589) a favorisé un accès plus large à l’épiscopat, interdit
aux membres de l’aristocratie de confession arienne. Dans la Gaule
39. Averil CAMERON, L’Antiquité tardive, Paris 1 992.
40. Sur cette question, KAISER 1 993 s’avère particulièrement précieux.
41. Il est fait ici allusion à la collection The Transformation of the Roman World, en cours de publication ;
cf. Ian WOOD, « Report : The European Science Foundation’s Programme on the Transformation
of the Roman World and Emergence of Early Medieval Europe », EME 6 (1 997), p. 217-227.
42. GAUTHIER 1980, p. 431.
43. Bernhard JUSSEN, « Über “Bischofsherrschaften” und die Prozeduren politisch-sozialer Umordnung
in Gallien zwischen “Antike” und “Mittelalter” », HZ 260 (1 995), p. 673-718 ; id., « Zwischen
Römischem Reich und Merowingern. Herrschaft legitimieren ohne Kaiser und König », dans
Peter SEGL (éd.), Mittelalter und Moderne. Entdeckung und Rekonstruktion der mittelalterlichen
Welt, Sigmaringen 1997, p. 15-29 ; id., « Liturgie und Legitimation, oder : Wie die GalloRomanen das römische Reich beendeten », dans Reinhard BLÄNKER & Bernhard JUSSEN (éd.),
Institutionen und Ereignis. Über historische Praktiken und Vorstellungen gesellschaftlichen Ordens,
Göttingen 1998, p. 75-136.
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mérovingienne, les évêques appartiennent généralement à la crème de la
société, alors que le recrutement des comtes est moins fermé 44.
Le couple formé par les rivaux que sont l’évêque et le comte 45 est
typique des temps carolingiens : le fait qu’on se tourne vers eux, au lieu
de s’adresser à la curie municipale, lorsqu’on souhaite le renouvellement
des actes perdus par l’établissement d’un acte spécial, l’apennis, peut être
considéré comme un indice du glissement des institutions antiques
aux institutions médiévales, qu’on observe vers les VIIe-VIIIe siècles 46. On
pourrait multiplier les arguments de toutes sortes permettant de considérer
cette époque comme une véritable césure : élargissant la réflexion relative
à l’apennis et aux instances municipales, on observe que la conservation
des actes relève désormais de tout un chacun, à charge pour lui de bien
tenir son chartrier 47 ; le dernier testament rédigé dans les formes romaines
date de 739 (il s’agit de celui d’Abbon de Provence 48) ; les références au
droit romain, relativement abondantes dans les actes de Saint-Bertin datant
de l’époque mérovingienne, deviennent plus rares aux temps carolingiens 49 ;
Bonnet, qui fut évêque de Clermont à l’extrême fin du VIIe siècle, est le
dernier prélat aquitain dont on sache qu’il reçut la formation classique
d’un lettré 50 ; c’est au cours du VIIe siècle que disparaissent les « cimetières
par rangées » (Reihengräberfelder en allemand) pourvus de mobilier funéraire, qu’il est délicat de qualifier simplement de « germaniques 51 ».
Citons un dernier exemple : celui des « formules d’Angers ». Il s’agit
d’un recueil de modèles d’actes privés datant pour l’essentiel de la fin du
VIe siècle et qui furent copiés à Angers ou à Tours à la fin du VIIIe siècle, dans
un manuscrit comportant également de larges extraits de la Lex Romana
Visigothorum. Cet ensemble est cohérent, puisque les « formules d’Angers »
attestent la persistance de nombreux traits institutionnels du droit romain
(telle l’insinuation) dans la vallée de la Loire à la fin du VIe siècle 52. Ce qui
est plus troublant, c’est la copie de ces actes (et de la loi) deux siècles plus
44. SCHEIBELREITER 1983, p. 272.
45. Elisabeth MAGNOU-NORTIER, « Du royaume des civitates au royaume des honores. Episcopatus,
comitatus, abbatia dans le royaume franc (VIe-IXe siècle) », dans LEPELLEY 1996, p. 311-344.
46. Christian LAURANSON-ROSAZ & Alexandre JEANNIN, La résolution des litiges en justice durant le
haut Moyen Âge : l’exemple de l’apennis à travers les formules, notamment celles d’Auvergne et
d’Angers, dans Règlement des conflits 2001, p. 21-33.
47. Peter CLASSEN, « Fortleben und Wandel spätrömischen Urkundenwesens im frühen Mittelalter »,
dans CLASSEN 1977a, p. 13-54, à la p. 54.
48. NONN 1 972. L’analyse de ce document est au cœur de l’ouvrage de GEARY 1 985. Sur les pratiques
testamentaires dans la première moitié du Moyen Âge, cf. Jean-Louis THIREAU, « L’évolution de
l’acte à cause de mort dans les pays ligériens (VIe-XIIe siècles) », RHDFE 74 (1 996), p. 1-43.
49. GANSHOF 1 950.
50. RICHÉ 1962, p. 236.
51. Guy HALSALL, « The origins of the Reihengräberzivilisation : forty years on », dans John DRINKWATER
& Hugh ELTON (éd.), Fifth-century Gaul : a crisis of identity ?, Cambridge 1992, p. 196-207.
52. Werner BERGMANN, « Die Formulae Andecavenses, eine Formelsammlung auf der Grenze zwischen
Antike und Mittelalter », AfD 24 (1 978), p. 1-53.
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tard. Peut-être s’agit-il d’une copie à des fins érudites (Saint-Martin de
Tours demeura un lieu privilégié pour l’étude du droit romain à la fin de
l’époque carolingienne 53), mais le format du recueil, assez petit, est plutôt celui d’un manuel à l’usage d’un praticien du droit (d’aucuns tirent
d’ailleurs argument de l’existence de tels recueils de formules pour défendre
l’idée d’un maintien de notaires « publics » et autres tabellions 54). C’est
en fait tout le problème de l’utilisation effective des recueils juridiques qui
se pose ici 55 ; nous verrons plus loin que le décalage entre la date des textes
normatifs et la date des manuscrits nous en transmettant la teneur est
chose fréquente — ce qui n’est pas sans poser de problème à l’historien.
Dans le cas des « formules d’Angers », il n’est donc pas impossible que leur
copie date d’une période où elles avaient de plus en plus rarement vocation
à inspirer la pratique ; on aurait en quelque sorte affaire à un fossile.
Inversement, c’est au IXe siècle que le terme de « coutume » commence
de prendre des couleurs médiévales : alors que la coutume était reconnue,
dans le système romain, comme l’interprétation de la loi traduite dans la
pratique, le terme prend, sous les Carolingiens, l’acception fiscale qui
ouvre le chemin aux « mauvaises » coutumes des temps capétiens 56. Dans
le royaume franc, l’évêque des VIIe et VIIIe siècles nous apparaît sous un
jour différent : il n’est généralement plus d’origine gallo-romaine 57 – ou pour
le moins porte-t-il désormais un nom à consonance germanique (on connaît
le phénomène de mode auquel les membres de l’aristocratie sénatoriale
sacrifièrent alors : Didier de Cahors, membre de la famille des Syagrii,
avait pour mère une Gallo-romaine au nom pourtant bien germanique
d’Herchenfrède). Ce phénomène est particulièrement précoce à Mayence :
dès la seconde moitié du VIe siècle, les titulaires du siège épiscopal portent
des noms francs 58. Bien que K. F. Werner veuille que la « noblesse »
carolingienne et médiévale tire son origine de l’aristocratie sénatoriale 59,
force est d’admettre qu’on ne remonte guère (sauf dans la famille royale)
au-delà du milieu du VIIe siècle 60 – qu’il s’agisse d’une carence documentaire
ou du reflet d’une évolution, cette césure existe. Rappelons également que
53. Jean-Pierre BRUNTERC’H, Un monde lié aux archives : les juristes et les praticiens aux IXe et Xe siècles,
dans Plaisir d’archives. Recueil de travaux offerts à Danièle Neirinck, Mayenne 1997, p. 409-427.
54. Werner BERGMANN, « Fortleben des antikens Notariats im Frühmittelalter », dans Peter-Johannes
SCHULLER (éd.), Tradition und Gegenwart. Festschrift zum 175jährigen Bestehen eines badischen
Notarstandes, Karlsruhe 1981, p. 23-35.
55. Rosamond MCKITTERICK, « Some Carolingian Law-books and their Function », dans Brian TIERNEY
& Peter LINEHAN (éd.), Authority and Power. Studies on Medieval Law and Government presented
to Walter Ullmann on his Seventieth Birthday, Cambridge 1980, p. 13-27 ; MCKITTERICK 1 989.
56. Christian LAURANSON-ROSAZ, « Des “mauvaises coutumes” aux “bonnes coutumes”. Essai de synthèse
pour le Midi (Ve-XII e siècles) », dans Mireille MOUSNIER & Jacques POUMARÈDE (éd.), La coutume au
village dans l’Europe médiévale et moderne, Toulouse, 2 001, p. 19-51.
57. SCHEIBELREITER 1983, p. 268.
58. GOCKEL 1970, p. 24, qui s’appuie sur les travaux d’Eugen Ewig.
59. WERNER 1 998.
60. Cette limite chronologique s’impose par exemple dans LE JAN 1995.
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c’est au VIIe siècle qu’on observe une évolution majeure des courants économiques ; la thèse d’H. Pirenne a fait l’objet d’un certain aggiornamento
(l’essor de l’Islam n’explique pas tout), mais l’élargissement du champ
d’analyse n’enlève rien à la pertinence de l’observation selon laquelle le
centre de gravité se déplace vers le nord 61. Longtemps, les bâtiments
publics romains ont servi à abriter les comtes (et les rois lorsqu’ils étaient de
passage dans la cité), mais vers le IXe siècle se multiplient les monastèrespalais à l’extérieur des murs (parfois en partie entretenus), exprimant une
certaine rupture dans la manière d’héberger le roi, qu’on soit à Saint-Remi
de Reims, à Saint-Emmeram de Ratisbonne ou à Saint-Zénon de Vérone 62.
On l’aura compris : les temps carolingiens ouvrent sur un autre pan de
l’histoire, sur les temps médiévaux à proprement parler.
En dépit de ces mouvements contraires, les temps mérovingiens et
carolingiens présentent une certaine cohésion, marquée notamment par la
prépondérance des grands domaines ruraux que l’aristocratie, le roi et les
églises concentrent entre leurs mains. Le cadre urbain n’est en effet plus le
(seul) lieu de l’activité politique (et économique). De même, du point de
vue des sources juridiques, le haut Moyen Âge, compris au sens large, forme
un tout relativement cohérent et original 63. Sans entrer dans les querelles
érudites relatives, notamment, à la date de rédaction de la première version
du droit franc, le Pacte de la Loi Salique, on observe que, de manière
générale, la rédaction des lois dites « barbares » se généralise au tout début
du VIe siècle (dans l’Espagne wisigothique, le Code d’Euric, rédigé dans le
troisième quart du Ve siècle, constitue probablement le premier jalon), qu’il
s’agisse de lois pour les populations d’origine germanique ou de lois pour
les « Romains » (tel le Bréviaire d’Alaric qui demeura durant plusieurs
siècles le principal relais du droit théodosien). La rédaction des lois constitue
en soi un signe d’acculturation, puisque la tradition est désormais couchée
par écrit – qui plus est en latin (sauf dans le monde insulaire, où la loi est
rédigée en langue vernaculaire : en Irlande, dont le corpus juridique se présente comme un ensemble distinct de ce qu’on trouve sur le continent 64, et
chez les rois anglo-saxons, dont la production législative fut profondément
influencée par le droit franc65). Cette adaptation ne fut pas sans poser de
problèmes de traduction de concepts juridiques étrangers au droit romain,
que les « gloses malbergiques » du droit franc tentèrent de pallier.
61. HODGES & WHITEHOUSE 1 996.
62. Carlrichard BRÜHL, « Problems of continuity of Roman civitates in Gaul, as illustrated by the interrelation of cathedral and palatium », dans HODGES & HOBLEY 1988, p. 43-46.
63. L’étude suivante s’avère une bonne introduction : « Patrick WORMALD, Lex Scripta and Verbum Regis :
Legislation and Germanic Kingship, from Euric to Cnut, » dans Peter H. SAWYER & Ian N. WOOD
(éd.), Early Medieval Kingship, Leeds 1977, p. 105-138 ; rééd. dans WORMALD 1999a, p. 1-43.
64. Ó CRÓINÍN 1995, p. 110 sqq.
65. WORMALD 1 999.
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Le corpus juridique se constitue progressivement entre le VIe siècle et
le VIIIe siècle (ici encore, l’Angleterre se distingue par une activité législatrice
des rois anglo-saxons au Xe siècle, alors qu’on ne trouve plus de capitulaire
sur le continent) : citons la législation de Léovigild (troisième quart du
VIe siècle) et le Liber Iudiciorum de Recceswinthe (vers le milieu du
VIIe siècle) chez les Wisigoths, l’Edit de Rothari (publié en 643), qui
ouvre une tradition législatrice chez les Lombards durant un siècle environ, la Loi des Alamans rédigée, sous l’impulsion franque, au cours du
deuxième quart du VIIe siècle et celle des Bavarois, vers le milieu du
VIIIe siècle. La Loi Salique fut plusieurs fois modifiée, notamment sous
Pépin le Bref et Charlemagne, qui est à l’origine des dernières codifications : vers 802, il fit rédiger la Loi des Frisons et celle des Saxons. Nous
savons que la Loi Gombette (promulguée par le roi Gondebaud au début
du VIe siècle) était encore appliquée au début du IXe siècle dans l’ancien
territoire burgonde. Ensuite, bien que les « déclarations de nationalité »
(professio legis) se multiplient aux IXe et Xe siècle (notamment en Italie), la
question de l’application de ces lois s’avère beaucoup plus problématique. Entre le milieu du VIIIe siècle et le troisième quart du IXe siècle, la
production de capitulaires connaît un remarquable essor, lié à l’affirmation du pouvoir royal (à cette époque également, les collections canoniques connaissent un succès indéniable).
Mais tous ces documents nous sont pour l’essentiel connus par des
manuscrits copiés entre le IXe et le XIe siècle, voire au siècle suivant 66 –
autrement dit, à une époque où l’on ne produisait plus de textes nouveaux
et où il est bien mal aisé de dire si cette législation était appliquée. Il y a là
un paradoxe d’autant plus grand que nombre de ces manuscrits ne sont pas
des ouvrages que nous qualifierions de collection. Quoi qu’il en soit, on
observe une certaine cohésion dans la production de textes normatifs, de
leur élaboration (du VIe au IXe siècle) à leur préservation (essentiellement
du IXe au XIe siècle).
On l’aura remarqué, cette incursion dans la production juridique nous
mène bien au-delà des limites classiques du haut Moyen Âge, qui prépare aux « temps féodaux ». Le paradigme de la « mutation féodale » (sans
parler d’une « révolution » qui s’étale sur plusieurs décennies) et la césure
que représenterait l’an mil sont de plus en plus remis en question. Il n’y a
pas lieu d’exposer ici le débat, qui repose non seulement sur une interprétation des sources, mais aussi sur une interrogation concernant la nature
même de leur évolution quantitative et qualitative, et – peut-être surtout –
qui dépend de l’espace géographique considéré (le modèle classique est un
66. BÜHLER 1986, p. 472-473 ; Valeska KOAL, Studien zur Nachwirkung der Kapitularien in den
Kanonessammlungen des Frühmittelalters, Francfort/Main 2 001. À cet égard, Hubert MORDEK,
Bibliotheca capitularium regum Francorum manuscripta. Überlieferung und Traditionszusammenhang
der fränkischen Herrschererlasse, Munich 1995, constitue un instrument de travail essentiel.
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modèle essentiellement méridional ; une approche économique centrée
sur l’Europe du Nord-Ouest plaide pour la longue durée 67). Considéré
comme une phase de transition 68 prenant en compte les deux versants de
l’évolution historique, le haut Moyen Âge allant grosso modo de la fin du
Ve siècle au seuil du XIIe siècle (s’il faut vraiment définir un tournant, la
Réforme grégorienne – une entreprise de plusieurs décennies – en constitue
un probablement assez pertinent) présente une certaine cohérence. Cette
dernière est renforcée par la constitution de l’Occident chrétien en tant
que tel, dont la visite du pape Étienne II en Francie durant les premiers
mois de l’années 754 peut être considérée comme le symbole : à l’occasion
du premier voyage d’un pape au nord des Alpes, cette rencontre scelle le
détournement de Rome par rapport à Byzance et l’alliance désormais intime
entre la papauté et le pouvoir franc qui s’impose alors comme la principale
puissance politique d’Europe. Il s’agit du résultat d’une lente évolution
politique, économique et religieuse – peut-être plus décisive que le schisme
de 1 054. C’est à l’importance fondamentale des questions relatives à la foi
dans la constitution de l’Occident qu’il convient à présent de s’intéresser.
Le Christianisme comme facteur structurant la société
Au cours du haut Moyen Âge, on observe un mouvement de ralliement
à la foi chrétienne de confession catholique romaine ; cette tendance à l’unification n’est cependant pas synonyme d’uniformisation, loin s’en faut !
Triomphe du catholicisme romain et christianisation
Le paysage religieux est fort varié vers le milieu du VIe siècle. Pour faire
simple, disons que l’arianisme prédominait chez les peuples « barbares »
du continent (Wisigoths en Espagne, Ostrogoths en Italie), à l’exception
des Francs – le « païen » Clovis ayant eu l’intelligence politique de se
convertir au catholicisme, ralliant ainsi à lui l’aristocratie gallo-romaine.
Les Irlandais avaient été évangélisés au Ve siècle, mais ils se distinguaient
des catholiques romains par certaines particularités liturgiques qu’ils
partageaient avec les Bretons cantonnés vers l’ouest de la (Grande-)Bretagne
par les peuples anglo-saxons. La situation en Italie était assez complexe :
une controverse théologique (la Querelle des Trois-Chapitres) divisait
l’épiscopat catholique alors même que les Lombards, qui s’étaient pour
67. Cf. les observations de Jean-Pierre DEVROEY dans MCKITTERICK 2001, p. 124 sqq.
68. Il est difficile d’établir des limites précises et générales. Bien souvent on peut simplement constater
que, pour tel phénomène à tel endroit, on est « encore » dans tel monde, ou qu’on ne l’est plus.
Cette longue évolution, parfois incertaine, est particulièrement sensible dans Monique BOURIN
& Michel PARISSE, L’Europe au siècle de l’an mil, Paris 1999, prenant en considération la période
950-1050.
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une bonne part convertis au christianisme durant leur séjour en Pannonie,
s’installèrent dans la péninsule en 568-569. Ce n’est qu’à la fin du VIIe siècle
que ce différend théologique fut réglé, à un moment où les Lombards
étaient désormais majoritairement passés de l’arianisme au catholicisme.
Bien évidemment, il serait simpliste de croire à une conversion massive
et définitive au christianisme : comme nous le verrons, la conversion des
peuples est un phénomène long, qui s’apparente plutôt à une marche à
tâtons – par exemple, le pape Grégoire le Grand, dont le pontificat dura de
590 à 604, évoque certains Lombards (encore) païens dans ses Dialogues 69.
Il y eut assurément des « récalcitrants » qui demeurèrent attachés à leur
« paganisme » et, surtout, beaucoup de « tièdes », dont la conversion
demeurait incertaine. Nous avons en fait ici affaire à une évolution séculaire, jalonnée toutefois de conversions spectaculaires : celle de Reccarède
en 587, qui entraîna la conversion de l’ensemble des Wisigoths du christianisme de confession arienne au catholicisme lors du troisième concile
de Tolède, en 589 ; celle du roi de Kent, Æthelberht, converti en 597 par
saint Augustin de Canterbury, envoyé par le pape Grégoire le Grand prêcher l’Évangile – et la soumission à l’Église romaine – chez ces Angli que
Grégoire, sur les marchés aux esclaves de Rome, était réputé avoir trouvés
beaux comme des anges. Æthelberht était marié à Berthe, la fille du roi franc
Charibert : la foi chrétienne ne lui était donc pas totalement étrangère.
Les siècles suivants furent marqués par le triomphe du catholicisme
romain en Angleterre à l’occasion du concile de Whitby, réuni en 664 par
le roi de Northumbrie, Oswy, et par la conversion des peuples installés au
nord et à l’est du monde franc au cours des VIIIe et IXe siècles : missions
de moines Anglo-Saxons en Frise et en Saxe, conversion forcée des Saxons
du temps de Charlemagne, missions – d’une efficacité assez restreinte en
dépit du discours officiel des sources contemporaines – en direction des
pays scandinaves à l’initiative de Louis le Pieux (d’Ebbon de Reims à saint
Anschaire), campagnes d’évangélisation des évêques bavarois chez les Slaves.
Ces missions vers les marges du monde franc suivent chronologiquement
une phase de christianisation missionnaire à l’intérieur du royaume, où la
pénétration du christianisme dans les campagnes était inégale.
Les moines (notamment les Irlandais, tels saint Colomban et ses
disciples) jouèrent un rôle fondamental au cours du VIIe siècle : à cette
époque, c’est principalement à partir des monastères que se poursuivit
l’œuvre de christianisation, notamment dans la partie septentrionale de la
Gaule. On observe à cet égard une action conjointe de la royauté et de
l’aristocratie, dont les biens servent à doter les nouveaux monastères 70 : en
69. JUDIC 2002, p. 105.
70. Karl Ferdinand WERNER, « Le rôle de l’aristocratie dans la christianisation du nord-est de la Gaule »,
RHEF 62 (1 976), p. 45-73.
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Brie, où sont implantés les Faronides ; dans la vallée inférieure de la Seine,
où Wandrille – un aristocrate de la région de Verdun apparenté à Pépin
de Landen 71 – fonde l’abbaye de Fontenelle ; dans la vallée de la Meuse,
à Amay (en aval de Huy), où une inscription gravée sur le sarcophage de
Chrodoara 72, vénérée sous le nom de sainte Ode, rappelle qu’elle enrichit
les lieux saints ex sua substancia (en puisant dans sa richesse) ; en Morinie
où le monastère de Sithiu (Saint-Bertin) est fondé grâce à une dotation
importante accordée en 649 par le vir potens Adroald, que saint Omer,
l’évêque de Thérouanne dont la formation qu’il reçut à Luxeuil garantit
l’inspiration colombanienne, avait persuadé ainsi que les membres de sa
famille de s’engager plus avant dans la pratique du christianisme 73.
Indéniablement, l’époque de Dagobert I er constitue un tournant : la christianisation du royaume par la multiplication des fondations monastiques
dut beaucoup aux aristocrates (dont les évêques) ayant fréquenté sa cour ;
ils donnèrent l’impulsion décisive.
Les sources hagiographiques et diplomatiques ne sont pas les seules à
documenter le rôle de l’aristocratie dans la christianisation ; certaines
données archéologiques peuvent faire l’objet d’une analyse similaire. C’est
par exemple le cas des églises rurales d’Alémanie, dont la construction se
poursuit de la fin du VIe siècle jusqu’à la fin du VIIIe siècle de telle manière
que leur répartition suggère plutôt une entreprise généralisée de la part de
l’aristocratie, faisant construire des édifices funéraires et cultuels sur ses
domaines, et non une diffusion à partir de centres missionnaires dont on
pourrait suivre les progrès 74.
Le monastère de Sithiu dirigea le développement du christianisme
dans le diocèse de Thérouanne, comme le firent en Alémanie ceux de la
Reichenau (fondé par saint Pirmin en 724) et de Saint-Gall (qui tire son
origine de la « celle » où l’ermite éponyme, un disciple de saint Colomban,
s’établit en 612). Dans le diocèse de Constance, il faut attendre l’époque
carolingienne pour voir l’évêque intervenir dans l’encadrement des populations 75 (il ne s’agit là aucunement d’une exception). Car c’est dans les
domaines de l’aristocratie ou des grands établissements monastiques
(Saint-Gall, dont l’essentiel du chartrier est encore conservé, et la Reichenau
contrôlent une bonne partie du territoire diocésain) que s’effectue le travail
de christianisation de la population rurale, dans ces églises « privées » sur
71. Chronique des abbés de Fontenelle (Saint-Wandrille), éd. et trad. Pascal PRADIÉ, Paris 1999, p. 5 (I, c. 2).
72. Ce couvercle sculpté, représentant une femme portant des vêtements longs et tenant un bâton à
la main, est reproduit dans Franken 1996, tome I, p. 453 (article de Michèle GAILLARD sur les
monastères féminins d’Austrasie).
73. Charles MÉRIAUX, Thérouanne et son diocèse jusqu’à la fin de l’époque carolingienne. Les étapes
de la christianisation d’après les sources écrites, BECH 158 (2 000), p. 377-406.
74. SCHOLKMANN 2000, p. 121.
75. Helmut MAURER, « Das Bistum Konstanz und die Christianisierung der Alemannen », dans
BERSCHIN et alii 2000, p. 139-163.
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lesquelles l’évêque n’a pour ainsi dire pas droit de regard. Le testament du
diacre Adalgisel-Grimo, qui date du 30 décembre 634, en offre un bel
exemple 76 : cet aristocrate ne consentait à l’évêque de Trèves, dans le
diocèse duquel il avait construit l’église de Tholey (au nord de Sarrebruck,
à proximité de lieux dont le toponyme – St. Wendel, St. Ingbert – rappelle
le rôle également joué par certains ermites), que le droit de fournir le saint
chrême pour les baptêmes (alors même que l’évêque avait fourni les clercs
desservant l’édifice).
La mission
Les formes de l’action missionnaire étaient fort variées. La plus spectaculaire est celle imposée par Charlemagne envers les Saxons : durant
plusieurs années, le roi des Francs instaura un régime particulièrement
cruel, condamnant à mort toute personne contestant le pouvoir franc ou
la religion chrétienne. Le premier capitulaire saxon, qui date probablement
de 782, est célèbre 77 : il punit de la peine capitale aussi bien celui qui
« est entré par violence dans une église et en a emporté de force ou par vol
quelque chose » ou celui qui « n’a pas respecté le saint jeûne du carême
par mépris de la religion chrétienne et a mangé de la viande » que celui
qui « a fait montre d’infidélité envers le seigneur roi ». C’est le premier
exemple d’une conversion massive obtenue par la guerre 78. En revanche,
c’est loin d’être le premier exemple du recours à la coercition 79 ; dans le
royaume wisigothique, les Juifs furent notamment plusieurs fois menacés
de représailles s’ils ne se convertissaient pas 80 – sous Sisebut (612-621),
Chinthila (636-639) et, surtout, Ervig (680-687). Les méthodes de
Charlemagne furent condamnées par certains membres de l’entourage du
souverain, tel Alcuin, qui défendait l’idée d’une conversion par la persuasion. L’idée de représailles divines susceptibles de frapper les païens ou les
hérétiques invétérés n’était toutefois pas nouvelle. Ainsi, Bède le Vénérable
rapporte que saint Augustin de Canterbury avait menacé les évêques
bretons qui refusaient de se soumettre à son autorité en leur affirmant que
« s’ils ne voulaient pas accepter la paix avec leurs frères, c’est la guerre faite
par leurs ennemis qu’ils devaient accepter » et que « s’ils ne voulaient pas
prêcher la voie de la vie éternelle à la nation anglaise » (notons, pour le
moine de Jarrow et le clergé romain dont il est l’interprète, la dimension
76. GAUTHIER 1980, p. 440 (sur le testament d’Adalgisel-Grimo, cf. ibid., p. 412-416).
77. Traduction partielle par Olivier GUYOTJEANNIN, Le Moyen Âge (V e – X V e siècle), tome I des Archives
de l’Occident, sous la direction de Jean FAVIER, Paris 1992, p. 183-185.
78. Laurence G. DUGGAN, « “For Force Is Not of God” ? Compulsion and Conversion from Yahweh
to Charlemagne », dans James MULDOON (éd.), Varieties of Religious Conversion in the Middle
Ages, Gainesville 1997, p. 49-62.
79. GRAUS 1965, p. 146 sqq.
80. KING 1972, p. 130 sqq.
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dogmatique, qui met en jeu le Salut, de ce qui n’était somme toute qu’une
divergence cultuelle), « ils devaient subir des mains des Anglais la mort
comme vengeance 81 ». Selon Bède, cette prédiction s’accomplit grâce au
roi de Northumbrie Æthelfrid, qui massacra les moines de Chester lors
d’une bataille probablement livrée en 616.
Un autre exemple de menace, lié à la conversion de la Saxe évoquée à
l’instant, nous est fourni par l’auteur de la plus ancienne Vie de saint
Lébuin ; il s’avère plus intéressant du point de vue de la conception que les
missionnaires pouvaient se faire de leur rapport au pouvoir du prince qui
les protégeait (car la mission était rarement un départ à l’aventure sans
soutien puissant à l’arrière, comme l’illustre la démarche de Willibrord
auprès du maire du palais, Pépin II, dans le cadre de son action missionnaire en Frise vers 690). Saint Lébuin est censé s’être adressé vers 770 à
l’assemblée des Saxons réunis à Marklo 82, au bord de la Weser, et leur
avoir promis l’invincibilité s’ils se convertissaient : aucun roi ne pourrait
les soumettre. En revanche, il les avertit qu’un souverain voisin (il s’agit
évidemment de Charlemagne) était prêt à les envahir et à leur faire subir
la déportation et d’autres maux 83. L’hagiographe, qui écrivait vers le
milieu du IXe siècle, connaissait bien entendu la suite de l’histoire : de fait,
le destin des Saxons fut dramatique. Mais ce qu’il convient de noter ici,
c’est qu’apparemment Lébuin n’était pas hostile à ce que les Saxons
gardent une certaine autonomie, pourvu qu’ils adoptent sa foi.
Bien souvent, la politique missionnaire fut une politique d’empiètement
progressif, par la constitution de points d’appui – des sanctuaires dans tous
les sens du terme : édifices cultuels, refuges des chrétiens et sorte de lieux
centraux d’où l’action évangélisatrice pourrait se diffuser. En la matière, les
sites de Germanie choisis par Boniface témoignent d’un souci de récupérer
d’anciennes places fortes pour ses fondations monastiques, reproduisant
ce qu’il avait connu outre-Manche à Amöneburg, Fritzlar, Büraburg ou
Fulda 84. La fondation d’églises s’avérait un élément décisif de l’intégration
des hommes et des territoires dans la communauté chrétienne. L’église
n’était en effet pas seulement un lieu de culte, mais aussi un centre de
pouvoir : la dotation des nouvelles fondations, qui avaient vocation à
attirer les donations pieuses de l’aristocratie locale, contribuait certes au
rassemblement d’un patrimoine foncier, mais entraînait aussi la constitution d’un ensemble de droits sur les biens et sur les personnes.
81. BÈDE LE VÉNÉRABLE, Histoire ecclésiastique du peuple anglais, tome I, trad. Olivier SZERWINIACK et
alii, Paris 1999, p. 85 (II, 2).
82. Sur la nature de cette assemblée, cf. Matthias SPRINGER, « Was Lebuins Lebensbeschreibung über
die Verfassung Sachsens wirklich sagt oder warum man sich mit einzelnen Wörtern beschäftigen
muß », Westfälische Zeitschrift 148 (1 998), p. 241-259 ; rééd. dans : HÄSSLER 1999, p. 223-239.
83. PADBERG 1997, p. 168-169.
84. David PARSONS, « Sites and Monuments of the Anglo-Saxon Mission in Central Germany »,
Archaeological Journal 140 (1 983), p. 280-321.
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Un exemple de cette politique qu’on pourrait presque qualifier d’infiltration est offert par un diplôme de Louis le Pieux en faveur de l’évêque de
Wurtzbourg, connu par la copie qu’en fit l’auteur des « formules impériales »,
un recueil de documents diplomatiques écrits en notes tironiennes (une
écriture tachygraphique alors pratiquée dans le milieu des notaires royaux)
et probablement réalisé à Saint-Martin de Tours vers 830. Louis le Pieux
confirme un acte de Charlemagne dont on n’a pas conservé le texte.
L’empereur approuve la fondation de quatorze églises réalisée sur l’ordre
de son père dans le « territoire des Slaves » (in terra Sclavorum), entre le
cours du Main et celui de la Rednitz (nom du cours supérieur de la Regnitz,
qui se jette dans le Main aux environs de Bamberg), et il les dote 85. La
christianisation de cette région fut une entreprise de longue haleine, dont le
point d’orgue est constitué par la fondation du diocèse de Bamberg sous
l’empereur Henri II, en 1007. Quant aux quatorze églises carolingiennes,
elles avaient été fondées par les évêques de Wurtzbourg « en collaboration
avec les comtes établis sur ces mêmes Slaves » – preuve que la christianisation était accompagnée, voire préparée, par le pouvoir politique.
Les missionnaires ne partaient en effet pas au petit bonheur : même
ceux qui s’adonnaient à la peregrinatio pro Christo choisissaient leur destination. Ainsi, Jonas de Bobbio relate que saint Colomban avait caressé le
projet de se rendre chez les Wendes (à la tête desquels le marchand franc
Samo s’imposerait à la génération suivante et dont Frédégaire raconte le
conflit avec Dagobert I er). Le saint moine fut cependant dissuadé par une
vision de se rendre aux confins de la Bohême : il « comprit… que ce peuple
n’était pas prêt à profiter de la foi, et il demeura là où il était 86 ». Nombreux
sont les missionnaires ayant un rapport – ne serait-ce qu’affectif – avec
ceux qu’ils évangélisent. Cela s’avère très net chez les moines insulaires
installés en Saxe : ils étaient motivés par l’idée de convertir les descendants
de leurs propres ancêtres87. Le monastère de Torhout (à une vingtaine de
km au sud-ouest de Bruges), donné par Louis le Pieux à saint Anschaire,
devait contribuer à la mission chez les « hommes du Nord » en permettant
l’éducation de certains enfants-otages d’origine scandinave qu’on devait
renvoyer chez eux une fois acculturés – Rimbert, le successeur et biographe
de saint Anschaire, en est le plus beau fruit 88.
Ce n’est que progressivement que les régions voisines du monde franc
furent intégrées à cet espace politique et religieux. La dimension territo85. Texte et commentaire dans HERRMANN 1965, p. 95-97. L’acte de Louis le Pieux fut confirmé par
Louis le Germanique le 5 juillet 845, par un diplôme conservé en original.
86. JONAS DE BOBBIO, Vie de saint Colomban et de ses disciples, trad. Adalbert DE VOGÜÉ, Bégrollesen-Mauges 1988, p. 162 (I, 27).
87. PADBERG 1995, p. 61 sqq.
88. Alain DIERKENS, « Saint Anschaire, l’abbaye de Torhout et les missions carolingiennes en
Scandinavie. Un dossier à rouvrir », dans : SOT 1990, p. 301-313.
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riale de l’entreprise missionnaire – en l’occurrence : la constitution d’un
territoire juridictionnel – est particulièrement explicite dans l’histoire de la
Conversion des Bavarois et des Carinthiens 89 rédigée vers 870 pour défendre
les droits de l’Église métropolitaine de Salzbourg en Basse-Pannonie,
revendiquée par Méthode, nommé archevêque de Sirmium (Stremska
Mitrovica) par le pape Hadrien II en 869.
En dépit de l’importance fondamentale de l’idée de conversion au haut
Moyen Âge (en raison des enjeux politiques et religieux de l’annonce du
Salut) et malgré l’abondance des sources – narratives notamment – relatives
à cette question, qui permettent à l’historien d’étudier le phénomène de
conversion et les formes de la mission 90, un problème majeur subsiste :
au-delà des résistances dont les hagiographes se font l’écho de manière
récurrente, force est d’admettre l’impossibilité devant laquelle nous nous
trouvons de « sonder les reins et les cœurs ». Le thème de la résistance du
païen, présent dans la Vie de saint Martin rédigée en 397 par Sulpice
Sévère, qui s’avère le modèle par excellence en matière d’hagiographie,
fut décliné à l’envi. Ce n’était toutefois pas le seul obstacle à l’intégrité
de la foi.
Les limites de l’orthodoxie
Comme nous l’avons vu, le problème de l’orthodoxie et de l’unité de
la foi toucha particulièrement l’Italie au VIe et au VIIe siècle, puisque les
fidèles de trois confessions cohabitaient alors : les catholiques nicéens, les
ariens auxquels appartenaient majoritairement les Lombards et les partisans des Trois-Chapitres, une hérésie à laquelle le concile de Pavie réuni
en 698 mit un terme, grâce au soutien du roi Cunipert – ce roi travailla
au triomphe du catholicisme romain comme tous les membre de la
« dynastie bavaroise », la branche des Agilofides descendant du frère de la
reine lombarde Théodelinde († 627). Au VIe siècle, le christianisme ne
semble pas avoir pénétré en profondeur chez les Lombards 91, ce qui
explique la relative facilité avec laquelle ils passèrent du catholicisme à
l’arianisme selon l’opportunité du moment. C’est ainsi que les ambassadeurs du roi Alboin (vers 560-573) envoyés à Byzance se présentèrent
comme catholiques lorsqu’ils négocièrent une aide contre les Gépides de
Pannonie, qui disposaient d’un évêque arien installé à Sirmium. En
revanche, une fois parvenus en Italie (en 569), les Lombards s’allièrent
89. Ce texte est présenté et partiellement traduit par Geneviève BÜHRER-THIERRY, dans BOUGARD
1997, p. 255 sqq.
90. SULLIVAN 1 994 ; MAYR-HARTING 1 991 ; PADBERG 1 995 ; FLETCHER 1 997 ; WOOD 2 001 ;
Martin KAUFHOLD, « Die wilden Männer werden fromm. Probleme der Christianisierung in der
Frühzeit der Normandie », HJ 120 (2 000), p. 1-38.
91. JARNUT 1982, p. 53.
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aux clercs ariens dépossédés en faveur du clergé catholique lors de la reconquête justinienne. Durant tout le siècle qui suivit, la situation en Italie
demeura
particulièrement compliquée, et les Lombards jouèrent parfois des ambiguïtés
offertes par la diversité des confessions de la foi chrétienne dont, somme
toute, ils se réclamaient 92. C’est ce qu’illustre l’anecdote rapportée à la
fin du VIIIe siècle par Paul Diacre, dans son Histoire des Lombards 93.
Saint Jean-Baptiste apparut en vision à un homme ayant profané la tombe
du roi Rothari († 652) dans l’église de Monza, qui lui était dédiée, et il
le fustigea en disant : « Pourquoi t’es-tu permis de toucher au corps de
cet homme ? Quelle qu’ait été la déviation de sa foi, il s’était recommandé
à moi ».
L’intégrité de la doctrine fut plusieurs fois menacée, ou du moins
considérée comme telle par les souverains carolingiens, qui s’érigèrent en
gardiens de la foi, ce qu’exprime le titre d’auxiliaire (adjutor) de l’Église
revendiqué par certains d’entre eux – à commencer par Charlemagne dans
son capitulaire programmatique de 789 (l’Admonitio generalis), mais aussi
par Arnulf, loué de la sorte par les évêques lors du concile de Trebur (895),
dans lequel on peut reconnaître un effort pour renouer avec la grande
tradition conciliaire du début du IXe siècle 94. Outre la volonté des
Carolingiens de se positionner contre Byzance sur la question du culte
des images en condamnant les décisions du concile de Nicée II (787) à
Francfort, en 794, et en commanditant la rédaction des Libri Carolini 95 ;
outre quelques controverses d’érudits, concernant par exemple le thème
de la Prédestination (le destin tragique de Godescalc d’Orbais, condamné
à la réclusion monastique à perpétuité en 849, touche en fait autant à une
question de doctrine qu’à un problème d’autorité), la principale menace
vint d’Espagne, dans les deux dernières décennies du VIIIe siècle : la
doctrine adoptianiste d’Elipand de Tolède fut d’autant plus activement
combattue qu’elle fut défendue par l’évêque Félix d’Urgell, dont le diocèse
dépendait du souverain franc. Les Pères du concile de Francfort condamnèrent l’Adoptianisme deux ans après que Félix fut entendu lors d’une
assemblée tenue à Ratisbonne (en 792) ; une nouvelle confrontation eut
lieu avec Alcuin en 799 à Aix-la-Chapelle. La condamnation de cette
hérésie donna lieu à la rédaction de plusieurs traités, principalement par
Alcuin, mais aussi par Paulin d’Aquilée96. L’attachement porté à l’intégrité
92. Walter POHL, « Deliberate ambiguity : The Lombards and Christianity », dans ARMSTRONG &
WOOD 2 000, p. 47-58.
93. PAUL DIACRE, Histoire des Lombards, IV , c. 47, trad. François BOUGARD, Turnhout 1994, p. 98.
94. Christopher CARROLL, « The Last Great Carolingian Church Council : the Tribur Synod of 895 »,
AHC 33 (2 001), p. 9-25.
95. Ann FREEMANN, « Carolingian orthodoxy and the fate of the Libri Carolini », Viator 16 (1 985),
p. 65-108.
96. CAVADINI 1 993.
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de la foi permet de comprendre le choc psychologique que suscitait l’apostasie – a fortiori lorsqu’il s’agissait d’un clerc membre de l’entourage du
souverain, comme ce fut le cas en 838, lorsque le diacre Bodo se convertit au judaïsme à l’occasion d’un pèlerinage à Rome (il se fit circoncire, se
fit pousser barbe et cheveux, prit le nom d’Eléazar et épousa une Juive ; il
s’installa finalement à Saragosse, où il se révéla un adversaire farouche des
chrétiens mozarabes 97).
La christianisation en profondeur
La principale difficulté à laquelle furent confrontés les évêques n’était
toutefois pas le combat d’hérésies formant un corps de doctrine, mais la
variété des croyances et des pratiques de leurs ouailles – à tel point que
certains auteurs, non sans une pointe de provocation, parlent d’un
« Moyen Âge païen 98 ». Point n’était d’ailleurs besoin d’aller chercher très
loin : au sein même du clergé, l’entreprise carolingienne de « rénovation »
et de « correction » qu’on désigne de manière abusive comme une « renaissance » pouvait revêtir l’aspect d’une acculturation sans cesse remise
en cause 99. En effet, la conversion en profondeur est « un processus
sans fin100 ».
Il est assez facile de collectionner les exemples de pratiques « païennes » :
il suffit d’ouvrir le De castigatione rusticorum écrit vers 574 par Martin de
Braga pour dénoncer (et « châtier ») les « rustiques » (ces « païens » que sont
les « paysans », désignés par le même mot en latin : paganus) et les pratiques
contestables de certains Suèves. La plupart de ces manifestations de la « religion populaire 101 », notamment les pratiques divinatoires, furent souvent
considérées, à la longue, comme des pratiques magiques 102, parce qu’elles
n’avaient pas été intégrées dans l’ensemble des pratiques orthodoxes – parce
qu’elles n’avaient pas été elles-mêmes christianisées. Le facteur « temps »
est ici essentiel, car le degré de « paganisme » de telle ou telle pratique est
relatif : il est subordonné à l’évolution de la discipline ecclésiastique 103. La
97. Heinz LÖWE, « Die Apostasie des Pfalzdiakons Bodo (838) und das Judentum der Chasaren »,
dans ALTHOFF 1988, p. 157-169 ; RUCQUOI 1993, p. 118.
98. Ludo J. R. MILIS (éd.), The Pagan Middle Ages, Woodbridge 1 998 (édition originale parue en
néerlandais en 1991).
99. DEPREUX 2 002.
100. Ludo MILIS, « La conversion en profondeur : un processus sans fin », RN 68 (1 986), p. 487-498.
101. RICHÉ 1 976 ; J. N. HILLGARTH, « Popular Religion in Visigothic Spain », dans JAMES 1980, p. 360. Sur la question de la permanence des lieux de culte, cf. Yves DESMET, « Le culte des eaux
dans le Nord de la Gaule pendant le haut Moyen Âge », RN 80 (1 998), p. 7-27.
102. Pierre RICHÉ, « La magie à l’époque carolingienne », Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
Comptes rendus de l’année 1973, p. 127-138.
103. Alain DIERKENS, « Pour une meilleure compréhension du phénomène de la christianisation :
quelques réflexions sur l’implantation du christianisme en pays mosan au haut Moyen Âge »,
dans Christianisation et déchristianisation, Angers 1986, p. 47-62.
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christianisation de la société supposait non seulement la christianisation
des pratiques, mais aussi celle des modes de pensée. La littérature onirique
participe de cette entreprise. On peut ainsi voir dans « la traversée
victorieuse du feu » relatée dans la Vision de saint Fursy, que C. Carozzi
considère comme « une véritable ordalie », une forme de christianisation
du « feu obtenu par frottement de bois, c’est-à-dire nodfyr » condamné
comme une pratique païenne par les évêques de l’entourage de saint
Boniface104.
L’archéologie funéraire constitue l’une des sources privilégiées pour
mesurer la progression des pratiques chrétiennes dans la population – l’interprétation des données nécessite toutefois la plus grande prudence 105.
C’est ce qu’illustre par exemple le site de Sutton Hoo (au sud-est du
Suffolk), un ensemble d’une quinzaine de tertres dont le plus célèbre est
celui interprété comme la tombe d’un roi d’East-Anglie, probablement
Rædwald, mort vers 624. Bède le Vénérable relate son baptême et en fait
un bretwalda, un « gouverneur de Bretagne » imposant son imperium aux
autres rois de son temps. La réalité de cette « institution » est douteuse au
début du VIIe siècle, ce qui n’enlève rien au prestige du personnage inhumé
dans le tertre n° 1 (l’absence d’ossements pourrait laisser penser qu’il s’agit
d’un cénotaphe, mais l’acidité du sol explique peut-être leur disparition) :
le mobilier en témoigne éloquemment (l’équipement de guerrier, la
vaisselle d’argent, le « sceptre » et les 37 pièces d’or mérovingiennes – des
tremisses dont la frappe s’échelonna entre 575 et 625 et dont l’unicité de
chaque élément dans ce trésor trahit le soin du collectionneur). Bien que
Rædwald ait reçu le baptême, rien, sinon deux cuillers portant le nom de
Saul et de Paul, ne plaide en faveur de l’inhumation d’un chrétien – au
contraire, la tombe formée d’un bateau correspond aux usages scandinaves ;
quant aux autres sépultures, où l’on trouve un jeune homme inhumé avec
un cheval 106 ou bien des traces d’incinération, elles ne plaident pas non
plus en faveur d’un cimetière chrétien 107. On doit donc se rendre à l’évidence que l’interprétation des sépultures est chose fort délicate. Ainsi, la
renonciation au dépôt de mobilier dans les tombes, qu’on observe au
104. CAROZZI 1994, p. 99-138 ; sur les pratiques païennes condamnés en 744, cf. DIERKENS 1 984.
105. LORANS 2 000 présente la question de façon synthétique.
106. Sur la présence de chevaux dans les nécropoles mérovingiennes (jusqu’à la fin du VIIe siècle), cf.
Judith OEXLE, Merowingerzeitliche Pferdebestattungen – Opfer oder Beigaben ?, FMSt 18
(1 984), p. 122-172.
107. Sur Sutton Hoo, cf. EVANS 1 986 ; présentation synthétique par Martin CARVER dans LAPIDGE
et alii 1999, p. 432-436. Il est délicat d’apprécier dans quelle mesure les usages funéraires attestés
à Sutton Hoo sont l’expression de traditions anciennes ou bien, au contraire, une réaction à
l’influence grandissante du christianisme à partir du Kent, cf. Martin CARVER, « Boat-burial in
Britain : Ancient Custom or Political Signal ? », dans Ole CRUMLIN-PEDERSEN & Brigitte
MUNCH THYE (éd.), The Ship as Symbol in Prehistoric and Medieval Scandinavia, Copenhague
1995, p. 111-124.
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cours du VIIe et du VIIIe siècle, est probablement moins le résultat de
l’abandon du paganisme et de la christianisation que le reflet d’une évolution des mentalités sur le statut social du mort 108. Le dépôt d’armes dans
les tombes reflète l’importance de la fonction guerrière dans la société,
mais l’absence d’arme ne signifie pas son contraire 109. Notons ainsi la
persistance de la nécessité d’identification sociale par-delà la mort : c’est
bel et bien avec son épée que le « noble fondateur » est représenté sur une
fresque carolingienne de l’église Saint-Benoît de Malles 110 (Tyrol italien) ;
quant aux évêques, ils sont inhumés avec les insignes de leur fonction
(dans une perspective eschatologique) – comme le note le moine anonyme
de Lindisfarne qui rédigea la Vie de saint Cuthbert († 687) au tournant des
VIIe et VIIIe siècles, l’évêque fut inhumé avec ses ornements liturgiques et
portait des chaussures, pour être prêt à rencontrer le Christ 111.
Les sources archéologiques permettent également de mesurer l’implantation du christianisme dans les campagnes. À ce propos, prenons l’exemple
des fouilles réalisées dans le sud de la Germanie 112. L’un des indices
majeurs de la christianisation de l’élite régionale est offert par la présence,
à partir de la fin du VIe siècle, de croix d’or sur les linges utilisés pour l’ensevelissement (on pense que cet usage fut introduit d’Italie) sans pour
autant que ces sépultures, dans l’espace alémanique, aient lieu dans une
église ; les membres de l’élite ne furent inhumés sur ce qui semble avoir
été leurs domaines qu’au moment où les grands « champs funéraires »
furent abandonnés, au tournant du VIIe et du VIIIe siècle. C’est entre
670-680 et 730-740 que les sépultures sont regroupées à proximité de ce
qui est manifestement le lieu de culte de la communauté d’habitants. La
rupture avec les anciens lieux d’inhumation est nette et sans retour, sauf
en de rares exceptions (ainsi, à Griesheim, près de Darmstadt, on procéda
dans la seconde moitié du VIIIe siècle à une trentaine d’inhumations dans
un ancien « cimetière à rangées » longtemps délaissé). Nombre d’agglomérations rurales du VIIIe siècle possèdent désormais leur église, de bois
ou de pierre. Au terme de cette évolution d’un siècle on peut considérer
le christianisme à ce point implanté qu’on observe de fait (faute de
disposer de la documentation écrite susceptible d’en présenter la réalité
juridique) la naissance des paroisses.
108. A ce propos, cf. YOUNG 1 986.
109. STEUER 1982, p. 516.
110. Reproduction dans : STIEGEMANN & WEMHOFF 1999, tome III , p. 202.
111. BULLOUGH 1983, p. 188. Sur le dépôt de calices et de patènes dans les tombes, cf. TREFFORT
1996, p. 60 sq.
112. Horst Wolfgang BÖHME, « Neue archäologische Aspekte zur Christianisierung Süddeutschlands
während der jüngeren Merowingerzeit », dans BERSCHIN et alii 2000, p. 75-109.
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Une communauté de foi
Au-delà de l’unité de la foi, on constate une grande diversité des Églises
du haut Moyen Âge, ce qui conduit P. Brown à proposer le paradigme
de micro-chrétientés qui ne « fusionnèrent » qu’au cours du VIIIe siècle
« pour former, pour la première fois, la seule “chrétienté” qui comptait en
Europe », dans le giron du pouvoir franc 113. On trouve par exemple
l’illustration de cette opposition entre une Église « nationale » et une Église universelle dans la manière dont Alcuin réfute certaines affirmations
adoptianistes : s’appuyant sur l’autorité des Pères et docteurs de l’Église,
l’érudit anglo-saxon écrit à Félix d’Urgel qu’en matière de vérité de la foi,
il préfère s’en remettre à l’auctoritas – l’interprétation qui fait autorité –
romaine (comprise ici au sens de catholique, d’universelle), plutôt qu’à
une auctoritas espagnole 114. En l’occurrence, Alcuin oppose à Félix non
seulement des auteurs comme saint Augustin, saint Ambroise, Grégoire le
Grand ou saint Hilaire de Poitiers, mais aussi la « lumière de l’Espagne »
qu’est Isidore de Séville.
Cette communion à une même foi était-elle pour autant à l’origine
d’un sentiment d’unité ? Chez les évêques carolingiens du IXe siècle, la
réponse est assurément positive – traumatisés qu’ils sont par les querelles
intestines qui ruinèrent l’Empire de Charlemagne. À y regarder de plus près,
les choses s’avèrent toutefois plus complexes ; et en dépit d’une aspiration
à l’unité indéniable, la diversité règne au sein du royaume des Francs.
Prenons l’exemple de la liturgie. Charlemagne avait demandé au pape
Hadrien I er de lui envoyer un exemplaire du sacramentaire grégorien qu’il
ferait copier en de multiples exemplaires et adresserait aux diverses églises
de son royaume afin d’uniformiser la liturgie en adoptant les usages
romains. L’exemplaire envoyé par le pape, qui ne concernait que certaines
fêtes, était inadapté à un usage généralisé ; c’est pourquoi il fut pourvu
d’un supplément dû à Benoît d’Aniane. Ce sacramentaire est d’une
importance majeure, puisqu’il constitue le premier jalon dans l’histoire de
la formation du missel. Néanmoins, il mit environ un siècle à s’imposer
115
; quant au décompte des manuscrits carolingiens, il ne plaide pas vraiment en faveur d’une diffusion large 116.
113. BROWN 1997, p. 281.
114. ALCUIN, Adversus Felicem Urgellitanum episcopum, éd. Jacques-Paul MIGNE, Patrologia Latina,
tome 101, col. 226 D (VII , c. 13). Sur la place des Pères de l’Église dans l’exégèse carolingienne,
cf. Willemien OTTEN, « The texture of tradition : the role of the Church Fathers in Carolingian
theology », dans Irena BACKUS (éd.), The Reception of the Church Fathers in the West. From the
Carolingians to the Maurists, tome I, Leyde 1997, p. 3-50.
115. PALAZZO 1993, p. 74-77.
116. Raymund KOTTJE, « Einheit und Vielfalt des kirchlichen Lebens in der Karolingerzeit »,
Zeitschrift für Kirchengeschichte 76 (1 965), p. 323-342, aux p. 329-330.
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La liturgie contribuait toutefois à susciter l’idée d’une communauté
humaine à la mesure de la Chrétienté. Dans les formules liturgiques du
haut Moyen Âge, on observe en effet une tendance selon laquelle l’Empire
« romain » devient l’Empire « chrétien ». Ainsi, dans le Missel irlandais de
Stowe (seconde moitié du VIIIe siècle), la prière du Memento concernant
l’Empire romain (pro imperio Romano) est complétée par une mention de
« tous les rois chrétiens » (et omnibus regibus christianis). Pour les contemporains de Charlemagne, l’empereur est devenu le rector populi christiani,
celui qui guide le peuple chrétien sur la voie droite 117. Le cheminement
intellectuel et idéologique d’Alcuin semble exemplaire quant à l’évolution
de la conception de l’imperium christianum, peu à peu départi de sa
dimension ethnique – en l’occurrence, franque 118. Il est possible que
l’idée selon laquelle les Francs étaient le nouveau « peuple élu » par Dieu
ait contribué à leur conférer quelque vertu d’intégration, bien au-delà de
toute flatterie de la part de certains membres de l’entourage royal (même
si cette dimension existe 119 ). Il est en tout cas indéniable que les clercs et
missionnaires venus de l’extérieur du monde franc défendirent ardemment
l’idéal d’un seul peuple – le peuple chrétien dirigé par le souverain franc –
formé de diverses nations (gentes)120.
Le sentiment de cohésion entre la structure politique et la dimension
spirituelle trouve également son expression dans l’habitude, qui s’impose
alors, de désigner les fidèles au sens politique (ceux qui font preuve de fidélité) et les fidèles au sens religieux (ceux qui partagent la grâce de la foi) en
une même formule : dans les adresses des diplômes royaux, il est désormais
– et pour plusieurs siècles – fait allusion « à tous les fidèles de la sainte
Église (qui sont aussi) les nôtres ». On ne saurait mieux montrer comment
la foi conditionne la fidélité alors même que le baptême est considéré
comme un pacte conclu avec Dieu, une évolution qui prouve l’interpénétration des valeurs religieuses et vassaliques 121. La dimension politique des
valeurs religieuses s’exprime également par le devoir de prière du clergé et
des moines pour la stabilité du royaume et pour le roi. Cette prière est
bien attestée dans l’Espagne wisigothique dès le début du VIe siècle. La
conversion de Reccarède au catholicisme renforça ce phénomène : en 589,
117. Gerd TELLENBACH, Römischer und christlicher Reichsgedanke in der Liturgie des frühen Mittelalters,
Heidelberg 1934, p. 16-29. Le manuscrit en question a fait l’objet d’une édition : The Stowe
Missal. Ms. D. II. 3 in the Library of the Royal Irish Academy, Dubin, éd. George F. WARNER,
Londres 1 915.
118. Mary ALBERI, « The Evolution of Alcuin’s Concept of the Imperium christianum », dans HILL &
SWAN 1998, p. 3-17.
119. Mary GARRISON, « The Franks as the New Israel ? Education for an identity from Pippin to
Charlemagne », dans HEN & INNES 2000, p. 114-161.
120. PADBERG 1997, p. 170 sqq. ; Lutz VON PADBERG, « Zur Spannung von Gentilismus und christlichem Universalitätsideal im Reich Karls des Großen », dans ERKENS 2001, p. 36-53.
121. Herbert HELBIG, « Fideles Dei et regis. Zur Bedeutungsentwicklung von Glaube und Treue im
hohen Mittelalter », AKG 33 (1 951), p. 275-306.
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Léandre de Séville conclut ainsi l’homélie qu’il prononça lors du troisième
concile de Tolède en priant Dieu de glorifier non seulement sur terre,
mais aussi aux cieux, le royaume (regnum) et le peuple (gens) participant
à la gloire du Christ par la conversion.
Dans le royaume franc, ce devoir de prière revêt une importance de
plus en plus grande à partir du VIIe siècle, pour connaître un apogée à
l’époque carolingienne 122. La notice relative aux services dus par certains
monastères réalisée en 817 est à cet égard éloquente 123 : il y a des monastères qui doivent acquitter le versement de dons au roi et fournir un
contingent lors de la convocation de l’ost, d’autres qui sont dispensés de
toute contribution militaire et ne sont astreints qu’au versement de dons,
d’autres encore ne « doivent fournir ni don, ni contingent, mais seulement
des prières pour le salut de l’empereur et de ses fils, ainsi que pour la
stabilité de l’Empire ». Par leurs mérites et leurs prières, les moines sont
en effet censés contribuer au bon ordre de la vie publique, comme les
évêques réunis à Pîtres en juin 864 le reconnaissent explicitement dans un
acte en faveur de Saint-Germain d’Auxerre 124.
Dans la constitution de l’Occident chrétien, le sentiment d’appartenance à l’Église romaine joua un grand rôle. Ce trait est particulièrement
net et précoce en Irlande, terre n’ayant paradoxalement jamais fait partie
de l’Empire romain. Muirchú, qui composa une Vie de saint Patrick à la
fin du VIIe siècle, reconnaît en Rome « la tête de toutes les Églises du
monde » ; quant à Patrick, il est censé avoir affirmé que tous les Irlandais,
en tant que chrétiens, étaient en fait des Romains 125. On observe également cet attachement à Rome en Angleterre 126. Les sépultures pratiquées
à Canterbury peuvent être considérées comme l’expression du lien spécial
qui l’unissait à Rome, comme une imitation des usages alors en cours
pour l’inhumation des papes 127. En effet, saint Augustin fut inhumé dans
la porticus septentrionale de l’église où se trouvait un autel dédié au pape
Grégoire le Grand. D’après Bède le Vénérable, ses successeurs y furent
également inhumés. C’est en raison du manque de place qu’on déposa
122. Eugen EWIG, « Die Gebetsklausel für König und Reich in den merowingischen Königsurkunden »,
dans KAMP & WOLLASCH 1982, p. 87-99.
123. Notitia de servitio monasteriorum, éd. Alfred BORETIUS, MGH Capitularia regum Francorum,
tome I, Hanovre 1883, n° 171, p. 350-351. Les Carolingiens accordèrent une importance toute
particulière à la « louange perpétuelle », dont la pratique est attestée à Saint-Maurice d’Agaune
dès le début du VIe siècle, cf. C. GINDELE, « Die gallikanischen “Laus perennis”-Klöster und ihr
“ordo officii” », RB 69 (1 959), p. 32-48 ; sur Saint-Maurice, cf. Barbara H. ROSENWEIN, « One
site, many meanings : Saint-Maurice d’Agaune as a place of power in the early middle ages »,
dans JONG et alii 2001, p. 271-290.
124. Wilfried HARTMANN (éd.), Die Konzilien der karolingischen Teilreiche, 860-874, Hanovre 1 998
(MGH Concila, tome IV ), n° 19, p. 169-174.
125. RICHTER 1996, p. 68.
126. Sur ses manifestations au VIIIe siècle, cf. LEVISON 1946, p. 15 et suiv.
127. ANGENENDT 1994, p. 72.
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Théodore († 690) et Berhtwald († 731) à l’intérieur de l’église. Quant au
roi Æthelberht († 616) et à son épouse Berthe, ils furent inhumés dans la
porticus méridionale, dédiée à saint Martin.
Cet attachement à Rome motiva également l’action de certains évangélisateurs sur le continent – l’archétype à cet égard est saint Boniface, qui mit
en place les structures ecclésiastiques de Germanie et posa les fondements
de la réforme de l’Église franque en se prévalant de son titre de légat du
pape 128. Au cours du haut Moyen Âge, l’usage nouveau d’envoyer le pallium
aux évêques métropolitains (ou à quelques évêques éminents distingués
par l’autorisation de porter ce vêtement liturgique en certains jours de fête
précisément définis), voire le fait de venir le chercher ad limina, au seuil
des Apôtres (ce voyage ne devint une obligation qu’à l’époque de la Réforme
grégorienne), contribuèrent à souligner l’autorité de l’évêque de Rome 129
et créèrent un lien entre les archevêques et saint Pierre lui-même, dont ils
recevaient ainsi une relique (le pallium était en effet posé sur le tombeau
de l’Apôtre avant d’être donné par le pape).
Désormais, le pèlerinage à Rome revêtait une dimension politique
indéniable, qu’il s’agisse d’en rapporter des reliques 130 ou de s’en remettre
à l’arbitrage du pape. C’est ainsi que saint Wilfrid d’York († 709), sur les
trois voyages qu’il fit jusqu’à Rome au cours de sa vie, s’y rendit deux fois
pour solliciter le soutien du pape 131 ; c’est ainsi que le duc bavarois
Théodo I er se rendit (en vain) à Rome en 715-716 pour solliciter de
Grégoire II son soutien dans la réorganisation de l’Église en Bavière,
visant à la constitution du duché en province ecclésiastique (l’enjeu était
alors déjà, pour l’Agilolfide, de se distinguer du pouvoir franc, qui veilla
probablement à l’échec de cette démarche) 132.
Christianisation et structures sociales
La christianisation remettait-elle en cause l’ordre social ? Pour le haut
Moyen Âge, cette question ne peut être posée qu’à propos des régions
nouvellement converties, car celles étant demeurées longtemps au sein de
l’Empire romain avaient le christianisme pour religion officielle dès la fin
du IVe siècle – par conséquent, christianisme et ordre social sont pour elles
les éléments d’une même histoire. Concernant les peuples « païens », deux
128. SCHIEFFER 1954.
129. ANGENENDT 1995, p. 231.
130. Klaus HERBERS, « Rom im Frankenreich und Rombeziehungen durch Heilige in der Mitte des
9. Jahrhunderts », dans BAUER et alii 1998, p. 133-169.
131. Les voyages de Wilfrid et l’activité missionnaire qu’il déploya à cette occasion sont relatés dans
la biographie que lui consacra l’un de ses disciples, Étienne de Ripon : The Life of Bishop Wilfrid
by Eddius Stephanus, éd. Bertram COLGRAVE, Cambridge, 1927.
132. SWINARSKI 1991, p. 168 sqq.
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sources s’avèrent particulièrement éclairantes, aux deux extrêmes de la
période étudiée ici : d’une part, la lettre adressée en 601 par Grégoire le
Grand à l’abbé Mellitus 133, un compagnon d’Augustin de Canterbury ;
d’autre part, un extrait de la Conversion des Bavarois et des Carinthiens.
Grégoire le Grand donne le conseil suivant au missionnaire Mellitus :
« les temples des idoles ne doivent pas être détruits chez ce peuple, mais
il faut détruire les idoles elles-mêmes qui sont à l’intérieur des temples ».
Et il ajoute : « parce qu’ils ont l’habitude de tuer beaucoup de bœufs en
sacrifice aux démons, on doit substituer à cela quelque solennité […]. Ils
feront des abris de branchages autour de ces anciens temples qui auront
été changés en églises, et ils célébreront une fête religieuse avec solennité.
Ils n’immoleront plus des animaux au diable, mais ils les tueront pour la
louange de Dieu et pour leur nourriture ». Le pape recommande donc très
clairement à ceux qu’il a envoyés en Angleterre de préserver les structures
sociales en maintenant les lieux de cultes et en les christianisant ainsi que
les festivités. Dans sa lettre, Grégoire le Grand n’interdit pas la mise à
mort de bestiaux, mais il prévoit qu’ils serviront désormais (uniquement)
à alimenter le banquet des hommes, qui rendront grâces à Dieu : il
ne s’agit plus d’un sacrifice. On peut rapprocher ce texte du résultat
des fouilles réalisées à Yeavering, un site de Northumbrie attesté
comme la résidence du roi Edwin († 633), difficilement converti au
christianisme par Paulin de York – l’occupation humaine de ce lieu
remonte au deuxième millénaire avant notre ère. On y découvrit des
crânes de bovins empilés dans un bâtiment interprété comme un temple
reconverti en église, à proximité duquel se trouvent des traces de structures provisoires en bois. Dans le cas de Yeavering, la continuité prônée
par Grégoire le Grand fit toutefois long feu : le site fut abandonné vers
le milieu du VIIe siècle 134.
Quant au témoignage de l’auteur de la Conversion des Bavarois et des
Carinthiens concernant l’action du prêtre Ingo, il peut seulement être
interprété comme une menace de bouleversement social. Le chorévêque
envoyé par Arn de Salzbourg en Sclavinia, la terre des Slaves, « agit… de
façon admirable : … il convoqua à sa table les esclaves croyants et fit
asseoir leurs maîtres infidèles devant la porte comme des chiens, en faisant
poser devant eux du pain, de la viande et des pots noirs de saleté contenant
du vin, afin qu’ils prissent ainsi leur nourriture. Au contraire, il ordonna
d’offrir à boire aux esclaves dans des gobelets dorés 135 ». Aux maîtres qui
133. Ce document a été traduit et commenté par Bruno JUDIC dans BOUGARD 1997, p. 10 sqq.
134. Cf. l’analyse de JUDIC 2002, p. 115 sqq ; présentation synthétique du site de Yeavering et orientations bibliographiques par Helen GITTOS dans LAPIDGE et alii 1999, p. 497.
135. Traduction de toute l’évocation d’Ingo dans Philippe DEPREUX, « Quelques sources relatives à
l’histoire du haut Moyen Âge : pratiques conciliaires, droit ecclésiastique et séculier, vie politique »,
MA 106 (2 000), p. 137-164, à la p. 138.
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s’étonnent de la manière dont ils sont traités, Ingo répond qu’ils ne sont
pas dignes de communier avec ceux qui ont été baptisés, ce qui déclenche
leur conversion et les progrès de la foi chrétienne dans la région. Ici encore,
le missionnaire privilégie l’idée de communauté 136, dont la cohésion n’est
finalement pas remise en cause puisque la nouvelle foi est annoncée à
l’ensemble de la hiérarchie sociale.
A peu près à la même époque, Notker le Bègue note que les Danois
qui affluaient à la cour de Louis le Pieux pour y recevoir le baptême le
faisaient « non pour le Christ, mais pour les avantages terrestres » qu’ils
en retiraient – la richesse du culte et le luxe des cadeaux servaient en effet
à impressionner le néophyte, à lui montrer que cela vaut la peine de se
rallier au Dieu des chrétiens. Le moine de Saint-Gall n’était pas dupe de la
superficialité de certaines conversions 137 : il se fait l’écho des protestations
émises un jour par l’un de ces catéchumènes arrivé en compagnie d’une
cinquantaine de compagnons. Comme l’empereur avait pour habitude
d’offrir des vêtements blancs aux nouveaux chrétiens (les parrains fournissaient d’autres cadeaux : vêtements francs, armes et bijoux) et qu’on
n’en avait pas assez pour tout le monde, il fallut en faire confectionner en
catastrophe. Au sortir de l’eau, le protestataire s’écria que c’était la vingtième
fois qu’il venait prendre un bain en cet endroit, et que jamais il n’avait
reçu des vêtements d’aussi piètre qualité : un tel « sac » n’était pas digne
de guerriers, mais de porchers !
Le cadre de la vie sociale
Les clercs du haut Moyen Âge ont nourri une réflexion sur la société de
leur temps en se fondant notamment sur l’idée de « maison » (domus), qui
sert initialement à désigner la communauté des époux et la famille vivant
dans la maison toute concrète ainsi que la « maisonnée », puis la famille
noble (la « maison » nobiliaire). Dans une perspective à la fois ecclésiale –
développant l’idée de « maison de Dieu » qui s’applique en premier lieu au
monastère (ce thème a connu un grand succès dans le monachisme bénédictin), mais aussi à la communauté que forme l’Église du diocèse – et « économique » (au sens étymo-logique du terme, c’est-à-dire en tant que forme
d’organisation, d’administration), le concept de domus s’applique finalement
à l’ensemble de la communauté politique, le « Palais » au sens large 138.
136. Stuart AIRLIE, « True Teachers and Pious Kings : Salzburg, Louis the German, and Christian
Order », dans GAMESON & LEYSER 2001, p. 89-105, à la p. 93.
137. NOTKER LE BÈGUE, Gesta Karoli, II, 19. Texte latin et traduction allemande dans Reinhold RAU,
Quellen zur karolingischen Reichsgeschichte, vol. 3, Darmstadt, 1960, p. 422-423.
138. Otto Gerhard OEXLE, « Haus und Ökonomie im früheren Mittelalter », dans ALTHOFF 1988,
p. 101-122 ; Ulrich MEYER, Soziales Handeln im Zeichen des « Hauses ». Zur Ökonomik in der
Spätantike und im früheren Mittelalter, Göttingen, 1998. Sur la dimension politique du « Palais »,
cf. DEPREUX 1997, p. 35 sqq.
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Cette idée de « maison » à plusieurs strates nous conduit à passer en revue
les divers cadres de la vie sociale 139.
De la famille à la communauté du royaume
La famille est bien évidemment la structure de base de la société. La
famille, en tant que famille « nucléaire », est le cadre essentiel de la vie
quotidienne ; elle s’avère un cadre privilégié de solidarité en tant que
famille « élargie », en tant que parentèle (ce qui n’exclut pas la réalité d’une
conscience lignagère). Les autres principaux cadres de solidarités sont le
village (en tant que communauté des habitants d’un lieu dont ils exploitent
la terre) et les associations, fraternités monastiques ou conjurationes (les
ghildes). Nous les évoquerons en leur temps.
De même que le terme de domus a un champ sémantique assez large,
allant de la structure sociale la plus élémentaire à la plus complexe,
certains termes, plus administratifs ou juridiques, peuvent revêtir diverses
significations et désigner le territoire et la communauté de ceux qui l’habitent à diverses échelles. C’est le cas du mot regnum 140 ; c’est également
celui de marca, à l’origine d’une forme de solidarité au sein de plusieurs
villages qu’on rencontre plus tard au cours du Moyen Âge et que les
historiens allemands appellent « Markgenossenschaft ».
Marca signifie à l’origine « frontière »; on rencontre ce terme dans plusieurs
sources du haut Moyen Âge, notamment les textes juridiques. Sous la plume
de Marius d’Avenches (à propos du territoire de Childebert II, en 581) ou
dans la Loi des Alamans, il est employé pour désigner les limites du royaume.
En revanche, dans la Loi des Bavarois, il désigne les limites du village. Le
commarcanus, qui apparaît dans les chartes de Freising et même sous la
plume d’Erchembert (un moine du Mont-Cassin qui écrivit une Histoire des
Lombards à la fin du IXe siècle), est celui qui fait partie du même finage.
C’est à ce commarcanus qu’on aura par exemple recours pour prouver
l’exploitation paisible d’un bien lorsqu’un tiers en revendique la possession. La marca désigne en effet un territoire qui sert de cadre juridique. Il
est à cet égard frappant d’observer que, dans les actes du fonds de
Wissembourg, les terres désignées par le terme de marca jusqu’aux environs
de 850 apparaissent ensuite sous le vocable de bannus, de territoire où
s’exerce le ban 141. Ces mots désignent le territoire d’une communauté
139. Pour une approche concernant les temps immédiatement ultérieurs à l’époque étudiée ici, cf.
l’ouvrage très stimulant de Susan REYNOLDS, Kingdoms and Communities in Western Europe,
900-1300, 2e éd. Oxford 1 997.
140. Hans-Werner GOETZ, « Regnum : Zum politischen Denken der Karolinger », ZRG GA 104
(1 987), p. 110-189.
141. Ruth SCHMIDT-WIEGAND, « Marca. Zu den Begriffen “Mark” und “Gemarkung” in den Leges
barbarorum, dans BECK et alii 1979, vol. 1, p. 74-91 ; OLBERG 1991, p. 141 sqq.
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d’habitants partageant un même sort. L’unité de destin que connaissaient
certaines communautés villageoises est illustré par l’évolution du terme
lombard fara : à l’origine, il s’agissait du groupe dont la cohésion s’était
forgée au cours du « voyage » effectué depuis la Scandinavie jusqu’en Italie;
mais une fois installées dans la péninsule, les farae sont devenues des synonymes de « villages » regroupant les « familles » évoquées par Paul Diacre
en une définition célèbre 142.
Ce que les historiens désignent généralement du nom de « village »
consistait en un regroupement plus ou moins lâche d’unités d’exploitations
(si le mot n’était pas connoté juridiquement, on parlerait de fermes), qu’on
pouvait souvent compter sur les doigts d’une à deux mains ; parfois, à
l’époque carolingienne, un village regroupait plusieurs dizaines d’exploitations, mais c’était apparemment plutôt rare. On estime en effet que ces
villages comptaient généralement moins de cent habitants. Notons que les
réticences qu’éprouvent certains historiens à employer le terme de « village »
à propos du haut Moyen Âge relève d’une particularité de l’historiographie
française, reposant sur le constat d’une « instabilité » de l’habitat et de son
« organisation floue 143 ». Les analyses fournies en introduction et en conclusion d’un colloque de la Société des Médiévistes de l’Enseignement Supérieur
Public consacré aux « villages et villageois » montrent éloquemment les
divergences d’analyse qui peuvent exister 144. Que les communautés villageoises soient de taille modeste et n’aient pas de personnalité juridique
à l’époque qui nous intéresse, on le concédera volontiers (quoi qu’une
tendance à l’augmentation de la population soit manifeste au cours du
IXe siècle – en témoignent par exemple les 1 200 habitants recensés vers le
milieu du siècle à Viel, dans l’Ardenne, et qui dépendaient de Saint-Remi
de Reims) ; que leur organisation soit confuse est chose moins évidente à
constater – à ce propos, comme pour d’autres questions, les carences documentaires nous interdisent de nous prononcer dans un sens ou dans l’autre.
Un titre de la Loi Salique, énoncé dans des termes presque entièrement
identiques dans le Pacte et dans la version carolingienne du temps de
Pépin le Bref, comprend des dispositions à l’égard des « migrants » qui
supposent une forme d’organisation communautaire (même s’il faut se
montrer prudent dans l’interprétation de ce passage 145), puisque les voisins
ont leur mot à dire 146 :
142. Carlo Guido MOR, « Fara », dans HRG 1, col. 1074-1077.
143. Monique BOURIN & Robert DURAND, Vivre au village au Moyen Âge. Les solidarités paysannes du
X I e au X I I I e siècle, 2e éd., Rennes, 2 000, p. 18 sq.
144. Adriaan VERHULST, « Villages et villageois au Moyen Âge », dans Villages 1992, p. 9-13 ; Robert
FOSSIER, « Villages et villageois », dans Villages 1992, p. 207-214.
145. Karl Siegfried BADER, Dorfgenossenschaft und Dorfgemeinde, Cologne 1962, p. 42 sqq.
146. Lex Salica. 100 Titel-Text, éd. Karl August ECKHARDT, Weimar, 1953 (titre 80, 1 = titre 45, 1
du Pacte).
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« Si quelque homme veut s’installer chez un autre dans une villa différente
et que quelqu’un ou plusieurs de ceux qui se trouvent sur cette villa veulent
le recevoir, mais que quelqu’un se manifeste et se prononce contre l’immigrant,
que ce dernier n’ait pas l’autorisation de rester là. »
Par ailleurs, si l’on admet que l’élément décisif dans la formation du
village médiéval est l’émergence de la paroisse, on peut sans état d’âme
utiliser un terme qui, somme toute, décrit au mieux ce que les fouilles
archéologiques permettent d’observer, en dépit du caractère parfois alors
mouvant de l’habitat à grande échelle (c’est-à-dire à « petite échelle » dans
le langage courant).
Mais quel était l’horizon de la vie des gens du haut Moyen Âge ? Il
était bien évidemment fort différent selon qu’il s’agissait de membres de
l’aristocratie accompagnant le souverain dans ses déplacements, de moines
inspectant leurs domaines ou de marchands fréquentant les emporia.
Certains pouvaient couvrir de très grandes distances, comme Ohthere, un
négociant scandinave qui voyagea entre le cercle polaire, Haithabu et
l’Angleterre, ou bien Wulstan, qui sillonnait la mer Baltique. Ils fréquentèrent
tous deux la cour d’Alfred le Grand, qui fit consigner par écrit le récit de
leurs voyages 147. Mais pour l’écrasante majorité des gens de l’époque, pour
les paysans, l’horizon était bien plus réduit. Le cadre de vie quotidien de la
population rurale 148 était en effet l’unité d’exploitation, le manse, qui tire
son nom du mansus, un terme qui apparaît au VIIe siècle (à partir du latin
classique mansio : le lieu où l’on demeure). Divers vocables sont employés
selon les endroits : par exemple, hoba à l’est du Rhin et hid en Angleterre 149
– Bède le Vénérable définit ce terme comme « la terre d’une famille 150 ».
Le passage de l’Antiquité au monde médiéval s’est traduit par une
modification des divisions du territoire, par une transformation du cadre
hérité de l’Empire romain qui a donné lieu, sinon à la création d’un
vocabulaire nouveau, du moins à une nouvelle classification des sites :
chefs-lieux administratifs, centres de pouvoir ou lieux de commerce 151.
Parfois, les centres politiques et administratifs coïncident avec les centres
économiques. C’est par exemple le cas aux confins du monde carolingien,
dans la vallée du Danube, où le jugement douanier de Raffelstetten (tout
début du Xe siècle) permet de penser que les activités se concentrent dans
les chefs-lieux de comté que constituent Linz, Mautern et Ebersburg 152.
147. LUND 1 984.
148. Pages synthétiques et très claires dans GOETZ 1986, p. 128 sqq.
149. Walter SCHLESINGER, « Die Hufe im Frankenreich », dans BECK et alii 1979, vol. 1, p. 41-70.
150. Thomas M. CHARLES-EDWARDS, « Kinship, status and the origins of the hide », PP 56 (1972), p. 3-33.
151. Cristina LA ROCCA, « La trasformazione del territorio in Occidente », dans Morfologie 1998,
tome I, p. 257-290.
152. MITTERAUER 1964. Sur ce document, cf. également Peter JOHANEK, « Die Raffelstetter Zollordnung und das Urkundenwesen der Karolingerzeit », dans MAURER & PATZE 1982, p. 87-103.
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Nous reviendrons sur la question des circonscriptions administratives à
propos des formes de l’encadrement des hommes, mais il importe de garder
à l’esprit que le cadre administratif et social a évolué au cours du haut
Moyen Âge. Prenons deux exemples : celui des confins sud-orientaux de
l’Empire carolingien, que nous venons d’évoquer, et de l’Ardenne aux
temps mérovingiens.
La comparaison du capitulaire de Thionville de 805 et du jugement
douanier de Raffelstetten, du début du Xe siècle, permet d’observer
l’évolution du quadrillage administratif : certains lieux changèrent de rôle
politique ou économique. C’est notamment le cas de Lorch, près de la
confluence de l’Enns et du Danube. Ce « lieu public » est désigné dans le
capitulaire de Thionville 153 comme un poste douanier pour « les marchands
qui se rendent chez les Slaves et les Avars 154 ». Un siècle plus tard, Lorch a
perdu son statut de mercatum legitimum. Dans cette partie du cours du
Danube désormais bien intégrée dans l’espace carolingien, c’est Linz (un peu
plus en amont) qui joue le rôle de centre administratif et économique,
éclipsant ainsi Lorch, qui n’est pas mentionné dans le jugement douanier
de Raffelstetten 155.
Quant à la forêt ardennaise, son rétrécissement au cours du VIIe siècle
s’avère le résultat de défrichements liés notamment aux fondations monastiques. Cette exploitation des terres eut des conséquences administratives :
lorsque les pagi avaient atteint une taille dépassant les dimensions habituelles,
on créait de nouvelles circonscriptions « par la fusion d’un fragment de
pagus ancien avec la terre conquise sur la forêt ». C’est par exemple ainsi
que le Liégeois fut séparé de la Hesbaye 156.
Les royaumes eux-mêmes évoluent ; leurs contours changent – que l’on
soit en Angleterre 157 ou sur le continent (pensons à la formation de l’Austrasie
à la fin du VIe siècle 158). À l’exception des membres de l’aristocratie (et
peut-être seulement de la frange supérieure, la Reichsaristokratie des historiens
des temps carolingiens), il n’est pas certain que le royaume soit vraiment
le cadre de la vie des hommes libres – sauf probablement en Irlande.
L’Irlande du haut Moyen Âge connut en effet une multitude de royaumes
relativement petits. Chaque peuple (túath) avait un roi; mais un roi puissant
pouvait devenir « roi des rois » (ruiri) : les rí túaithe lui étaient liés à titre
personnel et lui devaient un tribut, de même que la livraison d’otages. En
revanche, ce ruiri n’avait aucune autorité sur les peuples dont les rois
153. Capitulaire n° 44 (chap. 7).
154. Sur le devenir de ce territoire après la défaite cuisante infligée aux Avars par les Francs, cf. POHL
1988, p. 320 sqq.
155. MITTERAUER 1 964.
156. EWIG 1963, p. 546.
157. YORKE 1 990.
158. CARDOT 1 987.
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lui étaient soumis – il existait encore un niveau supérieur d’autorité, le rí ruireg,
dans un rapport de domination par rapport aux ruiri similaire à celui que ces
derniers entretenaient avec les rí túaithe. Par conséquent, le túath ne
dépendait que de son roi 159. Cette cohésion est renforcée par le fait que
l’autorité de chaque évêque s’appliquait seulement à son propre túath 160.
La conscience d’appartenir à un même royaume
De même que le titre de rex Francorum porté indifféremment par les
souverains régnant en Austrasie, en Neustrie ou en Burgondie exprime
l’appartenance à une seule communauté, le « royaume des Francs », de
même, le terme employé en Irlande pour désigner les diverses provinces
manifeste un sentiment d’appartenance à un même territoire : une province est en effet un cóiced, c’est-à-dire « un cinquième » (quelqu’en soit
d’ailleurs le nombre effectif ) – preuve manifeste qu’il s’agit d’une partie
d’un tout 161. En revanche, contrairement au monde franc, où il y eut
parfois une réelle « monarchie » dès l’époque mérovingienne (pensons
au règne de Dagobert I er à partir de 629), aucun pouvoir n’imposa sa
domination à toute l’île, en dépit des prétentions des Uí Néill et de la
prédiction de saint Columba († 597) à l’égard du roi de Tara, Áed Sláne,
rapportée par Adomnán à la fin du VIIe siècle : l’abbé d’Iona lui aurait
promis totius Everniae regni monarchia 162.
Encore dans la seconde moitié du IXe siècle, le sentiment d’appartenir
au royaume des Francs prévalait sur les divisions politiques : lorsqu’il
envahit le royaume de Charles le Chauve en 858, Louis le Germanique
considérait qu’il régnait en « Francie orientale » et en « Francie occidentale »,
pas sur une « Germanie » que l’on opposerait à la « Gaule » et qu’il serait
maladroit de traduire par « Allemagne » et par « France », car ces termes sont
alors employés en tant que réminiscences de la géographie antique. Même
la langue ne peut pas être considérée comme l’expression d’une identité
« nationale » coïncidant avec un royaume, car il n’y a pas (encore) de volonté
d’uniformisation des dialectes – l’auteur saxon du Heliand et Otfrid de
Wissembourg n’écrivent pas la même langue. La désignation d’un parler
comme « allemand » (« deutsch » = theodisca lingua) est tout simplement une
manière de désigner une langue « populaire », vernaculaire. À tout prendre, il
s’agit simplement d’un moyen d’exprimer la perception d’une différence 163.
159. RICHTER 1996, p. 30.
160. Ibid., p. 67.
161. Ibid., p. 20.
162. Adomnán’s Life of Columba, éd. et trad. Alan O. ANDERSON & Marjorie O. ANDERSON, Oxford
1991, 21b (I, 14), p. 38.
163. Dieter GEUENICH, « Ludwig “der Deutsche” und die Entstehung des ostfränkischen Reiches »,
dans HAUBRICHS et alii 2000, p. 313-329.
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Lorsqu’on s’interroge sur la conscience qu’avaient les contemporains
de Clotaire II, de Liutprand, d’Offa de Mercie ou de Charles le Chauve
d’appartenir à tel ou tel royaume, force est de reconnaître qu’on se trouve
bien démuni pour trouver une réponse qui ne relève pas essentiellement
de la conjecture. Ici encore, les indices changent avec le temps. Prenons la
monnaie, qui porte le nom ou le monogramme du roi : elle n’entre en
compte qu’en des périodes de contrôle sévère de la frappe – et encore…
On peut donc songer à cet argument dans l’Angleterre d’Alfred le Grand,
mais aucunement deux siècles plus tôt, où les monnaies frappées sur le
continent sont fort prisées 164. La conquête carolingienne de l’Italie entraîna
l’introduction du denier d’argent, mais il s’agit d’un phénomène long et
inégal : la monnaie d’or concurrença encore sérieusement celle d’argent
jusque bien avant dans le IXe siècle 165. Quant aux plaids, ils ne réunissaient
jamais tout le « peuple » des hommes libres, loin s’en faut. En des circonstances exceptionnelles, le sentiment d’appartenir à un même royaume et de
défendre une cause commune prenait forme concrète – comme lorsqu’il
s’agit de construire un mur le long de la frontière galloise (Offa’s Dyke) ou
de quadriller le sud de l’Angleterre de burhs afin de renforcer la défense
du Wessex, deux entreprises qui comptent parmi les réalisations les plus
spectaculaires du pouvoir royal, respectivement à la fin du VIIIe et du
IXe siècle 166. Le roi était cependant un personnage lointain, et il n’y a pas
lieu de s’appuyer sur le caractère itinérant de la royauté pour penser que
les « leudes » voyaient souvent leur roi, qui profitait de ses déplacements
pour rendre la justice. C’est ce que pourrait nous faire croire le récit de
« Frédégaire » relatif à la visite de Dagobert I er en Bourgogne peu après son
avènement à la tête de l’ensemble du royaume 167. Or la « vive joie » de la
population de Langres était précisément motivée par le fait qu’une telle
visite s’avérait exceptionnelle. L’étude de l’itinéraire des rois montre qu’ils
ne fréquentaient qu’assez rarement les mêmes endroits 168 ; le cas du palais
d’Attigny est bien connu : la fréquence des séjours royaux varie d’une visite
tous les 2 ans en moyenne sous Charles le Chauve à seulement une visite
tous les 10 ans sous Charlemagne, alors que certains rois, tel Eudes, n’y
vinrent apparemment jamais 169.
164. Cf. CAMPBELL et alii 1982, p. 62 et p. 130.
165. William R. DAY Jr., « The monetary reforms of Charlemagne and the circulation of money in
early medieval Campania », EME 6 (1997), p. 25-45 ; Laurent FELLER, « Les conditions de la
circulation monétaire dans la périphérie du royaume d’Italie (Sabine et Abruzzes, IXe- XIIe siècle) »,
dans Argent 1998, p. 61-75.
166. CAMPBELL et alii 1982, p. 120-121 et p. 152-153.
167. FRÉDÉGAIRE, Chronique des temps mérovingiens (Livre I V et Continuations), trad. Olivier DEVILLIERS
& Jean MEYERS, Turnhout 2 001, p. 147 (IV , 58).
168. Carlrichard BRÜHL, « Die Herrscheritinerare », dans Popoli e paesi nella cultura altomedievale,
tome II , Spolète 1983, p. 615-639.
169. BARBIER 1982, p. 138 sq.
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Les clercs comptaient probablement parmi les personnes ayant le plus
fortement conscience d’appartenir à tel ou tel royaume – ou plutôt : au
royaume d’Untel ou d’Untel. Cela ne vaut pas que pour la Lotharingie
(le « royaume de Lothaire » II), qui dut son existence aux seuls aléas
politiques, sans aucune dimension « ethnique ». Les notaires dataient les
chartes du règne du souverain, dont ils connaissaient parfois la date
d’avènement avec assez de précision. Les moines devaient prier pour lui 170.
Les prêtres faisaient mémoire du pape, de l’évêque du lieu et de l’empereur
mentionnés nommément lors de chaque célébration de l’eucharistie 171
(à la fin du IXe siècle, on ne faisait plus mention de l’empereur, mais du
roi 172). Il est probable que les fidèles n’y prêtaient attention que lorsqu’ils
devaient jeûner pendant plusieurs jours afin d’obtenir telle grâce pour leur
souverain – par exemple la victoire sur les « païens » 173. Quant aux lettrés
qui firent œuvre historiographique, c’est notamment à leur manière de
parler de leurs contemporains en disant « nous » qu’on essaie tant bien
que mal de déceler l’amorce d’un sentiment de destin collectif 174.
Les niveaux de lecture des sources : du témoignage au miroir
La valeur des sources, notamment des sources narratives, est toute relative. Il faut les manier avec prudence. C’est ce à quoi nous invite Bède le
Vénérable lorsqu’il affirme qu’il convient de passer sous silence le souvenir
des rois apostats 175. Cette damnatio memoriae contribue à faire de son
Histoire ecclésiastique du peuple anglais un monument à la gloire du catholicisme romain triomphant ; l’histoire de l’Angleterre anglo-saxonne est
certainement moins rectiligne que le moine de Jarrow voudrait nous le faire
croire 176. Il faut également se livrer à une lecture nuancée des sources dont
la raison d’être s’avère de critiquer la société – combattre la corruption des
juges pour contribuer à la réforme de la société, comme ce fut le cas de
Théodulfe d’Orléans sous le règne de Charlemagne 177, ou bien dénoncer
170. Rappel de toute l’évolution de cette obligation depuis les temps mérovingiens dans Eugen EWIG,
« Der Gebetsdienst der Kirchen in den Urkunden der späteren Karolinger », dans MAURER &
PATZE 1982, p. 45-86.
171. BIEHL 1937, p. 56.
172. SCHNEIDMÜLLER 1979, p. 47.
173. Daniel MISONNE, Mandement inédit d’Adventius de Metz à l’occasion d’une incursion normande
(mai-juin 867), RB 93 (1 983), p. 71-79.
174. EGGERT & PÄTZOLD 1 984.
175. Bede’s Ecclesiastical History of the English People, éd. Bertram COLGRAVE & Roger A. B. MYNORS,
Oxford, 1969, III , 1, p. 214 ; 9, p. 240.
176. Sur la réécriture de l’histoire dans les monuments de l’historiographie du haut Moyen Âge, cf.
GOFFART 1 988.
177. Elisabeth MAGNOU-NORTIER, « La mission financière de Théodulf en Gaule méridionale d’après
le Contra iudices », dans Pierre GUICHARD, Marie-Thérèse LORCIN, Jean-Michel POISSON &
Michel RUBELLIN (éd.), Papauté, monachisme et théories politiques, tome I : Le pouvoir et
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plus généralement les travers des dirigeants réputés à l’origine du déclin de
la Bretagne, comme le fit Gildas vers le milieu du VIe siècle, témoignant
ainsi indirectement de la survivance du christianisme à l’ouest et au nord
de ce qui était en train de devenir l’Angleterre 178. Il convient en effet de
ne pas prendre toute source pour argent comptant, pour un témoignage
brut ce qui n’est somme toute qu’une image vue au travers d’un prisme, à
l’instar de ces « miroirs des princes » qui fleurissent à partir de la fin du
VIIIe siècle dans l’Europe carolingienne héritière des clercs wisigoths et,
surtout, irlandais – on peut se demander si ces « miroirs » ne nous en disent
pas plus sur leurs auteurs (Smaragde de Saint-Mihiel, Ermold le Noir,
Jonas d’Orléans, Hincmar de Reims ou, encore, Sedulius Scottus) que sur
leurs destinataires 179. De même, les récits hagiographiques trahissent les
préoccupations de leurs auteurs : c’est par exemple dans la Vie de saint
Grégoire, abbé d’Utrecht, rédigée par le premier évêque de Münster, saint
Liudger († 809), lui-même particulièrement impliqué dans l’action missionnaire, que saint Boniface apparaît plus sous le jour d’un évangélisateur
que sous celui d’un organisateur et d’un réformateur 180.
Typologie des sources
Réfléchir sur la (ou les) société(s) nécessite une réflexion sur les sources 181
et une familiarisation avec elles – ou pour le moins une connaissance des
principaux types documentaires. Pour ce faire, on dispose d’instruments
de travail qu’il serait déplacé de prétendre résumer ici182. En revanche, il n’est
pas inutile de présenter dans les grandes lignes le corpus documentaire
dont disposent les historiens du haut Moyen Âge 183.
l’institution ecclésiale, Lyon 1994, p. 89-110 ; sur la corruption, cf. Harald SIEMS, « Bestechliche
und ungerechte Richter in frühmittelalterlichen Rechtsquellen », dans Giustizia 1995, tome I ,
p. 509-563.
178. GILDAS, The Ruin of Britain and other works, éd. et trad. Michael WINTERBOTTOM, Londres
1 978.
179. Hans Hubert ANTON, Fürstenspiegel und Herrscherethos in der Karolingerzeit, Bonn 1 968 ;
id., « Pseudo-Cyprian. De duodecim abusivis saeculi und sein Einfluß auf den Kontinent,
insbesondere auf die karolingischen Fürstenspiegel », dans LÖWE 1982, tome II , p. 568-617 ;
Michel ROUCHE, « Miroirs des princes ou miroir du clergé ? », dans Committenti 1992, tome I,
p. 341-364.
180. WOOD 2001, p. 100 sqq.
181. Ludolf KUCHENBUCH, « Sind mediävistische Quellen mittelalterliche Texte ? Zur Verzeitlichung
fachlicher Selbstverständlichkeiten », dans Hans-Werner GOETZ (éd.), Die Aktualität des Mittelalters, Bochum, 2000, p. 317-354.
182. Il s’agit de la Typologie des sources du Moyen Âge occidental, en cours de publication chez Brepols
depuis 1972. Elle est constituée de fascicules consacrés chacun à un type documentaire particulier. Pour une approche plus synthétique, cf. Raoul C. VAN CAENEGEM, Introduction aux
sources de l’histoire médiévale, Turnhout 1 997.
183. Il ne sera ici question que de sources écrites. Pour d’autres types de sources, cf. par exemple, dans
la collection L’atelier du médiéviste : Robert FAVREAU, Epigraphie médiévale, Turnhout 1 997 ;
Marc BOMPAIRE & Françoise DUMAS, Numismatique médiévale, Turnhout 2 000.
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L’ensemble le plus important concernant le très haut Moyen Âge est
assurément constitué par les sources hagiographiques 184 (vies de saints
pouvant être complétées par un recueil de miracles, récits de translations).
Elles sont prisées par l’historien – qui n’a parfois pas grand chose à se mettre
sous la dent – car on peut les soumettre aux analyses les plus diverses (et
parfois contradictoires), y glaner des anecdotes 185, les solliciter pour faire
tant de l’histoire économique et sociale que de l’histoire politique, de
l’histoire des mentalités ou, bien évidemment, de l’histoire religieuse (qu’il
s’agisse de la conception de la sainteté, de l’évolution des pratiques ou de
la spiritualité). Néanmoins, ces sources sont d’un maniement difficile,
notamment en raison du poids des traditions littéraires, qui s’exprime par
la récurrence de lieux communs, les topoi – un exemple particulièrement
significatif est offert par la Vie de sainte Ségolène, abbesse du Troclar (ce
monastère se trouve sur la rive gauche du Tarn, à une dizaine de km en
aval d’Albi), rédigée dans la seconde moitié du VIIe siècle 186. Qui plus est,
la plupart des Vies de saints « mérovingiens » ont été réécrites aux temps
carolingiens ; il est donc parfois délicat de les solliciter pour écrire l’histoire
de l’époque qu’elles prétendent pourtant décrire.
L’autre ensemble documentaire important sur lequel on s’appuie pour
étudier la société du très haut Moyen Âge est constitué par les « lois barbares » dont la production, sur le continent, s’échelonne sur trois cents ans
à partir de la fin du Ve siècle 187. Les capitulaires prennent ensuite le relais :
on connaît quelques édits des temps mérovingiens, mais l’essentiel des
documents dont on conserve le texte date d’entre le milieu du VIIIe siècle
et la fin du siècle suivant, avec d’importantes variations qualitatives et
quantitatives selon les époques et les régions considérées 188. Conformément
à la tradition mérovingienne (dont le dernier monument est l’édit promulgué par Clotaire II le 18 octobre 614, parfois désigné sous le nom d’Edit de
Paris), les capitulaires de Carloman et de Pépin le Bref sont essentiellement
des confirmations de décisions conciliaires. Ce lien est moins net sous le
règne de Charlemagne (inversement, ce sont les Pères du concile de Francfort
qui, en 794, reprirent à leur compte les décisions du roi exposées dans
l’Admonitio generalis de 789). La majeure partie des capitulaires carolingiens
184. Pour une introduction générale, cf. Sofia BOESCH GAJANO, « L’agiografia », dans Morfologie 1998,
tome II , p. 797-843. A propos de la mise en œuvre de ces sources concernant la fin du VIIe siècle,
cf. Paul FOURACRE, « Merovingian history and Merovingian hagiography », PP 127 (1 990),
p. 3-38. Sur les récits de translations, cf. Martin HEINZELMANN, Translationsberichte und andere
Quellen des Reliquienkultes, Turnhout, 1979.
185. Nombreux exemples dans : Olivier BRUAND, « Accusations d’impiété et miracles de punition dans
l’hagiographie carolingienne », dans MARY & SOT 2 002, p. 155-173.
186. Isabelle RÉAL, « Vie et Vita de sainte Ségolène, abbesse du Troclar au VIIe siècle », MA 101 (1995),
p. 385-406.
187. Présentation sommaire supra, p. 26 sq.
188. MORDEK, « Karolingische Kapitularien », dans MORDEK 1986, p. 25-50; François-Louis GANSHOF,
Recherches sur les capitulaires, Paris, 1958, est dépassé sur certains points, mais toujours utile.
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furent promulgués (ou simplement consignés par écrit de manière informelle ou synthétique selon les cas) entre la fin du VIIIe siècle et le milieu
du IXe siècle. Cette tradition se poursuit en Francie occidentale jusqu’en
884 et encore un peu plus tard en Italie ; en revanche, les rois de Germanie
n’y eurent pas recours.
La législation conciliaire complète le corpus juridique, sous la forme
d’actes de conciles 189 ou de collections canoniques 190. On sait l’importance
des conciles de Tolède pour l’histoire politique de l’Espagne wisigothique ;
le roi en fixait l’ordre du jour (par le tomus). On pourrait être tenté d’établir
une relation entre l’importance de la législation royale et celle de la législation
conciliaire, l’une semblant parfois prendre le relais de l’autre et inversement
– il s’agit d’une remarque de portée très générale, car il est toujours possible
de trouver des contre-exemples, à commencer par les assemblées d’évêques
convoquées en plusieurs endroits du royaume par Charlemagne en 813
ou par Louis le Pieux en 829 (observons toutefois que ces conciles furent,
précisément, convoqués à un moment de crise ou, pour le moins, de doute
sur la qualité du gouvernement). Il n’est bien entendu pas question de
prétendre qu’une législation exclut l’autre, car elles sont complémentaires
et n’ont généralement pas vocation à s’appliquer à la même échelle géographique. Il n’empêche que l’absence de capitulaire promulgué en Francie
orientale dans la seconde moitié du IXe siècle ou le hiatus que l’on observe
dans la législation des rois anglo-saxons 191, entre Ine (688-694) et Alfred le
Grand (871-899) suggère des évolutions dans le mode de gouvernement
– à cet égard, la disparition du Code du roi Offa de Mercie (757-796),
auquel se réfère Alfred le Grand, ne contredit en rien l’hypothèse ici formulée,
puisqu’il s’agit en réalité des actes (publiés par le roi) du synode de 786
tenue en présence de légats du pape. Quant à l’interruption de toute législation, conciliaire et royale, dans le royaume des Francs entre le milieu du
VIIe siècle et 743 (on ne dispose pas de texte législatif ultérieur au règne de
Clotaire II et nous n’avons plus de trace de synode après les environs de 680),
elle confirme l’impression de déclin ou d’éclatement du pouvoir au cours du
dernier siècle mérovingien. Aux temps carolingiens, les actes conciliaires
sont complétés par les capitulaires épiscopaux, qui témoignent d’un réel
souci pastoral et d’un renforcement du contrôle du clergé diocésain 192.
189. Les actes des synodes mérovingiens ont fait l’objet d’une traduction en français : Les canons des conciles
mérovingiens (V I e-V I I e siècles), trad. Jean GAUDEMET & Brigitte BASDEVANT, 2 vol., Paris 1 989.
PONTAL 1 989 s’avère un complément utile. Cf. également HARTMANN 1 989 ; VOLLRATH 1 985.
190. Paul FOURNIER & Gabriel LE BRAS, Histoire des collections canoniques en Occident depuis les Fausses
décrétales jusqu’au Décret de Gratien, tome I , Paris 1 931 ; Hubert MORDEK, Kirchenrecht und
Reform im Frankenreich. Die Collectio Vetus Gallica, die älteste systematische Kanonessammlung des
fränkischen Gallien. Studien und Edition, Berlin 1 975.
191. L’ensemble du corpus est présenté et traduit en anglais dans WHITELOCK 1968, p. 327 sqq.
192. Peter BROMMER, Capitula episcoporum. Die bischöflichen Kapitularien des 9. und 10. Jahrhunderts,
Turnhout 1 985.
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Les lois barbares font généralement une distinction entre les différentes
catégories de personnes, établissent une hiérarchie parfois subtile (les lois
irlandaises constituent un modèle du genre 193). Étant donné que la hauteur
de la peine ou du Wergeld est modulée en fonction du degré de liberté du
coupable ou de la victime, selon les cas, on se sert de ces textes pour tenter
de reconstituer les structures sociales; mais le principal problème auquel on
se heurte est celui du conservatisme et du formalisme. Le sens des mots
évolue (on observe de fait des inflexions du champ sémantique dans les
textes juridiques), mais leur analyse s’avère délicate 194. L’adéquation entre la
dénomination des statuts de personnes dans les lois et la réalité de la
hiérarchie sociale est quelque chose de parfois bien difficile à prouver
– comme le note C. Wickham à propos des lois du VIIe siècle, nous en
sommes essentiellement réduits à étudier la théorie sociale plutôt que la
pratique 195. D’autre part, on recopie parfois les textes de façon mécanique,
sans vraiment se soucier des possibilités d’application. L’exemple suivant
en apporte l’illustration : il s’agit du chapitre de la Loi Salique relatif aux
injures, tel qu’on le trouve dans la version en 100 titres, qui date du temps
de Pépin le Bref 196.
« Si quelqu’un accuse une personne d’être une pédale – en langage malbergique : “con de chienne” – qu’il soit condamné à payer < 600 deniers
qui font > 15 sous.
Si quelqu’un accuse une personne d’être un faussaire et ne peut pas le
prouver – en langage malbergique : “calomnie” – qu’il soit condamné à
payer < 600 deniers qui font > 15 sous.
Si quelqu’un accuse une personne d’être une merde < et ne peut pas le
prouver > (sic !) qu’il soit condamné à payer < 120 deniers qui font > 3 sous.
Si une femme libre ou un homme accuse une femme d’être une prostituée
et ne peut pas le prouver – en langage malbergique : “médisance mensongère”
– qu’il [ou elle] soit condamné[e] à payer < 1 800 deniers qui font > 45 sous.
[…] »
Mais peut-on vraiment tout prouver ?
Par ailleurs, le vrai problème que posent les sources juridiques est que la
pratique s’avère souvent loin de refléter la norme. C’est ce que montrent, par
exemple, les sources relatives à l’encadrement paroissial des populations
dépendant d’établissements monastiques. Alors que les textes réglementaires
interdisent aux moines d’assurer eux-mêmes la cure des âmes, plusieurs
documents de la pratique ou des textes narratifs suggèrent que l’exercice,
par un moine, des responsabilités pastorales dans les paroisses n’était pas
193. KELLY 1 988.
194. OLBERG 1991, p. 191-193.
195. WICKHAM 1992, p. 226 sq.
196. Lex Salica. 100 Titel-Text, éd. Karl August ECKHARDT, Weimar 1953, p. 164 (titre 49). Les <passages
signalés de la sorte > ne figurent pas dans tous les manuscrits.
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chose exceptionnelle 197. De même, il faut se garder de soumettre les sources
archéologiques à une lecture d’ordre juridique ou institutionnel : les données
du sol (sépultures, structures d’habitat et mobilier) nous renseignent sur les
rapports sociaux et les relations des groupes entre eux, mais le reflet de la
hiérarchie sociale qu’elles offrent ne permet en rien quelque conclusion quant
à la noblesse ou au degré de liberté des personnes dont on garde ainsi trace 198.
La seconde partie du haut Moyen Âge est marquée par une multiplication et une diversification de la documentation, qu’il s’agisse des sources
narratives 199 ou des actes de la pratique et des documents de gestion (pour
lesquels la seule exception mérovingienne notoire est constituée par les
documents comptables de Saint-Martin de Tours, qui datent de la fin du
VIIe siècle 200). Il n’a évidemment pas fallu attendre les Carolingiens pour que
les établissements ecclésiastiques procèdent à l’inventaire et à la description
de leurs biens, loin s’en faut 201 ! Toutefois, on observe une multiplication
d’entreprises de ce genre à partir de la seconde moitié du VIIIe siècle, ce qui
témoigne (indépendamment de toute analyse économique ou fiscaliste)
pour le moins d’un souci de bonne gestion à l’instar du roi pour ses
domaines (capitulaire de villis de Charlemagne et modèles de « brefs »,
c’est-à-dire de descriptions, concernant par exemple le domaine
d’Annappes). Tout au long du IXe siècle, des polyptyques, c’est-à-dire des
inventaires précisant les redevances de chacun, furent réalisés à SaintGermain-des-Prés sous l’abbatiat d’Irminon, à Saint-Bertin, Saint-Remi
de Reims, Lorsch, Prüm ou d’autres endroits encore (parfois, on n’en
conserve que des épaves, comme à Saint-Maur-des-Fossés). À quelques
exceptions près (polyptyques de Saint-Victor de Marseille et de Fulda,
descriptions de biens à Salzbourg, Tours ou Bobbio), les polyptyques
concernent essentiellement les pays d’entre Seine et Rhin, la zone des
grands domaines classiques sur lesquels ils constituent la source d’information privilégiée 202. Ailleurs, on doit s’appuyer sur d’autres types de
sources pour tenter d’appréhender le lien existant entre les tenures et la
réserve, telles les listes d’esclaves dont on dispose dans les Abruzzes.
Quant aux sources narratives du haut Moyen Âge, elles comptent en
particulier les grandes Histoires écrites alors par Isidore de Séville, Bède le
Vénérable ou Paul Diacre ; elles participent du principe d’ethnogénèse,
197. AMOS 1 987.
198. STEUER 1982, p. 517 sqq. (conclusion de l’ouvrage).
199. Matthew INNES & Rosamond MCKITTERICK, « The writing of history », dans MCKITTERICK 1994,
p. 193-220.
200. En dernier lieu, cf. Shoichi SATO, « The Merovingian accounting documents of Tours : form and
function », EME 9 (2 000), p. 143-161.
201. Cf. par exemple Jean-Pierre DEVROEY, « Les premiers polyptyques rémois, VIIe-IXe siècles », dans
VERHULST 1 985 ; rééd. dans DEVROEY 1 993 (n° I I ).
202. Robert FOSSIER, Polyptyques et censiers, Turnhout 1 978 ; Yosiki MORIMOTO, « Etat et perspectives
des recherches sur les polyptyques carolingiens », AE 40 (1 988), p. 99-149.
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bien étudié dans les dernières années (il sera évoqué plus loin 203). Le genre
historiographique qui s’impose au VIIIe siècle est celui des Annales, qui
tirent leur origine de mentions marginales portées sur les tables pascales
dans les établissements ecclésiastiques et qui se transforment, dans la
seconde moitié du VIIIe siècle, en un récit parfois assez circonstancié des
événements survenus année après année. Le modèle du genre est constitué
par les Annales royales, continuées au IXe siècle à la fois en Francie occidentale (Annales de Saint-Bertin, Annales de Saint-Vaast) et en Francie orientale
(Annales de Fulda, Annales de Xanten). Ces documents sont rédigés en latin,
contrairement à la Chronique anglo-saxonne rédigée en langue vernaculaire
(à partir du règne d’Alfred le Grand). Ces annales ne se distinguent bien
souvent des chroniques, telle celle de Réginon de Prüm, qu’en raison de la
distance moins grande qui sépare l’auteur des faits relatés (le recul permettant au chroniqueur d’organiser parfois son récit de manière thématique).
Le souci d’entretenir la mémoire des évêques et des abbés a également
conduit au développement d’un genre particulier, les Gestes 204, dont le
premier exemple appliqué à des évêques est l’ouvrage sur ceux de Metz
composé par Paul Diacre à la demande de Charlemagne, sur le modèle du
Liber pontificalis, la collection de notices biographiques consacrées au
mécénat de chaque pape. En revanche, les biographies au sens strict sont
assez rares ; citons le cas d’Eginhard pour Charlemagne, de l’Astronome
pour Louis le Pieux ou d’Asser pour Alfred le Grand.
La documentation diplomatique augmente de façon exponentielle au
cours de l’époque carolingienne 205. Cette évolution concerne à la fois les
actes royaux (les diplômes) et les actes privés (les chartes). Ainsi, on ne
conserve le texte que de 196 diplômes mérovingiens 206, dont seulement
38 nous sont connus sous la forme d’originaux ; il faut y ajouter presque
250 mentions d’actes perdus, ce qui porte à environ 450 le nombre des
documents diplomatiques royaux connus pour l’ensemble de la période
mérovingienne. C’est un peu moins que le nombre de diplômes dont on
conserve le texte pour le seul règne de Louis le Pieux. La production de la
chancellerie de ce souverain constitue l’apogée de la production diplomatique carolingienne, dont le rythme s’essouffle quelque peu ensuite (mais
de manière bien moins rapide dans le royaume de Charles le Chauve que
dans ceux de ses frères). Quant aux actes privés, ils sont également beaucoup
plus nombreux, qu’ils soient conservés en originaux dans certains chartriers
(comme à Saint-Gall) ou qu’ils soient copiés dans des cartulaires et autres
libri traditionum (livres recensant les donations, d’un genre un peu diffé203. Cf. p. 214 sq.
204. Cf. Michel SOT, Gesta episcoporum, Gesta abbatum, Turnhout, 1981.
205. Olivier GUYOTJEANNIN, Jacques PYCKE & Benoît-Michel TOCK, Diplomatique médiévale,
Turnhout, 1993, constitue une excellente introduction.
206. Theo KÖLZER (éd.), Die Urkunden der Merowinger, 2 tomes, Hanovre, 2 001.
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rent), un mode de conservation des documents qui apparaît précisément
à l’époque carolingienne. Les fonds italiens sont sans commune mesure
avec ceux au nord des Alpes ; on ne saurait par exemple comparer la documentation lucquoise du VIIIe siècle à celle d’aucune cité du royaume des
Francs. Mais la situation en Angleterre est encore moins favorable : on
conserve le texte d’environ 2 000 actes pour la période allant de la seconde
moitié du VIIe siècle à la conquête normande – c’est à peine deux fois plus
que le nombre des actes de Freising datant de l’époque carolingienne.
Il est indispensable de garder à l’esprit que l’historien dispose toujours de
fonds lacunaires et que l’histoire d’une région est en fait une histoire vue
par la lorgnette de quelque établissement monastique dont on a la bonne
fortune de conserver les archives, qu’il s’appelle Nouaillé, Wissembourg,
Freising, Lorsch, Fulda, ou Farfa. On connaît parfois moins bien certaines
régions au cœur du royaume que d’autres, qui se situent à la périphérie :
la Septimanie de La Grasse, Aniane et Gellone, la Bretagne de Redon ou
les Abruzzes de Casauria. Cette mise au point d’ordre heuristique nous
incite à nous tourner vers les questions de méthodologie.
Méthodes d’analyse
Le degré de fiabilité des sources est un problème essentiel qui ne se pose
pas qu’en diplomatique, parangon du discrimen veri ac falsi (la distinction
entre ce qui est vrai et ce qui est faux). Cette question se pose de manière particulièrement aiguë pour les sources tardives, ayant fait l’objet d’une réécriture à l’époque carolingienne, ce qui est le cas de la plus grande partie des textes
hagiographiques. Prenons l’exemple du paganisme, dont nous avons déjà évoqué le caractère parfois ambigu de sa traque dans les sources. Les récits hagiographiques y font généralement allusion, parce qu’on attend d’un saint qu’il
détruise les idoles, surtout s’il s’adresse à des populations dont la soumission
n’est pas acquise. Mais la réécriture des sources conduit à une amplification
des mérites du saint – probablement moins par la volonté de dénigrer les
temps mérovingiens que par souci d’exalter l’œuvre évangélisatrice accomplie.
C’est ainsi que l’auteur de la plus ancienne Vie de saint Lambert signale de
manière laconique que le saint « détruisit un grand nombre de temples et
d’idoles » en Toxandrie, alors que l’évêque Étienne de Liège, qui compose une
nouvelle Vie au début du Xe siècle, amplifie l’événement. De même, les plus
anciens fragments de la Vie de saint Gall ne comportent pas d’allusion à la destruction de sanctuaires païens, à la différence des récits composés dans la première moitié du IXe siècle par le moine Wetti et par Walahfrid Strabon 207.
207. Yitzhak HEN, « Paganism and Superstitions in the time of Gregory of Tours : une question mal
posée ! », dans MITCHELL & WOOD 2002, p. 228-240 ; sur l’hagiographie de saint Lambert, cf.
Jean-Louis KUPPER, Saint Lambert : de l’histoire à la légende, RHE 79 (1 984), p. 5-49.
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Il est pourtant possible de tirer profit des sources hagiographiques, à
condition de déjouer les pièges tendus par les lieux communs. Or le topos
peut lui même s’avérer source d’histoire, notamment lorsqu’on étudie la
manière dont l’hagiographe y a recours. Quelques exemples illustreront le
propos 208. Saint Amand et saint Éloi sont censés avoir racheté des captifs ;
il s’agit d’un geste somme toute assez banal pour mettre en scène leur
miséricorde. En revanche, on a tout lieu de croire l’hagiographe lorsqu’il
s’écarte de la trame classique pour dire qu’Amand veillait à la formation
spirituelle et littéraire de ses protégés, dont plusieurs entrèrent dans les
ordres. Alors que Sulpice Sévère rapporte que plusieurs des disciples de
saint Martin à Marmoutier devinrent évêques, l’auteur de la Vie de saint
Amand évoque quant à lui des évêques, des prêtres et des abbés. De même,
le fait qu’Éloi soit censé avoir acheté les esclaves (de diverses origines, mais
surtout des Saxons) par lots de plusieurs dizaines à leur sortie du bateau
revêt probablement une part de vérité. Le travail de réécriture peut également s’avérer significatif de certaines évolutions, par exemple en ce qui
concerne le lien entre noblesse et sainteté. Ainsi, l’auteur de la première
Vie de sainte Bathilde ne cache pas l’origine servile de la reine ; en
revanche, l’auteur de la version remaniée (qui écrit au début du IXe siècle),
affirme qu’elle était « d’un sang illustre, bien qu’elle fût soumise au service
d’une autre nation (gens) » (Bathilde était en effet une esclave anglo-saxonne
achetée par le maire du palais Erchinoald). Un dernier exemple montrera
comment l’hagiographie pouvait être mise au service de la critique sociale ;
il s’agit de la Vie de saint Goar, un prêtre ayant vécu en Rhénanie au
VIe siècle. Ce récit, où abondent les thèmes de la culture folklorique, est dû
à un moine de Prüm qui écrivait au VIIIe siècle – la « celle » de Saint-Goar,
sur le Rhin (immédiatement en aval de la célèbre Lorelei), fut donnée à
l’abbaye de Prüm par Pépin le Bref en 765. Goar était un prêtre qui prenait
des libertés avec la discipline ecclésiastique, rompant le jeûne pour partager
le repas des pauperes et des peregrini qu’il accueillait. Soupçonné par ailleurs
de s’adonner à la magie, il fut cité à comparaître devant son évêque,
Rustique de Trèves. L’ermite dut son salut au fait qu’on apporta alors à
l’évêque un de ces jeunes enfants abandonnés aux portes de la cathédrale,
dont le prélat somma Goar d’identifier les parents. Le nourrisson prit luimême la parole… et dénonça l’évêque et sa maîtresse. Il est probable que
l’hagiographe ait eu l’intention, grâce à cette histoire, de dénoncer le
mode de vie séculier de certains évêques, dont l’un des titulaires du siège
de Trèves fut notamment le symbole critiqué par Boniface lorsqu’il s’en
prenait à « Milon († 761-762) et ses semblables ».
208. Sur ce qui suit, cf. Marc VAN UYTFANGHE, « Le remploi dans l’hagiographie : une “loi du genre”
qui étouffe l’originalité ? », dans Ideologie 1999, tome I, p. 359-411.
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La recherche du dessein que poursuivait Grégoire de Tours en écrivant
ses Dix livres d’histoires conduit à une interprétation totalement nouvelle
de son témoignage, considéré non plus comme une Histoire des Francs
dont il serait le chroniqueur, mais comme la réflexion sur la société de son
temps que nous livre un évêque, certes issu de l’aristocratie gallo-romaine,
mais pleinement inséré dans le monde franc – un évêque surtout conscient
d’appartenir à une famille ayant donné le jour à plusieurs saints. C’est à ce
titre qu’il établit une typologie des comportements sociaux et politiques,
dans le cadre d’une ecclésiologie cohérente 209 ; c’est dans cette perspective
qu’il faut le lire. En revanche, il convient de se monter prudent, voire de se
défier de ses dires, lorsqu’on entend écrire l’histoire des temps mérovingiens,
surtout concernant des faits dont Grégoire ne fut pas le témoin direct 210.
On ne saurait donc trop insister sur le contexte dans lequel un récit est
composé : il influe en effet beaucoup sur sa teneur. C’est ce qu’on observe
notamment à propos de la manière dont sainte Radegonde fut présentée
dans les récits que firent de sa vie deux témoins oculaires : Venance Fortunat,
qui écrivit peu après la mort de la reine-moniale en 587, et Baudonivia,
religieuse du monastère de Sainte-Croix de Poitiers, qui rédigea son récit
un peu plus tard (vers 600-620). On constate que l’évêque de Poitiers
insiste sur la qualité de l’ascèse à laquelle Radegonde s’était pliée en dépit
de son rang royal, passant ainsi sous silence les problèmes d’autorité
qu’avait alors rencontrés Marovée, son prédécesseur sur le siège épiscopal
poitevin. Mais Radegonde était la fondatrice de Sainte-Croix : elle était la
mater et la domina du monastère, bien qu’elle n’en fût pas l’abbesse.
Venance Fortunat lui reconnaît cette place toute particulière dans ses
écrits – à l’exception, précisément, de la Vita Radegundis. Au contraire,
cette place est mise en exergue par Baudonivia, qui insiste sur le rang royal
de Radegonde et le soutien que son monastère pouvait en tirer. Par conséquent, deux biographies quasi-contemporaines peuvent brosser un portrait
sensiblement différent d’un même personnage, en fonction du statut des
auteurs et de leurs desseins 211.
La plupart des sources peuvent être sollicitées dans le cadre d’une
enquête d’histoire sociale 212, de la littérature onirique 213 et des historiettes
209. HEINZELMANN 1 994 ; id., « Die Franken und die fränkische Geschichte in der Perspektive
der Historiographie Gregors von Tours », dans SCHARER & SCHEIBELREITER 1994, p. 326-344.
Pour un exemple d’analyse du portrait de Chilpéric Ier, cf. Guy HALSALL, « Nero and Herod ?
The death of Chilperic and Gregory’s writing of history », dans MITCHELL & WOOD 2 002,
p. 337-350.
210. Johannes FRIED, « Le passé à la merci de l’oralité et du souvenir. Le baptême de Clovis et la vie
de Benoît de Nursie », dans SCHMITT & OEXLE 2 002, p. 71-104.
211. Sabine GÄBE, « Radegundis : Sancta, regina, ancilla. Zum Heiligkeitsideal der Radegundisviten
von Fortunat und Baudonivia », Francia 16/1 (1989), p. 1-30.
212. Sur les tendances historiographiques récentes, cf. BORGOLTE 1 996 ; GOETZ 1999.
213. Michel AUBRUN, « Caractères et portée religieuse et sociale des “Visiones” en Occident du VIe au
XIe siècle », CCM 23 (1 980), p. 109-130 ; CAROZZI 1 994 ; DUTTON 1994.
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APPRÉHENDER LES SOCIÉTÉS DU HAUT MOYEN ÂGE
d’un moine soucieux de distraire son roi 214 aux actes conciliaires 215 et aux
pénitentiels 216, à condition de les analyser de manière adéquate : de la
sorte, même les documents diplomatiques échappent à leur destin de
témoignages juridiques lorsqu’on étudie leurs préambules ou leurs clauses
comminatoires 217. En revanche, les parties descriptives des actes (les
formules de pertinence) qu’on pourrait être tenté de considérer comme
un reflet fidèle de la réalité sur le terrain, relèvent d’un style fort stéréotypé dont il est aventureux d’interpréter le texte à la lettre 218. Une étude
onomastique peut également s’avérer riche d’enseignements : c’est par
exemple grâce à l’examen de la manière dont certains noms de personnes
étaient transcrits dans les actes de l’abbaye westphalienne de Werden, fondée
par Liudger de Münster vers 799, qu’on a pu prouver l’existence de liens
(manifestés par la venue de moines, dont les scribes ayant écrit les actes en
question) entre cet établissement et la partie romane du royaume des
Francs, probablement Châlons-sur-Marne (Châlons-en-Champagne), dont
le frère de Liudger, Hildigrim, fut évêque au début du IXe siècle 219.
Au moment d’entrer dans le vif du sujet, il convient de rappeler que les
variations des sources en quantité et en qualité au cours du haut Moyen Âge
ne permettent pas d’étudier toutes les questions avec les mêmes garanties de
représentativité des informations. Ainsi en va-t-il de la famille, cet élément
fondamental de la vie sociale, dont on ne peut appréhender l’histoire dans des
conditions de variété documentaire satisfaisante qu’à partir des temps carolingiens, alors que pour les Ve-VIIIe siècles, on en est souvent réduit à formuler
des suppositions à partir de ce qu’on sait des périodes voisines 220 – dans le cas
présent, l’hagiographie, souvent appelée à la rescousse, s’avère d’un apport
réduit (notamment pour ce qui concerne la famille large, la parentèle 221).
214. Heinz LÖWE, « Das Karlsbuch Notkers von St. Gallen und sein zeitgeschichtlicher Hintergrund »,
Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 20 (1970), p. 269-302 ; GOETZ 1981.
215. FELTEN 1 993.
216. Cyrille VOGEL, Les « Libri paenitentiales », Turnhout 1 978. Pour un exemple de mise en œuvre
de ces sources, cf. LUTTERBACH 1 999.
217. Joachim STUDTMANN, « Die Pönformel der mittelalterlichen Urkunden », AfU 12 (1 932), p. 251374 ; Heinrich FICHTENAU, Arenga. Spätantike und Mittelalter im Spiegel von Urkundenformeln,
Graz 1 957.
218. Berent SCHWINEKÖPER, « Cum aquis aquarumve decursibus : Zu den Pertinenzformeln der Herrscherurkunden bis zur Zeit Ottos I. », dans Kurt-Ulrich JÄSCHKE & Reinhard WENSKUS (éd.),
Festschrift für Helmut Beumann zum 65. Geburtstag, Sigmaringen 1977, p. 22-56 ; Dietrich
LOHRMANN, « Formen der Enumeratio bonorum in Bischofs-, Papst- und Herrscherurkunden
(9.-12. Jahrhundert) », AfD 26 (1 980), p. 281-311 ; Philippe DEPREUX, « The development of
charters confirming exchange by the royal administration (eighth – tenth centuries) », dans Karl
HEIDECKER (éd.), Charters and the Use of the Written Word in Medieval Society, Turnhout, 2 000,
p. 43-62.
219. Heinrich TIEFENBACH, « Zu den Personennamen der frühen Werdener Urkunden », dans
GEUENICH et alii 2002, p. 280-304.
220. GUICHARD & CUVILLIER 1986, p. 277 ; TOUBERT 1986, p. 333.
221. Laurent THEIS, « Saints sans famille ? Quelques remarques sur la famille dans le monde franc à
travers les sources hagiographiques », RH 255 (1 976), p. 3-20 ; cf. toutefois RÉAL 2 001.
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Chapitre II
Les conditions de vie
En dépit des progrès de la recherche historique, de la multiplication
des fouilles et de l’amélioration des techniques relevant de l’archéologie –
par exemple, la palynologie et la carpologie (l’étude des pollens et des
graines), qui permettent de reconstituer les phases d’extension de telle ou
telle culture – et d’examens serrés des sources écrites, il est bien aléatoire
de proposer un tableau d’ensemble lorsqu’il s’agit d’évoquer les conditions
de vie.
On s’accorde toutefois à penser que la fin de la période antique fut
marquée par une dégradation du climat dans l’Europe du Nord-Ouest,
qui connut une période plus froide et humide, la tendance s’inversant à
partir du VIIe siècle. Les annales carolingiennes se font toutefois l’écho de
mauvaises années, dues par exemple à la permanence des pluies. Ainsi,
l’auteur des Annales royales note, à propos de l’année 820, que l’humidité
persista si longtemps que des épidémies frappèrent les hommes et les
bêtes, que la pluie réduit à néant les récoltes de légumes et de céréales, et
que le vin était de mauvaise qualité car le raisin n’avait pas pu mûrir. En
certaines régions, des inondations rendirent les semis impossibles1.
L’homme et le milieu
On ne saurait trop souligner la dépendance de l’homme par rapport à
la nature, à une époque où les conditions de vie de tout un chacun étaient
rudes – sans que cette observation doive conduire à un misérabilisme de
mauvais aloi. Les hommes étaient, par exemple, particulièrement dépendants des saisons, et les hivers étaient redoutés 2.
1. Traduction en allemand dans GOETZ 1986, p. 26.
2. RICHÉ 1973, p. 40.
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Un univers hostile ?
Il est bien difficile de savoir comment, réellement, les hommes de cette
époque concevaient leur rapport à la nature, et s’ils la ressentaient comme
quelque chose de menaçant ou pas. Ici encore, on peut trouver tout et son
contraire, en fonction du contexte dans lequel les documents furent rédigés.
Les témoignages relatifs aux phénomènes célestes (éclipses et passages
de comètes) en offrent une bonne illustration. Dans une de ses homélies,
Raban Maur décrit l’émotion que pouvait susciter une éclipse de lune 3 :
« On entendait le mugissement des cornes comme si on partait pour la
guerre, le grognement des porcs ; on voyait des gens jeter des flèches et des
traits contre la lune, d’autres qui envoyaient des feux vers le ciel. Ils affirmaient que je ne sais quel monstre menaçait de dévorer la lune. D’autres
brisaient des vases qu’ils avaient chez eux pour aider la lune à se libérer. »
Un siècle plus tôt, en 744, les évêques avaient condamné les pratiques
ayant lieu « au sujet de l’éclipse de lune qu’on appelle vinceluna 4 » (ce cri
signifie : « vainc, ô lune ! »). Les éclipses ne suscitaient toutefois pas toujours la panique – sinon, nous n’en aurions pas des descriptions précises
dans les récits annalistiques. Le biographe anonyme de Louis le Pieux,
qu’on appelle l’Astronome en raison de l’attention toute particulière qu’il
prête aux mouvements des astres dans son œuvre, décrit avec minutie – et
un sentiment indéniable d’émerveillement – l’éclipse de soleil qui eut lieu
le 5 mai 840. En revanche, c’est la panique qu’il met en scène à propos du
passage de la comète de Halley durant le temps pascal de l’année 837 : ce
fut l’occasion de prières et de distributions d’aumônes dans un contexte
de crise politique, l’empereur « craignant moins pour sa personne que
pour l’Eglise à lui confiée ». De fait, ces phénomènes célestes pouvaient
être interprétés comme de mauvais présages. L’éclipse de mai 840 était par
exemple le signe avant-coureur de la mort de l’empereur. La manière dont
le narrateur évoque les phénomènes célestes ou les place dans son récit
contribue à l’argumentation générale. Ainsi, une comète « impitoyable »
(saevus) apparue le 1er janvier 839 est censée avoir annoncé comme une
« menace » la mort de Pépin I er d’Aquitaine, pourtant survenue le
13 décembre 838 ; une éclipse de soleil qui eut lieu en juillet 818 est
mentionnée juste après l’évocation de la mort de la reine Ermengarde,
l’épouse de Louis le Pieux, le 3 octobre de la même année, à Angers 5.
3. Citation d’après RICHÉ 1976, p. 82.
4. DIERKENS 1984, p. 21.
5. THEGAN, Die Taten Kaiser Ludwigs – ASTRONOMUS, Das Leben Kaiser Ludwigs, éd. et trad. Ernst
TREMP, Hanovre, 1 995 (818 : c. 31, p. 388 ; 837 : c. 58, p. 518 sqq. ; 838 : c. 59, p. 528 ; 840 :
c. 62, p. 544). Sur l’observation du mouvement des astres, cf. Alfred P. SMYTH, « The Solar Eclipse
of Wednesday 29 October AD 878 : Ninth-Century Historical Records and the Findings of
Modern Astronomy », dans ROBERTS et alii 1997, p. 187-210.
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LES CONDITIONS DE VIE
Le caractère redoutable de la nature est particulièrement souligné dans
certains récits hagiographiques. Les auteurs insistent de façon presque systématique sur l’austérité du lieu dans lequel leur héros s’est installé, s’il a
connu dans sa vie une période d’érémitisme. Il s’agit d’endroit désolés,
loin des hommes, dans un milieu hostile. Certes, la description des Fens
que fait le moine Félix lorsqu’il évoque l’installation de saint Guthlac
(† 715) dans ce marais d’East Anglie est fidèle à la réalité 6 (les hagiographes
peuvent être de bons observateurs de la nature 7). L’endroit consiste « tant
en eaux stagnantes et fangeuses, sombres étendues liquides envahies par
le brouillard, qu’en îlots couverts de bois et traversés par le cours sinueux
des rivières ». De fait, l’idée de vivre seul dans un tel lieu peut effrayer
quiconque n’a pas l’âme en paix. D’ailleurs, Félix affirme que personne
n’avait réussi à vivre en cet endroit avant Guthlac, « en raison des visions de
démons (propter fantasias demonum) qui habitaient là 8 ». Ce lieu est donc
hanté : preuve qu’il n’est pas destiné aux hommes. Bède avait eu la même
formulation en évoquant l’installation de saint Cuthbert à Lindisfarne.
Ces allusions aux démons sont en fait des procédés littéraires visant à
mettre en exergue la valeur du héros et sa sainteté : Isaïe lui-même n’avait-il
pas annoncé que « les repaires où vivaient les dragones deviendraient des
fourrés de roseaux et de papyrus » ? Et il poursuivait : « Il y aura là une
route pure qu’on appellera la voie sacrée ; aucun impur n’y passera, les
insensés n’y entreront pas » (Isaïe 35, 7b-8).
Il faut donc se montrer fort prudent lorsqu’un clerc décrit un désert.
Le cas de la fondation de Fulda est à cet égard exemplaire 9. Dans une lettre
au pape Zacharie, saint Boniface évoque le site où se trouve l’abbaye qui
lui était particulièrement chère comme un « lieu forestier dans le désert
d’une vaste solitude ». Eigil, l’auteur de la Vie de Sturmi († 779), le disciple
de Boniface auquel fut confiée la nouvelle fondation, écrit également que
Fulda était un désert. Son récit date de la fin du VIIIe siècle. Sturmi aurait
trouvé ce lieu après bien des hésitations – le moine au service du pouvoir
franc aurait appris de la bouche de Boniface qu’un endroit propice se
trouvait dans la région, mais il mit du temps à le trouver. En fait, les
fouilles réalisées à Fulda ont montré qu’une résidence apparemment
luxueuse (à en juger par les pavements du sol et les infrastructures de
6. Stéphane LEBECQ, « Les saints anglais et le milieu marin. Contribution de quelques textes hagiographiques à la connaissance du milieu littoral dans l’Angleterre du début du Moyen Âge », Académie
des Inscriptions et Belles-Lettres. Comptes-rendus des séances de l’année 1995, p. 43-56 (citation p. 47).
7. Maximilian DIESENBERGER, « Wahrnehmung und Aneignung der Natur in den Gesta abbatum
Fontanellensium », dans Christoph EGGER & Herwig WEIGL (éd.), Text – Schrift – Codex. Quellenkundliche Arbeiten aus dem Institut für Österreichische Geschichtsforschung, Vienne, 2000, p. 9-33
(la matière de cet article est beaucoup plus large que ne l’indique son titre).
8. Felix’s Life of saint Guthlac, éd. et trad. Bertram COLGRAVE, Cambridge 1956, p. 88 (c. 25).
9. Maria-Elisabeth BRUNERT, « Fulda als Kloster in eremo. Zentrale Quellen über die Gründung im
Spiegel der hagiographischen Tradition », dans SCHRIMPF 1996, p. 59-78.
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chauffage) avait été détruite par le feu. C’est sur ces ruines qu’on établit
l’abbaye. Le soin avec lesquels les moines de Fulda défendaient la nature
désertique de l’endroit où ils vivaient n’avait pas seulement l’avantage de
rendre leur destin conforme à celui des Pères du désert à l’origine du
monachisme, il falsifiait aussi le passé de ce lieu pour en faire une res
nullius, un lieu n’appartenant à personne et dont ils se seraient rendus
propriétaires comme n’importe quel autre responsable de défrichements ;
le maire du palais, Carloman, leur en avait garanti la propriété. Reste à
savoir qui était maître à Fulda avant Boniface et Sturmi. Il est probable que
c’était la famille des ducs de Thuringe, assez puissants pour être à l’origine
de la Loi Ripuaire, dans le troisième quart du VIIe siècle. Le dernier membre
de cette famille, Heden le Jeune, soutint l’action missionnaire de Willibrord.
Mais il était un rival pour Charles Martel, qui tira parti de sa victoire à
Vinchy, en 717, pour le faire déposer par son peuple 10. Le « désert » de
Fulda s’avère donc avant tout l’expression d’une damnatio memoriae.
Domestiquer la nature
Pour les hommes du haut Moyen Âge, la parole de Dieu révélée dans
la Bible devait guider leur vie. Le précepte du Seigneur à la fin du récit de
la Création est : « Emplissez la terre et soumettez-la » (Genèse, 1, 28).
De fait, la culture de la terre visait à la faire plier aux règles imposées par
les hommes. Le jardin, dont chaque monastère s’enorgueillait, en était
l’expression. L’attention qu’un moine pouvait porter à la botanique est
illustrée par le poème, fort célèbre, dans lequel Walahfrid Strabon
décrit le « petit jardin » (Hortulus) de la Reichenau ; on y constate son
intérêt pour la domestication des espèces. Ainsi, à propos de la bétoine,
il écrit :
« Bien que sur les montagnes et dans les forêts, dans les prés et au fond
des vallées, bien que presque en tous lieux abondent, çà et là, de précieux
amas de bétoine, notre jardin en possède aussi et lui apprend à s’améliorer
dans une terre cultivée. »
Walahfrid emploie le verbe mansuescere, qui signifie « apprivoiser ». La
bétoine comptait d’ailleurs parmi les plantes médicinales les plus souvent
employées au Moyen Âge11. Mais les hommes n’étaient-ils pas généralement
impuissants devant la nature ?
10. Hubert MORDEK, « Die Hedenen als politische Kraft im austrasischen Frankenreich », dans JARNUT
et alii 1994, p. 345-366.
11. Dieter VOGELLEHNER, « Les jardins du haut Moyen Âge (VIIIe-XIIe siècles) », dans Jardins et vergers
en Europe occidentale (VIIIe-XVIIIe siècles), Auch, 1989, p. 11-40 (citation p. 31). Le poème de
Walahfrid est édité, commenté et traduit en allemand dans Hans-Dieter STOFFLER, Der Hortulus
des Walahfrid Strabo. Aus dem Kräutergarten des Klosters Reichenau, Sigmaringen 1 996.
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LES CONDITIONS DE VIE
On a diverses mentions d’inondations dans les sources narratives 12.
Grégoire de Tours relate qu’en 583 « les cours d’eau débordèrent d’une
manière insolite ; c’est ainsi que la Seine et la Marne provoquèrent une
telle inondation autour de Paris que souvent des naufrages se produisirent
entre la cité et la basilique de Saint-Laurent13 ». Ces accidents étaient certainement dus au fait qu’on ne voyait plus la berge. Dans les Annales de
Saint-Bertin, Prudence de Troyes évoque les débordements de la Meuse
aux environs de Liège en 858. L’auteur des Annales de Xanten signale que
le Rhin inonda les environs de son abbaye en 864 et en 873. Quant à
l’auteur des Annales de Fulda, il affirme qu’en 886, il y eut des inondations
un peu partout et que le Rhin sortit de son lit « de sa source jusqu’à
l’endroit où il se jette dans la mer ». Si ce propos est vrai, ce sont toutes
les plaines depuis l’Alémanie jusqu’à la Frise qui furent sous l’eau. Comme
nous l’avons vu plus haut, l’auteur des Annales royales avait dépeint une
catastrophe générale similaire à propos de l’années 820. Prenait-on des
mesures pour éviter de telles situations ? Un capitulaire de Louis le Pieux
en offre un indice. Vers le début de son règne (probablement suite aux
inondations qu’on vient d’évoquer), l’empereur donna des instructions
à ses missi concernant les digues qu’on devait élever le long de la Loire
(cette affaire fut confiée au roi d’Aquitaine, Pépin14). Ce document est un
témoignage isolé concernant le contrôle du cours de la Loire, mieux
connu à partir du XIIe siècle. Il n’en témoigne pas moins d’un souci, de la
part du pouvoir central, de coordonner la lutte contre les inondations.
Les rivages des mers du Nord étaient également soumis à des dévastations lors de tempêtes particulièrement violentes. On remet à présent en
question la réalité d’une « troisième transgression dunkerquienne » au cours
du IXe siècle (alors que la deuxième, qui s’achève vers 600, est bien réelle).
Il semblerait plutôt que les côtes flamandes et frisonnes ont été parfois été
balayées par de violents raz-de-marée. Celui qui eut lieu en 838 est
mentionné dans les Annales de Xanten et dans les Annales de Saint-Bertin,
alors rédigées par deux personnes proches de la cour impériale. On déplora
de nombreux morts (l’un des annalistes les estime à plus de deux mille)
car certains terpen avaient alors été dévastés. Les terpen sont des villages
construits sur des tertres érigés le long des côtes (le singulier, terp, peut
être rapproché du terme allemand Dorf, « village »). Avant la construction
des digues et des polders, ils témoignent de l’adaptation des hommes au
milieu depuis les temps protohistoriques15.
12. Stéphane LEBECQ, « L’homme au péril de l’eau dans les plaines littorales des anciens Pays-Bas au
début du Moyen Âge », dans Bartolomé BENNASSAR (éd.), Les catastrophes naturelles dans l’Europe
médiévale et moderne, Toulouse, 1996, p. 27-42, à la p. 35.
13. GRÉGOIRE DE TOURS, Histoire des Francs, trad. Robert LATOUCHE, tome II , Paris, 1963, p. 41 (VI , 25).
14. Cette décision est connue par un capitulaire de 821 (n° 148, chap. 10).
15. LEBECQ 1996, p. 182 sqq.
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LES SOCIÉTÉS OCCIDENTALES DU MILIEU DU VIE À LA FIN DU IXE SIÈCLE
La fondation de monastères contribuait aussi à la transformation du
paysage et à la mise en valeur du sol ; c’est ce qu’illustrent les établissements
irlandais dont le nom est formé à partir du substantif clúain (par exemple :
Clonfert ou Clonmanois), qui désigne une prairie ou une terre qui n’est
pas drainée16. Leur installation au cœur des forêts n’est cependant pas sans
équivoque.
La forêt
Les espaces boisés couvraient une grande partie de l’Europe du haut
Moyen Âge17 ; ils étaient essentiels à l’agriculture, notamment pour l’élevage
des porcs – c’est d’ailleurs à cet égard qu’une forêt était réputée fructuosa
ou non18. La forêt peut aussi sembler un espace sauvage, au sens où elle
constitue le cadre de certaines chasses au gros gibier. Les souverains francs
aimaient à chasser dans l’Ardenne19. Cette région constituait probablement
l’un des massifs forestiers les plus vastes.
Bien que l’implantation humaine y fût ancienne et qu’elle ait marqué
le paysage de son empreinte (les routes romaines en sont la trace la plus
manifeste), certaines zones de l’Ardenne étaient encore particulièrement
hostiles (indépendamment de la régression de l’implantation humaine
entre le IVe et le VIe siècle 20). C’est ainsi que le roi Sigebert III put donner
à saint Remacle et à la communauté qu’il avait fondée à Stavelot-Malmédy
« un lieu de grande solitude où les bêtes sauvages se multiplient » dans ce
qui est désigné également comme un saltus, c’est-à-dire une terre inculte 21.
En dépit de la rhétorique ascétique et hagiographique qu’on ne peut
éliminer, l’Ardenne était en certaines parties réellement un endroit ingrat,
constitué de bois denses ou de marais, dans un relief accidenté 22. Or la
forêt était un espace d’autant plus favorable aux fondations monastiques
– qu’il s’agisse également, par exemple, des forêts où s’établirent les communautés de Fontenelle ou de Montier-en-Der – qu’elle permettait au roi
de doter le nouvel établissement en puisant dans les terres publiques et de
céder ce territoire inculte dans le cadre de son défrichement et de sa mise
en culture 23.
16. RICHTER 1996, p. 58.
17. WICKHAM 1 989. Sur la couverture forestière, cf. Charles HIGOUNET, « Les forêts de l’Europe
occidentale du V e au X I e siècle », dans Agricoltura 1966, p. 343-398.
18. WICKHAM 1989, p. 183 sqq.
19. Jean VERDON, « Recherches sur la chasse en Occident durant le haut Moyen Âge », RBPH 56
(1 978), p. 805-829 ; Régine HENNEBICQUE, « Espaces sauvages et chasses royales dans le nord de
la Francie », V I I e-I X e siècles, RN 62 (1 980), p. 35-57.
20. EWIG 1963, p. 530.
21. Die Urkunden der Merowinger, éd. Theo KÖLZER, tome I , Hanovre 2001, p. 206 (n° 81).
22. René NOËL, « Moines et nature sauvage dans l’Ardenne du haut Moyen Âge (saint Remacle à
Cugnon et à Stavelot-Malmédy) », dans DUVOSQUEL & DIERKENS 1991, p. 563-597.
23. BARBIER 2000, p. 55.
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LES CONDITIONS DE VIE
En français, les termes silva et forestis se traduisent tous deux par
« forêt », alors que les gens du Moyen Âge établissaient une distinction :
il y a forêt et forêt. Une silva est un endroit plus ou moins densément
boisé. La forestis, quant à elle, jouit d’un statut privilégié, celui de « forêt
royale » 24, comme c’était par exemple le cas de la « forêt Charbonnière »
séparant la Neustrie de l’Austrasie 25. De même, dans l’Italie lombarde, le
terme de gualdus (où l’on reconnaît le substantif Wald, « forêt » en allemand)
ne se distinguait des autres espaces boisés qu’en tant qu’il appartenait au
duc 26. La forêt royale était en fait une sorte de circonscription administrative
à la tête de laquelle se trouvait un « forestier », dont dépendaient plusieurs
villages ou exploitations 27 – depuis l’époque mérovingienne, on observe
un lien intime entre forêt, curtis royale et palais. En Bavière, par exemple,
les palais de Ratisbonne, Osterhofen et Passau permettaient un contrôle
de cette partie de la vallée du Danube sur de vastes étendues, par le biais
des forêts qui dépendaient de ces lieux centraux 28.
De vastes espaces boisés constituant une zone de droits réservés pouvaient
toutefois appartenir à d’autres individus que le roi ou celui qui exerçait le
pouvoir public. C’était par exemple le cas de la forêt Lutra, dans laquelle les
Staufen construiraient plus tard le palais de Kaiserslautern, un toponyme
dont l’origine est limpide : Lutra imperialis. Or le nom lui-même de Lutra,
attesté pour la première fois en 828, vient de celui d’un ancien propriétaire
de cette forêt, un certain Lutram 29.
À partir du IXe siècle se développe une forme particulière de privilège
en faveur des églises, le souverain leur concédant l’exclusivité (du produit)
de la chasse dans certaines forêts 30. Un extrait de la Loi Salique relatif au
vol de gibier et à la mise à mort d’animaux domestiques utilisés comme
appâts montre cependant qu’à l’époque franque, il était courant qu’un
dominus chasse avec ses gens. Seul le début de l’article nous intéresse ici 31 :
« Si quelqu’un se livre au vol au cours des diverses chasses ou s’il dissimule (du gibier), s’il vole ou tue une biche apprivoisée pourvue d’une
marque, qui a été domestiquée pour la chasse, et que son maître peut
prouver, grâce à trois témoins, qu’il l’avait avec lui à la chasse et qu’il a tué
avec lui deux ou trois bêtes sauvages [etc.]. »
24. Josef SEMMLER, « Der Forst des Königs », dans id. (éd.), Der Wald in Mittelalter und Renaissance,
Düsseldorf, 1991, p. 130-147.
25. DIERKENS 1985, p. 319.
26. WICKHAM 1989, p. 164.
27. GOCKEL 1970, p. 72 sqq.
28. Karl BOSL, « Pfalzen, Klöster und Forste in Bayern. Zur Organisation von Herzogs- und Königsgut
in Bayern », Verhandlungen des Historischen Vereins für Oberpfalz und Regensburg 106 (1 966),
p. 43-62.
29. Karl BOSL, « Pfalzen und Forste », dans HEIMPEL 1963, p. 1-29, aux p. 23 sqq.
30. Clemens DASLER, Forst und Wildbann im frühen deutschen Reich. Die königlichen Privilegien für
die Reichskirchen vom 9. bis zum 12. Jahrhundert, Cologne, 2 001.
31. Lex Salica. 100 Titel-Text, éd. Karl August ECKHARDT, Weimar 1953, p. 166 (titre 52).
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Malheureusement, les sources ne mettent bien souvent en scène que le
roi chassant avec les membres de son entourage ; il s’agit d’un des modes
de représentation de la royauté sur lequel nous reviendrons plus tard 32.
Néanmoins, le témoignage des lois barbares et la présence de mobilier
se rapportant à la chasse dans certaines tombes permet de penser…
l’évidence : la chasse était largement pratiquée 33.
Les fléaux de la vengeance divine
En 828, l’empereur Louis le Pieux avait ordonné un jeûne général dans
l’ensemble du royaume, pour que Dieu daigne lui révéler comment il
pourrait amender sa conduite et son gouvernement. Les ravages auxquels
s’étaient livrés les Sarrasins l’année précédente et les défaites subies dans la
marche d’Espagne avaient fait l’effet d’un avertissement divin. Dans la
lettre qu’il envoya pour annoncer la tenue de synodes réformateurs 34,
l’empereur énuméra les fléaux qui frappaient le royaume (famines, épizooties, épidémies, mauvaises récoltes) en faisant l’observation suivante :
« Qui ne sent pas que Dieu est offensé par nos actions très mauvaises et
qu’il est provoqué à la colère ? » En cette époque où le sacré et le profane
ne peuvent être distingués, les maux que souffrent les hommes sont en
effet réputés être envoyés par Dieu, pour les inciter à changer de vie, à se
convertir. L’un de ces maux fut la peste.
La maladie
La peste dite « justinienne » frappa l’ensemble du monde méditerranéen
en diverses vagues, entre 541, lorsqu’elle apparut dans la vallée du Nil
pour gagner Byzance dès l’année suivante, et 767, quand l’Italie du Sud
fut frappée une dernière fois. À plusieurs reprises, l’Italie et la Gaule du
Sud furent particulièrement touchées 35. Mais l’épidémie est également
signalée dans l’Europe du Nord-Ouest, par exemple en Irlande en 548-549 ;
la peste peut expliquer la mort de plusieurs fondateurs de monastères de la
première vague de fondations monastiques (les fondations de la première
moitié du VIe siècle 36). En outre, Bède le Vénérable signale, à propos de
l’année 664, « une soudaine épidémie de peste » qui, « après avoir dépeuplé les régions du sud de la Bretagne, s’attaqua aussi à la province de
32. Cf. infra p. 250 sq.
33. Claus DOBIAT, « Die Jagd in merowingischer Zeit », dans Franken 1996, tome II , p. 720-722.
34. Capitularia regum Francorum, éd. Alfred BORETIUS & Victor KRAUSE, tome II , Hanovre, 1890,
p. 4 (n° 185).
35. Jean-Noël BIRABEN & Jacques LE GOFF, « La peste dans le haut Moyen Âge », Ann. ESC 24
(1 969), p. 1484-1510.
36. RICHTER 1996, p. 57.
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Northumbrie » avant de gagner l’Irlande 37. Son témoignage est confirmé
par les Annales d’Ulster 38.
Grégoire de Tours fournit une description pathétique de l’épidémie de
peste qui décima l’Auvergne en 571 :
« Comme les sarcophages et les cercueils faisaient défaut, on mettait en
terre dix corps ou même plus que cela dans une même fosse. On dénombra
un certain dimanche dans la seule basilique du bienheureux Pierre trois
cents cadavres. La mort elle-même était subite, car il se produisait à l’aîne
ou à l’aisselle une blessure à la manière d’une morsure de serpent et on était
frappé à mort par ce poison en sorte qu’on rendait l’âme le lendemain ou
le troisième jour […]. C’est alors que le prêtre Caton mourut ; tandis que
beaucoup fuyaient l’épidémie, lui, au contraire, ensevelissait les populations
et disait courageusement des messes, sans jamais quitter la localité 39. »
Paul Diacre, qui ne fut pas témoin visuel du phénomène, n’en était pas
moins bien informé des symptômes 40. Il relate en effet comment « les gens
commencèrent à avoir des ganglions à l’aine, à peu près gros comme des
noix ou des dattes ; très vite suivait une fièvre brûlante, insupportable, tant
et si bien qu’on mourait en l’espace de trois jours. Qui passait ce cap avait
toutefois une chance de survivre ». Et l’auteur de l’Histoire des Lombards
de décrire la panique et la désolation que suscita l’épidémie de 560.
Les vagues de peste qui frappèrent l’Occident du VIe au VIIIe siècle
occasionnèrent des hécatombes plus ou moins spectaculaires, qui marquèrent
d’autant plus facilement les esprits qu’un tel fléau pouvait être interprété
comme une annonce de la fin des temps – ou pour le moins comme une
exhortation à s’amender, comme un signe divin. De manière générale, la
peur ou l’attentisme prévalurent. La lettre que l’évêque de Clermont,
Gall, envoya à son collègue de Cahors, Didier, à propos des mesures à
prendre concernant l’épidémie (en l’occurrence : éviter les déplacements)
semble faire exception. La peste ne fut toutefois pas la seule épidémie que
connut l’Europe du haut Moyen Âge ; incidemment, on trouve mention
de maladies ou d’épizooties dans les sources, sans qu’on puisse savoir de
quel mal exactement telle ou telle région était la proie. Il n’y a pas lieu
de faire ici l’inventaire des maladies identifiées au Moyen Âge 41, mais de
rappeler l’incidence que put avoir la maladie sur la vie sociale à travers une
pathologie bien particulière : la lèpre.
37. BÈDE LE VÉNÉRABLE, Histoire ecclésiastique du peuple anglais, trad. Olivier SZERWINIACK et alii,
tome I , Paris, 1999, p. 191 (3, 27).
38. RICHTER 1999, p. 24 sq.
39. GRÉGOIRE DE TOURS, Histoire des Francs, trad. Robert LATOUCHE, tome I , Paris, 1963, p. 215-216
(IV , 31).
40. PAUL DIACRE, Histoire des Lombards, trad. François BOUGARD, Turnhout 1994, p. 38 (II , 4).
41. A ce propos, cf. Mirko D. GRMEK (éd.), Histoire de la pensée médicale en Occident, tome I, Paris,
1 995.
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Le statut du lépreux évolue au cours du haut Moyen Âge 42. Sa figure
est ambivalente : il représente le pauvre ; il est celui que saint Martin, à
Paris, avait embrassé et guéri. Plusieurs saints personnages imitèrent ce
geste et soignèrent des lépreux, tels saint Romain ou sainte Radegonde.
Les allusions que fait Grégoire de Tours à certains lépreux montrent que
cette maladie était bien connue et identifiée ; les lépreux n’étaient certes
pas agréables à voir, mais ils ne suscitaient pas non plus de sentiment
de rejet craintif. Or le lépreux est aussi symbole de faute, d’erreur dans
la foi, d’hérésie. Isidore de Séville, Bède le Vénérable ou, encore, Raban
Maur en sont apparemment persuadés. Ce sentiment n’est toutefois pas à
l’origine du rejet des lépreux ; des raisons d’hygiène semblent avoir
prévalu.
Dès 583, les Pères du concile alors réuni à Lyon recommandèrent
d’éviter que les lépreux ne se rendent d’un diocèse à l’autre – peut-être
pour les contrôler, et les empêcher de s’inscrire sur plusieurs matricules de
pauvres. Le changement d’attitude intervint toutefois au VIIIe siècle. En
726, le pape Grégoire II permit aux lépreux de partager la communion,
mais il leur interdit de se trouver dans la même église que des personnes
en bonne santé. Si le cas se présentait, ces dernières devaient s’enfuir,
par crainte d’une contamination. Une soixantaine d’années plus tard,
Charlemagne ordonna, dans un capitulaire, de tenir les lépreux à l’écart
du reste du peuple. Il n’est pas impossible que ces mesures ait été prises
dans le contexte de la crainte de la peste, dont la dernière vague sévit en
Italie du Sud en 767. L’interdiction de Grégoire II fut reprise par les Pères
du concile réuni à Worms en 868. Selon les textes normatifs, il convient donc
désormais d’exclure les lépreux de la vie sociale. Les sources manquent
toutefois pour en mesurer l’application.
La famine
Les épidémies et les famines allaient parfois de pair, comme ce fut le
cas en Irlande en 700. Dans les Annales d’Ulster, on lit à propos de cette
année 43 : « Famine et épidémie durèrent trois ans en Irlande, si bien que
l’homme en vint à manger l’homme ». En une phrase, tout un cycle est
décrit : que les mauvaises récoltes aient rendu les hommes plus faibles ou
que l’épidémie ait réduit la main d’œuvre et compromis la production, les
grandes famines s’étalaient généralement sur trois ans (on puisait dans la
part réservée aux semailles, ce qui réduisait d’autant les récoltes suivantes).
Dans les périodes de grandes famines, on en fut parfois réduit au canni42. Sur ce qui suit, cf. TOUATI 1998, notamment p. 86 (saint Martin) ; p. 88-89 (Romain, Radegonde
et Grégoire de Tours) ; p. 105-106 (hérésie) ; p. 232-235 (sources normatives).
43. RICHTER 1999, p. 24.
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balisme 44. Cela n’était pas sans susciter un sentiment d’horreur chez les
contemporains, comme le suggère cette description due à l’auteur des
Annales mosellanes, un ensemble de mentions brèves couvrant les années
704-797 et devenant plus étoffées à partir des années 770. À l’année 792
(qui se rapporte en fait à l’année 793), on lit :
« La famine qui commença l’année précédente s’accrût tellement qu’elle
poussa les hommes, non seulement à se nourrir de choses immondes, mais
– nos péchés atteignant leur comble – à manger d’autres hommes, les frères
à manger leurs frères, les mères à manger leurs fils. »
Il s’agit là bien sûr de la dernière extrémité, à laquelle nombreux furent
probablement ceux qui refusèrent de se résoudre. En revanche, ils mangèrent certainement de ces animaux réputés impurs (tels les chiens, les chats
et les rats), mais dont la consommation était tolérée en cas de nécessité.
Le Pénitentiel attribué à Théodore de Canterbury 45 prévoit ainsi :
« Qui mange une chair immonde ou la chair d’un animal mort lacérée
par les bêtes fera quarante jours de pénitence. Mais s’il le fait pressé par la
nécessité de la faim, il n’agit pas mal. De même celui qui, poussé par la
nécessité, mange un animal réputé immonde ou un oiseau ou une bête de
cette nature ne fait pas le mal. »
La plupart du temps, on cherchait à tromper la faim et on recourait à
des farines de misère, faites par exemple avec des pépins ou des racines.
Un dénombrement des mentions de grandes famines touchant plusieurs
régions à la fois montre que ces phénomènes semblent avoir été récurrents
(en revanche, les variations dans le temps suggérant une raréfaction de ces
grandes famines au Xe siècle, interprétée comme l’expression d’un redémarrage de la croissance agricole, pourraient tout aussi bien n’être en partie
qu’un reflet de la raréfaction des sources narratives).
Les mentions de disettes récurrentes relevaient-elles simplement d’une
« psychose de la famine » de la part des auteurs de nos sources 46, membres
de la frange privilégiée de la société ? Citons par exemple la recommandation des évêques réunis en concile à Tours, en 813 :
« Les comtes et les judices doivent être exhortés avec le plus grand soin
à ne pas permettre que des personnes viles et indignes déposent en justice,
44. Pierre BONNASSIE, « Consommation d’aliments immondes et cannibalisme de survie dans
l’Occident du haut Moyen Âge », Ann. ESC. 1989, p. 1035-1056, notamment p. 1037 (animaux
impurs) ; p. 1042 (citation du Pénitentiel de Théodore) ; p. 1044 (cycles des famines et farines de
substitution) ; rééd. dans BONNASSIE 2001, p. 143-168. Traduction des Annales Mosellani (p. 1047)
revue d’après le texte latin : MGH SS 16, p. 498.
45. Aucun des textes pénitentiels associés au nom de l’archevêque de Canterbury n’est de lui,
cf. Thomas CHARLES-EDWARDS, « The Penitential of Theodore and the Iudicia Theodori », dans
LAPIDGE 1995, p. 141-174.
46. C’est ce que pense Michel ROUCHE, « La faim à l’époque carolingienne : essai sur quelques types
de rations alimentaires », RH 250 (1 973), p. 295-320.
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parce qu’ils sont nombreux, ceux qui tiennent le parjure à ce point pour
rien, qu’ils peuvent être conduits à jurer pour manger un jour à leur faim
ou pour quelque petit pécule, et qu’ils ne craignent absolument pas de
perdre leur âme. »
Qu’il s’agisse de l’expression d’un préjugé ou de l’observation de pratiques habituelles, il n’en est pas moins significatif que la première chose
dont les petites gens sont censées vouloir se mettre à l’abri, c’est la faim 47.
L’étude des rations alimentaires, bien délicate 48, ne peut pas être tentée
pour l’ensemble de la population du haut Moyen Âge. Les famines sont
toutefois un phénomène inhérent aux modes de production agricole et à
l’économie des sociétés anciennes. Indépendamment des grandes famines,
les disettes en période de soudure sont notamment fréquentes. Il faut donc
se montrer prudent lorsqu’on explique l’existence des famines durant le
haut Moyen Âge par un rendement particulièrement mauvais des récoltes.
Les calculs des rendements carolingiens ont été établis d’après des documents d’interprétation difficile, et il semble bien qu’il faille sérieusement
revoir à la hausse les rendements de l’agriculture de cette époque 49.
Le peuplement
Nous ignorons quel était le nombre d’habitants en Europe 50. De même
que l’estimation du nombre de la population globale est délicate, le calcul
des taux de densité de population est incertain. Le pluriel s’impose ici, en
raison des variations qui existaient indéniablement d’un endroit à l’autre
(les vallées étaient par exemple plus densément peuplées en raison des
facilités de déplacement qu’offraient les cours d’eaux). Mais dispose-t-on
de données assez abondantes et fiables pour passer aux chiffres ? L’exploitation des nécropoles est particulièrement discutable 51. Quant aux sources
écrites, elles ne sont pas plus loquaces, en dépit des apparences. Une décision de Louis le Pieux lors du plaid réuni à Worms en 829 montre que les
questions démographiques ne laissaient pas le pouvoir central indifférent
lorsqu’il s’agissait d’estimer le nombre de personnes mobilisables en cas de
levée de l’ost : les missi devaient enquêter dans chaque centaine ou viguerie
et transmettre à l’empereur les estimations, comté par comté 52 – on ignore
s’il y eut des suites.
47. Concilia aevi Karolini, tome I /1, éd. Albert WERMINGHOFF, Hanovre, 1906, p. 291 (n° 38,
chap. 34).
48. cf. Jean-Claude HOCQUET, « Le pain, le vin et la juste mesure à la table des moines carolingiens »,
Ann. ESC 1985, p. 661-686, et la réponse de Michel ROUCHE, ibid., p. 687-688.
49. Raymond DELATOUCHE, « Regards sur l’agriculture aux temps carolingiens », JS 1977, p. 73-100.
50. Cf. le commentaire de S. LEBECQ sur les diverses estimations, dans CONTAMINE et alii 1993, p. 20.
51. STEUER 1982, p. 59 sqq. et p. 502-503.
52. Cette décision est évoquée dans deux capitulaires datant de 829 (n° 186, chap. 7 ; n° 193, chap. 7).
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Les défrichements : l’expression d’un essor démographique ?
L’évocation de mancipia et de leur famille dans les actes de donation aux
églises ne permet pas un dénombrement des exploitants. L’analyse des polyptyques s’avère tout aussi délicate 53. Seuls trois polyptyques fournissent des
données démographiques précises (le polyptyque d’Irminon à Saint-Germaindes-Prés, le polyptyque de Marseille et celui de Saint-Remi de Reims). Mais
à l’intérieur d’un même document, l’homogénéité des informations ne règne
pas, car les divers brefs (un terme technique désignant un inventaire, une
description) n’ont pas été réalisés d’après les mêmes critères. On peut donc
simplement se livrer à un calcul du nombre d’habitants par manse, qui varie
parfois selon la superficie des terres qui en dépendent. Généralement, on
constate que 5 à 8 personnes en moyenne vivaient sur une exploitation 54.
L’historien du haut Moyen Âge en est donc réduit à établir simplement
des tendances, se fondant principalement sur des renseignements d’ordre plus
qualitatif que quantitatif 55. L’impression qui ressort est celle d’une augmentation de la population au cours du IXe siècle, qui correspond à une phase d’essor
économique (à un rythme qui varie selon les lieux, il se pourrait ainsi que la
population ait doublé en certains domaines sur l’espace d’environ un siècle 56).
Les choses semblent d’autant plus facilement évoluer, dans telle ou telle région,
qu’on a des sources écrites à leur propos! Dans la moitié septentrionale de la
Gaule, les défrichements sont attestés dès le VIIe siècle; ils étaient organisés
par les grands monastères nouvellement fondés. On peut néanmoins se
demander si ces mises en valeur de terres sur lesquelles il fallait imprégner sa
marque sont l’expression d’un « frémissement » démographique ou d’une
concentration différente de la main d’œuvre. Les témoignages de la croissance
sont beaucoup plus unanimes lorsqu’on avance un peu dans le temps. Elle est
manifeste au VIIIe siècle en Germanie 57 et au IXe siècle en Septimanie et en
Catalogne, où la documentation devient alors beaucoup plus abondante –
une approche archéologique permet toutefois d’observer un développement
plus précoce 58. Une tendance similaire peut être observée en Angleterre 59.
53. Jean-Pierre DEVROEY, « Les méthodes d’analyse démographique des polyptyques du Haut Moyen
Âge », Acta Historica Bruxellensia 4 (1 981), p. 71-88 ; rééd. dans DEVROEY 1 993 (n° V ). Sur le
calcul de la densité de population, cf. également G. M. SCHWARCZ, « Village populations according
to the polyptyque of the abbey of St. Bertin », JMH 11 (1 985), p. 31-41.
54. Synthèse des informations démographiques des polyptyques par S. LEBECQ, dans CONTAMINE et
alii 1993, p. 58-59.
55. Pierre RICHÉ, « Problèmes de démographie historique du haut Moyen Âge » (Ve-VIIIe siècles),
Annales de démographie historique 1966, p. 37-55.
56. TOUBERT 1986, p. 342.
57. LOHRMANN 1 990.
58. Pierre BONNASSIE, « La croissance agricole du haut Moyen Âge dans la Gaule du midi et le nord-est
de la péninsule ibérique : chronologie, modalités, limites », dans Croissance agricole, p. 13-35 ;
rééd. dans BONNASSIE 2001, p. 169-197 (avec un complément bibliographique faisant notamment
allusion à la thèse de Laurent Schneider sur le peuplement en Languedoc).
59. Christopher DYER, « Les problèmes de la croissance agricole du haut Moyen Âge en Angleterre »,
dans Croissance agricole, p. 117-130.
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C’est ainsi que l’existence de manses fractionnaires, attestée par le
polyptyque de Prüm, est actuellement interprétée comme l’expression
d’une hausse démographique et d’un dynamisme gestionnaire au cours du
IXe siècle, conduisant à une transformation du manse peut-être moins par
fractionnement de manses surpeuplés (si l’on considère que le manse
convient à la subsistance d’une famille d’exploitants, un amoindrissement
des ressources serait en contradiction avec la tendance à l’essor que connaît
l’époque carolingienne) que par la création de nouvelles entités dont le caractère encore inachevé serait pris en compte par l’auteur du polyptyque 60.
En Germanie, la région entre Main et Neckar (l’Odenwald, au sud-est
de Francfort, où Eginhard fonda Steinbach et Seligenstadt), fut mise en
valeur au cours du VIIIe et du IXe siècle , grâce à quatre établissements
ecclésiastiques : l’église cathédrale de Worms et les abbayes d’Amorbach,
de Fulda, et de Lorsch, dont l’action fut prépondérante 61. Il semblerait
que ce soit là, à cette époque, que furent conçus les Waldhufendörfer, ces
« villages de manses forestiers » caractérisés par les parcelles qui partent des
habitations alignées le long de la route et qui sont typiques de la colonisation ultérieure 62. On trouve de nombreuses mentions de Bifangs,
c’est-à-dire de domaines sur lesquels le responsable du défrichement avait
pleine propriété, à l’instar de l’aprision, un mode de mise en valeur qui a
profondément marqué l’histoire économique et sociale du sud de la Gaule
et de la Catalogne de la fin du VIIIe siècle au Xe siècle 63. En dépit de
l’intensité du phénomène, les défrichements en Germanie furent une
entreprise de longue haleine. Dans la Wetterau (la plaine qui s’étend entre
les massifs du Taunus et du Vogelsberg, au nord de Francfort), une région
fort riche où les villae romaines furent un temps florissantes, la reconquête semble avoir commencé assez tôt ; ce qui n’empêche qu’on trouve
encore de nombreuses mentions de défrichements en cette région dans les
actes de Fulda, au début du IXe siècle. Les toponymes, auxquels sont
associés le souvenir du travail de défrichement (rode) ou le nom de celui
à qui appartenait le domaine, témoignent de cette activité : Rodenhusen,
Rodoheim, Richarteshusen, etc.
Si les grands établissements monastiques contribuèrent indéniablement
aux défrichements et à la mise en valeur des terres, ils n’étaient aucunement
60. Yoshiki MORIMOTO, « Sur les manses surpeuplés ou fractionnaires dans le polyptyque de Prüm :
phénomènes marginaux ou signes de décadence ? », dans MORNET 1995, p. 409-423.
61. Sur ce qui suit, cf. LOHRMANN 1 990. Comme le note WICKHAM 1989, p. 180, Eginhard
s’installa en un endroit déjà exploité depuis longtemps.
62. A ce propos, cf. HIGOUNET 1 989.
63. André DUPONT, « L’aprision et le régime aprisionnaire dans le Midi de la France (fin du VIIIe –
début du Xe siècle) », MA 71 (1 965), p. 179-213 & p. 375-399 ; Josep M. SALRACH, « Défrichement
et croissance agricole dans la Septimanie et le nord-est de la péninsule ibérique », dans Croissance
agricole 1990, p. 133-151. Pour une mise en perspective plus large, cf. LEWIS 1 965 ; sur le cadre
juridique établi par les Carolingiens en faveur des Hispani, cf. DEPREUX 2 001.
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les seuls responsables de ce mouvement dont ils se contentaient parfois de
récolter les fruits. C’est par exemple, en Italie, le cas du domaine d’Ocretano,
dont la mise en valeur connut son apogée vers 870, au moment précis où
il entra dans le patrimoine de l’abbaye de Casauria 64. De même, dans
l’Audomarois, la structure du domaine de Moringhem, décrite dans le
polyptyque de Saint-Bertin, suggère qu’au moment de la rédaction du
bref, l’ensemble du village venait de passer (peut-être en bloc) dans la
dépendance de l’abbaye près de laquelle il se trouvait 65.
Peuples et territoires
Au terme d’une migration de plusieurs siècles qui les a conduits de
Scandinavie en Pannonie, les Lombards viennent clore les migrations de
peuples germaniques qui marquèrent si profondément la fin de la période
antique : ils s’installent définitivement en Italie en 568-569, sous la conduite
d’Alboin (il s’agit d’une véritable conquête armée).
La période à laquelle est consacré cet ouvrage peut, à petite échelle
(c’est-à-dire à l’échelle de l’Europe occidentale), être considérée comme
une période de stabilité des peuples : il n’y a plus guère de modification
géopolitique significative avant l’intégration des Scandinaves en divers
territoires d’Europe occidentale dans le dernier quart du IXe siècle et au
début du Xe siècle – si l’on excepte les raids ponctuels des Sarrasins en
Méditerranée, des Vikings (qui, après avoir regagné leurs terres chaque
hiver, prirent l’habitude d’hiverner dans la vallée de la Loire ou de la Seine),
et de Hongrois (surtout en Germanie, à partir de la fin du IXe siècle).
Cette apparente stabilité de l’Occident ébranlée uniquement au VIIIe siècle
par la conquête arabe de la majeure partie de la péninsule ibérique 66 (711)
– lourde de conséquences pour l’histoire espagnole et, dans une moindre
mesure et à moyen terme seulement, pour celle du sud du royaume franc –
ne doit pas faire illusion : les « remues de peuples » continuent. C’est le
cas à l’est, entre le VIe et le IXe siècle : citons l’installation des Slaves jusque
dans les vallées du Main et du Danube, la formation du royaume bulgare,
la venue des Hongrois dans la région du lac Balaton autrefois occupée par
les Avars. C’est également le cas en Europe occidentale, mais à plus grande
échelle que tout à l’heure, par exemple dans la zone de contact entre le
royaume wisigothique et le royaume franc : au cours de la seconde moitié
du VIe siècle, sous la pression militaire exercée par le roi Léovigild, les
Basques, à l’origine établis dans la haute vallée de l’Ebre et les monts
Cantabriques, franchirent les Pyrénées et s’opposèrent au pouvoir franc
64. FELLER 1998, p. 342.
65. Analyse de S. LEBECQ dans CONTAMINE et alii 1993, p. 61-62.
66. Bartholomé BENNASSAR (éd.), Histoire des Espagnols, tome I , Paris 1 985 ; COLLINS 1 989.
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dans les années 580. Au début du VIIe siècle, les rois mérovingiens réussirent à imposer aux Basques le paiement d’un tribut recognitif de leur
suprématie. Il n’empêche que le territoire de ce peuple (à l’origine de la
Gascogne) devait longtemps former une zone relativement hermétique à
l’influence franque 67.
Parler de « royaume franc », de « royaume wisigothique » ou de
« royaume lombard » ne signifie pas pour autant que le territoire était
entièrement peuplé par ces ethnies. Bien au contraire. Ce sont des peuples
constitués seulement de quelques dizaines de milliers d’individus qui
« envahirent » l’Empire romain 68 – en fait, ils furent souvent accueillis
aux termes d’un traités ; s’ils ne furent pas installés sur une terre, du
moins en touchèrent-ils les revenus fiscaux 69. Le conditions dans lesquelles, au titre d’un foedus faisant d’eux des « fédérés », les Wisigoths
s’installèrent en Aquitaine et dans la péninsule ibérique sont à cet égard
exemplaires 70.
L’histoire de la Gaule du VIe siècle est marquée par un processus
d’assimilation, de fusion entre la population gallo-romaine et les Francs –
processus dans lequel les élites ont rapidement donné le ton. Au V I e siècle,
le « royaume des Francs » désigne les régions placées sous l’autorité des
rois mérovingiens ; au VIIIe siècle, tout le monde est assurément réputé
franc : l’expression franci homines désigne alors tout simplement les hommes
libres. Cela n’excluait pourtant pas qu’on ait toujours conscience du fait
que certains territoires formaient une entité (ou qu’on éprouve quelque
sentiment d’attachement à sa propria patria 71). À cet égard, le cas des
Burgondes est particulièrement intéressant. Bien que le royaume burgonde
fût partagé durant quelques années après sa conquête, la dévolution de
l’ensemble de ce territoire à Gontran (561-592), l’un des fils de
Clotaire Ier, contribua à en maintenir la cohésion. Charlemagne apporte
la preuve de la conscience qu’on avait encore à la fin du VIIIe siècle de l’entité que formait le territoire burgonde, défini par sa loi ou ses pratiques
juridiques. À deux reprises, dans ses capitulaires, le roi des Francs interdit
de faire prêter serment par de jeunes enfants sicut Guntbodingi faciunt :
comme le font « ceux de Gondebaud » – autrement dit : ceux qui vivent
sous la loi de Gondebaud 72. De fait, en dépit de la forme géminée sous
laquelle se présente la législation de ce roi, la territorialité du droit semble
67. COLLINS 1 986.
68. Bonne synthèse récente sur les migrations barbares : POHL 2 002.
69. GOFFART 1 980.
70. ROUCHE 1 979 ; COLLINS 1 983.
71. Dominique IOGNA-PRAT, Constructions chrétiennes d’un espace politique, MA 107 (2 001), p. 4969 – l’auteur se réfère notamment aux travaux de Thomas EICHENBERGER, Patria. Studien zur
Bedeutung des Wortes im Mittelalter (6. – 12. Jahrhundert), Sigmaringen 1 991.
72. Cette interdiction est formulée dans l’Admonitio generalis de 789 (capitulaire n° 22, chap. 64) et
reprise dans le capitulaire de Francfort promulgué en 794 (n° 28, chap. 45).
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avoir prévalu très tôt 73. La création de royaumes dont l’administration fut
confiée aux fils du souverain carolingien (Aquitaine et Italie attribuées
respectivement à Louis le Pieux et à Pépin en 781, Bavière attribuée à
Lothaire en 814) témoigne aussi de la cohérence de certaines entités
territoriales cristallisées à la faveur des bouleversements de la seconde
moitié du VIIe siècle 74.
Le cas de l’Angleterre est également particulièrement intéressant,
puisqu’on passe, au cours de la période qui nous intéresse, de la diversité
de royaumes anglo-saxons à la conception d’un territoire « anglais ». Le
catholicisme romain et le pouvoir supérieur du bretwalda (vu certes à
travers le prisme des réalités politiques du VIIIe siècle) jouèrent un rôle
essentiel 75. La conversion au catholicisme contribua aussi grandement à
la formation d’une identité espagnole, constituée des trois éléments fondamentaux que sont le roi, le peuple et la patrie76. Ainsi, à partir de 633
(quatrième concile de Tolède), le serment de fidélité au roi vise à garantir
l’intégrité du territoire et la sauvegarde du peuple des Goths (pro patria
gentisque Gothorum statu).
L’utilisation des données de l’archéologie funéraire pour cartographier
la répartition de populations en fonction de critères ethniques est utile ;
elle illustre notamment l’acculturation des populations 77 – c’est ainsi qu’un
siècle avant l’abandon des « cimetières en rangées », les Wisigoths, imitant
les membres de l’élite qui avaient franchi le pas plus tôt, abandonnèrent la
pratique des dépôts funéraires vers 570-580 (soit dit en passant, c’est également à peu près à ce moment que la fusion linguistique semble avoir eu lieu).
Néanmoins, l’interprétation ethnique des fouilles de nécropoles s’avère
délicate, voire contestable. Prenons le cas de l’implantation scandinave
dans l’Angleterre anglo-saxonne 78. Lorsqu’on étudie les tombes considérées
comme typiques des pratiques scandinaves, on constate certes une concentration au nord et à l’est (essentiellement en Northumbrie et en East Anglie),
mais on est frappé par la disproportion entre le nombre de sépultures
scandinaves et l’importance supposée de la population. Certes, en certains
endroits, des pratiques peuvent être rapprochées de ce qui se fait dans le
monde scandinave, comme c’est par exemple le cas à Ingleby (au sud-est
73. Patrick AMORY, « The meaning and purpose of ethnic terminology in the Burgundian laws »,
EME 2 (1 993), p. 1-28.
74. Michel ROUCHE, « La crise de l’Europe au cours de la deuxième moitié du V I I e siècle et la
naissance des régionalismes », Ann. ESC 1986, p. 347-360.
75. Patrick WORMALD, « Bede, the Bretwaldas and the Origins of the Gens Anglorum », dans WORMALD
et alii 1983, p. 99-129.
76. GASPARRI 1997, p. 103 sqq. Plus largement, cf. FONTAINE 2 000.
77. Dietrich CLAUDE, « Remarks about relations between Visigoths and Hispano-Romans in the
seventh century », dans POHL & REIMNITZ 1998, p. 117-130.
78. Guy HALSALL, « The Viking Presence in England ? The Burial Evidence Reconsidered », dans
HADLEY & RICHARDS 2 000, p. 259-276.
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de Nottingham, nécropole de Heath Wood), où l’on a trouvé trace du
recours à l’incinération, de même qu’à Hesket-in-the-Forest (au sud de
Carlisle, début du Xe siècle). En revanche, d’autres tombes ne peuvent pas
être considérées comme scandinaves au simple motif qu’on y procéda à
des dépôts d’armes. D’aucuns qualifient ainsi un peu rapidement de
« scandinave » une tombe orientée où se trouve une épée anglo-saxonne
– par exemple, dans le cimetière de Wensley (dans la région d’York). Il
vaudrait mieux, indépendamment de toute approche ethnique, réfléchir
aux raisons sociales du recours à ce mode d’inhumation, archaïque et
ostentatoire. On peut alors avancer l’hypothèse qu’il participe d’une volonté
d’affirmation d’un pouvoir (le pouvoir qu’avait le défunt, les droits de la
famille) dans une société en pleine mutation. En effet, l’essentiel de ces
tombes « scandinaves » date de la génération autour de 900 – c’est tard si
l’on se place du point de vue de l’arrivée des Vikings, mais cela correspond
à une période de changements sociaux en Angleterre, du fait de leur
implantation durable.
L’installation en terre étrangère
Le traité de Saint-Clair-sur-Epte par lequel Charles le Simple accorda
au Normand Rollon la région de Rouen (911), si important au regard de
l’histoire de France, n’est pas le premier exemple de l’établissement de
Vikings réglé de manière légale. Ainsi, à une date qui se situe entre 878 et
890, Alfred le Grand et son filleul, le chef viking Guthrum, baptisé (à l’issue
d’une défaite militaire) sous le nom d’Æthelstan (en soi, un signe, sinon
d’acculturation, du moins d’adaptation : le moyen de se faire accepter
comme un roi « anglo-saxon »), conclurent une paix (friD) dont on
conserve le texte en vieil anglais 79. Cet accord établi par les rois et leurs
conseillers (les witan qui constituent l’assemblée politique, le witenagemot)
et scellé par serments réglait les relations entre les deux peuples désormais
voisins – un territoire était en effet reconnu aux Vikings : l’East Anglie,
à l’origine de ce territoire où s’applique désormais la loi scandinave, le
Danelaw 80. La conversion des chefs danois et leur baptême formaient le
préalable à leur installation en territoire chrétien, voire créaient (à leurs
yeux du moins) des droits. C’est ce qu’illustrent, en 882, les démêlés de
Charles le Gros avec le Danois Godefroi, qui épousa la sœur de Lothaire II,
79. Traduction par Simon KEYNES & Michael LAPIDGE, Alfred the Great. Asser’s Life of King Alfred and
other contemporary sources, Londres 1983, p. 171-172. Cf. pour le commentaire : Paul KERSHAW,
« The Alfred-Guthrum Treaty : Scripting Accomodation and Interaction in Viking Age England »,
dans HADLEY & RICHARDS 2 000, p. 43-64.
80. Un recueil d’études fondamental à propos de ce territoire : HADLEY & RICHARDS 2 000 ; sur
l’installation des Vikings en Angleterre, cf. Simon KEYNES, « The Vikings in England », dans
SAWYER 1997, p. 48-81.
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Gisèle. Godefroi revendiqua un territoire de Frise autrefois tenu du pouvoir
franc par un de ses parents, Harold, vassal et filleul de Louis le Pieux 81. Il
y eut donc des installations ponctuelles de Danois, qui rencontraient finalement moins d’opposition à l’affirmation de leur autorité dans le monde
franc et ses marges que chez eux (c’est manifeste dans le cas de Harold, qui
était venu chercher un soutien politique et militaire à la cour carolingienne).
Dans l’Angleterre d’Alfred, on changeait tout simplement d’échelle.
Quant à l’histoire de l’Italie, elle offre un bel exemple d’une installation
en terre étrangère essentiellement circonscrite au milieu aristocratique. La
conquête du royaume lombard par Charlemagne, en 774, ouvrit la voie à un
remplacement des cadres politiques par des gens venus du nord des Alpes :
en particulier des Francs et des Alamans 82. Il s’agit là d’une évolution
lente et inégale selon les endroits. Au milieu du IXe siècle, ceux qu’on
commence à désigner comme des theodisci 83 (des Allemands) sont somme
toute encore peu nombreux. En certains endroits, comme en Piémont,
Francs et Alamans occupent une place majeure 84 ; ailleurs, comme dans
les Abruzzes, leur nombre est moins important, même s’ils jouent un rôle
indéniable dans l’organisation du pouvoir 85. Ainsi que l’illustre l’histoire
d’un certain Aio, une fois les troubles de la conquête passés, les membres
de l’aristocratie lombarde purent continuer de jouir de leurs biens et de
leurs prérogatives, qui furent toutefois grignotées peu à peu. En effet, Aio
avait fui chez les Avars lors d’une révolte ayant suivi de peu la conquête
franque : tous ses biens furent confisqués, mais il les recouvra en 799.
L’administration du royaume fut bien évidemment confiée à des personnes sinon toutes franques, du moins sûres – ce que prouve le destin du
comte Léon, d’origine italienne, dans la première moitié du IXe siècle 86.
Mais dans l’ensemble, on peut dire que les Francs firent main basse sur les
fonctions de comtes et de gastalds.
Alors qu’il y eut en Italie un flux récurrent de personnes originaires du
nord des Alpes, à partir de 774, la situation fut sensiblement différente en
Saxe, où l’on observe une assimilation rapide de l’aristocratie locale.
Lorsqu’il y eut colonisation, les différences entre les populations « franques »
et « saxonnes » étaient assez mineures pour que leur perception s’estompe
rapidement, une fois disparue la dimension politique de l’appartenance
au peuple franc par le ralliement des aristocraties saxonnes. Le mélange
81. ANGENENDT 1984, p. 260 sq. ; DEPREUX 2000, p. 145 sq.
82. HLAWITSCHKA 1 960 ; Andrea CASTAGNETTI, « Teutisci » nella « Langobardia » carolingia, Vérone
1 995. Présentation synthétique dans BOSL 1982, p. 57 sqq.
83. JARNUT 1 996.
84. Renato BORDONE, « Un’attiva minoranza etnica nell’alto medioevo : gli Alamanni del comitato
di Asti », QFIAB 54 (1 974), p. 1-57.
85. FELLER 1998, p. 558.
86. Donald A. BULLOUGH, « Leo, qui apud Hlotharium magni loci habebatur, et le gouvernement du
Regnum Italiae à l’époque carolingienne », MA 67 (1 961), p. 221-245.
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des populations est illustré par un diplôme de Charlemagne en faveur
d’un comte, qui était le fils d’un Saxon rallié au pouvoir franc, Amalung 87.
Ce Saxon avait tenté de s’implanter en un lieu de la région de Kassel « où
habitaient des Francs et des Saxons », mais il ne fut pas accepté. C’est
pourquoi « il se rendit… au lieu-dit Waldisbecchi entre Weser et Fulda et
s’y appropria (porprisit sibi) une partie de la forêt appelée Bocchonia, qu’il
laissa à sa mort à son fils Benit ». Ce dernier demanda à l’empereur de lui
confirmer la propriété de cette porpriso, « bivanc dans leur langue ». Le
Bifang (appelé ici bivanc) est la forme germanique de l’aprision. Les sources
carolingiennes présentent les Hispani responsables des défrichements de
Catalogne et de Septimanie comme des immigrants, mais il n’est pas certain
que le déplacement géographique fût, en ce qui les concerne, beaucoup
plus grand que dans le cas d’Amalung. L’essentiel en la matière était
probablement la redistribution des cartes. Somme toute, c’est ce qu’on
observe dans les défrichements réalisés dans les Abruzzes à la fin du
VIIIe siècle, dont témoigne par exemple le conflit entre Saint-Vincent au
Volturne et des petits propriétaires de la région de Peltuinum-Aveia-Incerulae,
dont une liste établie en 787 précise la superficie des terres concernées 88.
Contacts et zones d’influence
Il serait faux de croire que le haut Moyen Âge est une période de faible
mobilité. Au contraire : les hommes se déplaçaient, comme l’illustre le cas
d’un moine de Fulda de la première moitié du IXe siècle, le scribe Isanbraht,
qui était d’origine « norique » (comprenons : bavaroise), mais qui était né
dans le sud de l’Aquitaine ; il n’était pas le seul à venir de loin (les Bavarois,
notamment, semblent avoir été assez nombreux à Fulda 89). Grâce à la Vie de
sainte Lioba († vers 782), rédigée vers 838, on sait qu’il y avait également un
moine d’origine italienne dans cette abbaye; il est évoqué à propos de la venue
à Fulda d’un malade espagnol (!), qui visitait les lieux saints de Gaule, d’Italie
et de Germanie (Rodolphe de Fulda, l’auteur de cette Vie, note que le prêtre
Firmand pouvait comprendre la langue du pèlerin venu de la vallée de l’Ebre,
ce qui n’était apparemment pas le cas de tous les moines de la communauté 90).
De même, les biens et les informations circulaient. C’est ainsi que Christian,
moine de l’abbaye de Stavelot, avait appris non seulement le baptême du
87. Ce diplôme du 1er décembre 811 est traduit par Olivier GUYOTJEANNIN, Le Moyen Âge (Ve-XVe siècle),
tome I des Archives de l’Occident, sous la direction de Jean FAVIER, Paris 1992, p. 186-187.
88. Laurent FELLER, « L’organisation de l’espace abruzzais entre IXe et XIIe siècles », dans HUBERT 2 000,
p. 243-269, aux p. 250 sq.
89. FREISE 1978, p. 1007 sqq. et p. 1061 sqq.
90. Traduction par C. H. TALBOT, dans Thomas F. X. NOBLE & Thomas HEAD (éd.), Soldiers of Christ.
Saints and Saints’ Lives from Late Antiquity and the Early Middle Ages, University Park (Pennsylvanie)
1995, p. 255-277, à la p. 276 (chap. 23).
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tsar Boris (en 865), mais aussi – probablement par l’intermédiaire de personnes ayant fréquenté les milieux romains ou bénéventains – la conversion des Khazars au judaïsme (dont la date est controversée). Vers 870, il
en fait mention dans son commentaire de l’Evangile selon Matthieu 91.
Dans l’Ardenne du haut Moyen Âge, d’aucuns s’intéressaient donc au
destin de peuples lointains, jusqu’aux environs de la mer Caspienne !
Les échanges prenaient diverses formes, diplomatiques et politiques
autant que commerciales 92. Les mariages princiers sont bien connus. Par
exemple, dans le second quart du VIe siècle, le roi lombard Wacho avait eu
deux filles de sa seconde femme, Austreguse, une Gépide : l’une, Wisegarde,
épousa le roi franc Théodebert Ier († 547) et l’autre, Wuldetrade, épousa
le fils de ce dernier, Théodebald. À sa mort, en 555, « le roi Clotaire [Ier]
recueillit son royaume en prenant Wuldetrade, son épouse, dans son
propre lit. Mais gourmandé par les évêques, il la délaissa pour la donner
au duc Garivald 93 », le duc des Bavarois – on tient là un magnifique
exemple de cette connexion franco-lombardo-bavaroise qui est une donnée
fondamentale de l’histoire politique du haut Moyen Âge. On peut aussi
évoquer la venue en Gaule de Brunehaut et de sa sœur, Galeswinthe, dont
le destin fut bien moins heureux que celui de l’épouse de Sigebert Ier ;
Venance Fortunat évoque d’ailleurs son départ d’Espagne dans un poème
particulièrement pathétique, où il décrit le déchirement provoqué par la
séparation des siens et la peur de celle qui se prépare à l’exil 94.
Les translations de reliques permettent également d’observer l’existence
de certains réseaux d’échanges. Les contacts entre la Saxe et la partie occidentale du royaume des Francs étaient particulièrement intenses entre la
fin du VIIIe siècle et la fin du IXe siècle : presque un tiers des saints alors
transférés en Saxe (une soixantaine) vinrent de cette région et de Lotharingie
(une vingtaine vinrent au contraire de Rome). La plupart des reliques
transportées jusqu’en Saxe le furent sur le principe du don, s’appuyant sur
– et renforçant tout à la fois – les relations familiales entre les patrons des
établissements concernés. C’est ainsi que des saints originaires de Francie
occidentale furent transférés, sous le règne de Charles le Chauve, depuis la
Champagne (Pusinna et Liuttrude) et la Bourgogne (Marsus, un saint romain
qui fit station à Auxerre) jusqu’à Herford et Corvey. Ces translations étaient
fondées sur les rapports familiaux entre les Ekbertides et les descendants du
duc Welf, qui étaient parents avec Charles le Chauve par sa mère, Judith 95.
91. Leonid S. CHEKIN, « Christian of Stavelot and the Conversion of Gog and Magog. A Study of the
Ninth-Century Reference to Judaism among the Khazars », Russia mediaevalis 9 (1 997), p. 13-34.
92. cf. par exemple Ian WOOD, « The frontiers of Western Europe : Developments east of the Rhine
in the sixth century », dans HODGES & BOWDEN 1998, p. 231-253
93. GRÉGOIRE DE TOURS, Histoire des Francs, trad. Robert LATOUCHE, tome I, Paris, 1963, p. 188 (IV , 9).
94. A ce propos, cf. DEPREUX 2000, p. 135.
95. RÖCKELEIN 2002, p. 138 et p. 260 sqq.
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Les échanges commerciaux durant le haut Moyen Âge on récemment
fait l’objet d’un réexamen complet, qui montre qu’on doit moins parler
d’un resserrement de l’économie ou d’une limitation des échanges, que
d’un déplacement géographique, un glissement vers l’Europe du NordOuest 96. Les dispositions prises « au sujet des négociants d’outre-mer »
dans la législation des rois wisigothiques est un indice de la présence en
Espagne de marchants du Levant, mais la navigation dans la partie occidentale de la Méditerranée connaît indéniablement un déclin vers la fin
du VIIe siècle 97 ; le cas de Marseille est à cet égard exemplaire 98. Ce déclin
des activités portuaires ne signifie pas pour autant qu’on n’importe plus
d’objets de luxe venant du bassin oriental de la Méditerranée ou qu’on ne
se rend plus à Rome : simplement, on préfère désormais la voie de terre,
à l’origine de la via Francigena attestée pour la première fois en tant que
telle en 876 et bien connue en ce qui concerne le Moyen Âge central.
L’un des événements tant économiques que politiques et sociaux était, à
n’en point douter, la foire ou le marché. Parmi les foires médiévales de
Saint-Denis (foire de Saint-Matthias en février, foire du Lendit en juin et
foire de Saint-Denis en octobre), deux seulement datent du haut Moyen
Âge (la foire du Lendit, attribuée à Charles le Chauve, ne date que du
XIe siècle) : la première fut instaurée par Dagobert Ier, qui « concéda à ce
saint lieu et aux frères qui y servent Dieu et les saints martyrs le marché
annuel qui se tient près du monastère après la fête de ces très excellents
martyrs » (9 octobre), selon les termes des Gesta Dagoberti rédigés au
début du IXe siècle (le diplôme est perdu, mais l’authenticité de ce privilège
n’est pas douteuse). Quant à la foire de Saint-Matthias (24 février), elle
commémore la dédicace, en 775, de l’église construite par Fulrad et dédiée
en présence de Charlemagne, qui en avait financé la construction. Cette
foire pourrait remonter à cette époque ; la commémoration liturgique de
cette fête n’est toutefois attestée qu’à partir du IXe siècle 99. Les foires monastiques se développèrent essentiellement au IXe siècle (citons néanmoins,
en 775, la foire d’Alise-Sainte-Reine accordée à l’abbaye de Flavigny). Les
grandes manifestations, comme la foire au vin de Saint-Denis, n’excluaient
pas la tenue de marchés dans d’autres domaines de l’abbaye 100. Les deux
96. DÜWEL et alii 1 985 ; DÜWEL et alii 1 987 ; HODGES & BOWDEN 1 998 ; HANSEN & WICKHAM
2 000 ; MCCORMICK 2 001 ; BRUAND 2 002.
97. CLAUDE 1 985.
98. Simon T. LOSEBY, « Marseille and the Pirenne Thesis, I : Gregory of Tours, the Merovingian
kings, and “un grand port” » dans HODGES & BOWDEN 1998, p. 203-229 ; id., « Marseille and
the Pirenne Thesis, II : “ville morte” », dans HANSEN & WICKHAM 2000, p. 167-193.
99. Léon LEVILLAIN, « Etudes sur l’abbaye de Saint-Denis à l’époque mérovingienne. IV : Les documents d’histoire économique », BECh 91 (1 930), p. 5-65 (traduction p. 10).
100. Stéphane LEBECQ, « The role of the monasteries in the systems of production and exchange of
the Frankish world between the seventh and the beginning of the ninth centuries », dans
HANSEN & WICKHAM 2000, p. 121-148.
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étaient complémentaires. Comme le note P. Toubert à propos du IXe siècle,
« on ne peut plus admettre aujourd’hui l’idée selon laquelle il aurait existé…
deux niveaux commerciaux distincts, voire antagonistes : celui des campagnes
aux “horizons sans débouchés”, avec ses marchés domaniaux, et celui des
villes avec ses marchés épiscopaux approvisionnés par une production
artisanale de qualité et par ses raccordements exclusifs aux axes du grand
commerce » car « les structures du commerce lointain n’étaient en rien
incompatibles avec l’utilisation par ses agents des réseaux du commerce
intérieur : voies de circulation, étapes, nœuds d’échanges 101 ».
Le fait qu’on privilégiait les voies d’eau pour le transport des marchandises pondéreuses n’était pas nouveau au haut Moyen Âge ; le recours
aux voies fluviales fut néanmoins désormais généralisé 102. L’éclatement de
l’ancien système romain au profit de réseaux desservant mieux certains
centres de pouvoir nouveaux ne signifie pas pour autant le déclin rapide
de la voirie romaine, qui fut entretenue. Le nom de Brunehaut associé à
certaines chaussées garde peut-être la trace de ces réparations aux temps
mérovingiens103. La chose est bien connue pour les Carolingiens, qui semblent avoir redécouvert en Italie que la restauration des routes et des ponts
était une « antique coutume » qui permettait la réquisition d’hommes des
environs pour y travailler au profit de tous104. Notons cependant, à propos
du VIIIe siècle, que la concentration des biens des monastères bavarois
de Benediktbeuren, Scharnitz-Schlehdorf et Schäftlarn le long des routes
romaines est un argument en faveur du maintien de ces dernières dans un
état satisfaisant105.
Les grands établissements monastiques disposaient de relais. Les acquisitions foncières d’abbayes comme Saint-Denis ou Saint-Martin de Tours
étaient commandées par des impératifs économiques, visant à diversifier
l’approvisionnement106 – voire politico-économiques, visant, par exemple,
au contrôle des matières premières (gisements de fer et d’argent, salines).
C’est ce souci qui guida l’abbé de Saint-Denis, Fulrad, dans sa politique
foncière en Alsace ou en Valteline 107.
101. TOUBERT 1990, p. 85.
102. Excellente synthèse dans LEBECQ 1 998.
103. Michel ROUCHE, « L’héritage de la voirie antique dans la Gaule du haut Moyen Âge (Ve-XIe siècle) »,
dans L’homme et la route en Europe occidentale au Moyen Âge et aux Temps modernes, Auch, 1982,
p. 13-32, aux p. 23 sqq.
104. Thomas SZABÓ, « Antikes Erbe und karolingisch-ottonische Verkehrspolitik », dans FENSKE et alii
1984, p. 125-145.
105. Wilhelm STÖRMER, « Fernstraße und Kloster. Zur Verkehrs- und Herrschaftsstruktur des westlichen
Altbayern im frühen Mittelalter », ZBLG 29 (1 966), p. 299-343.
106. Jean-Pierre DEVROEY, « “Ad utilitatem monasterii”. Mobiles et préoccupations de gestion dans
l’économie monastique du monde franc », dans DIERKENS et alii 1993, p. 224-240 ; pour un
exemple particulier, cf. Hélène NOIZET, « Le centre canonial de Saint-Martin de Tours et ses
domaines périphériques en Val de Loire (IXe-Xe siècle) », ABPO 109 (2 002), p. 9-33.
107. STOCLET 1 993.
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La dispersion des biens monastiques est le reflet de l’histoire de l’établissement concerné. Dans le cas de Prüm, la dotation initiale dans le
massif de l’Eifel, faite lors de la fondation (en 721) par Bertrade et son fils,
apparentés à la puissante famille mosellane d’Irmina d’Oeren et des
Pippinides108, fut complétée par des biens sis en Neustrie (dans la région
d’Angers, du Mans et de Rouen) dans la seconde moitié du VIIIe siècle, à
la faveur de l’installation par Pépin le Bref d’un nouvel abbé, Assuer, et de
moines originaires de Meaux. Pépin, qui avait épousé la petite-fille de la
fondatrice de Prüm, prit alors le monastère sous sa protection et lui assura
une position éminente qui ne s’est pas démentie durant toute la période
carolingienne. Qui plus est, l’attribution à l’abbaye, par Louis le Pieux,
d’une grande partie de la forestis de Saint-Goar favorisa l’emprise de Prüm
sur une partie de la vallée du Rhin109.
La frontière
On se sert de repères pour marquer la frontière 110. Le terme allemand
moderne signifiant « frontière » (Grenze) en garde étymologiquement le
souvenir : il vient d’un mot slave (granica) qui signifiait à l’origine un
arbre, le chêne, servant à marquer une limite. C’est ainsi que, pars pro toto,
l’élément en est venu à désigner le tout 111. Dans les campagnes, les finages
sont délimités grâce à des signes placés sur les arbres, sur les hauteurs ou
le long des cours d’eaux. Ces marques sont mentionnées dans la Loi des
Bavarois à propos des conflits survenant en raison de l’absence de signes
ou de leur caractère « peu visible », selon la formulation qu’on lit dans la
rubrique annonçant l’exposé de ce qu’il convient de faire en tel cas 112. On
pourrait citer de nombreuses chartes prenant tel point élevé ou telle rivière
comme repère pour délimiter un bien. Parfois, les toponymes rappelaient
également à tout un chacun qu’il atteignait les limites d’une circonscription,
comme c’est le cas du terme même de fines, qui a donné aussi bien Fains
que Fismes – mais les limites de circonscription peuvent évoluer 113…
La « forêt Charbonnière » offre un bel exemple d’espace boisé servant
de frontière : elle délimitait en effet l’Austrasie de la Neustrie selon un axe
sud-ouest/nord-est suivant le cours méridional de la Sambre, puis celui
de la Dyle114. Cette forêt servait également de limite entre les diocèses de
108. WERNER 1 982.
109. KUCHENBUCH 1978, p. 43 sqq.
110. Un recueil d’études sur les tendances récentes de l’historiographie de la frontière : POHL et alii,
2 001.
111. OLBERG 1991, p. 150.
112. Lex Baiwariorum, éd. Ernst VON SCHWIND, Hanovre, 1 926 (MGH Leges, 5/2), p. 402 (12, 8).
113. Jean-Pierre BRUNTERC’H, « Maine ou Anjou ? Histoire d’un canton entre Loir et Sarthe (VIIeXIe siècles) », dans Media in Francia 1989, p. 61-84.
114. DIERKENS 1985, p. 319.
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Cambrai et de Tongres-Maastricht-Liège. Mais il ne faut pas se méprendre :
« frontière » n’est pas synonyme d’espace infranchissable ; une frontière
n’est rien de plus qu’une limite de territoire. En l’occurrence, la forêt
Charbonnière ne constituait pas un obstacle au passage, puisque deux
routes romaines, conduisant de Bavai vers la Meuse et le Rhin, la traversaient. Rappelons à cet égard que la frontière établie dans le traité de paix
entre Alfred le Grand et Guthrum à la fin du IXe siècle est, précisément,
une frontière formée de voies de communications : on y cite trois cours
d’eaux (Tamise, Lea, Ouse) et une route romaine, connue sous le nom de
Watling Street 115.
La frontière n’est donc pas quelque chose de répulsif – c’est au contraire
un lieu sur lequel on s’installe, pour le contrôler (et/ou pour jouer sur plusieurs tableaux). Certains monastères furent en effet fondés en des lieux
frontaliers : c’est le cas de l’abbaye de Montier-en-Der, fondée en Perthois 116.
En effet, le Perthois se trouvait aux confins de l’Austrasie et de la Neustrie
au VIIe siècle ; il constitua un pagus frontalier lors des partages de Verdun
(843), de Meersen (870) et de Ribemont (880).
Les partages carolingiens, qui se multiplient au cours du IXe siècle en
fonction des aléas politiques, sont des partages linéaires ; ou plutôt
(comme c’était déjà le cas aux temps mérovingiens) ils constituent des lots
de comtés aux limites connues de tous. Les frontières à l’intérieur du
monde franc étaient donc bien délimitées. Était-ce la même chose pour
les frontières avec les peuples voisins ? Eginhard semble avoir eu une idée
fort claire de la façon dont courait la frontière entre le royaume de
Charlemagne et le territoire saxon (même si la chose est moins évidente
pour l’historien). Ce qui frappe ici, c’est seulement l’opposition entre la
plaine et les endroits difficilement franchissables 117 :
« Le tracé des frontières entre notre pays et le leur mettait […] chaque
jour la paix à la merci d’un incident : presque partout en plaine, sauf en
quelques points où de grands bois et des montagnes forment une séparation nette, elles étaient le théâtre de scènes constantes de meurtres, de rapines
et d’incendies, se répondant de part et d’autre. »
La frontière avec les Saxons était en réalité ponctuée de fortifications :
il s’agit de forts réutilisés (certains sont des sites protohistoriques) ou
construits sur l’ordre de Charlemagne, d’abord dans le territoire des Hessi
(par exemple : le Glauberg, le Christenberg [!] ou Büraburg), puis plus au
nord : le long du cours de l’Elbe (par exemple : à Höhbeck ou à Magdebourg,
dont la première mention date de 805, dans un capitulaire énumérant les
lieux de contrôle du négoce avec les Slaves). Ce système de fortifications
115. Sur le tracé de cette frontière, cf. DAVIS 1991, p. 47-54.
116. BARBIER 2 000 ; DIERKENS 2 000.
117. EGINHARD, Vie de Charlemagne, éd. et trad. Louis HALPHEN, Paris, 1938, p. 23 (chap. 7).
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n’est pas sans rappeler le limes romain 118. Signalons toutefois que la
construction de forts n’était pas l’apanage des héritiers de la civilisation
romaine : la situation politico-militaire tourmentée aux confins des territoires danois, slave et franc conduisit les Obodrites à fortifier le site de
Liubice (Alt Lübeck), situé 4 km au nord de la future ville hanséate du
XIIe siècle 119 (d’après les données dendrochronologiques, le site fut fortifié en 817, peut-être à la suite de la destruction, en 808 par le Danois
Godefrid, de l’emporium de Reric qu’il aurait remplacé).
Un exemple de frontière bien gardée est fourni par d’autres montagnes
que celles auxquelles Éginhard faisait allusion : la chaîne des Alpes (ce qui ne
veut pas dire qu’il n’existait pas de solides traditions de relations de part et
d’autre des montagnes, comme l’histoire de l’Italie et de la Bavière le prouve 120). Les cluses des Alpes étaient en effet pourvues de postes de contrôle
frontaliers ; à plusieurs reprises, les passages des Alpes furent fermés. Le roi
lombard Ratchis (744-749) prit des mesures pour renforcer le contrôle exercé par les clusarii (on met toutefois leur efficacité en doute). En revanche,
il ne fut jamais question de contrôler le passage vers Rome ou Ravenne au
point de le bloquer – les voies de circulation étaient par trop multiples 121.
On associe souvent l’idée de frontière à celle d’espace-tampon, la
« marche ». On rencontre le terme de marca dans les sources du haut Moyen
Âge pour désigner la frontière d’un espace politique (c’est par exemple le
cas dans le Pacte et la Loi des Alamans 122). Précisément, les « marches »
sont des régions de commandement militaire parfois fort vastes qui
défendent les confins du royaume. Charlemagne en établit à l’ouest (le
fameux Roland tombé en 778 à Roncevaux était « préfet de la frontière
[limes] de Bretagne » selon le témoignage d’Éginhard), au sud (la marche
d’Espagne), et à l’est. L’histoire de l’Europe centrale (Mitteleuropa) est en
fait celle de la recomposition permanente des territoires de l’ouest vers
l’est au fil de leur intégration à l’Empire – c’est un aspect essentiel de l’histoire ottonienne qui commence bien plus tôt ; dans la seconde moitié du
IXe siècle, la « marche orientale » de Carloman et de son fils, Arnulf de
Carinthie, le prouve éloquemment. Quant au royaume anglo-saxon de
Mercie, il tire son nom du fait qu’il se trouvait à la « frontière » (mierce).
Cette désignation s’explique par la proximité du Pays de Galles, où étaient
cantonnés les Bretons.
118. Matthias HARDT, « Hesse, Elbe, Saale and the frontiers of the Carolingian Empire », dans POHL
et alii 2001, p. 219-232.
119. Günther FEHRING, « The archaeology of early Lübeck : the relation between the Slavic and
German settlement sites », dans CLARKE & SIMMS 1985, p. 267-287.
120. Alois SCHMID, « Bayern und Italien vom 7. bis zum 10. Jahrhundert », dans BEUMANN &
SCHRÖDER 1987, p. 51-91.
121. Walter POHL, « Frontiers in Lombard Italy : the Laws of Ratchis and Aistulf », dans POHL et alii,
2 001, p. 117-141.
122. OLBERG 1991, p. 146.
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L’idée de zone-tampon convient à la zone de contact avec les Slaves : il
y a des villages slaves, et des villages germaniques, le tout sous l’emprise
plus ou moins forte du souverain franc. La progression franque chez les
Slaves (eux-mêmes installés parfois depuis peu) fut loin d’être régulière 123.
Si l’on admet que les fortifications de forme circulaires sont slaves alors que
celles de forme rectangulaire révèlent une influence franque (qui se faisait
elle-même le relais des traditions romaines), on est amené à constater
qu’en terre slave, peu de constructions furent réalisées selon le modèle
franc durant le haut Moyen Âge (à la différence du Moyen Âge central).
Lorsque tel était le cas (un bon exemple est fourni par le fort de Kessel à
Kretzschau-Groitschen, près de Zeitz – à une soixantaine de km à l’est
d’Erfurt), on suppose qu’il s’agissait de la résidence d’une famille d’aristocrates slaves ralliés au pouvoir franc (en l’occurrence, une famille sorbe).
L’histoire du fort de Berlin-Spandau illustre le caractère précaire de telles
implantations. On a ainsi retrouvé des traces d’un fort qui pourrait dater
(au cours du VIIIe siècle) d’une tentative de contrôle par des Francs de
cette agglomération slave en un lieu stratégique : à l’endroit où la Spree se
jette dans la Havel, un affluent de l’Elbe (il est possible que des raisons
économiques entrent en jeu, puisque qu’on pouvait se rendre par voie
d’eau de ce lieu à Magdebourg, attestée en 805 comme un poste douanier
pour les marchands négociant en pays slave). L’implantation franque de
Berlin-Spandau fut néanmoins détruite par le feu dans la première moitié
du IXe siècle.
À propos des types de frontières, il serait faux d’établir une dichotomie
en fonction des traditions des peuples et de l’identité des voisins.
L’Angleterre offre un magnifique exemple de frontière linéaire avec le mur
(Offa’s Dyke : un remblai de terre accompagné d’un fossé dont la dénivellation pouvait atteindre 18 m) élevé le long de la frontière galloise (ce n’est
en aucun cas un rempart contre la barbarie : les Bretons sont des
chrétiens) à la fin du VIIIe siècle. Selon le témoignage d’Asser, le roi Offa
« ordonna de construire une grande palissade (vallus) entre la Bretagne et
la Mercie, de la mer à la mer 124 », c’est-à-dire de l’estuaire de la Severn jusqu’à la mer d’Irlande. On pourrait invoquer le précédent du mur d’Hadrien,
mais ce genre de remblai est attesté dès l’âge du Bronze Ancien 125.
De même, un mur fut érigé à la frontière méridionale du Jutland, à
l’initiative des Danois, le « Danewerk ». Les analyses dendrochronologiques
ont permis d’établir que la première phase de construction de cette fortification remonte à l’année 737. Une nouvelle construction, qui ne s’avère
123. Sur ce qui suit, cf. Joachim HERRMANN, Spuren wechselseitiger Beeinflussung von slawischem
und fränkisch-deutschem Befestigungsbau, dans : LÜBKE 1998, p. 111-125.
124. Asser’s Life of king Alfred… , éd. William H. STEVENSON, Oxford 1904, , p. 12 (c. 14).
125. CAMPBELL et alii 1982, p. 120 ; Donald BULLOUGH, Offa’s Dyke, dans LMA 6, col. 1 368.
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d’ailleurs pas la dernière, est attestée en 808 par les sources écrites 126 :
l’auteur des Annales royales relate que le roi danois Godefrid, qui disputait
à Charlemagne le contrôle des populations slaves entre la Baltique et le
cours inférieur de l’Elbe, « résolut d’entourer d’un retranchement toute
la frontière de son royaume qui regarde la Saxe, de telle sorte qu’à partir
du bras de mer oriental qu’ils appellent Ostarsalt (“l’eau salée de l’est”,
c’est-à-dire la mer Baltique) jusqu’à l’Océan occidental, toute la rive nord
de l’Eider dût se trouver garnie d’une enceinte (munimentum valli), dans
laquelle il ne réserva qu’une seule porte pour que les chariots et les
cavaliers pussent entrer et sortir 127 ». Business is business : n’oublions pas
que l’emporium de Haithabu se trouve à une bonne vingtaine de km au
nord de l’Eider !
Les formes d’occupation du sol
Durant le haut Moyen Âge, l’évolution du rapport entre les villes et les
campagnes amorcée au Bas-Empire s’est poursuivie. Le chef-lieu de cité
garde un prestige certain, du fait notamment que l’évêque y réside, mais
la ville exerce de moins en moins son « rôle-pivot » (N. Gauthier) de la
vie publique et économique dans le territoire de la civitas (les Lombards
semblent ici faire exception et avoir perpétué les traditions romaines) – qu’on
parle désormais (selon le contexte) de « diocèse » ou de pagus (qu’on ne
peut traduire par « comté » qu’au prix d’une simplification parfois source
d’erreur). D’autres sites apparaissent, en fonction des nouvelles donnes
économiques. Quant aux vici anciens, ces agglomérations secondaires
semblent connaître un renforcement relatif de leur importance, à la fois
du point de vue économique et ecclésiastique.
L’évolution des rapports entre la ville et son territoire est concomitante
de celle de la société dans son ensemble 128 : « les liens spatiaux entre ville
et territoire sont devenus des liens sociaux entre puissants et dépendants ».
Ce changement bouleverse le cadre géographique de la vie institutionnelle
dès le Bas-Empire, au profit d’une autre spatialisation du pouvoir (beaucoup
plus dépendante des familles aristocratiques et de leurs fondations pieuses
– les monastères d’Italie du Nord contribuèrent ainsi éloquemment à la
diffusion d’une influence urbaine dans les campagnes 129). Comme l’observe N. Gauthier à propos du haut Moyen Âge, « si l’on peine à trouver
la trace et les étapes de la dislocation des liens qui unissaient la ville à son
126. Hermann HINZ, Danewerk, dans LMA 3, col. 534-535.
127. D’après la traduction de Georges TESSIER, Charlemagne, Paris 1967, p. 178.
128. Nancy GAUTHIER, « Conclusions », dans BROGIOLO et alii 2000, p. 371- 386 (citations : p. 378 sq.).
Pour une étude de cas, cf. Frans THEUWS, « Maastricht as a centre of power in the early middle
ages », dans JONG et alii 2001, p. 155-216.
129. BALZARETTI 2 000.
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territoire, c’est parce que ces liens s’étaient effacés des esprits avant même
de disparaître des institutions ».
Contrôle de l’espace et maîtrise du peuplement sont liés. La hiérarchisation des diverses agglomérations et la densité du peuplement des
campagnes varie quelque peu d’une région à l’autre, mais également à
l’intérieur d’un territoire cohérent. C’est par exemple le cas en BasseAuvergne 130 : il existe une différence manifeste entre, d’une part, la vallée
de l’Allier, où l’essentiel de la population continue de vivre dans les vici et
les domaines de l’époque gallo-romaine, et, d’autre part, les Varennes et les
zones de montagne, où l’habitat semble rare et beaucoup plus dispersé.
Or c’est là que se joue le redémarrage économique et démographique –
apparemment au IXe siècle (la médiocrité de la documentation pour les
VIIe et VIIIe siècles ne permet d’observer le phénomène de peuplement
qu’à partir du IXe siècle, alors qu’il avait peut-être commencé plus tôt). La
grande propriété ne règne toutefois pas de manière exclusive : l’intérêt de
cette région méridionale consiste en ce qu’elle offre un schéma de développement autre que celui promu par le régime domanial particulièrement important dans les régions septentrionales et mieux connu (pour
des raisons d’ordre essentiellement archivistique).
Autour de la maison
La maison et sa curtis forment un tout, non seulement économique,
mais également juridique : c’est un espace dont l’accès est réservé 131. Le mot
« salle », qui fait aussi partie du vocabulaire juridique 132, témoigne de
l’entité que forme la halle où hommes et bêtes cohabitent : la « salle » est
une métonymie de la « maison ». En dépit de leur importance dans la vie
de tous les jours (ou peut-être parce que, précisément, leur omniprésence est
banale), la maison et son enclos sont assez peu décrits dans les sources narratives 133. C’est donc essentiellement vers l’archéologie qu’il faut se tourner 134.
130. FOURNIER 1 962.
131. Ruth SCHMIDT-WIEGAND, « Haus und Hof in den Leges barbarorum », dans BECK & STEUER
1997, p. 335-351. Les lois barbares ne semblent pas établir de distinction entre les exploitations
isolées dans le cadre d’un habitat dispersé et l’agglomération villageoise : le seul cadre que ces
textes connaissent est celui de la maison et de son enclos, cf. EADEM, « Das Dorf nach den
Stammesrechten des Kontinents », dans JANKUHN et alii 1977, p. 408-443.
132. Ruth SCHMIDT-WIEGAND, « Sali. Die malbergischen Glossen der Lex Salica und die Ausbreitung
der Franken », Rheinische Vierteljahrsblätter 32 (1 968), p. 140-166 ; rééd. dans PIETRI 1973,
p. 490-530.
133. Dietrich CLAUDE, « Haus und Hof im Merowingerreich nach den erzählenden und urkundlichen
Quellen », dans BECK & STEUER 1997, p. 321-334.
134. Etat de la question voici une génération : CHAPELOT & FOSSIER 1980. Depuis, l’archéologie rurale
a été profondément renouvelée par de nombreuses fouilles, mais cet ouvrage de synthèse n’a toujours pas été remplacé. On dispose toutefois d’un ensemble d’études fondamental : LORREN &
PÉRIN 1 995. Présentation des tendances récentes par Patrick PÉRIN, « Settlements and cemeteries
in Merovingian Gaul », dans MITCHELL & WOOD 2002, p. 67-98 ; cf. également PESEZ 1 998.
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L’habitat rural est essentiellement un habitat en bois (dont les trous de
poteaux gardent trace), mais il était possible de réutiliser en partie des
structures antiques, comme c’est par exemple le cas au Thillay (Gonesse).
Néanmoins, c’est essentiellement pour la construction de leurs églises que les
habitants des villages au nord de Paris réutilisèrent les vestiges gallo-romains 135.
En Irlande 136 (en particulier à l’ouest de l’île), certaines maisons de bois
étaient construites sur pilotis, au-dessus d’eaux stagnantes. On connaît environ
250 de ces crannogs (dont le nom vient de crann, qui signifie « bois »). Leur
construction nécessitait un savoir faire particulier 137. La maison de bois n’était
toutefois pas l’apanage du monde rural : on la trouve également en ville. Ainsi,
les fouilles effectuées à Brescia à proximité de S. Giulia ont permis de mettre
à jour 15 maisons datant de la fin du VIe ou de la première moitié du
VIIe siècle, parmi lesquelles on trouve de petites habitations de bois 138. En fait,
le recours au bois ou aux matériaux végétaux semble à ce point typique de la
ville du haut Moyen Âge que la présence de « terres noires » (produites par la
décomposition de ces matériaux) dans les stratigraphies signale généralement
à l’archéologue qu’il a affaire à la phase d’occupation du sol datant de cette
époque 139 (mais la manière dont les sites sont fouillés ne permet généralement
pas de dire s’il s’agit d’un habitat ou de terres mises en culture 140).
L’habitat rural et le village
L’étude des communautés rurales et la définition même de leur existence est un défi que les sociétés du haut Moyen Âge lancent à l’historien
– quelle que soit la nature des sources qu’il exploite 141.
Le cadre essentiel de la vie rurale était défini par le lieu de vie et l’endroit
dont dépendaient les habitants de ce lieu. Prenons l’exemple d’une dépendance de l’abbaye de Farfa, le casale Talianus (dans la vallée du Turano).
Ce casale dépendait du finage (fundus) d’Offianus, lui-même dépendant de
la curtis de Corneto, dont le centre était constitué par la « celle » S. Maria
de Corneto. Cette curtis était elle-même sise dans la massa Torana, « qui
constituait un ensemble inorganique de propriétés foncières distribuées
autour du centre antique de Tore, sans doute occupé jusqu’au IXe siècle ».
135. Village au temps de Charlemagne, 1988, p. 119.
136. Important corpus documentaire sur l’habitat en Irlande dans Hilary MURRAY, « Documentary
evidence for domestic buildings in Ireland c. 400-1 200 in the light of archaeology », Medieval
Archaeology 23 (1 979), p. 81-97.
137. RICHTER 1996, p. 33.
138. Gian Pietro BROGIOLO, « Towns, forts and the countryside : archaeological models for Northern Italy
in the early Lombard period (AD 568-650) », dans BROGIOLO et alii 2000, p. 299-323, à la p. 314.
139. Henri GALINIÉ, « L’entre-deux : les terres noires des cités », dans BEAUJARD 2002, p. 97-105.
140. La campagne de fouilles en cours à proximité de l’église Saint-Julien de Tours et menée sous la
direction d’Henri GALINIÉ et d’Elisabeth LORANS (UMR 6575, Archéologie et Territoires) devrait
notamment contribuer à préciser les critères d’analyse des « terres noires ».
141. ZADORA-RIO 1 995.
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Au fil de ses acquisitions, l’abbaye de Farfa remembra les biens entrés dans
son patrimoine, mais ces subtilités de gestions importaient certainement
peu pour les gens du casale Talianus : la seule chose qui comptait, c’est
qu’ils devaient apporter leurs redevances à la « celle » de Corneto, pour
laquelle ils effectuaient également des corvées 142.
L’examen conjoint de la documentation écrite et des données archéologiques permet de cerner assez précisément quel était le cadre de vie de
la société rurale, notamment dans la région parisienne 143. On observe une
correspondance assez étroite entre les noms de villae dépendant de SaintDenis et les villages dont ces villae sont le premier signe. Il s’agit d’agglomérations plus ou moins lâches dont dépend un finage et qui forment
des paroisses. Le fait qu’une villa dépende entièrement ou pas du même
seigneur, c’est-à-dire qu’elle forme un domaine ou qu’elle soit possédée
« en divis » avec d’autres seigneurs laïques ou ecclésiastiques n’avait apparemment pas d’influence sur l’entité que représentait la villa ou sur la
communauté que formaient ses habitants. La villa était divisée en manses
(les termes peuvent varier selon les endroits : on parle ainsi d’area à Fulda,
de curtilis à Lorsch ou à Wissembourg), comprenant bâtiments d’exploitation (le logis et les dépendances agricoles) et les bâtiments annexes
(ateliers ou fours, par exemple). Les parcelles étaient de tailles très inégales
(de quelques dizaines d’ares à plusieurs hectares).
Les formes de l’habitat rural et la manière dont elles sont appréhendées
dépendent pour beaucoup de la situation des sites étudiés par rapport à
l’occupation romaine (par exemple, dans la continuité des villae ou bien
au-delà du limes), mais varient aussi selon les références culturelles et
scientifiques des chercheurs 144. Parmi les questions essentielles concernant
les structures socio-économiques des campagnes, on compte assurément
celle du parcellaire 145 et celle de la fixation de l’habitat. La mobilité de ce
142. Etienne HUBERT, « Quelques considérations sur l’organisation de l’espace, la propriété foncière
et la géographie du peuplement dans la vallée du Turano (I X e-X I I I e siècle) », dans HUBERT 2
000, p. 143-166, aux p. 146 sqq. (citation : p. 146 sq.).
143. Village au temps de Charlemagne 1988, p. 138 sqq.
144. Voici quelques orientations bibliographiques à ce propos : FABRE et alii 1996 ; Gisela RIPOLL &
Javier ARCE, « The transformation and end of Roman villae in the West (fourth-seventh centuries) :
problems and perspectives », dans BROGIOLO et alii 2 000, p. 63-114 ; Etienne HUBERT, « Introduction », dans HUBERT 2 000, p. 1-25, où il est fait notamment référence aux fouilles de la
British School at Rome sur le site de Casale San Donato ; Peter DONAT, « Zur Entwicklung
germanischer Siedlungen östlich des Rheins bis zum Ausgang der Merowingerzeit », Zeitschrift
für Archäologie 25 (1991), p. 149-176. Le contexte culturel dans lequel travaillent les chercheurs
a bien évidemment aussi une incidence sur leur appréhension du phénomène urbain, cf. les
remarques pertinentes de Stéphane LEBECQ, « Entre les invasions et le grand essor du X I e siècle :
vrai ou faux départ de la croissance urbaine dans l’espace rhéno-mosan », dans Les petites villes
en Lotharingie, Luxembourg 1992, p. 21-40 (à la p. 23).
145. Elisabeth ZADORA-RIO, « Les terroirs médiévaux dans le Nord et le Nord-Ouest de l’Europe »,
dans Jean GUILAINE (éd.), Pour une archéologie agraire à la croisée des sciences de l’homme et de la
nature, Paris, 1991, p. 165-192.
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dernier est considérée par certains historiens comme l’expression du fait
qu’on ne peut pas parler de village ; en réalité, elle touche moins à la
structure de la communauté qu’au mode d’exploitation de la terre 146. Il
est possible que la volonté des seigneurs fonciers de mettre leurs domaines
en bon ordre et de les bien gérer, combinée à une augmentation de la
population ainsi qu’à une évolution des modes d’exploitation, ait conduit
à la fixation de l’habitat. Or avant cette phase, comme le montrent par
exemple les fouilles de Vorbasse (Danemark) et de Peelo (Pays-Bas), qui
permettent de suivre l’évolution d’un habitat rural durant tout le premier
millénaire, les lieux d’habitation évoluent certes sur plusieurs centaines
de mètres, mais toujours au sein d’un même finage : il semble que ces
déplacements soient essentiellement liés à la volonté des exploitants de se
rapprocher des terres nouvellement mises en culture. Il s’agit d’un mode
d’exploitation délibérément voulu, puisque dans le même temps, on observe
une remarquable constance dans certains lieux centraux, comme à Gudme.
Point n’est d’ailleurs besoin de se tourner vers ces lieux centraux : ainsi, le
village de Mucking (Essex) offre un exemple de permanence de l’habitat
entre le IVe et le VIIe siècle, en dehors même de la structure d’une villa 147.
L’Irlande du très haut Moyen Âge ne connaissait ni village, ni ville ;
l’habitat était dispersé 148. La majeure partie de la population vivait dans des
lieux délimités par un fossé et clos de palissades, les ráth. Selon les endroits,
le mur était de pierre ; on parlait alors de caisel (qui vient du latin castellum,
de même que Cashel, le seul centre de pouvoir royal – en l’occurrence, le siège
du pouvoir de la province de Munster – dont le nom soit d’origine latine 149).
Il s’agissait moins de se défendre que d’empêcher la fuite du bétail. Grâce à
l’archéologie aérienne, environ 30 000 sites de ce genre ont été repérés en
Irlande ; la majorité d’entre eux furent construits entre le IVe et le Xe siècle.
Dans ce périmètre d’au moins 10 m de diamètre s’élevaient la maison
d’habitation et les dépendances. Il y avait également des sites beaucoup
plus importants ; certains font 100 m de diamètre (on parle alors de dún).
Des centres urbains
Il est assez courant de doser le degré d’urbanité d’un site à l’aune de la
civilisation romaine 150 et de parler de site « proto-urbain » pour désigner
146. Anne NISSEN JAUBERT, « Ruptures et continuités de l’habitat rural du haut Moyen Âge dans le
nord-ouest de l’Europe », dans Frank BRAEMER, Serge CLEUZIOU & Anick COUDART (éd.),
Habitat et Société, Antibes, 1999, p. 519-533.
147. HODGES 1989, p. 26.
148. RICHTER 1996, p. 32-33.
149. CHARLES-EDWARDS 2000, p. 146
150. Sur l’héritage romain, cf. Nancy GAUTHIER, « From the ancient city to medieval town : continuity
and change in the early middle ages », dans MITCHELL & WOOD 2002, p. 47-66.
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un lieu de concentration humaine (dont la structure est parfois difficile à
percer) autre qu’une cité. Cette expression désigne ainsi une « ville en puissance autour d’éléments non urbains : monastère, palais, place de transit,
marché ». Or la notion de site « proto-urbain » est contestée par certains
archéologues : « un site est ou n’est pas urbain » car « c’est le concept de
l’urbain qui change », à charge pour le haut médiéviste d’en définir les
caractéristiques pour l’époque qu’il étudie 151.
L’étude des villes est essentiellement conditionnée par l’apport des
fouilles archéologiques 152. Parfois, les sources écrites peuvent néanmoins
s’avérer particulièrement précieuses, comme dans le cas du testament de
l’évêque Berthramn en ce qui concerne Le Mans 153. C’est la confrontation
des informations que recèlent ces deux types de sources qui préside à
l’élaboration d’une topographie chrétienne des cités, des origines jusqu’au
VIIIe siècle 154.
En dépit d’un déclin manifeste, les cités ne furent pas désertées ; la
continuité d’occupation des villes en Italie est en particulier bien connue 155
– en revanche, la situation en Angleterre était assez différente (en témoigne
le nombre de sièges épiscopaux établis en des lieux n’ayant pas été urbanisés
par les Romains 156). Divers éléments monumentaux continuaient à marquer
le paysage, à commencer par les murs des cités. Le récit de Grégoire de
Tours relatif à l’échec du duc franc Cedinus lors de la campagne militaire
ordonnée en 590 par Childebert II en Italie du Nord et le long siège de
Pavie par Charlemagne en 773-774 montrent que les murs des cités, du
moins en Italie, furent entretenus157. En Gaule, les murs servirent parfois
de carrière pour la construction d’autres édifices ; toutefois, Charles le
Chauve ordonna leur restauration en plusieurs endroits (comme à Tours ou
à Orléans) lorsque, dans les années 860, il organisa la défense contre les
Vikings 158. Permanence de l’occupation humaine ne signifie pas pour
autant continuité d’un site, comme l’illustre le cas de Xanten : la ville
médiévale se développa au sud de la Colonia Ulpia Traiana, qui fut abandonnée 159. Durant le haut Moyen Âge, on vénéra dans ces ruines les
151. Henri GALINIÉ, « Emergence ou ré-émergence des villes dans le Nord-Ouest de l’Europe, VIIeXe siècle », dans DEMOLON et alii 1994, p. 9-16, à la p. 15.
152. CLARKE & SIMMS 1985 ; DEMOLON et alii 1 994.
153. WEIDEMANN 1986, p. 168 sqq.
154. Nancy GAUTHIER, « La topographie chrétienne entre idéologie et pragmatisme », dans BROGIOLO
& WARD-PERKINS 1999, p. 195-209.
155. WARD-PERKINS 1988.
156. Simon T. LOSEBY, « Power and towns in Late Roman Britain and Early Anglo-Saxon England »,
dans RIPOLL & GURT 2 000, p. 319-370 (carte p. 351).
157. WARD-PERKINS 1984, p. 198.
158. Simon COUPLAND, « The Vikings in Francia and Anglo-Saxon England to 911 », dans
MCKITTERICK 1995, p. 190-201, à la p. 198.
159. Walter JANSSEN, « The rebirth of towns in the Rhineland », dans HODGES & HOBLEY 1988,
p. 47-51 ; Ingo RUNDE, « Xanten (II) », dans LMA, col. 398-399.
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martyrs de la Légion Thébaine 160, à l’origine de la collégiale Saint-Victor…
et du nom de la ville, attesté depuis la fin des années 830 (Xanten = Ad
Sanctos).
Le contexte politique a pu jouer un rôle sensible dans le déclin ou
l’essor des villes ; ainsi, le rang de « capitale » dont jouit Metz à l’époque
mérovingienne ne fut certainement pas pour rien dans sa prospérité 161.
L’importance économique des sites urbains de l’Europe du Nord-Ouest
est aussi indéniable 162. C’est notamment le cas en dehors du monde
romain – citons ainsi l’exemple de Dublin 163, comptoir fondé par des
Vikings en 841, pour s’y abriter durant l’hiver (la ville tire toutefois son
origine du site fortifié que les Scandinaves y érigèrent en 917) – mais aussi
à l’intérieur ou sur ses marges.
Au sud du monde scandinave, Ribe (début du VIIIe siècle – milieu du
e
IX siècle) et Haithabu, qui s’impose au début du IXe siècle, sont des sites
urbains à vocation essentiellement commerciale dont le développement, les
infrastructures et le contrôle de l’arrière-pays nécessitaient l’intervention
du pouvoir royal danois, en réponse à la pression politique exercée de la
part des Francs 164. Les places commerciales que sont les vici, dont certains
toponymes gardent le souvenir (citons l’exemple d’Ipswich, en East
Anglie, dont l’existence est attestée à partir du début du VIIe siècle), ont
connu un remarquable essor en Europe du Nord-Ouest durant le haut
Moyen Âge. Quentovic, un site majeur qui fut un centre privilégié de
perception du tonlieu sous le règne de Louis le Pieux (ce dont témoigne le
« précepte des marchands » de 828), reste encore en partie une énigme. En
revanche, on connaît bien son pendant 165, Dorestad (Wijk bij Duurstede).
Les fouilles réalisées à Dorestad ont révélé l’existence d’une soixantaine
de maisons longues (de 20 à 30 m de long sur 6 m de large) alignées le
long de l’ancien cours du Rhin Tortueux, non loin du castrum romain de
Levefanum. On y a trouvé de nombreux témoignages d’activités artisanales
160. Sur l’attitude des gens du haut Moyen Âge à l’égard des ruines antiques, cf. Bonnie EFFROS,
« Monuments and memory : repossessing ancient remains in early medieval Gaul », dans JONG
et alii 2001, p. 93-118.
161. HALSALL 1995, p. 214 sqq.
162. Sur Londres, cf. Alan Vince, « The economic basis of Anglo-Saxon London », dans HODGES &
HOBLEY 1988, p. 83-92. Sur le nord-ouest du continent, cf. VERHULST 1 996 ; VERHULST 1999.
Sur l’importance des relations de part et d’autre de la mer du Nord et de la Manche, cf. Stéphane
LEBECQ, « England and the Continent in the sixth and seventh centuries : the question of
logistics », dans GAMESON 1999, p. 50-67.
163. Patrick WALLACE, « The archaeology of Viking Dublin », dans CLARKE & SIMMS 1985, p. 103-145;
Anngret SIMMS, « The Vikings in Ireland : the urban contribution – with particular reference
to Dublin », dans NILSSON & LILJA 1996, p. 50-78.
164. Ulf NÄSMAN, « Exchange and politics : the eighth-early ninth century in Denmark », dans
HANSEN & WICKHAM 2 000, p. 35-68.
165. Stéphane LEBECQ, « Pour une histoire parallèle de Quentovic et Dorestad », dans DUVOSQUEL
& DIERKENS 1991, p. 415-428.
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et commerciales. Cet emporium, dont l’importance fondamentale est également bien attestée par les sources écrites, a connu l’apogée de son activité
entre les environs de 750 et de 830. Les Vikings étaient bien conscients
de l’importance économique majeure de ce site (importance qui n’est certes
pas proportionnelle au nombre d’habitants, qu’on estime cependant à
2 000 aux plus beaux jours de l’emporium) : il fut plusieurs fois leur cible
dans le second tiers du IXe siècle 166.
Le cas de Hamwic (Southhampton), sur la rive de l’Itchen au sud du
castrum de Clausentum, est assez particulier 167. Ce site de 45 ha fut occupé
de la fin du VIIe siècle au milieu du IXe siècle (peut-être son importance
avait-elle déjà commencé de décliner vers le milieu du VIIIe siècle). On
n’y trouve aucun système de défense et les clôtures des lots, assez légères,
semblent n’avoir pas eu d’autre fonction que de délimiter les propriétés.
Les maisons (de 12 m de long sur 4 à 5 m de large), plusieurs fois reconstruites au même endroit, sont semblables à celles trouvées dans les sites
ruraux de cette époque, mais les trous de poteaux témoignent de constructions moins soignées. On estime la population de Hamwic à environ
4 000 à 5 000 personnes ; mais on y a retrouvé proportionnellement peu
de tombes. La plupart des maisons comportent des traces d’artisanat
(métallurgie, travail de l’os et, dans une moindre mesure, céramique). La
présence de céramique carolingienne en plus de la céramique de facture
locale et, surtout, la forte concentration de sceattas trahissent l’activité
importante de Hamwic. Est-ce à dire qu’il s’agissait d’une ville occupée
par des marchands et des artisans tout au long de l’année ? Il se pourrait
qu’on ait en réalité affaire à un site de foire d’été, où les grands propriétaires laïques et ecclésiastiques d’Angleterre disposaient de parcelles sur
lesquelles leurs gens venaient s’adonner à l’artisanat et au commerce
durant la belle saison.
À l’intérieur de l’ancien monde romain, c’est bien souvent le dynamisme
des suburbia (où se trouvent de nombreuses communautés religieuses
desservant des basiliques à l’origine funéraires 168) plus que l’activité intra
muros qui a sauvé les cités 169. Un fort bel exemple est offert par le cas de
Tours 170, où le vicus christianorum du temps de Grégoire, où les pèlerins
166. W. J. H. VERWERS, « Dorestad : a Carolingian town ? », dans HODGES & HOBLEY 1988, p. 52-56.
167. HODGES 1989, p. 80 sqq.
168. Hélène NOIZET, « Les basiliques martyriales au V I e et au début du V I I e siècle », RHEF 87 (2 001),
p. 329-355 ; Jacques BIARNE, « L’influence des monastères sur le paysage urbain en Occident
(I V e-VIIe siècle) », dans BEAUJARD 2002, p. 123-134.
169. Stéphane LEBECQ, « Le devenir économique de la cité dans la Gaule des V e-I X e siècles », dans
LEPELLEY 1996, p. 287-309.
170. PIETRI 1 983 ; Henri GALINIÉ, « Tours de Grégoire, Tours des archives du sol », dans GAUTHIER
& GALINIÉ 1997, p. 65-80 ; Henri GALINIÉ, « Reflections on early medieval Tours », dans
HODGES & HOBLEY 1988, p. 57-62.
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convergent vers le tombeau de saint Martin, se développe de manière
concurrentielle à l’ouest des murs de la cité pour s’ériger en « Martinopole », elle-même dotée de murs au début du Xe siècle. Ce centre religieux
est aussi un centre économique important qui acquiert son autonomie
juridique au cours du IXe siècle.
Les grands établissements monastiques « ruraux » (il n’était pas rare
que les personnes vivant en leurs murs et à proximité immédiate se comptent par centaines : il s’agissait donc parfois de réels villages, voire de
petites villes) contribuèrent aussi au dynamisme économique des villes :
leur patrimoine foncier n’était pas constitué que de grands domaines
ruraux, mais aussi de biens sis en milieu urbain, destinés aux activités artisanales et commerciales 171 – c’est explicitement le cas des fabricae de
Mayence mentionnées dans les actes de Fulda. L’un des documents les
plus intéressants (mais difficile d’interprétation) est l’inventaire des biens
parisiens de l’abbaye des Fossés 172 (Notitia de areis sancti Petri Fossatensis
monasterii que sunt in Parisii civitate).
Il arrive aussi qu’on observe une spécialisation de certains quartiers :
quartiers de marchands, tels les Frisons 173 installés parfois à l’intérieur des
murs (à Worms ou à Mayence) ou bien en dehors (à York ou à Cologne),
mais aussi groupe épiscopal et quartier canonial. Dès l’Antiquité tardive,
la zone dans laquelle se trouve la cathédrale est profondément marquée par
la construction de tout un ensemble d’édifices religieux (notamment le
baptistère) et de la domus de l’évêque, où tout le clergé cathédral pouvait
être accueilli 174. L’installation des chanoines auprès de la cathédrale et
l’obligation d’y résider datent toutefois de l’époque carolingienne 175 : amorcées
par Chrodegang de Metz, elles furent généralisées en 816. Il était désormais
au moins nécessaire de disposer d’un réfectoire et d’un dortoir, puis d’une
salle capitulaire. Néanmoins, les chanoines ne se plièrent que rarement à une
vie commune stricte ; bien souvent, ils habitaient des maisons individuelles,
formant un quartier bien délimité (mais absolument pas exclusif ).
Or, peut-on déjà parler de quartiers, regroupant des habitants qui
partagent la même identité, le même destin ? Peut-être… Citons, par
exemple, le règlement de l’évêque de Worms Thietlach (891-914), qui
décrit précisément les parties des murs de la ville devant être entretenues
171. Dieter HÄGERMANN, « Grundherrschaft und städtischer Besitz in urbarialen Quellen des 9.
Jahrhunderts (Saint-Maur-des-Fossés, Saint-Remi de Reims und Saint-Amand-les-Eaux) », dans
DUVOSQUEL & DIERKENS 1991, p. 355-365.
172. Dieter HÄGERMANN & Andreas HEDWIG, Das Polyptychon und die Noticia de areis von SaintMaur-des-Fossés, Sigmaringen 1 990.
173. LEBECQ 1983, tome I , p. 237 sqq.
174. Nancy GAUTHIER, « Le paysage urbain en Gaule au VIe siècle », dans GAUTHIER & GALINIÉ 1997,
p. 49-63, aux p. 52 sqq.
175. Jean-Charles PICARD, « L’espace religieux dans la ville médiévale (VIIIe-XIIIe siècles), dans
DEMOLON et alii 1994, p. 115-124, à la p. 117.
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par les habitants des divers quartiers 176 : preuve d’un souci de défense de
la cité en une période où les Hongrois sévissent ; preuve également d’une
organisation de la ville en quartiers formant une entité ayant certaines
obligations au sein de la cité.
Quels que soient les critères que l’on retient pour décrire et analyser le
phénomène urbain durant le haut Moyen Âge, un élément majeur de la
topographie urbaine exprime, plus que tout autre, le passage de la période
antique au Moyen Âge : c’est l’entrée des morts en ville.
De l’exclusion des défunts
à la communauté des vivants et des morts
Le rapport à la mort et aux morts évolue au cours du haut Moyen Âge.
Les pratiques funéraires changent 177 ; d’une certaine manière, elles ont
tendance à s’uniformiser et à devenir moins ostentatoires, plutôt qu’à se
« christianiser » (n’oublions pas que le christianisme fut déclaré religion
officielle et exclusive de l’Empire romain à la fin du IVe siècle et que les
rois barbares, au milieu du VIe siècle, étaient tous chrétiens – ce qui ne
signifie pas, bien évidemment, que les diverses populations, notamment
les populations rurales, étaient complètement converties ou acculturées).
Soulagement des morts ou consolation des vivants ?
La disparition des dépôts funéraires 178 peut être interprétée de diverses
manières : expression d’une conception chrétienne de la mort, qui suppose
une certaine humilité, mais peut-être aussi déclin de la nécessité d’affirmer
une identité ethnique ou guerrière, ou bien simplification de la mise en
scène accompagnant la mise en terre (si les biens ne servent en rien au
défunt chrétien, le sacrifice qu’en font les héritiers pourrait bien être un
message à destination des vivants, témoins de la cérémonie) parce qu’on n’en
a plus besoin comme élément de distinction sociale – comme l’affirmait
déjà saint Augustin dans la Cité de Dieu 179 : « soin des funérailles, choix
de la sépulture, pompes de l’enterrement, tout cela : consolation des
vivants plutôt que soulagement des morts ». Aucune des hypothèses
formulées ci-dessus n’en exclut une autre : les donations généreuses au
176. LEBECQ 1983, tome II , p. 346-348.
177. LORANS 2 000.
178. Sur ces derniers, cf. Joachim WERNER, « Bewaffnung und Waffenbeigabe in der Merowingerzeit »,
dans Ordinamenti 1968, tome I , p. 95-108; plus largement, sur l’évolution des pratiques funéraires
comme expression des changements sociaux, cf. Guy HALSALL, « Burial, Ritual and Merovingian
Society », dans HILL & SWAN 1998, p. 325-338.
179. SAINT AUGUSTIN, La Cité de Dieu, traduction de Louis MOREAU revue par Jean-Claude ESLIN,
vol. 1, Paris, 1994, p. 51 (I, 12).
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clergé pour l’entretien de la memoria du défunt, qui participent d’une
économie du Salut 180, peuvent être aussi considérées comme un élément
de substitution, un signe de richesse finalement plus visible et durable
(c’est ainsi que les héritiers tenant en précaire un bien donné à un
établissement ecclésiastique pouvaient être astreints de payer le cens
annuel au jour anniversaire de la mort du donateur 181).
Nous reviendrons plus tard sur les manifestations et les enjeux de la
memoria durant le haut Moyen Âge. Rappelons ici simplement que les
travaux mettant en évidence l’évolution des pratiques funéraires sont
nombreux. Ce qu’on appelle la « christianisation de la mort » est un
phénomène désormais bien étudié 182 : il s’exprime notamment par la
préparation du corps, par l’élaboration d’une liturgie des morts (un
ensemble de prières concernant les défunts au moment du trépas, lors de
l’inhumation et ensuite), et par un mode particulier d’inhumation.
L’archéologie funéraire révèle en effet l’abandon, au cours du VIIe siècle,
des vastes cimetières « en rangée » en faveur de cimetières plus restreints,
généralement établis à proximité immédiate d’une église. Déjà, l’orientation
des tombes dans les vastes nécropoles pouvait être l’indice qu’on avait
affaire à des chrétiens – ou du moins, que les défunts ou les membres de
leur famille avaient manifesté une préoccupation d’ordre eschatologique,
avant qu’il ne s’agisse peut-être plus que d’un phénomène de mode. On
s’adapte en effet aux usages, comme le suggèrent certaines sépultures de
Saint-Ulrich et Sainte-Afra d’Augsbourg (milieu du VIIe siècle), où il se
pourrait que des personnes probablement originaires de Bourgogne ou de
Gaule du Sud aient cherché à adopter les usages funéraires alors en
vigueur dans la population au sein de laquelle ils vivaient 183.
L’inhumation ad sanctos, près de l’église, est indéniablement l’expression
d’une conception chrétienne de la mort… et des progrès de l’encadrement
ecclésiastique des populations : cimetière chrétien et paroisse vont en effet
de pair 184. Désormais, les morts ne sont plus exclus de la sphère des
vivants : ces derniers s’établissent auprès d’eux et le cimetière devient un
lieu de la vie sociale. Désormais, on inhume même les défunts dans les
cités, une profanation qui aurait fait frémir d’horreur un Romain.
180. Jean-Paul JACOB & Jean-Régis MIRBEAU-GAUVIN, « Du don au mort à la rédemption. Evolution du
dépôt funéraire du Bas-Empire à l’apparition du don pro anima », TRG 48 (1 980), p. 307-327.
181. Michael BORGOLTE, « Gedenkstiftungen in St. Galler Urkunden », dans SCHMID & WOLLASCH
1984, p. 578-602, à la p. 591.
182. PAXTON 1 990 ; MCLAUGHLIN 1 994 ; TREFFORT 1 996.
183. STEUER 1982, p. 397 sq.
184. FIXOT & ZADORA-RIO 1 994 ; GALINIÉ & ZADORA-RIO 1 996 ; Gisela CANTINO WATAGHIN,
« The ideology of urban burials », dans BROGIOLO & WARD-PERKINS 1999, p. 147-180.
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La tombe comme testament
Le choix du lieu de sépulture, lorsque le défunt ou les membres de son
entourage en ont la possibilité, s’avère loin d’être neutre. Ainsi, la sépulture
de certains évêques 185 hors de leur église cathédrale ou de la basilique
accueillant traditionnellement la dépouille des prélats peut être révélatrice
de leur attachement à leur famille (tel Agilbert de Paris et Ebrégisile de
Meaux, inhumés à Jouarre) ou à la communauté monastique qu’ils avaient
fondée (tel Willibrord à Echternach ou Boniface à Fulda).
La sépulture à l’intérieur de l’église fit l’objet d’avis divergents au sein de
la Chrétienté du haut Moyen Âge occidental, sauf en ce qui concerne les évêques 186. Ce qui était jugé comme naturel pour eux fut accordé aux prêtres
et toléré pour certains pieux laïcs. Mais pour ces derniers, l’inhumation à
l’intérieur de l’église n’allait pas de soi, sauf peut-être pour les « fondateurs »
d’églises privées, et encore… Cette expression est loin de s’avérer heureuse
car, bien souvent, rien ne permet de préciser le lien qui unissait la personne
inhumée dans l’église et cette dernière. À cet égard, le témoignage des
sources écrites s’avère plus pertinent que l’analyse des données archéologiques 187. Un bel exemple est offert par la documentation de Saint-Gall,
qui permet d’observer comment un bien de la famille des Alaholfides
(Zell, sur le Danube), donné en 790 à l’abbaye de Saint-Gall par le comte
Berthold ( II) et son épouse, Gersinde, changea de nom : dans la charte
de 790, il est appelé Rammesauwa ; mais une quinzaine d’années plus tard,
il est désigné comme Perahtoltescella (c’est-à-dire : la « celle » de Berthold).
La place de la sépulture joue indéniablement un rôle important, qui
exprime dans la terre le statut au ciel de l’âme du défunt 188. Une charte de
Freising datant de 821 nous permet d’approcher les tensions qui pouvaient
exister à propos de l’inhumation d’un laïc à l’intérieur d’une église et la
part de concessions que le clergé pouvait faire. Un parent de l’évêque
Hitto avait donné son hereditas à l’église Saint-Martin de Nörting. À sa
mort, toute sa parentèle noble se retrouva dans cette église pour y procéder
à ses funérailles. La dépouille fut introduite dans l’église, on y célébra le
service des défunts, puis la donation fut confirmée sur l’autel en présence
de tous – mais finalement, le corps fut reconduit à l’extérieur pour être
inhumé hors de l’édifice 189.
185. SCHEIBELREITER 1983, p. 245 sq.
186. Bernhard KÖTTING, « Die Tradition der Grabkirche », dans SCHMID & WOLLASCH 1984, p. 6978, aux p. 76 sqq.
187. Michael BORGOLTE, « Stiftergrab und Eigenkirche. Ein Begriffspaar der Mittelalterarchäologie
in historischer Kritik », Zeitschrift für Archäologie des Mittelalters 13 (1 985), p. 27-38, spécialement p. 36.
188. Bonnie EFFROS, « Beyond cemetery walls : early medieval funerary topography and Christian
salvation », EME 6 (1 997), p. 1-23.
189. BULLOUGH 1983, p. 200.
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LES SOCIÉTÉS OCCIDENTALES DU MILIEU DU VIE À LA FIN DU IXE SIÈCLE
Une forme de sépulture chrétienne peut être tout à la fois considérée
comme expression d’humilité et signe de distinction : l’inhumation au seuil
des sanctuaires. L’inhumation dans la porticus des églises, dont le cas de
Charles Martel à Saint-Denis est loin d’être unique, peut s’avérer un
moyen de se rappeler au bon souvenir des vivants fréquentant le sanctuaire,
mais elle est surtout l’expression d’une forme de piété conjuguée à une
dimension pénitentielle, alors même que l’inhumation dans l’église est
contestée. Cette inhumation pouvait s’avérer temporaire, dans l’attente
d’une inhumation près de l’autel – qu’il s’agisse du délai nécessaire pour
l’achèvement de l’église (comme dans le cas de saint Fursy, mort vers 650,
pour qui Erchinoald fit construire l’église de Péronne) ou qu’il s’agisse
d’une période d’expiation : certains saints, tel Germain (à Saint-Vincent /
Saint-Germain-des-Prés) ou Walburge (à Monheim), n’appréciaient en
effet guère d’être piétinés par les fidèles 190.
Quant aux papes, on observe que leur inhumation à Saint-Pierre du
Vatican, qui est une pratique quasiment constante du début du VIe siècle
(Symmaque, † 514) au début du X e siècle (Anastase III, † 913), connaît
un changement « abrupt » au début du VIIIe siècle : les sépultures ne
sont plus placées au seuil de la basilique, mais à l’intérieur de l’église.
Ce change-ment peut être considéré comme l’expression d’une volonté
d’affirmation de la papauté 191, dont témoigne par ailleurs la politique de
construction monumentale et de mécénat alors menée à Rome par les
papes 192.
Le rythme de la vie sociale
La notion de temps est fondamentale dans le récit historique : le calcul
du temps conditionne la manière dont on ordonne les événements. Ce lien
entre « comput » et « narration » est exprimé par le continuateur de Ratisbonne, l’auteur d’une variante des Annales de Fulda 193 : au cours du récit
relatif à l’année 884, il évoque des événements ayant eu lieu en cette année
dont il « rend compte » (ceterum vero instanti anno, quo ista conputamus…).
Conter et compter partagent en effet la même origine. Le temps s’avère aussi
un élément essentiel de la vie sociale. Un autre exemple étymologique en
apporte éloquemment la preuve : le mot lombard thinx signifie « assem190. ANGENENDT 1994, notamment p. 75.
191. BORGOLTE 1989, notamment p. 94 et p. 101.
192. Paolo DELOGU, « The rebirth of Rome in the 8th and 9th centuries », dans HODGES & HOBLEY 1988,
p. 32-42 ; id., « Solium imperii – Urbs ecclesiae. Roma fra la tarda antichità e l’alto medioevo »,
dans RIPOLL & GURT 2000, p. 83-108; Thomas F. X. NOBLE, « Topography, celebration, and power :
the making of a papal Rome in the eighth and ninth centuries », dans JONG et alii 2001, p. 45-91.
193. Annales Fuldenses sive annales regni Francorum orientalis, éd. Friedrich KURZE, Hanovre 1891,
p. 112.
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LES CONDITIONS DE VIE
blée judiciaire » tout comme le viel-anglais /bing ; or ces mots viennent
d’une racine indo-germanique (*tenkos) qui a donné tempus en latin 194.
Le calendrier liturgique
La liturgie chrétienne 195 a profondément marqué la vie politique et
sociale du haut Moyen Âge. La date de nombreuses fêtes liturgiques
dépend de celle de Pâques ; la méthode de calcul établie par Denys le Petit
vers le début du VIe siècle a conditionné à la fois les usages liturgiques et
le calcul du millésime 196. La diffusion du comput pascal et l’intérêt manifesté aux temps carolingiens pour les questions qui s’y rapportent durent
beaucoup aux missionnaires anglo-saxons ; en la matière, Bède le Vénérable
peut passer pour le maître à penser de l’Europe carolingienne 197.
Le respect du repos dominical fut sans cesse ordonné au cours du haut
Moyen Âge 198 – mais cette règle fut apparemment souvent enfreinte. Dès
le début du VIe siècle, les évêques du monde franc interdirent le travail
lors des jours de grande fête (Noël, Pâques, Ascension, Pentecôte) et le
dimanche, qui devrait être un jour où l’on s’abstient de toute activité
profane : à propos d’une femme qui avait mis au monde un enfant
difforme et avait reconnu l’avoir conçu la nuit d’un dimanche, Grégoire
de Tours observe qu’il y a assez de jours dans la semaine pour s’adonner
au sexe – en revanche, on ne doit pas souiller le dimanche, qui est un jour
réservé aux prières 199. Aux prières et aux réjouissances, car les jours de
« fête » liturgique sont aussi des jours de « fête » tout court 200.
On connaît assez bien le calendrier liturgique en usage à Tours à la fin
du VIe siècle. Les fêtes de saint Martin attiraient grand monde à Tours :
non seulement des réjouissances populaires étaient organisées le 4 juillet
et le 11 novembre, mais on profitait également de l’occasion pour prendre
certaines décisions d’ordre politique 201.
En effet, les actes politiques majeurs qui pouvaient faire l’objet d’une
préparation minutieuse n’avaient bien souvent pas lieu n’importe quel
jour, mais lors de grandes fêtes religieuses. Ce phénomène, bien connu
194. E. KAUFMANN, « Ding », dans HRG 1, col. 742-744. Sur la conception très concrète du temps
dans les sociétés barbares, cf. GOUREVITCH 1983, p. 96 sqq.
195. Sur le rapport entre « liturgie et temps », cf. BRADSHAW 1995, p. 209 sqq.
196. Georges DECLERCQ, Anno Domini. Les origines de l’ère chrétienne, Turnhout 2 000.
197. HUNTER BLAIR 1990, p. 259 sqq. ; BORST 1999, p. 38 sqq.
198. Albrecht GRAF FINK VON FINCKENSTEIN, « Fest- und Feiertage im Frankenreich der Karolinger »,
dans SCHIEFFER 1990, p. 121-129.
199. VAN DAM 1985, p. 288.
200. Hans-Werner GOETZ, « Der kirchliche Festtag im frühmittelalterlichen Alltag », dans ALTENBURG
et alii 1991, p. 53-62.
201. Luce PIETRI, « Calendrier liturgique et temps vécu : l’exemple de Tours au V I e siècle », dans Le
temps chrétien de la fin de l’Antiquité au Moyen Âge, I I I e-X I I I e s., Paris 1984, p. 129-141.
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LES SOCIÉTÉS OCCIDENTALES DU MILIEU DU VIE À LA FIN DU IXE SIÈCLE
pour le Moyen Âge central 202, est également attesté pour les temps qui
précèdent, notamment l’époque carolingienne : c’est ainsi que Pépin le Bref
reçut le pape Etienne II à Ponthion le 6 janvier 754, c’est-à-dire le jour de
l’Epiphanie ; la fête de la Purification de la Vierge (la Chandeleur, fêtée le
2 février) fut un moment souvent choisi par Louis le Pieux pour réunir
l’assemblée d’hiver 203 (qui plus est, c’était le jour de son avènement impérial). Le choix du jour participe donc des modes de communication et de
mise en scène de la vie publique 204, mais il s’avère aussi l’expression d’une
prise en compte, dans le domaine politique, de la sacralisation du temps.
Les heures du jour
Saint Benoît contribua beaucoup à rendre le calcul des heures habituel :
il était indispensable à la célébration des offices. On se servait de cadrans
solaires, de chandelles dont on savait le temps qu’elles mettaient à brûler,
voire d’horloges hydrauliques. Charlemagne en reçut une du calife Harun
al-Rashid, en 807 ; elle fit sensation à la cour 205. C’est durant le haut
Moyen Âge que se répandit également l’usage de la cloche pour marquer le
temps. N’en déplaise à Walahfrid Strabon, qui lui reconnaît une origine
italienne en se fondant sur une étymologie fantaisiste 206, la cloche (dont
le nom sert encore aujourd’hui à exprimer l’heure en anglais : clock) fut
probablement importée d’Irlande et du monde anglo-saxon, par l’intermédiaire des missionnaires venus sur le continent aux VIIe et VIIIe siècles 207.
Dans les monastères, le cours du soleil déterminait le déroulement de
la journée (et de la nuit, où l’on chantait vigiles) ; d’une manière moins
sophistiquée, c’était bien évidemment aussi le cas pour les paysans. L’alternance du jour et de la nuit était assurément l’élément principal rythmant
alors la vie des hommes. La période d’obscurité pouvait être vécue comme
un temps particulièrement angoissant – nombreux étaient ceux qui renonçaient aux luminaires, par souci d’économie ou par crainte de l’incendie.
La pénombre était favorable aux forces maléfiques : c’est souvent la nuit
que les démons venaient persécuter les hommes 208.
202. Hans Martin SCHALLER, « Der heilige Tag als Termin mittelalterlicher Staatsakte », DA 30 (1 974),
p. 1-24.
203. Philippe DEPREUX, « Wann begann Kaiser Ludwig der Fromme zu regieren ? », MIÖG 102
(1 994), p. 253-270.
204. SIERCK 1 995.
205. GOETZ 1986, p. 25.
206. Alice L. HARTING-CORREA, « Walahfrid Strabo’s Libellus de exordiis et incrementis quarundam
in observationibus ecclesiasticis rerum. A Translation and Liturgical Commentary », Leyde 1996,
p. 62 (chap. 5).
207. BORST 1999, p. 48 sq.
208. RICHÉ 1973, p. 41.
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Chapitre III
Guerriers et paysans
L’agriculture et la guerre comptent assurément parmi les activités les
plus importantes durant le haut Moyen Âge – à tel point que, dans une
perspective économique et sociale, le diptyque « guerriers et paysans »
peut sembler être emblématique de cette époque1. Paradoxalement, le présent chapitre sera l’un des plus courts de ce livre, alors même que la société
du haut Moyen Âge est, avant tout, une société rurale et paysanne. Une
société rurale, car le poids démographique et économique des campagnes
est prépondérant. Une société paysanne, car la grande majorité de la
population est constituée de ceux qui travaillent la terre. Est-ce à dire que
les paysans sont ceux que nous connaissons le mieux ? Pas vraiment.
Évoquer les paysans en tant que tels s’avère essentiel si l’on veut
prendre conscience de leur place dans la société (comme les théoriciens du
haut Moyen Âge l’ont bien senti, « ceux qui travaillent la terre » sont
indispensables à la vie sociale). Mais il ne s’agit pas ici de faire de l’histoire
rurale à proprement parler 2, ni de l’histoire de la vie quotidienne. Si l’on
s’intéresse à la manière dont la société est organisée, nombre de ce qui
aurait pu être évoqué ici a sa place ailleurs – en voici deux exemples : on
ne saurait mieux approcher la famille « nucléaire » que par les dénombrements qu’on trouve dans certains documents de gestion domaniale 3 ;
quant à la propriété foncière 4, elle concerne les paysans à la fois comme
acteurs (le nombre de petits alleutiers était indubitablement beaucoup
plus élevé que celui des paysans apparaissant comme tels dans les chartes,
si tant est que nous puissions préciser leur statut social) et comme objets
(lors d’une donation de terre, il n’est pas rare qu’on cède les dépendants,
servi et mancipia, y étant attachés). En ce qui concerne la tenure paysanne,
1. DUBY 1 973.
2. Synthèse dans RÖSENER 1985, p. 18-30 ; cf. également COMET 1 992.
3. Cf. infra, p. 190 sq.
4. Cf. infra, p. 242 sq.
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LES SOCIÉTÉS OCCIDENTALES DU MILIEU DU VIE À LA FIN DU IXE SIÈCLE
on peut certes établir des différences régionales, expliquer par exemple la
spécificité du cas italien par la prépondérance de la petite propriété sur le
grand domaine 5, et souligner au contraire que le manse constitue une entité
administrative ou juridique au nord des Alpes. Mais tous les donateurs
aux églises n’étaient pas forcément des aristocrates, et nombre de chartes
documentant l’accroissement du patrimoine foncier des établissements
monastiques par des dons modestes qui contribuaient à la constitution
des grands domaines ecclésiastiques sont autant de témoignages – en négatif – d’une petite propriété paysanne (certes en voie de disparition, et bien
difficile à traquer 6). De même, le degré de « militarisation » des paysans
varie d’une région à l’autre. Par exemple, le fait qu’il semble assez élevé en
Catalogne, aux confins du monde franc et d’al-Andalus, est assurément
dû aux dangers de la vie en zone frontalière ; il explique aussi comment la
petite paysannerie libre put opposer assez longtemps une résistance à
l’emprise des seigneurs ecclésiastiques et des familles nobles 7. Or l’existence de paysans spécialisés dans le service armé est également attestée en
d’autres régions : par exemple, vers le milieu du IXe siècle, dans certains
domaines de l’abbaye de Saint-Bertin 8 – sans parler des énigmatiques
agrarii milites d’Henri l’Oiseleur, ces « guerriers vivant à la campagne »
évoqués par Widukind de Corvey 9.
Après avoir évoqué les difficultés que l’historien rencontre lorsqu’il
veut étudier les paysans du haut Moyen Âge, nous aborderons seulement
deux questions plus particulières : le cadre des rapports sociaux et la participation à l’ost – en revanche, il n’y a pas lieu ici de s’intéresser aux questions
d’histoire purement militaire10.
À la recherche du paysan
Le paysan, en tant que tel, se dérobe souvent à nos regards : il est
somme toute assez peu présent dans la littérature du haut Moyen Âge –
ainsi, « la poésie de Fortunat, où s’étale […] une campagne du tardo antico,
est vide d’hommes, de paysans » – et lorsqu’il apparaît, c’est généralement
5. Cf. par exemple Jean-Marie MARTIN, « Deux listes de paysans sud-italiennes du VIIIe siècle », dans
MORNET 1995, p. 265-276.
6. En raison de la dissémination des biens appartenant aux nobles et aux gros propriétaires fonciers,
la modestie d’une donation ponctuelle ne signifie pas qu’elle vient d’un « paysan », cf. WICKHAM
1995, p. 521.
7. WICKHAM 1992, p. 230.
8. Étienne RENARD, « Les herescarii, guerriers ou paysans ? », ALMA 57 (1 999), p. 261-272.
9. Matthias SPRINGER, « Agrarii milites », Niedersächsisches Jahrbuch für Landesgeschichte 66 (1 994),
p. 129-166.
10. BACHRACH 1 972 ; BACHRACH 1 993 ; BACHRACH 2 001 ; J. F. VERBRUGGEN, « L’art militaire dans
l’empire carolingien (714-100) », RBPH 23 (1979-1980), p. 289-310 et p. 393-411 ; Aldo
E. SETTIA, « La fortezza e il cavaliere : tecniche militari in Occidente », dans Morfologie 1998,
tome I , p. 555-580.
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GUERRIERS ET PAYSANS
sous un jour peu flatteur, sous celui d’un être enclin au péché, d’un pauvre
rustre « considéré par les couches supérieures de la société comme un
objet et un danger », comme « le simple repoussoir du riche ou du saint.
Sa seule raison d’être est de leur fournir un instrument, une occasion de
salut » en lui faisant l’aumône11.
Dès lors qu’on n’entend pas faire l’histoire des techniques ou du grand
domaine, l’histoire de la paysannerie est généralement confinée à l’histoire
du droit et des institutions. L’évolution de l’historiographie allemande est
à cet égard symptomatique. Au modèle des « paysans libres » (Gemeinfreie)
du VIe siècle dans une société égalitaire finalement sapée par l’essor de
l’aristocratie a succédé l’idée selon laquelle il n’y aurait eu que deux catégories juridiques : celle des non-libres (nous reviendrons plus loin sur la
question du statut des personnes12 et nous verrons que la différence entre
la liberté et son absence relève non pas de la dichotomie, mais plutôt du
dégradé ; de même, entre servitude et esclavage, l’expression plus neutre
ou ambiguë de « non-libre » semble préférable) et celle des nobles – selon
l’équation « Franc = libre = noble » ; seule la volonté royale aurait pu, sur
les terres fiscales, accorder aux non-libres un statut meilleur, celui de
« libres du roi » (Königsfreie) jouissant de la personnalité juridique mais
restant dépendants à l’égard du roi dans une sorte de « liberté servile » ou de
« servitude libre ». Bien que ces théories aient été réfutées, elles continuent
de conditionner l’approche que les historiens ont de la société paysanne13.
En fait, tous les statuts semblent connaître divers degrés, que seule l’étude
des pratiques peut contribuer à cerner14.
Mais d’une certaine manière, cette tendance historiographique, qui
privilégie l’approche institutionnelle, est guidée par le regard que portaient les lettrés et les gestionnaires de l’époque sur le paysan. Pour eux, la
paysannerie ne constitue pas une « classe sociale » ; le paysan n’est pas
quelqu’un dont on respecte le savoir-faire en tant que « métier ». En
témoigne le caractère fluctuant des appellations selon la nature des documents. Le paysan peut, certes, être désigné comme « celui qui cultive la
terre » (agricola) ou « celui qui vit à la campagne » (un « paysan » donc :
rusticus), mais le mot qui revient le plus souvent est celui de colonus, un
terme juridique désignant un statut, celui d’un libre-dépendant. Par
conséquent, c’est en tant qu’élément de la hiérarchie sociale qu’on conçoit
généralement le paysan15.
11. Jacques LE GOFF, « Les paysans et le monde rural dans la littérature du haut Moyen Âge
(Ve-VIe siècles) », dans Agricoltura 1966, p. 723-741 (citations : p. 727 et p. 737).
12. Cf. infra p. 168 sq.
13. WICKHAM 1992, p. 223 sq. ; Konrad ELMHÄUSER, « Königsfreie », dans LMA 5, col. 1327-1328.
14. WICKHAM 1992, p. 234 sqq.
15. Gerhard KÖBLER, « “Bauer” (agricola, colonus, rusticus) im Frühmittelalter », dans WENSKUS et alii
1975, p. 230-245.
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La Loi Salique fourmille pourtant d’allusions aux activités agricoles et
pastorales – et aux maints délits qu’on peut perpétrer à ce propos – ainsi
qu’aux conditions de vie au sein de l’exploitation. Mais de « paysan »,
point – ou presque, de même qu’il n’y est pas fait allusion à la noblesse,
alors qu’il est souvent question des rapports entre le dominus et les gens
placés dans sa dépendance et à son service. Mentionnons toutefois une
exception : une occurrence du terme arator (laboureur) peut sembler
significative de l’évolution que connaît la société du haut Moyen Âge. Il
s’agit d’un article concernant le vol d’un araire dans un champ. La version
ancienne de la Loi Salique ne fait mention que de l’araire, alors que la
version carolingienne, en 100 titres, prévoit qu’on puisse subtiliser non
seulement l’araire, mais « l’araire avec l’arator » – autrement dit : qu’on
puisse voler un laboureur16. Est-ce à dire qu’on est désormais plus enclin
à considérer le paysan comme un instrument de travail ? Il est en tout cas
indéniable qu’au fil du haut Moyen Âge, son champ de liberté se restreint,
alors que la communauté, espace de solidarité, prend de plus en plus, également, l’apparence d’un cadre contraignant.
La communauté d’exploitation
Dans les villages, il existait une hiérarchie sociale17. Le bref concernant
le domaine de l’abbaye de Saint-Bertin à Moringhem en apporte une
magnifique illustration18. On y voit des tenanciers exploitant des terres de
superficie inégale à leur compte et pour l’abbaye, un « maire » qui possède
une maison de maître, des terres, des bois et des mancipia, un « cavalier »
(caballarius) probablement désigné comme tel parce qu’il était assez riche
pour effectuer un service de courrier monté ou se rendre à l’ost à cheval
(sa richesse semble comparable à celle du maire). Les différences sociales
entre les personnes sont peut-être accentuées par le fait que le village
échappait jusqu’alors à l’emprise de la puissante abbaye voisine – selon
toute vraisemblance, le bref qui nous le fait connaître fut rédigé peu après
l’entrée du village dans la dépendance de Saint-Bertin.
Le fait d’être tous « hommes de tel saint » (l’expression homines sancti
Germani, à la suite des énumérations de personnes, ponctue le polyptyque
d’Irminon comme un leitmotiv) devait néanmoins contribuer à niveler les
disparités, sinon économiques, du moins juridiques – et renforcer le sentiment de solidarité. Toutefois, il ne faut pas s’imaginer le statut de dépendant comme quelque chose d’uniforme : les mancipia d’un même établis16. Ruth SCHMIDT-WIEGAND, « Der “Bauer” in der Lex Salica », dans WENSKUS et alii 1975, p. 128-152
(particulièrement p. 151).
17. Cf. également infra, p. 170 sq.
18. Traduction et commentaire par S. LEBECQ dans CONTAMINE et alii 1993, p. 61-62.
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sement n’étaient pas tous soumis au même régime – cela dépendait de la
manière dont leur entrée en dépendance ou celle de leurs ancêtres (ou
quelque aggior-namento ultérieur) furent négociés avec le (nouveau) seigneur foncier19.
Alors même qu’on a rappelé que le grand domaine n’est en rien le seul
modèle d’exploitation du sol (même entre Loire et Rhin au IXe siècle –
à moins qu’on parvienne jamais à prouver que le roi, les églises et les
familles aristocratiques possédaient l’ensemble des terres), force est de
reconnaître la force d’attraction, pour l’historien, des polyptyques et des
chartriers (lorsque le nombre des actes offre une base documentaire assez
solide pour analyser la politique gestionnaire d’un établissement 20) : c’est,
de fait, dans ces sources qu’on trouve le plus d’informations sur l’organisation de la vie rurale.
Nous avons vu plus haut que l’emploi du terme « village » était justifié,
notamment en raison de l’existence d’une réelle communauté de vie 21,
dont on cherchait à préserver la cohésion – en témoigne, en matière
d’adultère, le doublement de la peine que prévoient certains pénitentiels
lorsque la faute a été commise avec l’épouse du voisin 22. La plebs bretonne
(dont de nombreux toponymes gardent le souvenir, tels Plougastel, Ploërmel
ou Pleucadeuc) offre un bon exemple de ces micro-sociétés au sein desquelles, notamment, on règle les conflits 23.
Divers éléments matériels plaident en faveur d’une organisation collective de la vie villageoise au haut Moyen Âge 24 : c’est le cas non seulement
de l’agencement de certains habitats selon un plan régulier, mais aussi des
similitudes dans la manière de concevoir l’habitation, qu’on pourrait
expliquer par l’organisation de campagnes de construction où toute la
population était sollicitée 25. L’homogénéité des maisons rurales dans
l’Angleterre du début du VIe siècle peut être également interprétée comme
l’expression d’un certain égalitarisme ; il faut toutefois se montrer prudent
quant à l’analyse de la mise en place d’enclos, comme c’est par exemple le
cas à West Stow (Suffolk) au cours du VIIe siècle 26.
19. Étienne RENARD, Lectures et relecture d’un polyptyque carolingien (Saint-Bertin, 844-859), RHE
94 (1 999), p. 373-435.
20. Hans-Werner GOETZ, « Beobachtungen zur Grundherrschaftsentwicklung der Abtei St. Gallen
vom 8. zum 10. Jahrhundert », dans RÖSENER 1989, p. 197-246
21. Cf. supra p. 46 sq. ; cf. également Fred SCHWIND, « Beobachtungen zur inneren Struktur des
Dorfes in karolingischer Zeit », dans JANKUHN et alii 1977, p. 444-493.
22. MANSELLI 1977, p. 372.
23. DAVIES 1988, p. 63 sqq.
24. Cf. par exemple J. BESSMERNY, « Les structures de la famille paysanne dans les villages de la
Francia au IXe siècle. Analyse anthroponymique du polyptyque de l’abbaye de Saint-Germaindes-Prés », MA 90 (1 984), p. 165-193.
25. Anne NISSEN JAUBERT, « Habitats ruraux et communautés rurales », dans Ruralia II. Památky
archeologické – Supplementum 11, Prague 1998, p. 213-225 (particulièrement p. 222).
26. HODGES 1989, p. 34.
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L’existence de batteries de fours à pain ou d’aires d’ensilages sont également autant d’arguments en faveur de l’existence d’une communauté
d’habitants se pliant aux règles d’une organisation collective 27. On pourrait
aussi mentionner la construction et l’alimentation d’un pressoir à olives –
comme ce fut le cas dans la dernière phase d’occupation de la villa de
Vilaura en Catalogne 28 (VIe-VIIe siècles) – ou, plus généralement, l’organisation des corvées 29 – par exemple, celles de ces hommes « lunaires »
(lunarii) qui devaient travailler pour Saint-Bertin chaque lundi 30 – et de
l’assolement triennal, sur l’importance duquel il n’y a toutefois pas unanimité chez les historiens du haut Moyen Âge 31. Le pacage des troupeaux
nécessitait également une organisation communautaire. La mention d’un
porcher dans le polyptyque de Prüm ne signifie pas que les villageois se
dégageaient totalement de la garde des porcs, lorsqu’ils étaient menés à la
glandée : non seulement les paysans du domaine devaient apporter des
victuailles (victualia) au porcher – dans certains polyptyques, ce dernier
dispose (des revenus ?) d’un manse pour sa subsistance – mais ils devaient
aussi l’aider à tour de rôle 32.
Le système mis au point sous Charlemagne pour permettre aux
hommes libres de financer à plusieurs le départ de l’un d’entre eux à l’ost
lorsqu’ils n’avaient pas assez de revenus pour s’équiper eux-mêmes
témoigne aussi d’une forme de solidarité : il ne suffisait pas de payer
l’équipement, encore fallait-il aussi contribuer au bon fonctionnement de
l’exploitation de celui qui se dévouait (les dispositions prises au début du
IXe siècle s’inscrivaient peut-être dans une tradition plus ancienne, mais
nous n’en avons pas trace). Il n’est toutefois pas certain que cette mesure
concernait une grande partie de la population rurale.
La participation à l’ost
Les gens du peuple faisaient-ils partie du populus ? La question pourrait
paraître une boutade. Le recours au terme latin n’est toutefois pas simple
coquetterie de l’historien qui s’intéresse aux institutions : il est nécessaire
27. ZADORA-RIO 1995, p. 146.
28. R. F. J. JONES et alii, « The late Roman villa of Vilauba and its context. A first report on filedwork and excavation in Catalunya, North-East Spain, 1978-1981 », The Antiquaries Journal 62
(1982), p. 245-282.
29. Yoshiki MORIMOTO, « In ebdomada operatur, quicquit precipitur ei (le polyptyque de Prüm, X ) :
service arbitraire ou service hebdomadaire ? Une contribution à l’étude de la corvée au haut Moyen
Âge », dans DUVOSQUEL & THOEN 1995, p. 347-362.
30. Eric KLINGELHÖFER, « A suggested identification of the Carolingian “lunarius” », RBPH 61 (1983),
p. 265-269.
31. Yoshiki MORIMOTO, « L’assolement triennal au haut Moyen Âge. Une analyse des données des
polyptyques carolingiens », dans VERHULST & MORIMOTO 1994, p. 91-125.
32. KUCHENBUCH 1978, p. 287 sq.
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pour cerner la nature politique (et militaire) d’un corps dont seuls les
hommes libres sont membres. Quant à la réponse, elle s’avère en partie
négative (tout dépend du contexte dans lequel on évoque le populus –
même les esclaves font partie du populus christianus). Bien que (dès l’époque
mérovingienne 33) la convocation de l’armée pût ne pas coïncider avec la
tenue du plaid général, la réunion de l’ost était souvent, en même temps,
un événement politique auquel tous les hommes libres étaient censés
participer 34. Il s’agit de la théorie. En pratique, à l’époque carolingienne,
seuls les membres de l’aristocratie, les évêques, abbés et autres vassaux
royaux participaient aux grandes assemblées 35.
En ce qui concerne le service armé, le haut Moyen Âge peut sembler
une phase de transition : un moment pendant lequel on observe une
réduction de la fonction guerrière à la seule frange supérieure de la société (ces bellatores que sont les nobles, leurs vassaux et les professionnels du
maniement des armes à l’origine de la chevalerie 36) ; les serments de paix
de Dieu seront l’expression de cette évolution à partir de la fin du
Xe siècle. Il faut toutefois reconnaître que l’on peine à savoir quelle était
l’importance des troupes : les différences d’estimations, très sensibles (on
peut ainsi passer du simple au décuple selon les auteurs 37), montrent
combien le terrain est peu sûr – rappelons simplement que, pour le roi de
Wessex, Ine, on pouvait parler d’armée (here) à partir d’un contingent de
35 hommes 38 ! On peine également à savoir combien de gens étaient
concernés par l’obligation militaire, et quelle proportion de la population
ils représentaient – comme le note avec raison T. Reuter, notre information porte moins sur ceux qui devaient réellement rejoindre l’ost que sur
ceux qui, théoriquement, pouvaient être concernés par un ordre de mobilisation 39.
On considère que « le service militaire est dû par tous les hommes
libres, quelle que soit leur condition économique et leur rang social. Sans
doute a-t-il été commué, pour la masse énorme des colons (mais de faible
valeur guerrière), en des obligations de charrois, réquisitions, de denrées ou
service de guet local. Mais tous les propriétaires fonciers, grands ou petits,
33. Bernard S. BACHRACH, « Was the Marchfield Part of the Frankish Constitution ? », Medieval
Studies 36 (1 974), p. 178-185, rééd. dans BACHRACH 1 993 (n° IX ).
34. Sur les assemblées, cf. infra, p. 229 sq.
35. Werner AFFELDT, « Das Problem der Mitwirkung des Adels an politischen Entscheidungsprozessen
im Frankenreich vornehmlich des 8. Jahrhunderts », dans Aus Theorie und Praxis der Geschichtswissenschaft. Festschrift für Hans Herzfeld zum 80. Geburtstag, Berlin 1972, p. 404-423.
36. Josef FLECKENSTEIN, « Adel und Kriegertum und ihre Wandlung im Karolingerreich », dans Nascita
1981, tome I , p. 67-94.
37. Etat de la question dans CONTAMINE 1980, p. 101 sqq.
38. Richard ABELS, « Army », dans LAPIDGE et alii 1999, p. 47-48.
39. Timothy REUTER, « The recruitment of armies in the Early Middle Ages : what can we know ? »,
dans Anne NØRGÅRD JØRGENSEN & Birthe L. CLAUSEN (éd.), Military Aspects of Scandinavian
Society in a European Perspective, AD 1-1300, Copenhague, 1997, p. 32-37.
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LES SOCIÉTÉS OCCIDENTALES DU MILIEU DU VIE À LA FIN DU IXE SIÈCLE
de l’humble pagensis au plus haut seigneur, sont astreints au service 40 ».
Autrefois, seuls les citoyens romains devaient le service militaire (en théorie,
du moins) ; tout Franc libre se devait d’être un guerrier. Même si les
dépendants participaient à l’effort de guerre, par quelque moyen indirect
que ce fût, le service militaire, durant le haut Moyen Âge, ne toucha
probablement jamais plus qu’une minorité de personnes. Les historiens
succombent parfois à deux illusions : la permanence des institutions et le
romantisme – l’ost n’était cependant ni une armée de conscription, ni la
réunion de tous les « Gagnants » et autres « Redoutables » qu’étaient censés
être les Winniles et les Francs des temps héroïques, ces peuples où – selon
le mot de Tacite (Germanie, 13) – la framée faisait office de toge. Toujours
est-il qu’en matière de service armé, il existe probablement une différence
entre le VIe et le IXe siècle.
Certes, durant toute la période, il fut possible d’ordonner une mobilisation générale dans telle circonscription, en cas de danger imminent (par
exemple, pour faire face à une menace d’invasion) : c’est le landweri (qu’un
scribe rémois de la seconde moitié du IXe siècle glose fort justement comme
« la défense de la patrie »), auquel chacun doit contribuer – il faut noter
que ce terme n’est employé qu’une fois dans les capitulaires, dans un
contexte qui conduit à penser que ce presque-hapax n’apparaît aucunement de manière fortuite : en 847, à l’occasion du plaid tenu à Meersen
par Lothaire, Louis le Germanique et Charles le Chauve 41. L’idée de
« défense de la patrie » apparaît toutefois (dans sa formulation latine) en
un autre capitulaire, promulgué une quarantaine d’années plus tôt ; les
dispositions prises alors montrent bien que tous les hommes libres ne sont
pas systématiquement mobilisés. Charlemagne prévoit en effet que les
Saxons doivent se rendre à l’ost dans la proportion de 1 sur 6 s’il s’agit d’une
expédition en Espagne, dans celle de 1 sur 3 s’il s’agit d’une campagne en
Bohême, mais que tous doivent être mobilisés en cas d’expédition chez les
Sorbes, c’est-à-dire les voisins immédiats 42.
Un autre capitulaire datant de la même époque tend à prouver que la
participation à l’ost n’est alors plus l’affaire de tous, même si on observe
dans l’Italie des temps carolingiens une extension à l’ensemble des hommes
libres de l’appellation Arimanni, qui désignait à l’origine les Lombards
exercitales – les hommes effectuant le service armé (ha/erimanni = « les
hommes de l’armée ») au titre de la dotation foncière reçue du roi 43. Dans
un capitulaire relatif à la levée de l’armée, Charlemagne énonce le principe
40. PERROY 1974, p. 234.
41. Annette DE SOUSA COSTA, Studien zu volkssprachigen Wörtern in karolingischen Kapitularien,
Göttingen, 1993, p. 297 sqq.
42. Capitulaire n° 49 (c. 2) commenté par Timothy REUTER, « The End of Carolingian Military
Expansion », dans GODMAN & COLLINS 1990, p. 391-405, à la p. 399.
43. Giovanni TABACCO, « Arimannia, Arimannen », dans LMA 1, col. 932-933.
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GUERRIERS ET PAYSANS
selon lequel les « hommes libres » qui ne sont pas assez riches pour financer
leur équipement doivent s’associer pour aider l’un d’entre eux à partir 44.
Les critères ont varié, mais il est toujours question de personnes dont la
propriété ou le bénéfice équivaut à plusieurs manses – traduisons de
manière plus parlante : à plusieurs exploitations agricoles. Ces propriétaires
fonciers ou titulaires d’un bénéfice sont des vassaux, comme en témoigne
la précision suivante : ces « hommes libres » doivent se rendre à l’ost en
accompagnant leur seigneur (senior) ou bien, dans le cas où ce dernier ne
participe pas à l’expédition (notons cette possibilité !), avec le comte dont
ils dépendent 45. Il convient de rapprocher ce document de la lettre à l’abbé
Fulrad de Saint-Quentin, qui date de la même époque. Dans cet ordre de
mobilisation, Charlemagne enjoint l’abbé de se rendre en Saxe avec ses
« hommes » (cum hominibus tuis), c’est-à-dire avec ses vassaux. Ces derniers
doivent faire en sorte de ne jamais s’écarter de leurs chariots (où sont
entassés vivres, vêtements, armes et outils) et de leurs propres cavaliers
(caballarii sui), afin que l’absence momentanée de leur maître (dominus)
ne fournisse pas à ses hommes (homines) l’occasion de faire le mal – comprenons : de se livrer en chemin au pillage 46. On constate ici la polysémie
du terme homo, qui signifie indubitablement « vassal » dans la première
occurrence et, dans la seconde, plus probablement « dépendant » (l’un des
sens n’excluant bien entendu pas l’autre), car les cavaliers ont un « maître »,
et non un seigneur : nous avons ici affaire à des rapports qui s’inscrivent
plutôt dans le cadre de la seigneurie foncière. Résumons : seuls les
« hommes libres » jouissant des revenus de plusieurs exploitations sont
astreints au service d’ost, à charge pour eux d’avoir une suite adaptée (en
cavaliers, mais aussi en piétons). Parmi ces cavaliers et ces piétons, il y
avait assurément des paysans réquisitionnés – dans une proportion que
nous ignorons, mais qui devait à l’évidence ne pas compromettre les
travaux des champs.
En allait-il autrement plus tôt ? La chose est possible : à la faveur des
troubles de la fin du VIe siècle, dans le monde franc, les inferiores et les
pauperes ont pu être réquisitionnés 47 ; le roi wisigoth Erwig, dans le
quatrième quart du VIIe siècle, ordonna aux propriétaires fonciers, quelle
que fût leur origine ethnique, de se rendre à l’armée avec une partie de
leurs esclaves 48. Les témoignages d’une participation assez large au service
armé sont plus variés et plus convaincants pour les périodes hautes que
44. François Louis GANSHOF, « L’armée sous les Carolingiens », dans Ordinamenti 1968, tome I ,
p. 109-130.
45. Capitularia regum Francorum, tome I , éd. Alfred BORETIUS, Hanovre, 1883, p. 137 (n° 50, chap. 1).
46. Ibid., p. 168 (n° 75). Ce document date de 806, cf. François Louis GANSHOF, « Observations sur
la date de deux documents administratifs émanant de Charlemagne », MIÖG 62 (1 954), p. 83-91.
47. BACHRACH 1972, passim (notamment p. 64).
48. CONTAMINE 1980, p. 94.
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pour les temps carolingiens. Néanmoins, on dispose aussi de témoignages
montrant qu’on pouvait, déjà au VIIe siècle, trouver le moyen d’échapper au
service armé et que l’obligation de rejoindre l’ost ne s’appliquait pas à tous 49.
Cette restriction du service d’ost fut, entre autres choses, liée à l’importance croissante de la cavalerie – que Raban Maur ait décrit l’entraînement
des phalanges en s’inspirant du De re militari de Végèce 50 ne change rien
à l’affaire. Selon le témoignage concordant de plusieurs sources (d’origine
franque et byzantine), les combattants à cheval étaient relativement rares
chez les Francs au VIe siècle. En revanche, vers la fin du IXe siècle, ces derniers
semblent ne plus être habitués au combat à pied – c’est ce qui ressort du
commentaire de l’auteur des Annales de Fulda concernant la bataille livrée
aux Vikings par le roi Arnulf, en 891, sur la Dyle 51.
49. Cf. INNES 2 000, p. 143 sqq.
50. BACHRACH 2 001, p. 87 sqq.
51. L’annalyse de Heinrich BRUNNER, « Der Reiterdienst und die Anfänge des Lehnswesens », ZRG
GA 8 (1 887), p. 1-38, a été réfutée par Bernard S. BACHRACH, « Charles Martel, Mounted Shock
Combat, the Stirrup and Feudalism », Studies in Medieval and Renaissance History 7 (1970),
p. 49-75, rééd. dans BACHRACH 1 993 (n° XII ), au motif que le mot employé par l’annaliste
(pedetemptim) ne signifierait pas que les troupes combattirent « à pied ». Le témoignage de
Réginon de Prüm est toutefois explicite, cf. The Annals of Fulda, trad. Timothy REUTER,
Manchester, 1992, p. 122 note 9.
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Chapitre IV
Des groupes sociaux privilégiés
La richesse est un facteur de distinction sociale – nous venons de l’évoquer à propos de la participation à l’ost, qui nous a fait pénétrer dans l’univers des vassaux de grands seigneurs laïques et ecclésiastiques, eux-mêmes
assurément vassaux du roi à partir de l’époque carolingienne, dans le
royaume des Francs. Définir ainsi ces « guerriers » revient à les considérer
dans leur rapport à une personne précise, sous la protection de laquelle ils
s’étaient placés et de laquelle ils attendaient des bienfaits (au sens technique,
mais aussi plus largement). En revanche, si l’on cherche à situer ces vassaux
dans l’échelle sociale, il convient de reconnaître en eux des « nobles » ou
des aristocrates dont le rang est plus ou moins élevé. Ces membres de l’élite
apparaissent sous divers visages : comme représentants de (grandes) familles
nobiliaires ou comme ecclésiastiques et « hommes de Dieu » – les évêques
et les abbés critiquent parfois les nobles laïques, le protocole aulique et les
usages administratifs les en distinguent, mais ce sont bien souvent des
parents et des alliés, qui servent des intérêts somme toute conjoints.
Les élites
Qu’ils fondent leur prestige sur une antiquité vénérable, sur la richesse
dont ils disposent ou sur leur vaillance aux combats, les nobles 1 se distinguent du commun par le pouvoir qu’ils exercent ; en ce sens, ils forment
une « aristocratie » dont l’histoire, dans le monde franc, est marquée par le
renforcement des liens à l’égard de la famille royale et du roi qui attribue
les honores, ces charges publiques dont l’exercice est un honneur. Même si
l’étude de cette question est moins facile dans l’Angleterre anglo-saxonne,
il semble que la noblesse, à la fin du IXe siècle, partage bien des traits de
l’aristocratie franque 2.
1. Présentation générale dans AURELL 1996.
2. Timothy REUTER, « Introduction », dans REUTER 1979, p. 1-16, aux p. 12 sq.
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Les critères de la noblesse
Certains indices tendent à prouver qu’à l’époque qui nous intéresse ici,
la « noblesse » peut être considérée comme un état (on est noble parce qu’on
naît noble – parce que la lignée est depuis si longtemps illustre qu’on n’a
plus mémoire de l’obscurité des origines) ; mais on peinerait bien s’il fallait
en donner une définition juridique. Il est en tout cas indéniable que les
homines novi sont en général mal vus. En témoigne la description assassine
que Grégoire de Tours fait de Leudaste, ce fils d’un esclave appartenant à
un vigneron du fisc, dont il retrace la carrière avec une aversion non dissimulée, des cuisines du roi au comté de Tours 3. De même, Thégan s’en
prend violemment à l’archevêque de Reims, Ebbon, le frère de lait de l’empereur Louis le Pieux qui, en dépit de son origine servile, fit une carrière
exceptionnelle. Ebbon trahit cependant son bienfaiteur en 833, c’est pourquoi le chorévêque de Trèves lui assène cette vérité : Louis le Pieux « t’a
rendu libre, mais il n’a pas fait de toi un noble, car cela est impossible 4 ».
Dans ses Miracles de saint Benoît rédigés vers le milieu du IXe siècle, Adrevald
de Fleury attribue une origine servile à plusieurs comtes du temps de
Charlemagne (Raho à Orléans, Sturmi à Bourges, Bertmund en Auvergne),
mais son témoignage s’avère suspect dans la mesure où il pourrait s’agir
d’un propos diffamant à l’encontre d’adversaires de l’abbaye 5. Il importe
peu que l’affirmation d’Adrevald soit véridique ou non, l’essentiel réside
en ceci : il est certes possible qu’une personne d’origine servile accède aux
fonctions comtales, mais ses ennemis se plaisent à en manier le rappel
comme une arme. Somme toute, cela n’est pas sans présenter d’analogie
avec l’histoire du ministérial Bertulf, devenu prévôt de Saint-Gatien de
Bruges et chancelier de Flandre, dont la révélation de l’origine servile conduisit à l’assassinat de Charles le Bon, en 1127.
Le noble (nobilis) est, littéralement, quelqu’un de « connu ». Il est surtout reconnu comme une personne se distinguant du « peuple » (en francique, les termes forgés sur le radical theo-, qui veut dire « peuple », se réfèrent à l’état servile 6), quelqu’un dont la valeur est plus grande que celle du
commun (ce dont on trouve l’expression dans les tarifications des lois barbares, sauf dans le droit salique). L’importance de la naissance est soulignée
par l’expression maiores natu, mais l’accent est mis sur la richesse lorsqu’on
évoque les potentes. Ces vocables sont sans équivoque, de même que les
termes d’optimates et de proceres, qui prennent le relais à l’époque carolingienne. Ce n’est en revanche pas le cas du mot « franc » ; ainsi, dans certaines sources (notamment le Liber historiae Francorum, écrit en Neustrie
3. Histoires, V, 48.
4. THEGAN, Die Taten Kaiser Ludwigs – ASTRONOMUS, Das Leben Kaiser Ludwigs, éd. et trad. Ernst
TREMP, Hanovre, 1995, p. 232 (c. 44). Sur Ebbon, cf. DEPREUX 1997, p. 169 sqq.
5. WERNER 1965, p. 126.
6. OLBERG 1991, p. 193 sqq.
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au début du VIIIe siècle) l’expression Franci peut désigner non pas tout le
peuple des Francs, mais seulement les membres de l’aristocratie, ceux qui
comptent réellement parmi les Francs 7.
En fait, la noblesse est essentiellement un comportement social, une
manière d’être en société – qu’on soit dans l’univers héroïque de Beowulf ou
à la cour du roi Æthelred de Mercie, l’apparence noble compte beaucoup :
c’est à sa parure et à sa générosité qu’on reconnaît un noble ; ce sont « les
traits de son visage, son comportement et sa manière de parler » qui trahirent le jeune Imma, fait prisonnier lors d’une bataille (probablement celle
qui opposa les rois de Mercie et de Northumbrie sur les bords de la Trend,
en 679) et qui tentait de se faire passer pour un paysan afin d’échapper à la
mort réservée aux vaincus 8. De même, au tournant du IXe et du Xe siècle,
Réginon de Prüm affirme que les membres des grandes familles aristocratiques se prévalaient de la « noblesse de leur chair » (autrement dit : leur
haute naissance), du « très grand nombre de leurs parents » (comprenons :
le fait qu’ils disposent de « réseaux familiaux étendus ») et de « leur immense
puissance terrestre » (c’est-à-dire : l’importance de leur patrimoine foncier 9).
Les traditions familiales jouent également un rôle essentiel : il y a une
« culture nobiliaire », une « conscience de soi » assez forte 10. Les familles
aristocratiques tirent leur nom (et leur identité) soit d’un trait particulier,
soit d’un ancêtre, soit d’un lieu particulièrement important pour elles 11.
Ainsi, en Bavière, la genealogia des Fagana est la famille des « Joyeux » alors
que celle des Hahilinga descend d’un certain Hahilo, de même que la famille
ducale des Agilolvinga tire son nom d’Agilolf/Agiulf. L’étymologie est moins
évidente dans le cas des Feringa, qui pourraient être les descendants de Fara ;
par conséquent, les Feringa pourraient être apparentés à la famille des
Faronides installée à Meaux – d’ailleurs liée aux Agilolfides. Le nom des
Feringa est d’autant plus intéressant qu’on considère que les genealogiae
mentionnées dans le prologue de la Loi des Bavarois sont d’anciennes farae
lombardes 12. Quoi qu’il en soit, il semble également évident que le toponyme de Föhring est particulièrement associé à cette famille. Ce lien entre
toponyme et patronyme 13 est également patent dans le cas d’une famille
7. GERBERDING 1987, p. 85.
8. Jane ROBERTS, « The Old English Vocabulary of Nobility », dans DUGGAN 2000, p. 69-84, aux
p. 71 sq.
9. LE JAN 1995, p. 59.
10. Joachim WOLLASCH, « Eine adelige Familie des frühen Mittelalters. Ihr Selbstverständnis und ihre
Wirklichkeit », AKG 39 (1957), p. 150-188.
11. Sur ce qui suit, cf. STÖRMER 1973, t. 1, p. 44-51.
12. JARNUT 1986.
13. Au sens antique du terme – il n’y a pas de patronyme au sens moderne, bien qu’en certains endroits
(c’est le cas en Italie au IXe siècle), la référence au père sous la forme « Untel filius quondam Untel »
(principe qu’on retrouvera dans les noms anglais « FitzUntel ») puisse faire figure de balbutiement.
La formation du système patronymique est un processus plus tardif, assez long et complexe,
cf. Monique BOURIN & Pascal CHAREILLE, « Le choix anthroponymique : entre hasards individuels
et nécessités familiales », dans Monique BOURIN & Pascal CHAREILLE (éd.), Genèse médiévale de
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dont le nom est un hapax dû à Cozroh, le scribe du cartulaire de Freising :
il mentionne les « hommes qui s’appellent Mohingara » dans la rubrique
d’une charte datant des années 806-808 – il s’agit en fait des « gens de
Moching », un toponyme que l’on trouve dans la région concernée par ce
document : Ampermoching et Feldmoching (au nord-ouest de Munich).
De même, les frères ayant fait la donation à la « celle » Saint-Maximilien
de Bischofshofen d’un bien sis in villa Albîn (identifiée comme Oberalm,
à une quinzaine de km au sud de Salzbourg, à la confluence de l’Almbach
et de la Salzach) sont des membres de la famille Albina 14.
Dans son Histoire des Lombards, Paul Diacre livre un témoignage particulièrement intéressant sur la conscience familiale des membres de l’aristocratie (ce qu’il rapporte à propos d’une famille lombarde, la sienne, a
– mutatis mutandis – une valeur assurément plus large). Décidant d’abandoner pour un moment « l’histoire générale », il évoque le destin « privé »
de sa genealogia. Le souvenir de Paul Warnefrid remonte jusqu’à la quatrième génération, c’est-à-dire jusqu’aux temps héroïques de la conquête
de l’Italie quelque deux cents ans plus tôt. L’essentiel de ce qu’il rapporte
consiste en une démonstration de la bravoure de son trisaïeul et en un rappel de l’origine du patrimoine foncier de la famille 15. Ce récit pour une
part légendaire a toutes l’apparence d’un mythe des origines dont on imagine bien la transmission orale de père en fils, un phénomène auquel Thégan
fait référence lorsqu’il évoque la généalogie de Charlemagne 16.
Tradition et sang neuf
Indéniablement, durant tout le VIe siècle et même parfois au-delà, la
noblesse sénatoriale se maintint au pouvoir, notamment par un contrôle
des fonctions épiscopales qui s’apparente parfois à un monopole 17. Ainsi,
en Auvergne, les membres de la famille des Aviti sont attestés sur le siège
épiscopal de Clermont jusqu’à l’aube du VIIIe siècle 18. Lorsqu’elles parviennent à s’imposer, les familles d’origine germanique tentent d’établir
une mainmise similaire sur les sièges épiscopaux 19. Il ne faudrait cependant pas croire que tous les évêques des temps mérovingiens étaient d’origine noble; ce n’était par exemple pas le cas d’Injuriosus de Tours (deuxième
quart du VIe siècle) ou de saint Éloi († 660), évêque de Noyon, dont l’aul’anthroponymie moderne, t. 3 : Enquêtes généalogiques et données prosopographiques, Tours, 1995,
p. 219-241.
14. WOLFRAM 1974.
15. Histoire des Lombards, IV, 37 in fine.
16. THEGAN, Die Taten Kaiser Ludwigs – ASTRONOMUS, Das Leben Kaiser Ludwigs, éd. et trad. Ernst
TREMP, Hanovre, 1995, p. 174-176 (chap. 1) : sicut paterno relatu didicimus.
17. HEINZELMANN 1976.
18. Ian WOOD, « The Ecclesiastical Politics of Merovingian Clermont », dans WORMALD et alii 1983,
p. 34-57.
19. SCHEIBELREITER 1983, p. 170.
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teur de la Vita affirme simplement qu’il était né de parents libres (ingenui)
– la modestie inhabituelle du propos est un gage de vérité 20.
Cet attachement des familles nobles au pouvoir épiscopal, pour ainsi
dire le seul organe de gouvernement efficace aux VIe et VIIe siècles, traduit
l’essence même de leur statut : les nobles sont ceux qui dirigent. La richesse
n’y suffit pas – et ce trait demeure, comme l’illustre un exemple plus tardif : dans les Abruzzes du milieu du IXe siècle, un Corbin fils de Waldemar
peut certes s’avérer plus riche que bien des gastalds et rivaliser avec le niveau
de vie de certains comtes, il n’accède pas à leur cercle, car il est extérieur au
réseau des clientèles vassaliques 21.
Les contemporains de Corbin vivaient à une époque où il était indispensable d’entretenir des relations (familiales et/ou vassaliques) avec le roi
– l’association de l’idée de noblesse à la royauté trouve aussi son expression
dans l’évolution sémantique du terme ætheling qui, du sens de « fils de
noble », prend celui de « fils de roi » vers la fin de l’époque anglo-saxonne 22.
Un tel lien entre la royauté et la noblesse n’existait pas trois siècles plus tôt.
Les familles aristocratiques pouvaient alors être relativement indépendantes
par rapport au pouvoir royal. Cela est tout particulièrement vrai des familles
de la noblesse sénatoriale ou d’autres familles d’origine romaine, mais aussi
de familles franques s’étant développées parallèlement à la dynastie mérovingienne 23. Les rapports entre les Mérovingiens et les nobles ont fait l’objet d’analyses divergentes, qui sont notamment fondées sur l’interprétation
de l’absence de toute référence explicite à la noblesse dans la Loi Salique.
Ainsi, on a pu formuler l’hypothèse selon laquelle Clovis aurait sapé tout
pouvoir rival ; une explication radicalement différente (et plus vraisemblable) veut que les nobles, au contraire, aient été assez puissants face à
Clovis pour se poser en marge de la sphère d’influence du pouvoir royal –
définissant par exemple seuls le montant du Wergeld les impliquant 24.
La permanence de certaines familles nobiliaires n’excluait toutefois pas
l’émergence de nouveaux lignages. Les fouilles réalisées en 1982 à
Herrsching, près de l’Ammersee (Bavière) ont permis de mettre à jour une
nécropole particulièrement intéressante, non seulement en raison de la
richesse du mobilier de certaines sépultures, mais parce que la disposition
des tombes laisse percevoir une évolution au cours du VIIe siècle : alors que
les tombes les plus anciennes de personnages apparemment importants
– l’un d’eux portait une bague sur laquelle avait été monté un sou d’or de
l’empereur Héraclius (610-641), un cheval fut inhumé à proximité de la
20. Ibid., p. 29.
21. FELLER 1998, p. 564 sq.
22. David N. DUMVILLE, « The ætheling : a study in Anglo-Saxon constitutional history », ASE 8
(1979), p. 1-33.
23. WERNER 1965 ; cf. également Paul FOURACRE, « The Origins of the Nobility in Francia », dans
DUGGAN 2000, p. 17-24.
24. IRSIGLER 1969.
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tombe d’un autre – se trouvent mêlées à d’autres sépultures, une partie du
cimetière fut ensuite (à la fin du VIIe siècle) réservée à l’inhumation
d’hommes autour de la tombe d’un personnage richement habillé, qui était
protégée par une petite construction. C’est probablement aussi vers cette
époque que l’église de bois fut reconstruite en pierre. On peut penser que
ce changement spatial reflète une évolution sociale conduisant à la distinction d’une partie de la population – autrement dit : à l’affirmation d’une
famille aristocratique. Or le fait que Herrsching, qui comptait parmi les
biens allodiaux d’Isanhart, fut donné par ce dernier au monastère de
Schlehdorf en 776 permet de mettre ce site en relation avec la famille des
Huosi, dont le défunt de la tombe n° 9 pourrait être un parent 25.
L’aristocratie « d’Empire » aux temps carolingiens
Les Carolingiens ne sont pas autre chose qu’une famille aristocratique
qui a particulièrement réussi. Les Pippinides parvinrent à juguler les oppositions à leur ascension politique au sein des familles austrasiennes, tels les
Unrochides – promis toutefois à un bel avenir, puisque le marquis Évrard
de Frioul 26 († 864-866), gendre de Louis le Pieux, et l’empereur Bérenger Ier
(† 924) en sont issus – et les Widonides (caractérisés par les noms récurrents de Gui et de Lambert), qui compteraient également parmi les grandes
familles du IXe siècle. Les Pippinides s’établirent fermement au pouvoir en
intégrant ces familles dans leurs réseaux d’alliances. Les mariages et la vassalité furent deux instruments de contrôle des familles aristocratiques. À partir du règne de Charlemagne, on peut considérer que tout comte est le vassal du roi. Désormais, ce qui fait qu’une famille nobiliaire tient le haut du
pavé, c’est qu’elle est apparentée aux Carolingiens 27.
Vers le milieu du VIIIe siècle, le comte Machelm, présenté dans les actes
de la pratique comme un personnage de tout premier plan (vir illustris, vir
clarissimus) est représentatif de ces membres de l’aristocratie dont les
domaines fonciers et les réseaux de relations se déploient en plusieurs
régions 28. Plusieurs des donations qu’il fit aux monastères de Bavière (par
exemple à Freising et à Niederaltaich) témoignent de ses bons rapports avec
25. KELLER 1988.
26. Christina LA ROCCA & Luigi PROVERO, « The dead and their gifts. The will of Eberhard, count of
Friuli, and his wife Gisela, daughter of Louis the Pious (863-864) », dans THEUWS & NELSON
2000, p. 225-280.
27. La bibliographie est particulièrement abondante sur l’aristocratie aux temps carolingiens. On n’en
retiendra ici que quelques titres. Au nombre des études fondatrices, citons : TELLENBACH 1957 ;
WERNER 1965 ; Karl SCHMID, « Über die Struktur des Adels im frühen Mittelalter », Jahrbuch für
fränkische Landesforschung 19 (1959), p. 1-23 ; rééd. dans SCHMID 1983, p. 245-267 (traduction
anglaise dans REUTER 1979, p. 37-59). On dispose d’une synthèse par Stuart AIRLIE, « The aristocracy », dans MCKITTERICK 1995, p. 431-450. Parmi les publications majeures des dernières
années, LE JAN 1995 et LE JAN 1998 offrent l’approche la plus complète et la plus novatrice.
28. STÖRMER 1972, p. 42-49.
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les ducs Agilolfides. Il était d’ailleurs apparenté à Swanahilde, l’épouse de
Charles Martel ; de même, il était probablement parent de l’abbesse Emhilt
de Milz et du comte Gérard Ier de Paris : ses réseaux familiaux s’étendent
ainsi de la Thuringe à la Neustrie. Machelm favorisa certes des établissements bavarois, mais aussi le monastère de Lorsch, qui fit l’objet de la générosité d’autres membres de sa famille. De fait, il était possessionné dans la
région du Rhin moyen et du Neckar. Sa famille semble avoir préservé son
influence en Bavière à la génération suivante, mais elle disparaît des sources
assez rapidement sous le règne de Louis le Pieux. Alors que ce destin tranche
par rapport aux autres familles nobiliaires dont on peut suivre l’évolution
sur plusieurs générations, le rayon d’action, fort large, du comte Machelm
est en revanche tout à fait révélateur de l’échelle à laquelle vivaient les
membres de l’aristocratie : celle du royaume des Francs 29.
L’exemple de la Bavière, où les Fagana semblent avoir été intégrés au
réseau familial des Huosi, eux-mêmes liés à la dynastie carolingienne, montre
bien qu’il n’est plus possible de parler d’une aristocratie « bavaroise » au
IXe siècle, si tant est qu’elle le fût jamais : il s’agit d’une « aristocratie
d’Empire » ou, mieux, d’une aristocratie étroitement liée aux autres familles
du monde franc, dont les intérêts ne sont plus limités à une seule région 30.
L’attribution du siège épiscopal de Langres 31 à la famille fondatrice de
Schäftlarn et le fait que Pépin le Bref confia la garde du siège épiscopal
d’Auxerre à six principes bavarois restés anonymes montrent l’intensité des
échanges (alors même que les relations étaient parfois tendues entre les
Agilolfides et la dynastie carolingienne, qui étaient d’ailleurs apparentés en
la personne de Tassilon III). Au IXe siècle, cette tradition ne fut pas démentie, puisque trois évêques d’Auxerre, entre 816 et 873, furent d’origine bavaroise. Les liens de la Sippe des Huosi avec le monde franc sont également
illustrés par les dédicaces des églises : à saint Martin, patron des églises de
Haushausen et de Nörting, mais aussi à saint Denis, vénéré à Schäftlarn et
à Schlehdorf 32. Il est d’ailleurs probable que la dédicace de l’église de
Schäftlarn soit une conséquence de la visite de Tassilon III à Compiègne
en 757, visite lors de laquelle il aurait reçu des reliques de saint Denis 33.
L’aristocratie carolingienne se caractérise par sa grande mobilité, une
mobilité parfois liée à l’exil (c’est le cas des partisans de Lothaire Ier vers la
fin du règne de Louis le Pieux) ; mais le plus souvent, c’est le service du
souverain qui motivait cette mobilité. Le roi (ou l’empereur) plaçait ses
29. Pour d’autres exemples en lien avec la Bavière, qui présente l’intérêt de constituer un territoire cohérent intégré en tant que tel au royaume franc, cf. Josef SEMMLER, « Zu den bayerisch-westfränkischen Beziehungen in karolingischer Zeit », ZBLG 29 (1966), p. 344-424.
30. STÖRMER 1972, p. 90-120.
31. Langres et ses évêques, VIIIe-XIe siècle, Langres, 1986 (cf. les contributions de Wilhelm STÖRMER et
de Jean MARILIER).
32. À ce propos, cf. STOCLET 1993, p. 252 sqq.
33. JAHN 1991, p. 358-370.
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gens pour mieux contrôler certaines régions – ce fut par exemple le cas des
Widonides dans les comtés de Vannes et de Nantes à la fin du VIIIe siècle
et dans le premier tiers du IXe siècle 34 et des Robertiens, qui leur sont apparentés, en Neustrie et dans la vallée de la Loire 35. C’est en raison du soutien du pouvoir central que ces familles purent s’implanter localement.
Dans la seconde moitié du IXe siècle, on observe désormais un « enracinement » à l’origine d’une nouvelle donne politique 36.
Les maîtres du pouvoir local
Les grandes familles nobiliaires qui forment l’aristocratie « d’Empire »
ne sont pas les seules, bien évidemment. Il existe une gradation dans la
noblesse, mais force est de reconnaître que nous éprouvons de grandes difficultés à cerner l’échelon le plus bas de l’élite. Cette hiérarchie se lit dans
les titres : à l’évidence, le dux a plus de lustre que le comes – même si un duc
est en fait un comte 37. Mais il y a comte et comte ; il y a ceux qui influent
sur la vie politique, et il y a les personnages de second plan, tels les comtes
abruzzais Milon, Nibon et Adalbert de Teramo (dans la seconde moitié du
IXe siècle), qui sont de grands propriétaires fonciers, mais des personnes de
peu de poids politique et qui doivent leur position à d’autres comtes, plus
importants, dont ils peuvent s’avérer les vassaux 38 (c’est explicitement le cas
de Nibon à l’égard du comte Ildebert de Camerino, le représentant immédiat du roi dans la région). Quant aux agents subalternes du pouvoir, les
viguiers et autres centeniers, ils apparaissent parfois dans les sources, mais
de manière tellement ponctuelle qu’il n’est généralement pas possible de
reconstituer leur famille et d’évaluer précisément leur pouvoir – assurément
à l’échelle de leur ressort 39. Ce n’est qu’au sortir du haut Moyen Âge qu’on
peut réellement appréhender les petites familles nobiliaires, qui descendent
bien souvent des cadets de lignées plus prestigieuses, mais aussi des vassaux
de ces membres de la haute noblesse établis aux VIIIe et IXe siècles 40.
Quelques heureux hasards documentaires nous permettent toutefois
d’étudier le statut social de certains agents subalternes. C’est le cas de deux
34. SMITH 1992.
35. Karl Ferdinand WERNER, « Robertiner », LMA 7, col. 916-918.
36. Régine LE JAN, « Continuity and Change in the Tenth-Century Nobility », dans DUGGAN 2000,
p. 53-68, aux p. 57 sq. ; traduction française dans LE JAN 2001, p. 190-203 (p. 193 sq.).
37. Karl BRUNNER, « Der fränkische Fürstentitel im neunten und zehnten Jahrhundert », dans Herwig
WOLFRAM (éd.), Intitulatio, t. 2 : Lateinische Herrscher- und Fürstentitel im neunten und zehnten
Jahrhundert, Vienne, 1973, p. 179-340.
38. FELLER 1998, p. 565 sqq.
39. Cf. par exemple Régine HENNEBICQUE-LE JAN, « Prosopographica neustrica : les agents du roi en
Neustrie de 639 à 840 », dans ATSMA 1989, t. 1, p. 231-268.
40. La situation dans les pays ligériens est bien connue grâce aux travaux de Karl Ferdinand Werner ;
cf. Jacques BOUSSARD, « L’origine des familles seigneuriales dans la région de la Loire moyenne »,
CCM 5 (1962), p. 303-322.
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écoutètes, des personnages investis de pouvoirs judiciaires et dont la fonction présente des similitudes avec celle des échevins et des centeniers 41 : il
s’agit d’un certain Folcuin, attesté entre 817 et 826 à Rankweil, dans le
Vorarlberg (le chartrier de Saint-Gall comporte 27 actes provenant de ses
« archives », ce qui est absolument exceptionnel 42), et de Pierre de Niviano,
attesté dans le comté de Plaisance vers les années 880 (le volume documentaire, réparti sur les deux dernières décennies du IXe siècle, est du même
ordre 43). Les actes de la pratique nous révèlent ces personnages sous le jour
de grands propriétaires fonciers se livrant, éventuellement, à certaines spéculations. Sa situation de « notable » fit, en particulier, jouer à Pierre de
Niviano le rôle de créancier à l’égard de personnes de la région qui connaissaient des difficultés financières – ce qui faisait d’eux ses obligés, mais parfois peut-être aussi ses ennemis (ce que suggère la mise sous séquestre de
ses biens à la suite d’une plainte portée contre lui, en 893).
Les agents subalternes du pouvoir royal que nous pouvons entrevoir
jouissent donc d’un prestige certain à l’horizon restreint de leur circonscription. Bien que le service du roi leur confère une autorité particulière,
qui leur permet de faire fructifier leurs intérêts, on peut se demander si leur
aura n’est pas d’abord fondée sur leur fortune.
Résidences aristocratiques
Les résidences nobiliaires sont relativement mal connues ; les informations s’avèrent bien souvent ponctuelles. Les mentions dans les sources permettent parfois d’en dresser la cartographie, mais il s’avère bien difficile de
savoir ce à quoi, concrètement, correspondent les termes 44. Il arrive toutefois que les fouilles archéologiques mettent à jour des bâtiments qu’on
peut identifier en tant que résidences aristocratiques, comme c’est le cas à
Mayenne, qui dut à Charles le Chauve son essor au plan administratif (un
essor maquillé en une restauration de l’antique Jublains, à quelques dizaines
de km plus à l’est). Le roi y fit construire un castrum pour contrôler les
confins bretons. L’aula construite en cet endroit aux environs de 900 fut
probablement érigée par le comte du Maine, Hugues. Elle témoigne de la
nécessité, pour celui qui exerce le pouvoir local, de disposer également d’une
salle « à forte valeur représentative 45 ». Les évêques, eux aussi, devaient rece41. BOUGARD 1995, p. 158 sqq.
42. Heinrich FICHTENAU, Das Urkundenwesen in Österreich vom 8. bis zum frühen 13. Jahrhundert,
Vienne, 1971, p. 39 sqq.
43. François BOUGARD, « Pierre de Niviano, dit le Spolétin, sculdassius, et le gouvernement du comté
de Plaisance à l’époque carolingienne », JS 1996, p. 291-337.
44. Philippe GUIGON, « L’arx de Morvan, les lis de Salomon et la domus de Gradlon : les résidences
aristocratiques d’époque carolingienne en Bretagne », dans RENOUX 2001, p. 29-44.
45. Annie RENOUX, « Le vocabulaire du pouvoir à Mayenne et ses implications politiques et architecturales (VIIe-XIIIe siècle) », dans RENOUX 2001, p. 247-271.
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voir de nombreux visiteurs. C’est ainsi qu’on a pu interpréter comme lieu
de réception les vestiges d’une grande salle à l’intérieur du « cloître » de la
résidence carolingienne des archevêques de Rouen 46. Là où l’on disposait
de palais et autres bâtiments de gouvernement antiques, les comtes et les
évêques s’y installèrent souvent 47 (du moins y a-t-il généralement, indépendamment de la construction éventuelle de nouveaux bâtiments, continuité d’occupation du site et continuité terminologique 48).
L’entourage royal
L’importance des bâtiments destinés à la représentation et à l’accueil
des membres de l’entourage du roi et de ses hôtes est manifeste : la force
d’attraction de la cour reflète assurément la puissance du souverain. En
Irlande, où les royaumes sont multiples, seule une différence de taille du
logis et du nombre de personnes y vivant distinguait probablement l’habitation du roi de celles des riches propriétaires. Le texte juridique du
début du VIIIe siècle connu sous le nom de Críth Gablach décrit le dún
d’un roi (rí túaithe) en disant que dans la maison, longue de 12 m, il devait
y avoir douze couches pour accueillir les nobles qui formaient la suite
royale 49. Il s’agit d’une taille respectable. On ignore quelle était la taille
de l’habitat royal à Aix-la-Chapelle, puisque rien n’est conservé de ces habitations de bois 50. En revanche, on connaît la taille de l’aula, construite en
pierre : elle faisait 44 m de long et 17 m de large 51. L’aula du palais
d’Ingelheim faisait un peu moins de 40 m de long 52 ; celle de Paderborn,
environ 30 m 53. Par conséquent, bien qu’il ne s’agisse pas du même type
de bâtiment que l’habitat des rí túaithe irlandais, il est indéniable que,
chez les Carolingiens, on change tout simplement d’échelle. L’aula du
palais mérovingien de Malay 54 (à quelques km à l’est de Sens) était certes
moins grande que celle de Paderborn (environ 19 m de long et 8 m de
large) ; elle s’avère toutefois représentative des résidences royales lambda
où il était quand même possible de réunir un synode (ce fut le cas à Malay
sous Thierry III, dans le dernier quart du VIIe siècle). N’oublions d’ailleurs
46. Jacques LE MAHO, « Die erzbischöfliche Pfalz von Rouen (Frankreich) zu Beginn des 9.
Jahrhunderts », dans FENSKE et alii 2001, p. 193-210.
47. Pour l’Italie, cf. WARD-PERKINS 1984, p. 157 sqq.
48. Sur l’emploi du terme de palatium pour désigner la résidence d’un duc ou d’un évêque, cf. Thomas
ZOTZ, Palatium publicum, nostrum, regium. Bemerkungen zur Königspfalz in der Karolingerzeit,
dans STAAB 1990, p. 71-99, à la p. 77.
49. RICHTER 1996, p. 33.
50. FALKENSTEIN 1991, p. 244-245.
51. Présentation synthétique de Matthias UNTERMANN dans STIEGEMANN & WEMHOFF 1999, t. 3,
p. 152-164.
52. Présentation synthétique de Holger GREWE dans STIEGEMANN & WEMHOFF 1999, t. 3, p. 142-151.
53. Présentation synthétique de Steva GAI dans STIEGEMANN & WEMHOFF 1999, t. 3, p. 183-196.
54. Didier PERRUGOT, « Le palais mérovingien de Malay (Yonne). Histoire et archéologie », dans
RENOUX 1996, p. 147-156.
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pas qu’on pouvait, en particulier lors des plaids généraux dont le caractère
martial est parfois évident, disposer de tentes – notons au passage que certaines tentes « de grande beauté » étaient considérées comme des cadeaux
royaux de grande valeur (ce fut par exemple le cas lors de la réception par
Charlemagne d’une ambassade envoyée par le roi des Asturies, Alphonse
II). Quant au site northumbrien de Yeavering, on interprète certains vestiges comme ceux d’un amphithéâtre de bois d’une capacité d’accueil d’environ 300 personnes, qui a très bien pu servir à la réunion d’assemblées
de nature politique 55.
C’est dans les mondes germaniques du Nord que la fonction conviviale
de ces grandes salles est la mieux attestée. Il est possible de mettre en relation l’évocation de tels bâtiments dans Beowulf (pensons au Palais-au-Cerf
du roi Hrothgar) avec les maisons-halls de Scandinavie 56, dont la superficie atteint plusieurs centaines de m2. Le pouvoir dépend de ce qu’on peut
dépenser pour recevoir ses hôtes fastueusement ; vie domestique et représentation sont alors sans cesse mêlées.
La famille royale
Le rôle politique de la famille royale s’exprimait à la fois à la cour et en
dehors : les fils du roi furent en effet parfois investis d’un royaume particulier – ainsi, vers 555, Clotaire Ier établit son fils, Chramn, en Auvergne ;
Dagobert Ier reçut l’Austrasie en 623 alors que son père, Clotaire II, était
maître de l’ensemble du royaume des Francs ; à partir de Charlemagne, les
Carolingiens nommèrent parfois de manière systématique l’un de leurs fils
dans tel ou tel royaume (citons, par exemple : Pépin d’Italie, Louis le
Germanique, ou bien encore les fils de Charles le Chauve, Charles l’Enfant
et Louis le Bègue). Ils disposaient alors d’un propre Palais et quittaient la
cour de leur père pour le représenter dans leur royaume – ce qui ne signifie pas pour autant que leur marge de manœuvre était grande. Au contraire,
ils devaient régulièrement participer aux plaids généraux en y conduisant
l’ost ; ils étaient astreints à rendre des comptes à leur père, qui leur dépêchait parfois un missus pour enquêter sur eux ou bien les assister.
Les enfants royaux servaient à la politique de leur père : les fils qui
n’étaient pas destinés à une carrière ecclésiastique, par l’apprentissage du
gouvernement 57 ; les filles qui n’étaient pas placées à la tête de quelque
abbaye royale, par leur mariage, à des fins diplomatiques (pensons à Judith,
la fille de Charles le Chauve, qui épousa le roi de Wessex, Æthelwulf, en
856) ou pour consolider la fidélité des grandes familles aristocratiques en
55. HODGES 1989, p. 58 sqq.
56. Anne NISSEN JAUBERT, « Sites centraux et résidences princières au Danemark avant 1250 », dans
RENOUX 1996, p. 197-210.
57. Rudolf SCHIEFFER, « Väter und Söhne im Karolingerhause », dans SCHIEFFER 1990, p. 149-164.
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les associant à la dynastie royale 58. À cet égard, Charlemagne constitue une
exception sur laquelle on a parfois quelque peu fantasmé – projets de fiançailles prestigieuses et naissances de « bâtards » n’y firent rien : il s’opposa
à tout mariage de ses filles, préférant les garder par-devers soi, comme des
colombes couronnées voletant dans le palais, selon le mot d’Alcuin 59. Le
Charlemagne libidineux de la Visio Wettini aurait-il éprouvé un zeste de
sentiments interdits, ou bien était-il tout simplement soucieux de préserver l’héritage des mâles de son sang, préférant écarter tout risque de revendication de la part de gendres indélicats ?
À l’exception du mariage (raté) de Charlemagne avec la fille du roi lombard Didier, les rois carolingiens épousèrent des femmes issues de la noblesse
franque. Au début du Xe siècle, le prestige de la maison de Wessex changea
la donne 60. L’abandon des mariages diplomatiques était en réalité antérieur
aux temps carolingiens : dès la fin du VIe siècle, les rois ne se mariaient plus
avec des princesses étrangères 61.
Aux temps mérovingiens, la reine pouvait être de basse extraction (pensons à Bathilde). Ce ne fut plus le cas ensuite. Mais quelle que fût son origine, elle exerçait un pouvoir certain, notamment par le contrôle des fonctions domestiques 62. Gérant les largesses royales, elle avait la haute main
sur le trésor – ces rapports privilégiés avec le chambrier furent ainsi le prétexte à l’accusation d’adultère formulée à l’encontre de Judith et de Bernard
de Septimanie, pour écarter des affaires l’épouse de Louis le Pieux, dont la
volonté de revoir le partage de 817 en faveur de son jeune fils, Charles, faisait de nombreux mécontents. Le pouvoir de la reine n’était toutefois pas
restreint à cet aspect domestique. Elle avait l’oreille du roi, ce qui lui conférait un champ d’action assez large. Une anecdote rapportée par Étienne de
Ripon en témoigne 63. Lorsque, vers le milieu du VIIe siècle, le jeune Wilfrid,
qui appartenait à l’aristocratie, voulut devenir moine, il s’adressa à l’épouse
du roi de Northumbrie, Oswiu : après avoir reçu de ses parents « des armes,
des chevaux et des vêtements pour lui-même et pour les membres de sa
suite », afin de pouvoir paraître à la cour « comme il sied », Wilfrid se rendit auprès de la reine Eanfled, à laquelle il avait été recommandé par des
58. Rudolf SCHIEFFER, Karolingische Töchter, dans JENAL 1993, p. 125-139.
59. Janet L. NELSON, « La famille de Charlemagne », dans DIERKENS & SANSTERRE 1991, p. 194-212 ;
EADEM, « Women at the Court of Charlemagne : A Case of Monstrous Regiment ? », dans John
C. PARSONS (éd.), Medieval Queenship, New York, 1993, p. 43-61 ; rééd. dans NELSON 1996,
p. 223-242.
60. Veronica ORTENBERG, « Aux périphéries du monde carolingien : liens dynastiques et nouvelles fidélités dans le royaume anglo-saxon », dans LE JAN 1998, p. 505-517.
61. Cf. les arbres généalogiques dans Franken 1996, t. 1, p. 390-392.
62. Janet L. NELSON, « Queens as Jezebels : The careers of Brunhild and Bathild in Merovingian
History », dans Derek BAKER (éd.), Medieval Women, Oxford, 1978, p. 31-77. Sur le rôle et le
champ d’action des reines durant le haut Moyen Âge, cf. également Pauline STAFFORD, « Sons and
mothers : Family politics in the early middle ages », ibid., p. 79-100 ; STAFFORD 1983.
63. The Life of Bishop Wilfrid by Eddius Stephanus, éd. et trad. Bertram COLGRAVE, Cambridge, 1927,
p. 6 et 8 (chap. 2 & 3).
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nobles qu’il avait auparavant servis dans la maison de son père. Eanfled lui
donna l’autorisation de servir Dieu « sur son conseil et sous sa protection »
et elle l’envoya à Lindisfarne, où elle le confia à un ancien compagnon du
roi, Cudda, qui avait renoncé au siècle en raison d’une infirmité. Un peu
plus tard, lorsqu’il voulut se rendre en pèlerinage à Rome, Wilfrid eut à
nouveau recours au soutien de la reine Eanfled, qui le recommanda au roi
de Kent. Comme on le voit, la reine disposait de ses propres réseaux de
relations. On s’adressait à la reine comme à d’autres personnages bien en
cour pour obtenir une faveur 64. Au cours du IXe siècle, elle acquit toutefois
un prestige nouveau.
La multiplication des accusations d’adultère au IXe siècle (outre celle portée contre l’impératrice Judith, citons également le cas de Richarde, l’épouse
de Charles le Gros, et d’Uta, l’épouse d’Arnulf de Carinthie) illustre l’importance croissante de l’épouse du souverain 65, dont on a d’autres indices.
Berthe, l’épouse de Pépin le Bref, fut bénie en 754. Le premier couronnement attesté est celui d’Ermengarde, la première épouse de Louis le Pieux,
en 816. Le premier ordo de couronnement et de sacre d’une reine dont on
conserve le texte fut composé par Hincmar de Reims quarante ans plus tard.
Vers le milieu du IXe siècle, il y a une réelle volonté, de la part du roi et des
évêques, de consommer par le sacre l’association au pouvoir exprimée par
le titre de consors regni alors parfois donné à l’épouse du souverain 66. Point
n’était toutefois besoin d’attendre cette époque pour voir la reine – en l’occurrence, la veuve – jouir d’une importance certaine dans la dévolution du
pouvoir. Avant que la reine, bénie ou sacrée, ne fût associée à la défense de
la dynastie par un « signe » divin (c’est le sens du mot « sacrement »), elle
pouvait représenter la légitimité du pouvoir royal 67. Cela explique non seulement pourquoi certaines reines s’imposèrent face à l’aristocratie pour exercer elles-mêmes le gouvernement lorsque l’héritier du trône était un enfant
(parmi les « régentes », citons Brunehaut, Nanthilde, ou Bathilde), mais
aussi pourquoi la mainmise sur leur personne s’avérait importante, chez les
Wisigoths comme chez les Lombards. Parfois, c’était même l’épouse du roi
défunt qui choisissait son successeur. C’est, par exemple, explicitement le
cas de la reine Théodelinde, la veuve d’Authari († 590) :
« Quant à la reine Théodelinde, comme les Lombards l’appréciaient
beaucoup, ils l’autorisèrent à conserver son rang de souveraine, lui suggé64. Cf. par exemple Michel PARISSE (éd.), La correspondance d’un évêque carolingien, Frothaire de Toul
(ca. 813-847), avec les lettres de Theuthilde, abbesse de Remiremont, Paris, 1998.
65. Geneviève BÜHRER-THIERRY, « La reine adultère », CCM 35 (1992), p. 299-312.
66. Janet L. NELSON, « Early Medieval Rites of Queen-Making and the Shaping of Medieval
Queenship », dans Anne J. DUGGAN (éd.), Queens and Queenship in Medieval Europe, Woodbridge,
1997, p. 301-315 ; Paolo DELOGU, « Consors regni » : un problema carolingio, BISAM 76 (1964),
p. 47-98 ; Franz-Reiner ERKENS, « “Sicut Esther regina”. Die westfränkische Königin als consors
regni », Francia 20/1 (1993), p. 15-38.
67. GUICHARD & CUVILLIER 1986, p. 318 sq.
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rant de prendre l’homme de son choix parmi eux tous, pourvu bien sûr
qu’il fût capable de gérer efficacement le royaume. Après avoir tenu conseil
avec les sages, elle choisit le duc de Turin Agilulf, et comme mari et comme
roi pour le peuple lombard. »
Cette histoire fut mise en forme par Paul Diacre à la fin du VIIIe siècle 68,
mais le lien entre mariage avec la veuve du roi et accession à la royauté est
également explicite dans l’analyse que propose l’auteur de l’Origine des
Lombards 69, une version amplifiée de la généalogie des rois lombards accompagnant l’Edit de Rothari, qui fut rédigée probablement peu après 668 :
on y lit que le duc « se mit avec la reine Théodelinde et devint roi des
Lombards ». Un autre exemple, beaucoup plus macabre, du rôle joué par
la reine dans la transmission du pouvoir est offert par l’histoire de
Rosamonde. C’était la fille du roi des Gépides, Cunimund, qu’Alboin tua
lors d’une bataille livrée alors que les Lombards se trouvaient encore en
Pannonie. Pour célébrer sa victoire, Alboin fit décapiter Cunimund et transformer son crâne en coupe à boire (il s’agit d’une coutume des peuples des
steppes ; cette coupe était encore en possession du roi lombard Ratchis, vers
le milieu du VIIIe siècle) ; Alboin fit prisonnière la fille de Cunimund et
l’épousa. Les Lombards entrèrent ensuite en Italie. C’est quelques années
plus tard qu’eut lieu le drame qui nous intéresse ici :
« Lors d’un banquet à Vérone, où il assistait dans un état de gaîté peu
convenable, il fit donner à la reine du vin dans la coupe qu’il s’était fait faire
avec le crâne de Cunimund, son beau-père, puis l’invita à trinquer ellemême avec son père, et avec le sourire ! »
Rosamonde chercha dès lors à venger son père. Elle y parvint grâce à
l’aide d’un compagnon du roi, Helmechis, qui lui fournit un homme de
main, que la reine força de coucher avec elle grâce à un stratagème, afin de
l’acculer au meurtre. Après l’assassinat d’Alboin, Helmechis épousa
Rosamonde et revendiqua le trône – en vain, car les Lombards lui en voulaient de l’assassinat du roi. C’est alors que Rosamonde demanda de l’aide
à Longin, le préfet d’Italie qui résidait à Ravenne 70. Longin fut d’autant
plus prompt à agir qu’il briguait la couronne : il persuada la reine de tuer
Helmechis. Rosamonde, désirant étendre son pouvoir sur Ravenne, accepta :
elle offrit une coupe de poison à son mari, qui la força cependant d’y goûter – ils moururent donc ensemble. Au-delà de l’horreur, ce qui est intéressant dans cette légende, c’est de voir la reine à la fois maîtresse du jeu
politique et objet de convoitise, pour le pouvoir qu’elle incarne. Longin ne
parvint pas à se rendre maître de Rosamonde – du moins avait-il en son
pouvoir Alpsuinde (la fille qu’Alboin avait eue de sa première épouse,
68. PAUL DIACRE, Histoire des Lombards, trad. François BOUGARD, Turnhout, 1994, p. 75 sq. (III, 35).
69. L’Origo gentis Langobardorum est traduite par Olivier GUYOTJEANNIN, Le Moyen Âge (Ve-XVe siècle),
t. 1 des Archives de l’Occident, sous la direction de Jean FAVIER, Paris, 1992, p. 69 sqq.
70. Cf. BROWN 1984, passim (notamment p. 10 sq.).
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Clotsuinde, la fille du roi mérovingien Clotaire Ier) et le trésor des Lombards,
qu’il envoya à Byzance 71. La reine, la descendance, le trésor : il s’agit là, en
dehors de la personne du roi, pour ainsi dire de la quintessence du pouvoir
royal. Il y manque toutefois un élément majeur, véritable support de la
royauté : l’aristocratie, qui forme l’entourage du roi.
La cour
La cour (curtis), à l’origine, est l’espace domestique. Elle prend au cours
du Moyen Âge une dimension publique nouvelle qui la rapproche de la
curia, la cour au sens politique (puis/et judiciaire), par un emploi concurrentiel (qui varie selon les contextes) du terme palatium 72. En fait, le roi,
même dans son logis, exerce une fonction publique. La cour est un concentré de ce(ux) qui compte(nt) dans le royaume, dont la connaissance repose
sur des enquêtes prosopographiques 73. Au IXe siècle, ces « familiers » du roi
ont vocation à être associés à ses parents, à ses « proches », comme le formule Charles le Chauve dans un diplôme de 875 par lequel il fonde un service de luminaire à Saint-Denis, en faveur des membres de sa famille (son
père, sa mère, ses deux épouses, ses enfants) et en faveur de Boson, de Guy
« et du reste de nos familiers, qu’un très grand dévouement motivé par leur
fidélité nous rend encore plus proches » (pro Bosone et Widone ac reliquis
familiaribus nostris, quos maxima fidelitatis devotio nobis propinquiores efficit 74). L’identité du comte Guy n’est pas assurée ; en revanche, le comte
Boson de Vienne était de fait un proche du roi : il était son beau-frère 75.
Force est de reconnaître que, pour le monde franc, on est mieux renseigné sur la cour carolingienne 76 que sur celle des rois mérovingiens 77,
en raison de l’abondance plus grande des sources narratives, des lettres et
des actes de la pratique, qui documentent à la fois les liens d’amitié et les
réseaux de relations des palatins, mais aussi la manière dont ils intervenaient dans les affaires du royaume. Une génération fait toutefois excep71. Cette histoire est relatée par Paul Diacre en deux passages de l’Histoire des Lombards : I, 27 et II,
28-30 (citation d’après la traduction de François BOUGARD, op. cit., p. 51).
72. Thomas ZOTZ, « Palatium et curtis. Aspects de la terminologie palatiale au Moyen Âge », dans
RENOUX 1996, p. 7-15.
73. Présentation générale par George BEECH, « Prosopography », dans James M. POWELL (éd.), Medieval
Studies. An Introduction, 2e éd., New York, 1992, p. 185-226. Pour des exemples d’application dans
le monde franc, cf. EBLING 1974 ; DEPREUX 1997.
74. Recueil des actes de Charles II le Chauve, roi de France, éd. Georges TESSIER, t. 2, Paris 1952, p. 349
(n° 379).
75. Sur ce personnage, cf. en dernier lieu François BOUGARD, « En marge du divorce de Lothaire II :
Boson de Vienne, le cocu qui fut fait roi ? », Francia 27/1 (2000), p. 33-51.
76. Josef FLECKENSTEIN, « Karl der Große und sein Hof », dans Karl der Große 1965, t. 1, p. 24-50 ;
DEPREUX 1997 ; GIBSON & NELSON 1990 et NELSON 1992 ; Thomas ZOTZ, « Le palais et les élites
dans le royaume de Germanie », dans LE JAN 1998, p. 233-247 ; François BOUGARD, « La cour et
le gouvernement de Louis II, 840-875 », ibid., p. 249-267.
77. WOOD 1994, p. 149 sqq. ; SCHEIBELREITER 1999, p. 96 sqq.
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tion : celle de Dagobert Ier. La documentation est assez fournie concernant les « nourris » de Clotaire II, qui servirent à la cour de son fils avant
d’être promus à l’épiscopat, qu’ils s’appellent Éloi, Dadon (alias Ouen) ou
Didier. La cour était une véritable pépinière, un passage presque obligé
pour qui voulait défendre les intérêts de sa famille, se faire des relations et
apprendre à gouverner.
Cette fonction sociale et pédagogique de la cour est soulignée par
Hincmar de Reims, en 882, dans sa lettre de conseils au roi Carloman « au
sujet de l’agencement du Palais » (de ordine palatii). C’est également grâce
à cette lettre que nous connaissons relativement bien la cour carolingienne
– c’est du moins ce qu’on incline à penser. L’interprétation du traité de l’archevêque de Reims est cependant loin d’être simple, car il s’agit d’un tableau
idéal, montrant comment le roi gouverne à l’aide de ses conseillers 78, les
membres du Palais, et des assemblées. Ce lien entre ces deux éléments des
institutions franques est essentiel pour comprendre la vie politique à cette
époque : en aucun cas le roi ne gouverne seul ; les membres de l’aristocratie ont part au pouvoir central.
Néanmoins, Hincmar a tendance à définir les attributions de chaque
« officier » d’une manière qui ne rend pas compte de la pratique. Se réclamant de l’autorité d’Adalhard de Corbie, dont le traité (perdu) était censé
décrire la cour de Charlemagne à l’attention de Pépin d’Italie, Hincmar veut
mettre de l’ordre dans une société aristocratique où, de plus en plus, chacun a tendance à jouer des coudes pour tirer la couverture à soi. Or, dans la
pratique, à la typologie des compétences 79 répond une certaine souplesse 80.
Du temps de Louis le Pieux, l’exemple de Matfrid offre un cas d’école : le
comte d’Orléans fut l’un des personnages les plus influents à la cour dans
les années 820, mais il semble n’avoir jamais porté de titre aulique 81.
L’image de la cour que reflètent les sources littéraires est multiforme.
Certes, un mélange de richesse, de protocole et de convivialité a pu faire
passer le Palais pour une préfiguration du Paradis 82, mais la concentration
des beaux esprits y a permis le raffinement des joutes assassines auxquelles
se livrent les courtisans. La description de la cour de Charlemagne par
78. Sur cette question à l’époque mérovingienne, cf. Georg SCHEIBELREITER, Der König und sein
Ratgeber, dans Françoise VALLET & Michel KAZANSKI (éd.), La noblesse romaine et les chefs barbares
du IIIe au VIIe siècle, Saint-Germain-en-Laye, 1995, p. 35-47.
79. Josef FLECKENSTEIN, « Die Struktur des Hofes Karls des Großen im Spiegel von Hinkmars De
ordine palatii », Zeitschrift des Aachener Geschichtsvereins 83 (1976), p. 5-22; rééd. dans FLECKENSTEIN
1989, p. 67-83.
80. DEPREUX 1997 ; le partage de certaines compétences du comte du Palais avec d’autres membres de
la cour est à cet égard révélateur, cf. Philippe DEPREUX, « Le rôle du comte du Palais à la lumière
des sources relatives au règne de l’empereur Louis le Pieux (814-840) », FMSt 34 (2000), p. 94-111
(état de la question sur le De ordine palatii à la p. 94, note 3).
81. Philippe DEPREUX, « Le comte Matfrid d’Orléans (av. 815-836) », BECh 152 (1994), p. 331-374.
82. Pierre RICHÉ, « Les représentations du palais dans les textes littéraires du haut Moyen Âge », Francia
4 (1976), p. 161-171.
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Théodulf d’Orléans est un modèle du genre 83. La cour était aussi le théâtre
d’âpres rivalités, et les critiques formulées à l’égard des palatins se multiplient durant le second tiers du IXe siècle – en témoignent ces gloses consignées dans des collections canoniques, faisant dériver le mot curia des « effusions de sang » (cruor) qui se produisent à la cour ou du « soin » (cura) – en
l’occurrence, de la correction – des mœurs vicieuses dont les palatins auraient
grand besoin 84.
La cour était composée des compagnons du roi, des membres de sa suite
armée, et de tous ceux qui étaient à son service. À l’origine, les « officiers »
du Palais étaient des membres de la domesticité du roi, chargés qui de l’approvisionnement, qui des écuries, qui de la bonne marche de l’ensemble.
Le roi n’était d’ailleurs pas seul à disposer d’un « valet pour les chevaux »,
c’est-à-dire d’un « maréchal » : la Loi des Alamans prouve que n’importe
quel maître d’un domaine en avait. De même, l’étymologie du terme « sénéchal » illustre son origine servile : c’est tout simplement un « valet âgé »,
un personnage sûr à qui l’on peut confier l’intendance 85. Les charges
auliques ont, semble-t-il, peu évolué au cours de la période franque – si ce
n’est la suppression de la fonction de maire du palais une fois Pépin le Bref
sacré roi (et pour cause !), ce qui eut quelque répercussion concernant le
rôle du (en fait : des) comte(s) du Palais. Des clercs vivaient également à la
cour ; leur influence fut d’autant plus importante à l’époque carolingienne
que c’est au sein de ce qu’on appelle désormais la Chapelle 86 (un terme qui
tire son origine de la cappa – le manteau – de saint Martin, une relique
conservée à la cour) qu’on recrutait les notaires chargés des travaux d’écriture. La disparition des référendaires (laïques) s’avère l’expression d’une
évolution culturelle majeure, le renforcement du caractère clérical de la culture savante 87.
Les communautés religieuses
Au cours du haut Moyen Âge, les monastères – c’est-à-dire les établissements abritant une congrégation religieuses tenue à la vie commune 88 –
83. Traduction anglaise dans Peter GODMAN, Poetry of the Carolingian renaissance, Londres 1985, p. 151
sqq. Sur la poésie aulique aux temps mérovingiens, cf. GEORGE 1992 ; à l’époque carolingienne, cf.
GODMAN 1987.
84. Rolf KÖHN, « “Militia curialis”. Die Kritik am geistlichen Hofdienst bei Peter von Blois und in
der lateinischen Literatur des 9.-12. Jahrhunderts », dans ZIMMERMANN 1979, p. 227-257, aux
p. 244 sq.
85. Karl BOSL, « Vorstufen der deutschen Königsdienstmannschaft (Begriffsgeschichtlich – prosopographische Studien zur frühmittelalterlichen Sozial- und Verfassungsgeschichte) », Vierteljahrsschrift
für Sozial- und Wirtschaftsgeschichte 39 (1952), p. 193-214 & p. 289-315 ; rééd. dans BOSL 1964,
p. 228-276 ; OLBERG 1991, p. 211 sqq.
86. FLECKENSTEIN 1959.
87. Georges TESSIER, Diplomatique royale française, Paris 1962, p. 2 sqq. & p. 41 sqq.
88. Josef SEMMLER, « Le monachisme occidental du VIIIe au Xe siècle : formation et réformation », dans
DIERKENS et alii 1993, p. 68-89.
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jouèrent, ne serait-ce que par leur nombre 89, un rôle fondamental dans
tous les domaines : économique, culturel, spirituel, politique 90. Leur histoire n’est toutefois pas uniforme durant toute cette période, car un changement majeur intervient aux temps carolingiens. Il « réside dans le fait
que le monachisme commence à développer des structures globales qui
dépassent le monastère isolé 91 ».
Les liens entre la royauté et l’aristocratie, d’une part, et le monachisme,
d’autre part, s’institutionnalisèrent et se développèrent de telle manière que
les communautés religieuses devinrent des acteurs de la vie politique 92, des
enjeux et des instruments de pouvoir. C’est ainsi qu’un monastère pouvait
devenir la cible d’attaques de la part des rivaux de la famille fondatrice et
être impliqué dans des faides. En Neustrie, par exemple, la rivalité entre les
Faronides et la famille du maire du Palais Aega explique l’hostilité de ce
dernier à l’égard du monastère de Faremoutiers vers la fin des années 630 ;
une génération plus tard, les attaques dont firent l’objet les monastères de
Nivelles ou de Saint-Jean de Laon étaient liées aux revirements politiques
de cette époque 93. La mainmise sur les monastères revendiquée par les
Carolingiens participa de leur effort de contrôler l’aristocratie.
Le monastère, lieu de pouvoir aristocratique
L’influence des familles nobles sur les établissements monastiques nous
est connue par les sources narratives (assez souvent, il s’agit de récits hagiographiques) et par les actes de donation, par la succession des abbés et
abbesses appartenant à la même famille, mais il est rare qu’on puisse saisir
la fondation d’un monastère sur le vif, car cet acte juridique ne nécessite
pas la rédaction d’une charte. Il est par exemple significatif que l’aristocrate
pisan du nom de Walbert qui fonda le monastère de Monteverdi fit rédiger, en 754, une charte pour consigner la donation accomplie en faveur de
sa fondation, où il décida alors de se faire moine avec ses quatre fils (peutêtre pour échapper à l’ordre de mobilisation du roi lombard Aistulf au
moment où Pépin le Bref s’apprêtait à venir défendre les intérêts de la
papauté) ; en revanche, il n’y eut pas d’acte de fondation, et c’est grâce à la
89. À la fin du VIIe siècle, on compte environ 550 fondations monastiques en Gaule, dont environ 320
n’ont pas plus de cent ans d’âge, cf. Hartmut ATSMA, « Les monastères urbains du nord de la Gaule »,
RHEF 62 (1976), p. 163-187.
90. PRINZ 1965 ; WOLLASCH 1973 ; OEXLE 1978. Synthèse commode dans Marcel PACAUT, Les ordres
monastiques et religieux au Moyen Âge, 2e éd., Paris, 1993.
91. OEXLE 1993, p. 256.
92. Sur l’importance du facteur politique dans le développement de Saint-Sauveur de Redon dans les
années 830, cf. Julia M. H. SMITH, « Aedificatio sancti loci : the making of a ninth-century holy
place », dans JONG et alii 2001, p. 361-396.
93. Régine LE JAN, « Convents, violence and competition for power in the 7th century Francia », dans
JONG et alii 2001, p. 243-269 ; traduction française dans LE JAN 2001, p. 89-107. Pour d’autres
exemples d’interférences entre vie politique et fondations monastiques, cf. HELVÉTIUS 1994.
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Vita Walfredi que nous savons que cet aristocrate n’était en réalité pas seul
à l’origine du monastère toscan 94. Il n’était pas rare que des nobles se retirent dans leurs monastères ; ce fut aussi le cas de cette Beata, qui vivait dans
le petit établissement de Lützelau (sur le lac de Zurich) avec sa mère et
d’autres « servantes de Dieu » dans le second quart du VIIIe siècle et qui vendit finalement ses biens (dont le monastère en question) à Saint-Gall pour
financer un pèlerinage à Rome 95.
Le processus de fondation d’un monastère a été modélisé de la sorte
pour les établissements sis dans la partie occidentale de la Bavière, entre
Isar et Lech, mais son application s’avère bien plus large 96 :
– une église est construite,
– le fondateur la dote d’une part importante de ses biens allodiaux,
– l’accord de l’évêque du lieu, des parents et des propriétaires voisins est
nécessaire,
– les biens sont offerts au saint vénéré en ce lieu,
– l’évêque procède à la dédicace de la nouvelle église placée sous son autorité (c’est ici que le modèle bavarois peut prêter à de multiples négociations
selon l’endroit, les protagonistes et la période),
– l’abbé est désigné,
– d’autres membres de la parentèle du fondateur procèdent à des donations
en faveur du nouvel établissement,
– certains d’entre eux prennent même l’habit.
Nombreux devaient être les petits établissements associés à une famille
aristocratique, qui les avait fondés et les entretenait de ses largesses. Bien
souvent, ils ne nous sont connus que parce qu’ils sont passés sous la dépendance d’un monastère plus puissant, qui en a gardé les archives. C’est par
exemple le cas de Saint-Zénon de Campione, sur la rive orientale du lac de
Lugano, dont la fondation est antérieure à 756. Cette basilique familiale
fut léguée à l’archevêque de Milan par le testament de Toto de Campione,
en 777. Une soixantaine d’années plus tard (en 835), l’établissement fut
donné par l’archevêque Angilbert (II) à Saint-Ambroise de Milan, dont la
constitution en abbaye remontait aux débuts de l’emprise carolingienne en
Italie 97. En dépit des tendances générales, chaque monastère a son histoire
propre, également en matière de constitution du patrimoine foncier.
Certains établissements furent d’emblée grassement dotés, comme ce fut
par exemple le cas de Corbie, fondée par la reine Bathilde 98. D’autres accu94. Marios COSTAMBEYS, « The transmission of tradition : Gregorian influence and innovation in
eighth-century Italian monasticism », dans HEN & INNES 2000, p. 78-101, aux p. 87 sqq.
95. Sur la Sippe de Beata, cf. Hans SCHNYDER, Die Gründung des Klosters Luzern. Adel und Kirche
Südalamanniens im 8. Jahrhundert, Fribourg (Suisse), 1978, p. 154 sqq.
96. JAHN 1987, p. 8-9.
97. BALZARETTI 2000, p. 244 sqq.
98. Michel ROUCHE, « La dotation foncière de l’abbaye de Corbie (657-661) d’après l’acte de fondation », RN 55 (1973), p. 219-225.
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mulèrent patiemment les donations, en attirant progressivement à soi les
familles aristocratiques de la région 99. Certains établissements n’acceptaient
pas de donations, mais seulement la dot apportée par les moines lors de
leur entrée au monastère 100 ; ce fut par exemple le cas de l’abbaye de
Fontenelle du temps de saint Wandrille.
Le monastère était réputé être un lieu d’aplanissement des différences
sociales 101 (d’où l’ascèse particulièrement rude à laquelle se prêtaient en
théorie les nobles prenant l’habit). En fait, on continuait de suivre les intérêts des biens venant de sa famille. Un bel exemple en est fourni par
Gombert, un moine de Saint-Bertin. Son père, Goibert, un riche propriétaire de la région, l’avait offert au pape Eugène II pour le service des
autels et il avait reçu la tonsure à Rome ; de retour en Morinie en 828, il
devint moine à Saint-Bertin, où il fut scribe. À l’article de la mort, en 838,
Goibert confia à son fils le soin de la fondation qu’il avait faite à la basilique Saint-Sauveur de Steneland. Pendant trente ans, le moine Gombert
géra les biens donnés par son père et s’efforça d’empêcher qu’ils ne tombent dans la mense abbatiale. Il les fit si bien fructifier que le patrimoine
de cet établissement comptant une trentaine de villae permettait l’entretien de 300 pauvres. La fondation de Steneland semble avoir périclité dans
le dernier tiers du IXe siècle, sans qu’il soit possible de dire si les raids Vikings
lui furent véritablement plus nuisibles que la mort du scrupuleux moine
Gombert 102.
Les monastères doubles, c’est-à-dire les monastères composés d’une communauté de femmes et d’une communauté d’hommes, généralement placés sous l’autorité de l’abbesse, sont relativement répandus dans la Gaule
franque, alors qu’ils semblent inexistants en Italie 103. Ils sont également
attestés dans l’Angleterre anglo-saxonne entre le milieu du VIIe siècle et le
règne d’Alfred le Grand, moment où leur nombre (une soixantaine, dont
un tiers formant assurément une unité géographique et juridique) tend à
se restreindre 104. Il pouvait cependant arriver que deux établissements soient
fondés de manière presque contemporaine et à peu de distance l’un de
l’autre, pour accueillir l’un, des hommes et l’autre, des femmes, comme ce
fut le cas, vers le milieu du VIIe siècle, du monastère de Logium, fondé dans
la foulée de la fondation de Fontenelle 105. Dans un tel cas, les commu99. SPRANDEL 1958.
100. Sur l’entrée en religion, cf. LUTTERBACH 1995.
101. FELTEN 2001, p. 75 sqq. (surtout p. 82).
102. N. HUYGHEBAERT, « Le comte Baudouin II de Flandre et le “custos” de Steneland. À propos d’un
faux précepte de Charles le Chauve pour Saint-Bertin (866) », RB 69 (1959), p. 49-67.
103. Georg JENAL, « Doppelklöster und monastische Gesetzgebung im Italien des frühen und hohen
Mittelalters », dans ELM & PARISSE 1992, p. 25-55.
104. Dagmar Beate BALTRUSCH-SCHNEIDER, « Die angelsächsischen Doppelklöster », dans E LM &
PARISSE 1992, p. 57-79 (sur Whitby : p. 76 sq.).
105. Jacques LE MAHO, « L’abbaye mérovingienne de Logium à Caudebec-en-Caux (Seine-Maritime) »,
RHEF 82 (1996), p. 5-39.
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nautés sont distinctes juridiquement l’une de l’autre, et il s’agit en fait de
deux monastères autonomes.
Dans les établissements doubles, les moines devaient, la plupart du
temps, subvenir aux besoins matériels de l’ensemble de la communauté.
Les monastères doubles et, surtout, les communautés de femmes (qui ont
fait l’objet de recherches particulièrement nombreuses dans les dernières
années 106), servaient à l’entretien de la mémoire familiale – ce fut, par
exemple, le cas du monastère royal de Whitby, fondé par le roi Oswiu. Mais
cette fonction s’avérait encore plus importante quand il s’agissait de fondations dues à des membres de l’aristocratie, tels les Pippinides à Nivelles,
pour qui ce monastère servit de lieu nodal de leur parentèle. À cet égard,
le choix du lieu d’implantation d’un monastère pouvait se révéler stratégique ; ce fut notamment le cas des abbayes de Lobbes et de Nivelles, fondées à la limite de la Neustrie 107 : il était ainsi possible d’en faire des avantpostes favorisant l’exercice d’une influence politique dans le royaume voisin.
Quant au monastère de Montier-en-Der, il fut fondé en 673 par des
membres de la famille des Agilolfides et du maire du Palais Wulfoald. La
situation du monastère, en un lieu frontalier entre la Neustrie-Bourgogne
et l’Austrasie n’en semblait que d’autant mieux destinée à fédérer les intérêts des diverses branches de cette parentèle dont les ramifications s’étendaient dans tous les royaumes 108.
À propos des liens entre les familles nobles et les monastères de Bavière,
les travaux de W. Störmer montrent à la fois le rapport étroit entre telle
famille et tel établissement monastique, mais aussi en quoi les monastères
pouvaient cristalliser les liens entre les familles aristocratiques. Dans le cas
des abbayes de Benediktbeuren, de Scharnitz-Schlehdorf et de Tegernsee,
les fondateurs et bienfaiteurs se rattachent à la Sippe des Huosi, qui constitue une parentèle très large. Cette capacité d’attraction n’est pas propre aux
établissements bavarois : on l’observe, par exemple, particulièrement bien
à Saint-Sauveur de Brescia, un monastère fondé en 757 par le roi Didier et
son épouse Ansa, et dont la première abbesse fut leur fille, Anselberge. SaintSauveur attira des jeunes filles et des veuves issues des diverses familles aristocratiques lombardes et/puis franques 109.
106. WEMPLE 1981 ; MUSCHIOL 1994 ; Michel PARISSE, Les femmes au monastère dans le Nord de
l’Allemagne du IXe au XIe siècle. Conditions sociales et religieuses, dans AFFELDT 1990, p. 311324 ; Michèle GAILLARD, « Les monastères féminins de Reims pendant le haut Moyen Âge : histoire et historiographie », RBPH 71 (1993), p. 825-840. Le caractère essentiellement aristocratique du recrutement des établissements féminins a été récemment remis en question par FELTEN
2001, p. 48 sqq.
107. DIERKENS 1985, p. 320.
108. BARBIER 2000.
109. Suzanne Fonay WEMPLE, « Female Monasticism in Italy and its Comparison with France and
Germany from the ninth through the eleventh Century », dans AFFELDT 1990, p. 291-310, à la
p. 293.
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Bien qu’il ne soit pas possible de parler d’une famille noble spécifiquement attachée au monastère Saint-Zénon d’Isen (à une trentaine de km au
sud-est de Freising), on observe que toutes les personnes qui font une donation à cet établissement ou bien qui font rédiger à Isen une charte de donation en faveur de Freising sont apparentées et dépassent le cadre strictement bavarois. C’est également le cas des bienfaiteurs du monastère de
Schliersee, dont les relations familiales s’étendent sur toute l’Allemagne du
Sud. De même, la famille de l’abbé Wolchanhard, le fondateur de SaintSauveur de Berg (dans le pagus appelé Donahgaoe, c’est-à-dire le « Gau du
Danube »), était apparentée à plusieurs autres familles, notamment celles
liées à Scharnitz-Schlehdorf et à Schäftlarn. Quant à la famille des fondateurs de Metten (sur le Danube), elle était apparentée aux Agilolfides. Par
conséquent, bien que les familles fondatrices de monastères dans la Bavière
du VIIIe siècle aient concentré leurs donations sur un ou certains établissements particuliers, il s’agissait de familles ayant des liens entre elles et exploitant ces relations au profit de leurs établissements 110.
Quant aux monastères royaux, ils faisaient bien évidemment partie intégrante de la vie publique. Le souverain s’y rendait régulièrement ; des bâtiments lui étaient réservés, comme à Saint-Denis, où il semblerait qu’on ait
retrouvé la résidence carolingienne 111 (à l’intérieur de l’enceinte, au nordouest de la basilique). Les grandes abbayes disposaient en effet de bâtiments
de représentation, destinés aux hôtes de marque. Le plus bel exemple récemment mis au jour est celui du monastère de Saint-Vincent au Voltune : à
la suite des travaux réalisés au début du IXe siècle par l’abbé Josué, San
Vincenzo Minore fut transformé en palais afin d’y accueillir les hôtes de
haut rang 112.
La règle de la vie commune
La diversité des règles et des usages caractérise le très haut Moyen Âge.
Dans le monde franc, l’influence de saint Colomban fut considérable durant
tout le VIIe siècle 113 ; elle ne se traduisit cependant pas par une uniformisation des coutumes, car il n’existe pas « une » règle « mixte » (c’est-à-dire
empruntant certains traits à la tradition irlandaise et d’autres à la tradition
bénédictine) mais de multiples règles assez disparates 114. C’est au cours du
110. STÖRMER 1972, p. 121 sqq.
111. Michaël WYSS, « Un établissement carolingien mis au jour à proximité de l’abbaye de Saint-Denis :
la question du palais de Charlemagne », dans RENOUX 2001, p. 191-200.
112. HODGES 1997, p. 101 sqq.; présentation synthétique du site par Federico MARAZZI, dans BOUGARD
1997, p. 187 sqq.
113. CLARKE & BRENNAN 1981.
114. DIERKENS 2000, p. 38 ; Adalbert DE VOGÜÉ, Les règles monastiques anciennes (400-700), Turnhout,
1985 ; Jane Barbara STEVENSON, « The monastic rules of Columbanus », dans LAPIDGE 1997,
p. 203-216.
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VIIIe
siècle que se dessina peu à peu le succès de la règle bénédictine. Le
maire du Palais Carloman en avait recommandé la diffusion ; il se fit
d’ailleurs moine au Mont-Cassin, un monastère qui peut être considéré
comme un véritable centre de formation à la vie bénédictine dans la seconde
moitié du VIIIe siècle. C’est néanmoins sous le règne impérial de Louis le
Pieux que la règle de saint Benoît fut imposée comme seule norme, et qu’on
s’efforça d’uniformiser les usages, après que l’expérience eut été amorcée
par Benoît d’Aniane dans le royaume d’Aquitaine 115. Cette uniformisation
concerna non seulement les communautés de moines, mais également les
communautés de clercs, qui n’eurent d’autre alternative que de se prononcer en faveur d’une conversion à la vie, jugée meilleure, des moines ou d’opter pour la règle des chanoines, qui s’inspirait des usages établis par
Chrodegang de Metz un demi-siècle plus tôt 116. Les communautés féminines durent également rentrer dans le moule 117.
L’uniformisation du monachisme ne se traduisit pas seulement par une
adoption généralisée (mais parfois bien difficile) de la règle bénédictine,
elle s’opéra également par le renforcement de l’emprise royale sur les établissements : à partir du règne de Louis le Pieux, l’octroi de l’immunité fut
subordonné à la soumission totale à l’autorité du souverain, qui prit les établissements sous sa « protection » (tuitio), ce qui était un moyen de saper
l’autorité des familles fondatrices 118 (la récurrence de l’affirmation de la
liberté de l’élection abbatiale en exprime l’intention 119). Les évêques avaient,
au cours du VIIIe siècle, également contribué à cette harmonisation en revendiquant une autorité sur les monastères que les fondateurs de ces établissements leur avaient parfois refusée 120. Un tel système ne pouvait toutefois
durer qu’en l’existence d’un pouvoir central fort.
115. Josef SEMMLER, « Benedictus II : una regula – una consuetudo », dans Willem LOURDAUX &
Daniel VERHELST (éd.), Benedictine Culture, 750-1050, Louvain, 1983, p. 1-49 ; id.,
« Benediktinische Reform und kaiserliches Privileg. Zur Frage des institutionellen
Zusammenschlusses der Klöster um Benedikt von Aniane », dans Gert MELVILLE (éd.), Institutionen
und Geschichte. Theoretische Aspekte und mittelalterliche Befunde, Cologne 1992, p. 259-293 ; id.,
« Réforme bénédictine et privilège impérial. Les monastères autour de saint Benoît d’Aniane »,
dans Naissance et fonctionnement des réseaux monastiques et canoniaux, Saint-Étienne, 1991,
p. 21-32.
116. Rudolf SCHIEFFER, Die Entstehung von Domkapiteln in Deutschland, Bonn 1976 ; Josef SEMMLER,
« Die Kanoniker und ihre Regel im 9. Jahrhundert », dans Irene CRUSIUS, Studien zum weltlichen
Kollegiatstift in Deutschland, Göttingen, 1995, p. 62-109.
117. SCHILP 1998 ; FELTEN 2001, p. 40 sqq.
118. Josef SEMMLER, « Iussit … princeps renovare … praecepta. Zur verfassungsrechtlichen Einordnung
der Hochstifte und Abteien in die karolingische Reichskirche », dans Joachim F. ANGERER & Josef
LENZENWEGER (éd.), Consuetudines monasticae. Eine Festgabe für Kassius Hallinger aus Anlass seines
70. Geburtstags, Rome, 1982, p. 97-124.
119. Dieter GEUENICH, « Zur Stellung und Wahl des Abtes in der Karolingerzeit », dans ALTHOFF
1988, p. 171-186.
120. Josef SEMMLER, « Episcopi potestas und karolingische Klosterpolitik », dans BORST 1974,
p. 305-395.
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Réseaux de prière
Les liens de fraternisation dépassaient le cadre de la fraternité monastique. Les communautés de prière jouèrent un rôle fondamental dans le
monachisme insulaire, qui en importa l’usage sur le continent 121. Il s’agissait d’abord d’une conséquence des liens d’amitié noués entre des personnes,
qui s’obligeaient à la prière mutuelle. Les liens entre communautés donnaient lieu à la consignation des noms de leurs membres dans un « livre de
vie » (lors de pieuses donations, il arrive que les laïcs demandent l’inscription de leur nom dans le « livre de vie » ; il est parfois difficile de trancher
s’il s’agit d’une référence apocalyptique ou s’il est question, concrètement,
d’un livre liturgique). Le contrat conclu en 800 entre la communauté de
Saint-Gall et celle de la Reichenau est considéré comme l’exemple le plus
ancien d’accord liant deux institutions monastiques sur le continent. Aux
termes de ce contrat, une messe doit être célébrée par l’ensemble de la communauté dès qu’elle apprend la mort d’un membre de l’abbaye voisine. Le
même jour, tous les moines ayant reçu la prêtrise doivent célébrer trois
messes privées, et les autres frères doivent lire le psautier et célébrer vigiles
pour l’âme du défunt. Le septième jour après le décès, tous les membres de
la communauté doivent chanter 30 psaumes ; le trentième jour, tous les
prêtres de la communauté doivent célébrer une messe et les autres moines
doivent réciter 50 psaumes (soit le tiers du psautier). Vient ensuite la commémoration des défunts récents, à la fin de chaque mois ; le 14 novembre,
enfin, on célèbre la mémoire de tous les défunts de l’année 122.
Les liens spirituels et les obligations de prière pouvaient concerner des
communautés fort éloignées, comme celle du Mont des Oliviers à Jérusalem.
Les moines appartenant à la délégation du patriarche Thomas profitèrent
de leur ambassade auprès de Charlemagne, en 807, pour se faire inscrire
dans le livre de fraternité de Saint-Pierre de Salzbourg ; l’abbé du Mont des
Oliviers, Georges en religion (il s’appelait originellement Egilbald), était
d’ailleurs originaire de Germanie 123. En 836, la délégation envoyée dans
l’Empire franc noua des rapports avec la Reichenau 124, dont le livre de fraternité compte plusieurs noms parmi ceux des « amis en vie ». De même,
le « livre de vie » de l’abbaye de Brescia garde le souvenir du passage d’Alfred
le Grand, lorsqu’il se rendit à Rome 125.
L’étude des relations de fraternité nouées par l’abbaye de la Reichenau 126
montre une prédominance naturelle des établissements sis aux alentours
121. GERCHOW 1988.
122. Dieter GEUENICH, « Die Sankt Galler Gebetsverbrüderungen », dans VOGLER 1990, p. 29-38.
123. BORGOLTE 1976, p. 86-92.
124. Ibid., p. 114-118.
125. Simon KEYNES, « Anglo-Saxon Entries in the Liber Vitae of Brescia », dans ROBERTS et alii 1997,
p. 99-119. Plus largement, sur la documentation « mémoriale » italienne, cf. LUDWIG 1999.
126. Das Verbrüderungsbuch der Abtei Reichenau, éd. Johanne AUTHENRIETH, Dieter GEUENICH & Karl
SCHMID, Hanovre, 1979, p. LX sqq.
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(grosso modo, entre Moselle et Forêt Noire), mais ses relations s’étendaient
jusqu’à la Bavière, l’Italie et la vallée de la Seine – les divisions territoriales
du milieu du IXe siècle contribuèrent ensuite à restreindre son rayonnement,
comme celui des autres abbayes d’Alémanie 127. Si la conclusion d’un accord
de prière avec des établissements comme Prüm, Lorsch ou Fulda s’explique
par leur importance dans la partie orientale du royaume des Francs, qui en
fait (peut-être) des partenaires presque obligés, l’union avec l’abbaye de
Conques, liée à Louis le Pieux et à Benoît d’Aniane, ne prend son sens que
dans le contexte réformateur sur lequel le livre de fraternité de la Reichenau
apporte un témoignage de premier plan 128 : une liste de « noms d’amis en
vie » énumère les membres de la famille impériale, des évêques, des abbés
(parmi lesquels on mentionne l’archichapelain Hilduin, abbé de Saint-Denis,
mais aussi Éginhard, Elisachar et son successeur à la tête de la chancellerie,
Fridugise) et des comtes (à la tête desquels figurent Hugues de Tours et
Matfrid d’Orléans). Il s’agit des personnages les plus influents à la cour de
Louis le Pieux avant que n’éclate la crise politique de la fin des années 820
et de ceux qui travaillèrent à l’application de la réforme monastique conçue
par Benoît d’Aniane († 821). De même, l’association de prière conclue à
Attigny en 762 avait rassemblé les évêques et abbés acquis à la réforme ecclésiastique inaugurée par Boniface et poursuivie par Chrodegang de Metz 129.
Comme l’évêque Cineheard de Winchester l’écrivit à Lull de Mayence
vers le milieu du VIIIe siècle, « le secours spirituel des prières » devait se
concrétiser par « l’assistance matérielle dans le siècle », qui se traduisait, par
exemple, par les échanges de manuscrits 130. C’est ainsi qu’on peut expliquer la présence à Saint-Gall, de nombreux ouvrages produits dans le scriptorium de Saint-Martin de Tours 131. Les liens spirituels entre les communautés religieuses pouvaient aussi revêtir d’autres formes, tels les échanges
de reliques. Les relations fondées entre les églises échangeant des reliques
résistaient parfois à l’épreuve du temps, comme l’illustre l’exemple du Mans
et de Paderborn : en 836, une délégation de clercs manceaux accompagna
les restes de saint Liboire jusqu’en Saxe ; en retour, le clergé de Paderborn
offrit à celui du Mans des reliques de saint Julien, le premier évêque du Mans
– or cette translation eut lieu au XIIIe siècle 132 !
127. Dieter GEUENICH, « Regionale und überregionale Beziehungen in der alemannischen
Memorialüberlieferung der Karolingerzeit », dans EBERL et alii 1988, p. 197-216.
128. Dieter GEUENICH, « Gebetsgedenken und anianische Reform – Beobachtungen zu den
Verbrüderungsbeziehungen der Äbte im Reich Ludwigs des Frommen », dans Raymund KOTTJE
& Helmut MAURER (éd.), Monastische Reformen im 9. und 10. Jahrhundert, Sigmaringen, 1989,
p. 79-106, aux p. 88 sqq.
129. Karl SCHMID & Otto Gerhard OEXLE, « Voraussetzungen und Wirkung des Gebetsbundes von
Attigny », Francia 2 (1974), p. 71-122.
130. OEXLE 1993, p. 271.
131. Werner VOGLER, « St. Martin in Tours und St. Gallen. Europäische Beziehungen zwischen zwei
karolingischen Klöstern », dans OCHSENBEIN & ZIEGLER 1995, p. 117-136.
132. RÖCKELEIN 2002, p. 263.
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Autour du monastère
Vers 825, la communauté monastique de Fulda comptait 603 membres !
Environ un quart des moines vivait à l’intérieur du monastère, les autres
étaient répartis dans les diverses dépendances de ce qui est présenté dans le
livre de fraternité de la Reichenau comme l’« assemblée de saint Boniface
(dépendant) du monastère qui est appelé Fulda » (congregatio sancti Bonifatii
de monasterio, quod Fulta nominatur 133). Les monastères constituaient donc
de véritables agglomérations humaines. Au IXe siècle, l’abbaye de Prüm
devait compter au bas mot une centaine de moines 134. Aux environs de
830, les moines de Saint-Germain-des-Prés étaient au nombre de 120, et
ceux de Saint-Denis, 150. Vers le milieu du siècle, il y avait 216 moniales
à Notre-Dame de Soissons 135. Or nous savons qu’il y avait à la même époque
40 servantes du monastère travaillant à l’intérieur de la clôture et 30 au
dehors, affectées au travail dans le gynécée. Enfin, il y avait 130 homes qui
travaillaient au service des moniales. Par conséquent, le monastère rassemblait en tout 416 personnes, qu’il fallait héberger dans les bâtiments conventuels et aux alentours immédiats. En Irlande, l’importance des monastères
était d’autant plus grande et leur rayonnement socio-économique d’autant
plus manifeste qu’il s’agissait des seuls endroits de concentration humaine 136,
puisque l’habitat était alors uniquement dispersé et qu’il faut attendre les
raids vikings pour que les premières villes apparaissent. Les grands monastères s’avéraient par conséquents les seuls véritables lieux d’échanges et d’activités ; ils attiraient ainsi une population non négligeable.
L’attraction exercée par les monastères revêtait diverses formes : la fonction d’accueil était importante, qu’il s’agisse de l’hébergement des nobles
de passage ou des pèlerins (ainsi, en 866, Charles le Chauve attribue explicitement les revenus de certains domaines au financement de l’hospitalis
des nobles et de l’hospitalis des voyageurs de Saint-Médard de Soissons 137),
mais aussi de l’entretien de pauvres inscrits sur la matricule. Lors des grandes
fêtes religieuses, l’affluence était à son comble 138. Les écoles monastiques
recrutaient également au-delà du cercle restreint des oblats 139.
L’influence des monastères était ressentie à plusieurs niveaux – à proximité de l’établissement, ne serait-ce que par sa présence monumentale dans
133. Karl SCHMID, « Die Mönchgemeinschaft von Fulda als sozialgeschichtliches Problem », FMSt 4
(1970), p. 173-200 (spécialement aux p. 186 sqq. & 198). Présentation de SCHMID 1978 par
Michel PARISSE, « La communauté monastique de Fulda », Francia 7 (1979), p. 551-565.
134. KUCHENBUCH 1978, p. 50.
135. Cf. les études citées supra, p. 73 sq. notes 46 et 48.
136. Leo SWAN, « Monastic proto-towns in early medieval Ireland : the evidence of aerial photography, plan analysis and survey », dans CLARKE & SIMMS 1985, p. 77-102.
137. Recueil des actes de Charles II le Chauve, roi de France, éd. Georges TESSIER, t. 2, Paris 1952, p. 253
(n° 338).
138. Sur les fêtes pascales à Saint-Riquier, cf. RABE 1995.
139. HILDEBRANDT 1992 ; JONG 1996.
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le paysage (notamment celle de l’église 140), mais aussi bien plus loin, comme
l’illustre l’importance des biens possédés par les abbayes de Lorsch et de
Fulda à Dienheim, un village viticole de la vallée du Rhin (entre Worms et
Mayence). Le nombre des actes privés concernant cette localité permet l’observation d’un phénomène particulièrement intéressant : le partage qui existe
entre les propriétaires fonciers qui font des donations en faveur de la puissante abbaye des environs, Lorsch, et ceux qui optent pour la non moins
puissante, mais plus lointaine abbaye de Fulda, toutefois représentée sur
place par des moines chargés de l’administration des biens de saint
Boniface 141.
De nombreuses personnes entretenaient une relation particulière avec
tel ou tel monastère : elles bénéficiaient de la protection spirituelle et temporelle de la communauté monastique. Les rois, les membres de la haute
aristocratie et les évêques n’étaient pas les seuls, outre les abbés amis et leurs
moines, à bénéficier de la prière de telle ou telle communauté. Ainsi, derrière les « noms de ceux de Strasbourg qui nous sont confiés » se cachent
un clerc, Winidolf, et sept membres de sa famille, hommes et femmes, qui
s’en étaient remis à la prière de la communauté de Saint-Gall 142.
Les donateurs bénéficiaient également de la protection des établissements auxquels ils avaient offert leurs biens : « être le voisin de tel saint »
pouvait s’avérer contraignant, mais cela offrait une certaine sécurité spirituelle et temporelle 143 – sinon, on comprendrait difficilement le succès de
la précaire aux temps carolingiens 144.
Les bénéficiaires d’une protection spéciale
Le roi était le protecteur de l’Église et, par conséquent, des églises. Par
le biais de l’immunité, de nombreux établissements monastiques du IXe siècle
bénéficiaient automatiquement de la protection royale. Mais le devoir de
la puissance publique, a fortiori du roi chrétien, était également de défendre
tous ceux qui se trouvaient démunis d’un protecteur naturel 145. C’est de
là que vient l’idée d’une défense particulière s’appliquant à la veuve et à
l’orphelin : le mari ou le père ne peut plus exercer son mundium sur eux
(le veuvage des hommes n’est guère mentionné dans les sources car son statut ne pose pas de problème particulier : dans le cadre familial, il est son
140. Carol HEITZ, La France pré-romane. Archéologie et architecture religieuse du Haut Moyen Âge du IVe
siècle à l’an Mil, Paris, 1987.
141. WICKHAM 1995, p. 519 sqq. ; INNES 2000, passim.
142. Dieter GEUENICH, « Elsaßbeziehungen in den St. Galler Verbrüderungsbüchern », dans
OCHSENBEIN & ZIEGLER 1995, p. 105-116.
143. Cf. Barbara H. ROSENWEIN, To be the Neighbor of Saint Peter. The Social Meaning of Cluny’s Property,
909-1049, Ithaca, 1989.
144. Cf. Transferts patrimoniaux 1999.
145. Dietmar WILLOWEIT, « Königsschutz », HRG 2, col. 1058-1059.
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propre seigneur). Par conséquent, indépendamment du désir qu’éprouvaient les évêques de contrôler les veuves (notamment, de contrôler les
conditions dans lesquelles s’effectuait la prise de voile), elles étaient placées
sous la protection du pouvoir public, comme on en trouve la formulation
dans les actes du concile réuni en 673 à Saint-Jean-de-Losne : « Les femmes
qui ont perdu leur mari et qui, ayant changé leur vêtement [c’est-à-dire :
ayant pris le voile], veulent demeurer en veuvage, qu’elles soient prises sous
la tuitio du prince 146. »
Les « pauvres »
Les veuves, même riches, étaient « pauvres ». En effet, il y a pauvreté et
pauvreté 147. Les pauvres sont, bien évidemment, d’abord ceux qui sont
dans le besoin matériel, ceux qui ne peuvent par eux-mêmes subvenir à
leurs besoins, mais la conception qu’on avait alors du pauvre dépasse l’opposition entre celui qui a et celui qui n’a pas. De manière significative, le
contraire de la pauvreté est moins la richesse que la puissance : aux pauperes s’opposent non pas les divites, mais les potentes, qui ont vocation à les
assister en les prenant sous leur protection. Les pauperes sont tous ceux qui
n’ont pas de seigneur ; un petit propriétaire de statut libre est en fait un
pauper 148. Au cours de l’époque carolingienne, l’entrée en dépendance d’une
grande partie de la population (qu’elle se traduise par la vassalité ou par la
remise de ses biens à un seigneur foncier dont on tient désormais la terre)
fut une manière (originale) de « résorber » (selon le jargon actuel) la « pauvreté ». Il n’empêche que la pauvreté économique existait, que visaient à
pallier les « hospices » et autres fondations pieuses – comme, par exemple,
la distribution du nécessaire à tous « ceux qui surviennent » ou seulement
ceux qui sont inscrits sur la matricule de telle église cathédrale ou de telle
communauté religieuse 149.
Étrangers et marchands
Les étrangers, marchands ou voyageurs, représentaient une menace
potentielle car ils échappaient aux cadres juridiques et judiciaires habituels.
146. JUSSEN 2000, p. 173.
147. Michel MOLLAT, Les pauvres au Moyen Âge, Paris, 1978.
148. Karl BOSL, « Potens et pauper. Begriffsgeschichtliche Studien zur gesellschaftlichen Differenzierung
im frühen Mittelalter und zum Pauperismus des Hochmittelalters », dans Alteuropa und die moderne
Gesellschaft. Festschrift für Otto Brunner, Göttingen, 1963, p. 60-87 ; rééd. dans BOSL 1964, p. 106134 ; Régine LE JAN-HENNEBICQUE, « “Pauperes” et “paupertas” dans l’Occident carolingien aux
IXe et Xe siècles », RN 50 (1968), p. 169-187. Cf. également FICHTENAU 1949, p. 153 sqq.
149. Egon BOSHOF, « Untersuchungen zur Armenfürsorge im fränkischen Reich des 9. Jahrhunderts »,
AKG 58 (1976), p. 265-339 ; Michel ROUCHE, « La matricule des pauvres. Évolution d’une institution de charité du Bas-Empire jusqu’à la fin du haut Moyen Âge », dans Michel MOLLAT (éd.),
Études sur l’histoire de la pauvreté, t. 1, Paris, 1974, p. 83-110.
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C’est pourquoi, vers la fin du VIIe siècle, la législation anglo-saxonne leur
faisait obligation de ne pas s’écarter des routes et de se signaler d’un cri ou
d’un coup de corne, sous peine d’être considérés comme des voleurs et d’encourir la mort ou le rançonnement 150. Ceux qui quittaient leur pays et les
réseaux de relations dont ils bénéficiaient sur place se trouvaient dépourvus de protection, car les étrangers, venant d’un autre royaume, étaient sans
droit, au premier sens du terme : ainsi, la protection du roi était pour eux
d’abord synonyme de l’assurance de pouvoir engager une action judiciaire.
C’est ce qu’exprime l’Édit de Rothari à propos des waregang (c’est-à-dire
« ceux qui sont à la recherche de protection ») venus de l’étranger et qui se
sont placés sous la défense du pouvoir royal en s’y soumettant (seque sub
scuto potestatis nostrae subdederint) : ils doivent vivre selon la loi lombarde,
à moins d’avoir obtenu le privilège de faire valoir un autre droit 151. En
revanche, la législation wisigothique prévoyait que les marchands d’outremer (c’est-à-dire : les marchands du Levant) pourraient faire appliquer leur
droit lorsqu’un litige survenait entre eux 152. Vers la fin du IXe siècle, le récit
des voyages dans l’Europe du Nord effectués par le riche marchand scandinave Ohthere illustre les rapports de ce dernier avec le roi de Wessex :
Ohthere désigne Alfred le Grand comme his hlaforde, c’est-à-dire son « seigneur ». Cette expression de déférence est due au fait que cet étranger se
trouvait dans la dépendance du roi, parce qu’il bénéficiait de sa protection.
Les défenses de morse dont il lui fit cadeaux, et dont il louait la qualité de
l’ivoire, en étaient peut-être le prix 153.
La protection accordée par le roi à celui qui la lui a demandée n’est pas
un vain mot : la Loi des Chamaves, rédigée sous Charlemagne au tout début
du IXe siècle, prévoit que l’assassin d’un wargengus devra payer au fisc une
amende de 600 sous 154, soit autant que pour le meurtre d’un Franc et trois
fois plus pour celui de quelque homme libre – dans ces deux derniers cas,
seul un tiers de la somme revient au fisc, au titre du fredus : on tient a contrario la preuve que le wargengus est sous la protection directe du roi, puisque
personne d’autre que lui ne peut toucher son Wergeld. Mais l’octroi aux
marchands d’une protection particulière prenait-elle quelque forme juridique? Il est difficile d’y répondre. La recommandation (la prestation d’hommage) est attestée dans le cas relativement bien connu des Juifs commerçant avec (pour) le Palais – mais était-ce en tant qu’étrangers, ou en tant
150. LEBECQ 2000, p. 331.
151. Le leggi dei Longobardi. Storia, memoria e diritto du un popolo germanico, éd. Claudio AZZARA &
Stefano GESPARRI, Milan, 1992, p. 98 (chap. 367).
152. Hermann NEHLSEN, « Kaufmann und Handel im Spiegel der germanischen Rechtsaufzeichnungen »,
dans DÜWEL et alii 1985, p. 126-160, aux p. 132 sqq. ; Harald SIEMS, « Die Organisation der
Kaufleute in der Merowingerzeit nach den Leges », dans JANKUHN & EBEL 1989, p. 62-145, aux
p. 65 sqq.
153. LUND 1984, p. 18 sqq.
154. Lex Francorum Chamavorum, éd. Rudolf SOHM, MGH Leges, t. 5, Hanovre, 1875-1889, p. 271
sq. (c. 3 : Franc ; c. 4 : homme libre ; c. 9 : wargengus).
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qu’hommes d’affaires au service du souverain qu’ils prêtaient hommage ?
La seconde solution est peut-être la bonne, n’en déplaise aux partisans d’une
approche privilégiant le formalisme juridique en ce qui concerne le statut
des étrangers 155. Si l’on rapproche les diplômes pour les marchands juifs
du « précepte des marchands 156 » (828), un modèle d’acte concernant tous
les « marchands du Palais », on observe que ces derniers, désignés comme
fideles du souverain, ont été reçus dans sa tuitio (c’est-à-dire sous sa protection). Or il semble bien qu’à l’époque carolingienne, la recommandation était le préalable à l’entrée dans la tuitio du roi 157.
Certains établissements monastiques disposaient aussi de négociants
spécialisés 158, « qui vivaient à l’ombre du monastère sans faire partie de la
familia, dans une relation de service-protection analogue à celle que les […]
marchands du palais entretenaient avec l’empereur ». On en trouve près
des monastères jouissant du droit de foire ou dans les cités épiscopales, à
Saint-Denis au milieu du VIIIe siècle, puis à Paris (Saint-Germain-des-Prés),
à Auxerre, à Verdun ou, encore, à Fulda en 836. Des systèmes de solidarités reposant sur la prestation d’un serment d’aide mutuelle ont-ils vu le jour
dans ces groupes de marchands ? Nous ne le savons pas – la première ghilde
professionnelle dûment attestée, celle des marchands de Tiel, l’est seulement au début du XIe siècle 159. Or il semble que le « minimum d’organisation professionnelle » nécessaire à la circulation des informations et la
préparation de convois n’ait pas eu d’implication dans les structures des
entreprises marchandes des VIIIe et IXe siècles 160.
Quant à la perception de l’étranger, elle est chose fort subjective 161. Les
gens du haut Moyen Âge connaissaient-ils le racisme ? Peut-être, à l’égard
des Juifs, certes pleinement intégrés du point de vue économique, mais
occasionnellement exposés à des manifestations virulentes d’hostilité à la
foi mosaïque 162. Mis à part leur cas, forte semble alors l’idée selon laquelle
155. François Louis GANSHOF, « L’étranger dans la monarchie franque », dans L’étranger, Bruxelles,
1958 (Recueils de la Société Jean Bodin, t. 10/2), p. 5-36, à la p. 29.
156. Texte latin et traduction dans Jean-Pierre BRUNTERC’H, Le Moyen Âge (Ve-XIe siècle), t. 1 des Archives
de la France sous la direction de Jean FAVIER, Paris 1994, p. 248 sqq. Sur les « marchands du
Palais », cf. Henri LAURENT, « Aspects de la vie économique dans la Gaule franque. Marchands
du Palais et marchands d’abbayes », RH 183 (1938), p. 281-297 ; Peter JOHANEK, « Der fränkische Handel der Karolingerzeit im Spiegel der Schriftquellen », dans DÜWEL et alii 1987, p. 768, aux p. 55 sqq. ; ADAM 1996, p. 174 sqq.
157. DEPREUX 1998, p. 217 (spécialement note 26) ; la prégnance des usages vassaliques trouve par
exemple son illustration dans la manière dont les chapelains entrent au service du roi, cf.
FLECKENSTEIN 1959, p. 30 sqq.
158. Jean-Pierre DEVROEY, « Courants et réseaux d’échange dans l’économie franque entre Loire et
Rhin », dans Mercati 1993, p. 327-389, spécialement aux p. 378 sqq.
159. LEBECQ 1983, t. 1, p. 258 sqq. ; Otto Gerhard OEXLE, « Gilde », LMA 4, col. 1452-1453.
160. LEBECQ 2000, p. 326.
161. DEPREUX 2000 ; cf. également l’article de R. LE JAN cité infra, note 164.
162. Jean-Pierre DEVROEY, « Juifs et Syriens. À propos de la géographie économique de la Gaule au
haut Moyen Âge », dans DUVOSQUEL & THOEN 1995, p. 51-72; Jean-Pierre DEVROEY & Christian
BROUWER, « La participation des Juifs au commerce dans le monde franc (VIe-Xe siècles) », dans
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il n’y a plus de distinction entre les peuples dès lors que le Christ unit tous
les chrétiens, comme l’affirme saint Paul dans l’Épître aux Colossiens (3, 11)
en des termes paraphrasés par l’archevêque de Lyon, Agobard, lorsque ce
dernier s’élève contre la diversité des lois (c’est-à-dire le principe de la personnalité des lois) au début du règne de l’empereur Louis le Pieux 163. Il
n’empêche qu’on observe une « agressivité plus ou moins rentrée 164 », des
marques d’animosité ou d’agacement à l’égard des membres de certains
peuples dont la présence et les réseaux de solidarité s’avéraient par trop
voyants. C’était par exemple le cas à Saint-Martin, aux portes de Tours, du
temps d’Alcuin († 804). Dans la Vie qu’il rédigea au début du IXe siècle,
probablement à Ferrières, un disciple du célèbre abbé rapporte qu’un beau
jour, un prêtre anglo-saxon du nom d’Aigulf vint rendre visite à Alcuin 165.
Alors qu’il attendait devant la porte, des moines firent cette réflexion sans
se méfier, car ils pensaient qu’il ignorait leur langue :
« Voici ce Breton – ou ce Scot – qui vient auprès de cet autre Breton,
qui se languit à l’intérieur. O Dieu ! Libère ce monastère de ces Bretons.
En effet, de même que les abeilles reviennent de partout jusqu’à leur mère,
tous ceux-là viennent à lui. »
Inversement, d’aucuns pouvaient éprouver une certaine fierté « nationale » (ou plutôt : ethnoculturelle). C’était par exemple le cas des Bavarois
de Fulda, dont l’auteur du Glossaire de Kassel (début du IXe siècle) se fait
l’écho lorsque, pour illustrer l’équivalence « sapiens homo = spaher man » et
« stultus = toler », il affirme en version bilingue 166 :
« Stulti sunt Romani, sapienti sunt Paioari ;
modica est sapientia in Romana,
plus habent stultitia quam sapientia.
Tole sint Wualha, spahe sint Peigira ;
luzic ist spahi in Uualhum,
mera hapent tolaheiti denne spahi.
Insensés sont les gens de langue romane, sages sont les Bavarois ;
faible est la sagesse des gens de langue romane,
ils font preuve de plus de sottise que d’intelligence. »
DIERKENS & SANSTERRE 2000, p. 339-374 ; Charles VERLINDEN, « À propos de la place des Juifs
dans l’économie de l’Europe occidentale aux IXe et Xe siècles. Agobard de Lyon et l’historiographie arabe », dans Storiografia e storia. Studi in onore di Eugenio Duprè Theseider, Rome, 1974,
p. 21-37 ; E. M. ROSE, « Gregory of Tours and the conversion of the Jews of Clermont », dans
MITCHELL & WOOD 2002, p. 307-320.
163. Egon BOSHOF, Erzbischof Agobard von Lyon. Leben und Werk, Cologne, 1969, p. 42.
164. Régine LE JAN, « Remarques sur l’étranger au haut Moyen Âge », dans Jean-Pierre JESSENNE (éd.),
L’image de l’autre dans l’Europe du nord-ouest à travers l’histoire, Villeneuve d’Ascq 1996, p. 23-32,
à la p. 29 – dans cette étude, l’auteur invite à dépasser l’approche juridique traditionnelle pour
chercher à cerner « l’étrangeté » de l’étranger.
165. Vita Alcuini, éd. Wilhelm ARNDT, MGH SS 15/1, Stuttgart, 1887, c. 18, p. 193 ; cf. Bernard
MERDRIGNAC, « Bretons et Irlandais en France du Nord », VIe-VIIIe siècles, dans PICARD 1991,
p. 119-142, à la p. 141.
166. STÖRMER 2002, p. 120.
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La circulation des personnes semble avoir été assez intense durant le haut
Moyen Âge 167 ; c’est ainsi que, vers le milieu du VIIe siècle, la reine Bathilde,
qui était elle-même anglo-saxonne, racheta des captifs de la même origine
qu’elle et les plaça dans les monastères de la région parisienne qu’elle soutint activement (sa fondation de Chelles est la plus célèbre). L’auteur de la
Vie de sainte Bathilde 168, qui écrivit dans les années 680, affirme que, « ayant
payé le prix, elle ordonna de racheter de nombreux captifs ; elle les affranchit et en plaça certains dans des monastères – principalement les hommes
de sa nation (gens) et de nombreuses jeunes filles, qu’elle avait nourries ».
On peut aisément citer le nom d’individus originaires d’un autre
royaume et vivant, qui dans le monde franc, qui en Irlande, où de nombreux « étrangers » venaient étudier 169 ou bien y trouvaient refuge lors d’un
exil politique. Ce fut par exemple le cas de Dagobert II, le fils de Sigebert III
tonsuré à la mort de son père, en 656, pour faire place libre à Childebert
« l’Adopté ». Observons que l’auteur du Liber historiae Francorum, qui écrit
au début du VIIIe siècle, présente la chose ainsi 170 : le jeune Dagobert fut
confié par le maire du palais, Grimoald, à l’évêque de Poitiers, Didon, pour
qu’il l’envoie « en pèlerinage en Irlande » (in Scocia peregrinandum) –
Dagobert était par conséquent condamné à faire en Irlande ce à quoi les
Irlandais s’adonnaient sur le continent : la peregrinatio. Il semble toutefois
que l’exilé, dont le départ fut rendu possible par l’existence d’un réseau
irlandais impliquant Foillán, le frère de saint Fursy, et le monastère pippinide de Nivelles (ce qui ne signifie pas pour autant qu’il existait un lien institutionnel entre cet établissement et ceux de Lagny, Péronne ou Fosses 171),
fut accueilli en un lieu bien précis, le monastère de Slane 172. Les manuscrits latins continentaux portant des mentions écrites en runes sont de rares
exemples de la préservation de leurs traditions d’origine par les moines,
probablement irlandais, ayant fréquenté les monastères de Saint-Amand,
Fleury, Saint-Gall, Wissembourg, Echternach, Freising ou Fulda entre le
milieu du VIIIe siècle et le milieu du siècle suivant 173.
La cour royale fut par ailleurs un lieu d’accueil des étrangers. L’attraction
exercée par elle est bien connue pour l’époque carolingienne – l’affluence
167. Michael RICHTER, « The English link in Hiberno-Frankish relations in the seventh century »,
dans PICARD 1991, p. 95-118.
168. Vita sanctae Bathildis, éd. Bruno KRUSCH, MGH SS rer. Merov. 2, Hanovre, 1888, version A,
chap. 9, p. 494 ; traduction : FOURACRE & GERBERDING 1996, p. 126.
169. RICHÉ 1962, p. 366-368.
170. Liber Historiae Francorum, éd. Bruno KRUSCH, MGH SS rer. Merov. 2, Hanovre, 1888, chap.
43, p. 316 ; traduction dans FOURACRE & GERBERDING 1996, p. 88.
171. DIERKENS 1995, p. 293.
172. Jean-Michel PICARD, « Church and politics in the seventh century : The Irish exile of King Dagobert
II », dans PICARD 1991, p. 27-52.
173. Elmar SEEBOLD, « Die Iren und die Runen. Die Überlieferung fremder Schriften im 8. Jahrhundert
als Hintergrund zum ersten Auftreten von Manuskript-Runen », dans HAUBRICHS et alii 2000,
p. 10-37.
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d’érudits anglo-saxons, lombards et, dans une moindre mesure, d’origine
wisigothique fut le facteur principal de ce qu’on a appelé la « renaissance
carolingienne 174 ».
Voyageurs et pèlerins
Les pèlerins, également, avaient besoin d’aide et de protection 175. Le
départ en pèlerinage pouvait en effet s’avérer une entreprise périlleuse –
notamment pour les femmes. Dans une lettre envoyée en 747 à Cuthbert,
l’archevêque de Canterbury, saint Boniface propose d’interdire aux femmes
mariées (mulieres) et à celles qui ont pris le voile (velatae feminae) de se
rendre sans cesse à Rome, parce que nombreuses sont celles qui périssent
en chemin et que peu demeurent intactes 176 : « rares sont en effet les cités
de Lombardie, de Francie ou de Gaule dans l[es]quelle[s] il n’y a pas de
femme dévoyée (adultera) ou de prostituée (meretrix) de nation anglaise » !
Pourtant, les pèlerins pouvaient, en chemin, trouver le gîte en divers lieux
d’accueil. Les monastères avaient obligation d’héberger les gens de passage :
la Règle de saint Benoît consacre en effet un chapitre à la réception des
hôtes 177, prévoyant que « tous [ceux] qui se présentent doivent être reçus
comme le Christ ». Le plan de Saint-Gall, qui date du début du IXe siècle,
porte la mention – au nord de l’église abbatiale, à proximité du logis de
l’abbé – d’un édifice pour l’accueil des hôtes et des moines venus d’ailleurs 178.
Il existait également des établissements spécialisés dans l’accueil des pèlerins : les « hospices », tel celui érigé sur l’ordre de Louis le Pieux au Mont
Cenis et doté avec des biens de l’abbaye de Novalese 179. Certains « hospices » étaient plus particulièrement destinés aux Anglo-Saxons 180, comme
celui d’Auxerre fondé vers 735 ou le monastère de Moutiers-en-Puisaye
mentionné par Heiric dans les Miracles de saint Germain (troisième quart
du IXe siècle). La « celle » de Saint-Josse – près de l’emporium important
qu’était Quentovic, le « vic de la Canche » – fut confiée par Charlemagne
à Alcuin « pour qu’il y fasse aumône aux pèlerins ». De fait, il s’agit d’un
lieu d’étape obligé sur la route menant d’Angleterre en Italie.
174. Présentation synthétique dans Michel SOT, Jean-Patrice BOUDET & Anita GUERREAU-JALABERT,
Le Moyen Âge, t. 1 de l’Histoire culturelle de la France, sous la direction de Jean-Pierre RIOUX &
Jean-François SIRINELLI, Paris, 1997, p. 77 sqq.
175. Sur les pèlerinages aux temps mérovingiens, cf. Brigitte BEAUJARD, Les pèlerinages vus par Grégoire
de Tours, dans GAUTHIER & GALINIÉ 1997, p. 263-270.
176. Die Briefe des heiligen Bonifatius und Lullus, éd. Michael TANGL, Berlin, 1955, n° 78, p. 169.
177. La règle de saint Benoît, éd. et trad. Adalbert DE VOGÜÉ & Jean NEUFVILLE, Paris, 1972, t. 2,
p. 610-617 (chap. 53).
178. HECHT 1983, p. 175-177.
179. Uwe LUDWIG, « Die Gedenklisten des Klosters Novalese – Möglichkeiten einer Kritik des
Chronicon Novaliciense », dans Dieter GEUENICH & Otto Gerhard OEXLE (éd.), Memoria in der
Gesellschaft des Mittelalters, Göttingen, 1994, p. 32-55, à la p. 37.
180. LEVISON 1946, p. 40.
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Les pèlerins anglo-saxons étaient particulièrement nombreux à Rome
au VIIe et au VIIIe siècle 181. Selon le témoignage de Bède le Vénérable, cet
engouement touchait tant les personnes nobles que celles qui ne l’étaient
pas, tant les hommes que les femmes, tant ceux qui exerçaient une fonction dans la société que les personnes privées. Certains souhaitaient y finir
leurs jours, tel Ceolfrid, l’abbé de Jarrow, mais aussi le roi de Wessex,
Cædwalla, qui se fit baptiser à Rome et fut inhumé à Saint-Pierre à la fin
du VIIe siècle, ou bien encore son successeur, Ine, qui abdiqua pour « se
rendre en pèlerinage auprès des lieux saints » après 37 ans de règne. D’autres
entreprirent le voyage à Rome non seulement pour y prier, mais également
pour s’y procurer livres et reliques, ou bien pour solliciter un privilège du
siège apostolique. C’est ainsi que Benoît Biscop se rendit à Rome à six
reprises. D’aucuns ne se contentèrent pas du pèlerinage italien, mais allèrent également en Terre Sainte 182, comme ce fut par exemple le cas de saint
Willibald († 787), avant qu’il ne devienne évêque d’Eichstätt.
À Rome, les étrangers étaient organisés en scholae 183. Les Anglo-Saxons,
par exemple, étaient installés au sud-est du Vatican, près du Tibre (leur burgus se trouve à l’endroit de l’actuel Borgo Santo Spirito). Lorsqu’il revint de
Paderborn où il était allé demander le soutien de Charlemagne, en 799
(cette rencontre peut être considérée comme le prélude au couronnement
impérial de la Noël 800), le pape Léon III fut accueilli par les scholae des
pèlerins. Il s’agissait par là de manifester le soutien des « étrangers » à une
papauté malmenée par l’aristocratie romaine et les milieux pro-byzantins.
Le recours aux scholae dans ce contexte troublé n’étonne pas lorsqu’on sait
leur caractère assez militaire, particulièrement manifeste lors de la défense
de Rome contre les Sarrasins, en 846.
181. Ibid., p. 37-38.
182. Dietrich CLAUDE, « Spätantike und frühmittelalterliche Orientfahrten : Routen und Reisende »,
dans DIERKENS & SANSTERRE 2000, p. 235-253 ; Michael MCCORMICK, Les pèlerins occidentaux à Jérusalem, VIIIe-IXe siècles, ibid., p. 289-306.
183. LEVISON 1946, p. 40-41 ; Alain J. STOCLET, « Les établissements francs à Rome au VIIIe siècle :
Hospitale intus basilicam beati Petri, domus Nazarii, schola Francorum et palais de Charlemagne »,
dans SOT 1990, p. 231-247.
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Chapitre V
L’individu dans le groupe
« Comme le princeps Radbod s’apprêtait à recevoir le baptême, il s’adressa
à l’évêque Vulfran en le pressant […] de lui dire où se trouvaient la plupart
des reges, principes et autres nobiles de la nation des Frisons, si c’était bien
dans cette région céleste qu’il lui promettait de rejoindre au cas où il croirait et serait baptisé, ou si c’était dans cette autre région qu’il appelait la
damnation infernale. Le bienheureux Vulfran lui répondit : […] “Auprès
de Dieu ne se trouve que le nombre exact de ses élus. Les principes frisons,
tes prédécesseurs, qui sont morts sans avoir reçu le baptême, […] ont été
condamnés à la sentence de la damnation”. […] Entendant cela, le dux,
qui s’était auparavant avancé vers la fontaine, retira, incroyant, son pied de
la fontaine, et déclara qu’il ne saurait se priver de la compagnie de ses prédécesseurs, les principes des Frisons, et séjourner dans le royaume céleste
avec une poignée de pauperes […]. »
Ce texte rédigé à Fontenelle vers le début du IXe siècle, qui relate l’échec
de la mission de Vulfran auprès du chef frison qui, au tournant du VIIe et
du VIIIe siècle, opposa une résistance armée vigoureuse aux ambitions territoriales de Pépin II, montre de façon exemplaire combien la compagnie
des siens compte pour les gens du haut Moyen Âge 1. Ce n’est pas l’attachement à sa foi ancestrale (bien que, dans la suite de sa réponse, Radbod
y fasse allusion) ou une revendication de l’identité de sa gens qui conduisent essentiellement le Frison à refuser le baptême ; c’est la volonté (le
besoin ?) de rester en bonne compagnie dans l’au-delà : Radbod entend
demeurer avec ceux de sa lignée et de son rang, et non se mêler au tout
venant. Son attitude nous invite à nous tourner vers l’un des thèmes les
plus intéressants et les plus ardus à traiter en matière d’histoire sociale du
Moyen Âge : savoir dans quelle mesure le groupe s’imposait à l’individu et,
1. Stéphane LEBECQ, « Le baptême manqué du roi Radbod », dans Odile REDON & Bernard
ROSENBERGER (éd.), Les assistes du pouvoir. Temps médiévaux, territoires africains. Pour Jean Devisse,
Saint-Denis, 1994, p. 141-150 (citation : p. 143) ; id., « Vulfran, Willibrord et la mission de Frise :
pour une relecture de la Vita Vulframni », dans POLFER 2000, p. 429-451.
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inversement, comprendre comment les individus modelaient, en les constituant, des groupes sociaux dont la nature et les expressions pouvaient revêtir une assez grande diversité 2. Rien en effet, si ce n’est la parenté biologique, ne constitue une donnée qui n’évolue.
L’onomastique du haut Moyen Âge
Dans la société du haut Moyen Âge, prononcer le nom d’un noble pouvait suffire à évoquer l’ensemble de sa famille : le système onomastique reposant sur la variation favorisait en effet le rappel des membres d’une même
parentèle. C’est ce qu’exprime, vers le début du IXe siècle, l’auteur du poème
épique connu sous le nom de « Chant de Hildebrand » (Hildebrandslied)
lorsqu’il fait dire à son héros, Hildebrand, fils de Heribrand, à l’adresse de
son propre fils, Hadubrand (il le rencontre après en avoir été longtemps éloigné et il ignore alors son identité, c’est pourquoi il lui demande le nom de
son père) : « De quelle famille es-tu ? Si tu me cites un [nom], je connais les
autres […] dans tout le royaume : tous les héros me sont connus 3. »
Les noms qu’on vient de citer sont formés sur le principe de la variation. Les anthroponymes germaniques sont généralement composés de deux
(parties de) noms accolé(e)s – parfois, ce nom peut prendre une forme
hypocoristique, c’est-à-dire la forme d’un surnom : Hadubrand peut ainsi
donner Hatto, mais il arrive aussi que la modification porte sur les deux
éléments du nom : Rubo pour Ruodbraht ou Thioba pour Thiotburg 4. Dans
son Histoire des Lombards, Paul Warnefrid alias Paul Diacre énumère les
membres de sa famille. On y constate la récurrence de mêmes éléments qui
font partie du patrimoine onomastique de la famille, mais aussi la répétition de noms entiers (en allemand : Nachbenennung) : Leupichis est le père
de Lopichis, lui-même père d’Arichis, lui-même père de Warnefrit, qui
épousa Theudelinda ; ce sont les parents de Paul Warnefrid et d’Arichis
(l’auteur fait observer que son frère reçut le nom de son grand-père). On
rencontre également ce mélange des genres chez les Agilolfides : Theudo,
Theodoald et Grimoald illustrent le principe de la variation, alors qu’on
retrouve aussi le nom entier de Tassilon sur plusieurs générations 5.
2. Karl SCHMID, « Über das Verhältnis von Person und Gemeinschaft im frühen Mittelalter », FMSt 1
(1967), p. 225-249 ; rééd. dans SCHMID 1983, p. 363-387 ; Otto Gerhard OEXLE, « Les groupes
sociaux du Moyen Âge et les débuts de la sociologie contemporaine », Ann. ESC 1992, p. 751-765.
3. Jörg JARNUT, « Nobilis non vilis, cuius et nomen et genus scitur », dans GEUENICH et alii 1997,
p. 116-126, à la p. 117.
4. Stefan SONDEREGGER, « Prinzipien germanischer Personennamengebung », dans GEUENICH et alii
1997, p. 1-29.
5. STÖRMER 1973, t. 1, p. 38. Paul Diacre évoque sa famille au livre IV, chap. 37 de l’Histoire des
Lombards. Pour d’autres exemples du principe de variation, cf. WENSKUS, 1976, p. 41 sqq. ; LE JAN
1995, p. 193 sqq. Exposé général sur les principes de l’anthroponymie au haut Moyen Âge par Maria
Giovanna ARCAMONE, « L’onomastica personale nell’Europa occidentale fra IV e VIII secolo », dans
Morfologie 1998, t. 1, p. 585-617.
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L’INDIVIDU DANS LE GROUPE
Le choix d’un nom peut être considéré comme quelque chose d’essentiel car il définit la place de l’individu dans la famille et dans la société 6 (de
même, le recours aux pseudonymes renforce la complicité des membres
d’un même « petit monde » – qu’on soit à Limerick ou à Aix-la-Chapelle 7).
Le nom reflète certaines modes (comme la germanisation des anthroponymes 8) et certaines évolutions sociales – l’une et l’autre pouvant être liées,
comme l’illustre la consommation, au cours du VIe siècle, de l’évolution
(amorcée dès le Ve siècle) qui conduisit à l’abandon des tria nomina au profit du système germanique du nom unique 9. C’est ainsi que l’adoption du
catholicisme par les Wisigoths à la fin du VIe siècle et par les Lombards dans
la seconde moitié du siècle suivant semble avoir joué un rôle dans la dissociation entre identité « nationale » (liée à la gens) et choix anthroponymiques 10 – la prudence s’impose toutefois en ce qui concerne la détermination des noms connotés du point de vue de l’identité ethnique 11.
L’évolution des noms participe également de celle de la famille, comme
R. Le Jan l’a bien montré. Il sert à « désigner, intégrer, lier » l’individu au
sein de/à sa famille de sang ou d’autres familles auxquelles il se rattache
symboliquement ou spirituellement ; il exprime la nature du système de
parenté alors en vigueur : un « système cognatique à tendance patrilinéaire »
qui permet de puiser dans les stocks onomastiques de la famille du père et
de celle de la mère. Il n’y a pas de différence significative entre les milieux
aristocratiques et les autres catégories sociales 12, si ce n’est dans la chronologie du recours de plus en plus intense au principe de la répétition du nom,
qui concurrence le système de la variation. Dès le début du VIe siècle, les
Mérovingiens avaient opté pour la transmission de noms entiers 13. Cette
pratique descend dans l’échelle sociale au cours du haut Moyen Âge, plus
6. Synthèse essentielle par Régine LE JAN, « Dénomination, parenté et pouvoir dans la société du haut
Moyen Âge (VIe-Xe siècle) », dans LE JAN 2002, p. 224-238.
7. Mary GARRISON, « The Social World of Alcuin. Nicknames at York and at the Carolingian Court »,
dans L. A. J. R. HOUWEN & A. A. MACDONALD (éd.), Alcuin of York, Scholar at the Carolingian
Court, Groningue, 1998, p. 59-79.
8. Jörg JARNUT, « Selbstverständnis von Person und Personengruppen im Lichte frühmittelalterlicher
Personennamen », dans Reinhard HÄRTEL (éd.), Personennamen und Identität. Namengebung und
Namengebrauch als Anzeiger individueller Bestimmung und gruppenbezogener Zuordnung, Graz 1997,
p. 47-65 ; rééd. dans JARNUT 2002, p. 355-373.
9. Martin HEINZELMANN, « Les changements de la dénomination latine à la fin de l’Antiquité », dans
DUBY & LE GOFF 1977, p. 19-24.
10. Horst EBLING, Jörg JARNUT & Gerd KAMPERS, « Nomen et gens. Untersuchungen zu den
Führungsschichten des Franken-, Langobarden- und Westgotenreiches im 6. und 7. Jahrhundert »,
Francia 8 (1980), p. 687-745, à la p. 720.
11. Hans-Werner GOETZ, « Gentes in der Wahrnehmung frühmittelalterlicher Autoren und moderner
Ethnogeneseforschung : Zur Problematik einer gentilen Zuordnung von Personennamen », dans
GEUENICH et alii 2001, p. 204-220.
12. Hans-Werner GOETZ, « Zur Namengebung in der alamannischen Grundbesitzerschicht der
Karolingerzeit. Ein Beitrag zur Familienforschung », ZGO 133 (1985), p. 1-41 ; id., « Nomen feminile. Namen und Namengebung der Frauen im frühen Mittelalter », Francia 23/1 (1996), p. 99-134.
13. Eugen EWIG, « Die Namengebung bei den ältesten Frankenkönigen und im merowingischen
Königshaus », Francia 18/1 (1991), p. 21-69.
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rapidement à l’ouest du royaume franc qu’à l’est. Alors qu’à l’origine, on
ne transmettait que des noms de défunts, on en vint à donner aux enfants
le nom de membres de la famille encore en vie. Si le choix du nom est en
partie conditionné par les appartenances familiales, une certaine marge de
liberté demeure – même chez les dépendants, dont certains portaient toutefois le nom de leur maître 14.
Les noms ne sont pas neutres – on y reconnaissait l’expression des vertus (ou des vices) de leur porteur. C’est par exemple ainsi qu’Ermold le
Noir commente le nom de Louis le Pieux, le dédicataire de son Elegiacum
carmen 15 :
« Le nom que lui avaient choisi ses parents présageait qu’il serait illustre,
puissant par les armes et pieux. Car, appelé Louis (Hludowicus), nom venu
de ludus, il invite ses sujets à se réjouir (ludere) dans les bienfaits de la paix ;
ou, si l’on préfère interpréter par la langue franque et recourir à cette étymologie, Hluto signifie “illustre”, et wicgch est l’équivalent de “Mars”, deux
mots qui forment évidemment son nom. »
Lorsque le contexte s’y prêtait, il était également possible d’interpréter
un nom de manière négative. C’est ce que fait Adrevald de Fleury lorsqu’il
évoque la personne originaire du Gâtinais qui, étant versée en droit (il est
question d’un legis doctor), s’opposa à ce qu’un duel judiciaire permette à
saint Benoît de faire valoir son bon droit dans un différent avec les moines
de Saint-Denis 16 : comme par présage, elle portait un nom de bête en lieu
et place d’un nom d’homme (bestiale nomen pro humano). Or ce troublefête pourrait bien être Loup (Lupus) de Ferrières 17 !
La fonction sociale du nom est particulièrement explicite dans le poème
Beowulf. Non seulement on y décèle l’habitude de l’époque de célébrer, au
moyen du nom, quelque vertu que la personne est sensée avoir (c’est ainsi
que Hrethel et Hrothgar ont un nom formé sur un terme désignant la gloire
ou le triomphe, alors qu’Eormenric est, étymologiquement parlant, un
« très grand roi »), mais on peut aussi constater que, de manière générale,
seules sont nommément désignées les personnes ayant un rapport particulier au roi et jouant un rôle dans la société politique 18.
Le choix du nom peut, en quelque sorte, « prédestiner » tel individu à
telle fonction (c’est ce qu’illustre par exemple la récurrence de certains noms
identiques dans les listes épiscopales, qui s’explique parfois par les liens de
14. Hans-Werner GOETZ, « Zur Namengebung bäuerlicher Schichten im Frühmittelalter.
Untersuchungen und Berechnungen anhand des Polyptychons von Saint-Germain-des-Prés »,
Francia 15 (1987), p. 852-877.
15. ERMOLD LE NOIR, Poème sur Louis le Pieux…, éd. et trad. Edmond FARAL, Paris, 1932, p. 11 (v.
78-84).
16. Les miracles de saint Benoît, éd. Eugène DE CERTAIN, Paris 1858, p. 57 (I, 25).
17. NELSON 1986a, p. 63.
18. Eugene GREEN, « Power, Commitment, and the Right to a Name in Beowulf », dans Richard
C. TREXLER (éd.), Persons in Groups. Social Behaviour as Identity Formation in Medieval and
Renaissance Europe, Binghamton 1985, p. 133-140.
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parenté existant entre les divers évêques d’un même lieu) ; il peut s’avérer
l’expression d’un programme politique : c’est ainsi qu’il faut comprendre le
changement de nom imposé à Carloman par le pape Hadrien Ier lorsqu’il le
baptisa en 781 et l’appela Pépin (le fils aîné de Charlemagne, Pépin le Bossu,
ne devait dès lors plus se faire d’illusions sur ses chances d’hériter un jour
du royaume de son père – il se révolta d’ailleurs une dizaine d’années plus
tard et mourut en prison). De même, on interprète le nom donné par
Charlemagne aux jumeaux qu’il eut en 778 (Louis, le futur empereur, et
Lothaire, qui ne survécut pas) comme l’expression d’une volonté de renouer
avec l’héritage mérovingien (en procédant à une Ansippung : au rattachement à une autre famille) – Charlemagne avait en fait appelé ses fils Clovis
et Clotaire ; leur naissance en Aquitaine, à Chasseneuil (au nord de Poitiers),
se prêtait à cette innovation onomastique au sein de la famille carolingienne 19.
Prenons un dernier exemple, qui concerne la fin du IXe siècle : le nom de
Zwentibold, porté par le fils d’Arnulf de Carinthie, devait rappeler à tous la
paix conclue entre son père et le prince morave Svatopluk, son parrain
(Zwentibold est la forme germanisée du nom slave de Svatopluk).
Conscience de soi et engagement personnel
Le nom de l’individu exprime et détermine en partie la place qu’il occupe
dans la société. Est-ce à dire qu’on a affaire à un déterminisme, à une « prédestination » bien plus séculière que celle que défendait Godescalc d’Orbais?
L’individu et la perception des sentiments
La Vulgate historiographique a longtemps voulu que la notion d’individu soit apparue, non pas à la Renaissance comme le pensait Jacob
Burckhardt, mais au XIIe siècle 20. Dans une approche essentiellement littéraire, A. Gourevitch a récemment jeté un pont vers les périodes plus
hautes, en étudiant les Eddas (les sagas scandinaves) qui, dans la forme que
leur ont donnée les poètes au Moyen Âge central, charrient une matière
plus ancienne 21.
On hésite parfois (à tort) à parler d’« individus » à propos du haut Moyen
Âge car il est bien délicat de cerner la personnalité des quelques personnes
sur lesquelles notre information s’avère pourtant assez riche 22. Néanmoins,
les sentiments font de temps en temps irruption dans les sources. Ainsi, la
19. Jörg JARNUT, « Chlodwig und Chlothar. Anmerkungen zu den Namen zweier Söhne Karls des
Großen », Francia 12 (1984), p. 645-651 ; rééd. dans JARNUT 2002, p. 247-253.
20. Walter ULLMANN, The Individual and Society in the Middle Ages, Baltimore, 1966 ; Colin MORRIS,
The Discovery of the Individual, 1050-1200, Londres, 1972.
21. Aron J. GOUREVITCH, La naissance de l’individu dans l’Europe médiévale, Paris, 1997, p. 33 sqq.
22. Karl SCHMID, « Persönliche Züge in den Zeugnissen des Abtbischofs Salomon ? (890-920) »,
FMSt 26 (1992), p. 230-238.
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Loi des Alamans prévoit comment il faut agir lorsque l’on veut rompre diplomatiquement des fiançailles : l’homme doit prêter serment, avec 12 cojureurs, qu’il n’a trouvé aucun vice chez la jeune fille éconduite, mais que
« l’amour d’une autre » l’a conduit à délaisser la première pour épouser la
seconde 23. Il est faux de prétendre que la perception de l’amour (dont
témoigne l’évocation de ce sentiment dans les sources) apparaît aux environs du XIIe siècle ; les auteurs du IXe siècle en offrent maints exemples. Le
roi Louis III n’avait-il pas, « parce qu’il était jeune » comme l’observe l’annaliste de Saint-Vaast, poursuivi à cheval une jeune fille jusque dans la maison de son père, « par jeu » (iocando) ? Dans son élan, le malheureux heurta
le linteau de la porte – et il succomba à ses blessures ! Certains contaient
donc fleurette; d’autres étaient en proie à une telle flamme qu’ils en venaient
au crime passionnel. Ce fut par exemple le cas d’Hugues, le fils de Lothaire
II, qui s’était épris d’une certaine Friderade : pour l’épouser, il fit assassiner
son comte de mari 24. Mais qu’en est-il de la tendresse, de la prédilection ?
Le témoignage de Dhuoda est éloquent 25 : dans son Liber manualis, elle rappelle à son fils, Guillaume, qu’elle lui a donné le jour le 29 novembre 826
(il est rarissime qu’on connaisse la date de naissance des gens de cette époque;
en l’occurrence, nous devons cette information exceptionnelle à la nature de
la source, qui l’est tout autant : on n’a généralement pas accès à la mémoire
familiale des laïcs). Or c’est en ces termes que Dhuoda s’adresse à Guillaume :
« toi, mon fils premier-né tant désiré » (desideratissime fili primogenite)! Quant
aux hommes et aux femmes libres dont le conjoint était de condition servile, il fallait bien qu’un sentiment d’amour leur donnât le cœur de conclure
un mariage compromettant leur statut social – ce qui ne signifie pas pour
autant qu’ils renonçaient à défendre leurs droits et ceux de leurs enfants 26.
Néanmoins, lorsque l’historien du haut Moyen Âge entreprend d’étudier
les sentiments, il se heurte à plusieurs difficultés. D’une part, on avait généralement tendance à réfréner la spontanéité. Cela s’avère particulièrement
évident à propos du rire : celui qui rit fait preuve d’inconduite – l’homme
qui se maîtrise se contente de sourire 27. D’autre part, les manifestations de
sentiments étaient en réalité, dans bien des cas, des démonstrations d’émo23. Lex Alamannorum. Das Gesetz der Alemannen. Text – Übersetzung – Kommentar zum Faksimile aus
der Wandalgarius-Handschrift Codex Sangallensis 731, éd. Clausdieter SCHOTT & Pankraz FRIED,
Augsbourg, 1993, p. 120 (chap. 50/52).
24. Wilfried HARTMANN, « Über Liebe und Ehe im früheren Mittelalter. Einige Bemerkungen zu einer
Geschichte des Gefühls », dans Peter LANDAU (éd.), De Iure Canonico Medii Aevi. Festschrift für
Rudolf Weigand, Rome, 1996, p. 189-216.
25. DHUODA, Manuel pour mon fils, éd. Pierre RICHÉ et trad. Bernard DE VREGILLE & Claude
MONDÉSERT, Paris, 1975, p. 84 sq. (Préface).
26. Carl I. HAMMER, « The handmaid’s tale : morganatic relationships in early-mediaeval Bavaria »,
Continuity and Change 10 (1995), p. 345-368.
27. Gerhard SCHMITZ, « …quod rident homines, plorandum est. Der “Unwert” des Lachens in monastisch
geprägten Vorstellungen der Spätantike und des frühen Mittelalters », dans Franz QUARTHAL &
Wilfried SETZLER, Stadtverfassung, Verfassungsstaat, Pressepolitik. Festschrift für Eberhard Naujoks
zum 65. Geburtstag, Sigmaringen, 1980, p. 3-15.
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tions qui participaient des modes de communication, des mises en scène lors
desquelles il convenait, par exemple, de pleurer 28. Ainsi, la colère et la vengeance pouvaient être ritualisées 29. Toutefois, lorsqu’il s’agit d’honneur, il
arrivait que le naturel refasse surface, comme l’illustre une anecdote rapportée par Grégoire de Tours à propos d’un certain Sichaire : mieux valait ne
point plaisanter sur l’utilité du Wergeld (et boire avec modération) lorsqu’on
célébrait la fin d’une faide par un repas commun et qu’on exaltait ainsi les
liens nouveaux d’amicitia et de caritas 30. Quant au sentiment qu’éprouvaient
les dépendants de Corbie et de Corvey à l’idée de partir en Scandinavie pour
contribuer à l’annonce de l’Évangile, c’était indéniablement la peur : lorsqu’il évoque la mission d’Anschaire en 826, Rimbert écrit qu’un seul moine,
Autbert, accepta de se joindre à lui ; mais ils ne trouvèrent aucun autre compagnon pour se mettre à leur service « car personne, dans la familia de l’abbé,
ne voulait spontanément aller avec eux; or ce dernier [il s’agit de l’abbé, Wala]
ne voulait forcer personne à faire cela contre son gré 31 ».
L’engagement personnel au cœur des rapports sociaux
Comme nous venons de le voir, on peut tenir pour acquis non seulement que les gens du haut Moyen Âge, en dépit de la prégnance des rituels
et des usages, exprimaient des sentiments personnels et spontanés, mais
aussi qu’ils pouvaient s’avérer sensibles à une démarche personnelle. On
trouve écho à cela dans les pénitentiels : la dérogation aux règles doit certes
être sanctionnée, mais il convient de prendre en considération l’intention
et le contexte dans lesquels la faute a été commise – c’est alors seulement
que la pénitence peut devenir médecine de l’âme 32.
Cette valeur de la démarche personnelle trouve son expression dans l’une
des formes les plus importantes de la vie sociale durant le haut Moyen Âge :
l’association scellée par le serment. Nous aurons l’occasion, plus tard, d’évo28. Gerd ALTHOFF, « Empörung, Tränen, Zerknirschung. Emotionen in der öffentlichen Kommunikation
des Mittelalters », FMSt 30 (1996), p. 60-79; rééd. dans ALTHOFF 1997, p. 258-281; Matthias BECHER,
« Cum lacrimis et gemitu. Vom Weinen der Sieger und der Besiegten im frühen und hohen Mittelalter »,
dans ALTHOFF 2001, p. 25-52. Sur la valeur spirituelle des larmes, cf. NAGY 2000.
29. Lester K. LITTLE, « Anger in Monastic Curses », dans ROSENWEIN 1998, p. 9-35 ; Gerd ALTHOFF,
« Ira Regis : Prolegomena to a History of Royal Anger », ibid., p. 59-74.
30. HALSALL 1998, p. 1 sq. (avec référence à la bibliographie anglo-saxonne sur le sujet) ; Wolfgang
HAUBRICHS, « Ehre und Konflikt. Zur intersubjektiven Konstitution der adligen Persönlichkeit im
früheren Mittelalter », dans Kurt GÄRTNER, Ingrid KASTEN & Frank SHAW (éd.), Spannungen und
Konflikte menschlichen Zusammenlebens in der deutschen Literatur des Mittelalters, Tübingen 1996,
p. 35-58. Cette affaire est relatée en deux moments dans les Histoires : VII, 47 et IX, 19.
31. Vita sancti Anskarii a Rimberto et alio discipulo Anskarii conscripta, éd. C. F. DAHLMANN, MGH SS
2, p. 695 (c. 8). Sur le contexte des missions d’Anschaire, cf. Ian WOOD, « Christians and pagans
in ninth-century Scandinavia », dans Birgit SAWYER, Peter SAWYER & Ian WOOD (éd.), The
Christianization of Scandinavia, Alingsås, 1987, p. 36-67.
32. Hubertus LUTTERBACH, « Intentions- oder Tathaftung ? Zum Bußverständnis in den frühmittelalterlichen Bußbüchern », FMSt 29 (1995), p. 120-143.
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quer les solidarités jurées et la sociabilité au sein des ghildes 33. Il convient
simplement de souligner ici que ces associations, ces conjurationes, reposaient sur l’adhésion individuelle de chacun de ses membres, qui engageait
sa parole et sa main 34.
Le serment (sacramentum) fut, durant le haut Moyen Âge, un élément
majeur des institutions : il peut être considéré comme le sacrement par
excellence de cette époque 35. On y a sans cesse recours : pour se disculper,
pour confirmer une assertion, pour garantir qu’on fera telle chose – bref,
chaque fois que l’on doit s’engager solennellement 36. La manière classique
de prêter serment était de s’engager sur des reliques de saints, de prendre
Dieu à témoin. Il s’agit d’une pratique ordalique. Mais on pouvait aussi
prêter serment sur d’autres objets, notamment les armes. Cette pratique
est attestée, dans le monde franc, jusqu’au milieu du IXe siècle 37.
Dans le cadre judiciaire, il se pouvait, bien évidemment, qu’une dynamique de groupe joue dans la démarche des co-jureurs. En revanche, lorsqu’il s’agissait de promettre fidélité, ce n’était plus le nombre (souvent symbolique) qui jouait : ce qui était en jeu, c’était l’engagement personnel d’un
être envers un autre, d’un homme libre envers son seigneur ou envers son
roi. La prestation d’un serment de fidélité au roi à l’occasion de son avènement ou en des circonstances exceptionnelles est attestée chez divers peuples;
dès le VIe siècle chez les Francs, au siècle suivant chez les Wisigoths, sous le
règne d’Alfred le Grand en Angleterre 38. Les différentes versions de serments
datant du règne de Charlemagne montrent l’évolution des enjeux : d’une
promesse de ne pas nuire, on passe à un engagement plus positif 39. La profession monastique est également un acte d’engagement personnel. L’entrée
au monastère était subordonnée à la rédaction d’une requête (petitio) dont
on déposait le texte sur l’autel. L’examen de certains modèles d’actes du
VIIIe siècle révèle de grandes similitudes entre ces petitiones et les serments
de fidélité dus au roi ou prononcés lors d’une prestation d’hommage 40.
33. Cf. infra p. *** (L’association jurée).
34. Otto Gerhard OEXLE, « Konsens – Vertrag – Individuum. Über Formen des Vertragshandelns im
Mittelalter », dans BESSMERTNY & OEXLE 2001, p. 15-37.
35. Paolo PRODI, Il sacramento del potere. Il giuramento politico nella storia costituzionale dell’Occidente,
Bologne, 1992, p. 65.
36. Philippe DEPREUX, « La prestation de serment dans le monde franc : formes et fonctions ( VIeIXe siècles) », dans Christiane REYNAUD (éd.), Serment, promesse et engagement : rituels et modalités,
Montpellier (sous presse) ; KOLMER 1989.
37. Jean-Luc CHASSEL, « Le serment par les armes (fin de l’Antiquité-haut Moyen Âge) », Droit et cultures 17 (1989), p. 91-121 ; rééd. dans Le Serment. Recueil d’études anthropologiques, historiques et
juridiques, Nanterre, 1989, p. 79-109.
38. ECKHARDT 1976 ; Dietrich CLAUDE, « Königs- und Untertaneneid im Westgotenreich », dans
BEUMANN 1974, p. 358-378 ; SCHARER 2000, p. 109 sqq.
39. MAGNOU-NORTIER 1976 ; BECHER 1993.
40. CONSTABLE 1987, p. 788.
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Les rapports hiérarchiques
La naissance et la richesse jouent naturellement un rôle dans la définition des rapports sociaux. Les critères de richesse varient bien entendu d’un
lieu à un autre. En Irlande, elle se mesure au nombre de bétail. Pour l’abbé
d’Iona, Adomnán, un homme possédant cinq vaches passait pour très
pauvre (valde inops) – malgré son dénuement, un certain Nesán le Courbe
offrit l’hospitalité à saint Columba pour une nuit; ce dernier, pour le remercier, bénit son troupeau en promettant qu’il augmenterait jusqu’à 105 têtes
de bétail 41.
Richesse et statut ont leur incidence sur les comportements sociaux.
Ainsi, dans son commentaire de la Règle de saint Benoît, Smaragde de SaintMihiel (premier quart du IXe siècle) établit une distinction dans la manière
dont un moine doit saluer les hôtes, selon leur rang : certes, en chacun d’eux,
c’est le Christ qui est accueilli ; mais les gens ordinaires n’ont droit qu’à une
inclinatio de la tête, alors que la déférence envers les potentes est exprimée
par une prostratio 42. L’apparence, l’allure et le vêtement jouent ici, à l’évidence, un rôle majeur dans la distinction sociale. La solitude de l’individu
ou le nombre des membres composant sa suite entrent aussi en jeu.
La polysémie du terme de « seigneur »
Le terme classique pour exprimer la supériorité hiérarchique est celui
de dominus, c’est-à-dire « seigneur », qui désigne toutes les personnes exerçant, à quelque titre que ce soit, une autorité, toutes les personnes sous la
protection (Munt, mundium, maimbour 43) desquelles on peut se placer. Le
recours au terme de dominus s’applique dans les situations les plus diverses,
comme l’illustre la manière dont l’emploie Dhuoda, l’épouse de Bernard
de Septimanie, dans le Liber manualis qu’elle composa vers 842 à l’attention de son fils, Guillaume, pour le conseiller dans sa conduite à la cour de
Charles le Chauve.
Son traité commence ainsi 44 :
« La onzième année de l’empire de feu notre seigneur (domnus) Louis
[…], le 3 des calendes de juillet [29 juin 824], au palais d’Aix, j’ai été donnée en mariage comme épouse légitime à mon seigneur (dominus) Bernard,
ton père. »
41. Adomnán’s Life of Columba, éd. et trad. Alan O. ANDERSON & Marjorie O. ANDERSON, Oxford,
1991, 68a (II, 20), p. 120.
42. WILLMES 1976, p. 63 ; BUC 2001a, p. 873.
43. Werner OGRIS, « Munt, Muntwalt », HRG 3, col. 750-761.
44. DHUODA, Manuel pour mon fils, éd. Pierre RICHÉ et trad. Bernard DE VREGILLE & Claude
MONDÉSERT, Paris, 1975, p. 84 sq. (Préface).
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Le même mot sert donc à désigner le roi (ou l’empereur) et le mari.
Il sert également à désigner le seigneur d’un vassal. Un peu plus loin,
Dhuoda écrit 45 :
« J’ai appris que Bernard, ton père, t’a recommandé entre les mains de
monseigneur (domnus) le roi Charles (in manus domni te commendavit Karoli
regis) ; je t’invite à t’acquitter avec une parfaite bonne volonté de tes nobles
devoirs. »
On pourrait multiplier les exemples. C’est en effet du terme de dominus qu’on désigne un abbé, le maître d’un domaine (on parle d’ailleurs de
« seigneurie foncière »), etc.
La fidélité des hommes d’armes
À l’origine, tous les hommes libres étaient des « leudes » – le terme allemand pour dire « les gens » (die Leute) vient du mot leod. Les leudes, en tant
qu’hommes libres, participaient aux plaids et aux rassemblements de l’ost.
C’est pourquoi le terme de « leudes » en vint à désigner ceux qui étaient tout
particulièrement liés au roi (par un serment), voire les membres de sa suite
armée. Le lien des leudes avec le roi est particulièrement patent chez les
Wisigoths, comme l’atteste la législation de Réceswinthe (653-672). La
manière dont « Frédégaire » évoque les leudes conjointement aux évêques
peut être interprétée comme l’expression du prestige dont ils jouissaient
alors 46. On peut rapprocher ces leudes des antrustions 47, qui se sont explicitement placés sous la protection du roi qu’ils servent en lui jurant fidélité
(antrustio vient de trustis, qui signifie « foi » – qu’on pense à l’expression :
In God we trust !). Le formulaire de Marculf (I, 18), composé vers le milieu
du VIIe siècle, contient une formule d’entrée dans la « truste » du roi 48 :
« Concernant l’antrustion du roi.
Il est juste que ceux qui nous offrent une foi sans faille soient soutenus
par notre secours (auxilium). Parce que ce fidèle, Dieu nous étant propice,
est venu ici, dans notre palais, avec ses armes, et qu’il nous a juré dans notre
main foi (trustis) et fidélité (fidelitas), nous décidons et ordonnons par ce
précepte qu’il soit compté au nombre des antrustions ; si par hasard quelqu’un tentait de le tuer, qu’il se sache frappé d’un Wergeld de 600 sous. »
La prégnance du modèle de la suite armée et des rapports vassaliques
(dont nous reparlerons plus bas) dans la société du haut Moyen Âge est
illustrée par la manière dont l’auteur d’un récit de la Genèse en langue ver45. Ibid., p. 86 sq.
46. Ruth SCHMIDT-WIEGAND, « Leod, leodis, leudes, leodi, leodardi, leudesamio », HRG 2, col. 18451848 ; OLBERG 1991, p. 60 sqq.
47. Robert SCHEYHING, « Antrustionen », HRG 1, col. 179-180 ; OLBERG 1991, p. 124 sqq.
48. Traduction d’après MAGNOU-NORTIER 1976, p. 20, et Alf UDDHOLM (éd.), Marculfi formularum
libri duo, Uppsala, 1962, p. 87.
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naculaire décrit la contestation, par Lucifer, de la supériorité de Dieu 49.
Qu’a-t-il à gagner au service d’un seigneur ? Cela ne lui convient pas : Hwæt
sceal ic winnan ? cwæD hê, nis mê withæ /bearf / hearran tô habbanne. Il dispose de vaillants compagnons (folcgesteallan) ; des légions d’anges le reconnaissent comme leur seigneur : hie habbaD mê tô hearran gecorene. Ces héros
ne vont pas faillir au combat. Dès lors, pourquoi devrait-il encore obéissance à Dieu pour rester en grâces, et lui rendre hommage : Hwy sceal ic
æfter his hyldo /beówian, / bûgan him swilces geongordômes? Ce poème exprime
la force des références martiales, l’importance du nombre des personnes
constituant la suite d’un personnage pour apprécier sa situation dans l’échelle
sociale, la nature du lien qui unit le seigneur à celui qui appartient à sa
suite : « grâce 50 » – en allemand, « Huld » (grâce) et « Huldigung » (hommage) sont deux termes étymologiquement très proches – contre obéissance (d’où l’idée de « bienfait » attachée à ce que le vassal reçoit de son seigneur : beneficium). Lucifer fut déchu pour avoir contesté l’ordre établi. Sa
rébellion contre son seigneur est un contre-exemple d’autant plus grave
qu’il est censé être à l’origine du mal.
Les armes créaient ou renforçaient assurément des liens d’obligation
envers les personnes qui se les transmettaient – voire créaient un lien de
filiation symbolique.
La fidélité des hommes d’armes pouvait se poursuivre dans la mort.
C’est par exemple ainsi qu’on peut interpréter (avec toutes les réserves nécessaires) le peuplement uniquement masculin de la partie où se trouvent les
tombes « aristocratiques » du cimetière bavarois de Herrsching, près de
l’Ammersee (fin du VIIe siècle) : il se pourrait qu’on ait affaire aux sépultures d’un membre de l’aristocratie (un membre de la famille des Huosi ?)
et de ceux qui faisaient partie de sa suite armée 51.
Dans le monde anglo-saxon, la pratique consistant à rendre les armes
et les chevaux reçus à la mort du bénéficiaire, le heriot (de heregeatu, c’està-dire « fourniture de guerre »), apporte confirmation du fait que la remise
des armes était l’expression d’un lien fort unissant le seigneur à celui qui se
plaçait à son service (après 1066, les Normands assimilèrent ce paiement
au droit de relief 52). On sait que les armes et les éléments de l’équipement
militaire circulaient d’une personne à l’autre 53. Ces dons revêtaient une
importance indéniable dans la société anglo-saxonne. Les armes retrouvées
49. Version en vieil anglais du poème saxon Genesis, citée par Walter SCHLESINGER, « Herrschaft und
Gefolgschaft in der germanisch-deutschen Verfassungsgeschichte », HZ 176 (1953), p. 225-275 ;
rééd. dans SCHLESINGER 1963, p. 9-52, à la p. 25.
50. Gerd ALTHOFF, « Huld. Überlegungen zu einem Zentralbegriff der mittelalterlichen
Herrschaftsordnung », FMSt 25 (1991), p. 259-282 ; rééd. dans ALTHOFF 1997, p. 199-228.
51. KELLER 1988.
52. Richard ABELS, « Heriot », dans LAPIDGE et alii 1999, p. 235-236.
53. Heinrich HÄRKE, « The circulation of weapons in Anglo-Saxon society », dans THEUWS & NELSON
2000, p. 377-399.
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dans les tombes sont parfois plus anciennes que le défunt ; quant à l’auteur
de Beowulf, il décrit à profusion le rôle du roi comme dispensateur d’armes
et de richesses – citons l’appel de Wiglaf aux compagnons de Beowulf 54 :
« Je me souviens du temps
où nous goûtions notre part d’hydromel
Quand nous promettions
à notre seigneur
Dans la salle où se boit la bière
après qu’il nous avait distribué des torques
De nous acquitter volontiers
des équipements donnés
S’il lui arrivait
d’avoir besoin de nos services
De le dédommager des heaumes et glaives bien trempés. »
La restitution des armes lorsqu’on quitte le service du seigneur qui les
a autrefois données est attestée dans le royaume wisigothique dès le règne
d’Euric (466-484) à propos de ces guerriers privés nourris par leur patron
qu’étaient les buccellarii 55. Il n’est pas impossible que les thegns du monde
anglo-saxon 56 aient, à l’origine, partagé leur condition assez humble (thegn
signifie « celui qui sert »). Mais à la différence des termes évoqués jusqu’à
présent, le mot thegn perdura dans le temps. Au IXe siècle, il désignait assurément un personnage important, qui se distinguait du simple homme libre
(ceorl). Le destin du thegn illustre par conséquent cette ascension sociale
des ministri (c’est le terme employé par Bède le Vénérable, rendu par thegn
dans la traduction en langue vernaculaire de l’Histoire ecclésiastique du peuple
anglais réalisée vers la fin du IXe siècle) que l’on observe également dans le
cas du « petit gars » qu’était originellement le vassal.
Recommandation et vassalité
L’apparition de la vassalité est une question bien délicate, qui a déjà fait
couler beaucoup d’encre et en fera certainement couler encore beaucoup. Il
est probablement assez vain d’espérer pouvoir établir des liens de filiation
et une chronologie fine entre les diverses formes de dépendance ayant conduit
aux liens vassaliques dont est issue la féodalité 57. Alors que le terme vassus,
qui s’impose à partir du VIIIe siècle, évoque à l’origine l’idée de servitude 58
(en tout cas l’idée de service : le vassus est un « valet », un servant), d’autres
54. André CRÉPIN, Beowulf. Édition diplomatique et texte critique, traduction française, commentaires et
vocabulaire, vol. 2, Göppingen, 1991, p. 840 (v. 2633-2638a).
55. Gesetze der Westgoten, éd. Eugen WOHLHAUPTER, Weimar, 1936, p. 20 (Code d’Euric, chap. 310).
56. Simon KEYNES, « Thegn », dans LAPIDGE et alii 1999, p. 443-444.
57. Cf. GANSHOF 1982 ; présentation synthétique dans Jean-Pierre POLY & Éric BOURNAZEL, La mutation féodale, Xe-XIIe siècle, 2e éd., Paris, 1991, p. 108 sqq. ; cf. également KIENAST 1990.
58. OLBERG 1991, p. 231 sqq.
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s’appliquent aux « hommes libres en dépendance » (ingenui in obsequio) ;
c’est le cas du gasindius lombard et de son équivalent anglo-saxon, le gesiD 59.
La cérémonie par laquelle on devient vassal est l’hommage : c’est en
mettant ses mains dans celles du seigneur qu’on devient « son homme » –
c’est en cela que la vassalité se rapproche de la servitude 60, mais il s’agit
d’une servitude librement consentie qui repose sur un contrat, comme
l’illustre le très célèbre modèle d’acte n° 43 des « formules de Tours »
(VIIIe siècle) concernant « celui qui se recommande au pouvoir d’un autre »
(qui se in alterius potestate commendat 61). Ce contrat synallagmatique consistait en un échange : protection contre reconnaissance, dont Hincmar de
Reims contribuerait grandement à la définition devenue classique d’« aide
et conseil 62 ». La protection du seigneur fut traditionnellement concrétisée par l’attribution d’un beneficium, dont on se mit à considérer que c’était
le gage qui obligeait réellement (dans tous les sens du terme) le vassal. L’essor
de la vassalité et le rehaussement du niveau social des vassaux date du
VIIIe siècle. Les « sécularisations » de Charles Martel sont généralement invoquées – le témoignage de l’auteur de la Geste des abbés de Fontenelle est
célèbre, qui dénonce la multiplication des précaires du temps de l’abbé
Teutsinde 63 : « d’où les soldats du Christ [c’est-à-dire : les moines] obtenaient leur nourriture on tire une pâture pour les chiens, et d’où venait la
lumière qui brillait régulièrement devant l’autel du Christ à l’église on tire
de quoi fabriquer des bracelets, des ceinturons et des éperons, ainsi que de
quoi décorer d’or et d’argent des selles de chevaux ». Lorsque l’on replace
les mesures de Charles Martel dans leur contexte, il convient toutefois d’être
prudent ; à cet égard, Charlemagne fut assurément le digne petit-fils du
maire du Palais 64.
À partir des temps carolingiens, les divers rapports sociaux semblent avoir
été profondément marqués par la vassalité, au point que les rapports hiérarchiques furent essentiellement compris comme similaires à ceux existant
entre un seigneur et son vassal. Il convient de ne pas mesurer les institutions
du haut Moyen Âge à l’aune des XIIe et XIIIe siècles 65 et surtout, de reconnaître le primat, à cette époque, des liens personnels sur les enjeux réels : les
temps carolingiens ne sont pas des temps « féodaux » (bien que la féodalité
59. Ibid., p. 112 sqq.
60. Pierre PETOT, « L’hommage servile. Essai sur la nature juridique de l’hommage », RHDFE, 4e série,
6 (1927), p. 68-107. Pour des exemples de recommandation servile, cf. FELLER 1998, p. 539 sq.
61. Traduction française dans GANSHOF 1982, p. 25.
62. Jean DEVISSE, « Essai sur l’histoire d’une expression qui a fait fortune : Consilium et auxilium au
IXe siècle », MA 74 (1968), p. 179-205.
63. Chronique des abbés de Fontenelle (Saint-Wandrille), éd. et trad. Pascal PRADIÉ, Paris, 1999, p. 83
(VI, 3).
64. Ian WOOD, « Teutsind, Witlaic and the history of Merovingian precaria », dans DAVIES & FOURACRE
1995, p. 31-52 ; FOURACRE 2000, p. 137 sqq. ; Herwig WOLFRAM, « Karl Martell und das fränkische Lehenswesen. Aufnahme eines Nichtbestandes », dans JARNUT et alii 1994, p. 61-78.
65. Cf. Susan REYNOLDS, Fiefs and Vassals. The Medieval Evidence Reinterpreted, Oxford, 1994.
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prît racine à cette époque) ; en revanche, ce sont des temps où les rapports
vassaliques jouèrent un rôle prépondérant dans la vie sociale – même s’il
arrivait qu’on prête hommage pour obtenir tel beneficium, comme le cas
(somme toute particulier) de Tassilon III de Bavière en offre l’illustration
sous Charlemagne 66. Il n’est pas impossible que la valse-hésitation concernant les attributions territoriales des fils de Louis le Pieux, à partir de 829,
ait servi de catalyseur dans la fréquence croissante des prestations d’hommage motivées par la volonté de préserver la jouissance d’un beneficium, qui
céderait bientôt la place au « fief ». Il devint ensuite possible de prêter plusieurs hommages concurrentiels. Sans que l’idée de ligesse apparaisse déjà
pour autant, on établissait une hiérarchie, proportionnelle à l’importance
du bienfait qu’on avait reçu. En témoigne la réponse faite en 892 par le
comte du Maine, Bérenger, à l’avoué de Saint-Martin de Tours (dont l’abbé
était alors Robert, fils de Robert le Fort et frère du roi Eudes) qui lui avait
demandé d’ordonner à son vassal, Patéric, de restituer aux frères ce qu’il
tenait injustement 67 : ce dernier « n’était pas seulement son vassal ; certes,
il tenait de lui quelque bien par son bienfait, mais il était bien plus le vassal
de Robert, son ami, parce qu’il tenait un plus grand bienfait de lui ».
Le statut des personnes
L’analyse des compositions (ou Wergeld) sanctionnant les crimes perpétrés à l’encontre des diverses catégories de personnes permet l’établissement
d’une échelle de valeurs au sein de la société. Ainsi, on observe que, chez les
Irlandais, l’évêque et le roi étaient mis à pied d’égalité 68. Les traités juridiques irlandais du VIIe et du VIIIe siècle témoignent en effet d’une volonté
de répartir la société en diverses catégories bien établies 69. En particulier, le
Críth Gablach, un texte du début du VIIIe siècle, expose une hiérarchie fort
subtile 70. On distinguait les rois, les membres de l’aristocratie, qui avaient
droit à une suite de personnes à leur service (les céli), les autres personnes
libres et les semi-libres, qui n’avaient pas de personnalité juridique – sans
parler des esclaves, particulièrement nombreux en Irlande. Les céli étaient
des personnes libres ; leur nombre était fonction de l’importance du noble
qu’elles servaient. Les savants et poètes jouissaient d’un statut privilégié.
Franchissant la mer d’Irlande, on trouve également des agencements similaires. Ainsi, au tournant du VIIe et du VIIIe siècle, le Code du roi de Wessex,
Ine, établit une distinction en trois niveaux au sein des hommes libres, selon
66. Philippe DEPREUX, « Tassilon III et le roi des Francs : examen d’une vassalité controversée », RH 293
(1995), p. 23-73.
67. Recueil des actes de Robert Ier et de Raoul, rois de France (922-936), éd. Jean DUFOUR, Paris, 1978,
p. 141 (n° 37).
68. RICHTER 1996, p. 28.
69. Ibid., p. 27-32 ; CHARLES-EDWARDS 2000, p. 129-136.
70. Thomas CHARLES-EDWARDS, « Críth Gablach and the Law of Status », Peritia 5 (1986), p. 53-73.
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que leur Wergeld s’élève à 1 200, 600 ou 200 shillings. Mais les statuts s’avèrent beaucoup plus variés que ne le laisse penser cette répartition en trois
catégories 71. Dans le haut du panier, il y a : les ealdormen à la tête d’une circonscription, appelée scir ; d’autres « conseillers distingués » ; des scirmen ;
d’autres « juges » ; les geneats du roi ; les geneats d’autres personnes ; les gesiDs
exerçant une autorité locale ; les thegns du roi, qui l’emportent en prestige
sur les gesiDcund ayant des terres, qui l’emportent sur ceux n’en ayant pas ;
les hlafords, enfin, qui ont autorité sur des gesiDcundmen. Au plus bas de la
société libre, on compte les ceorls, les geburs et les gafolgedas.
On pourrait multiplier les exemples, dans la péninsule ibérique, en Bavière
ou en Saxe 72, à la recherche des hommes libres, des gens de condition servile, des « affranchis », « semi-libres », lites et autres « lazes ». On obtiendrait
un inventaire qui aurait toute la variété d’une collection entomologique,
mais ne nous permettrait aucunement de proposer un tableau d’ensemble.
Comme le note J. Campbell, ces états des lieux concernant les statuts sociaux
donnent « l’impression d’une grande complexité et de changements rapides ».
L’étude des textes juridiques tend à faire penser que la société est moins divisée en statuts juridiques figés qu’en divers groupes sociaux dont la configuration évolue au fil du temps 73. Par conséquent, mieux vaux, dans une perspective globale, s’en tenir aux grands critères de distinction.
Hommes et femmes
Cela pourra sembler une lapalissade; il n’en reste pas moins que la société
est, fondamentalement, divisée entre les hommes et les femmes. La distinction entre les sexes est particulièrement manifeste dans l’accès qu’avaient
les laïcs aux reliques des saints 74. Comme le reconnaît Adrevald de Fleury,
« l’antique coutume » interdisait l’accès des femmes au sanctuaire (c’est en
fait à partir du début du IXe siècle que la notion d’impureté cultuelle, liée
aux menstruations, se traduisit par une interdiction d’entrer en contact avec
l’autel 75), mais l’évolution du monachisme au cours du haut Moyen Âge
transforma cette interdiction en exclusion. Il semble bien, en effet, que les
femmes aient eu généralement accès aux reliques dans les basiliques funéraires de l’Antiquité tardive et du très haut Moyen Âge ; Grégoire de Tours
71. James CAMPBELL, « Early Anglo-Saxon Society According to Written Sources », dans CAMPBELL
1986, p. 131-138 (énumération : p. 131 sq. ; citation : p. 138).
72. KING 1972, p. 159 sqq. ; Dietrich CLAUDE, « Freedmen in the Visigothic Kingdom », dans JAMES
1980, p. 159-188 ; Wilhelm STRÖRMER, « Zum Prozeß sozialer Differenzierung bei den Bayern
von der Lex Baiuvariorum bis zur Synode von Dingolfing », dans WOLFRAM & POHL 1990,
p. 155-171 ; STAAB 1975, p. 331 sqq. ; Clausdieter SCHOTT, « Freigelassene und Minderfreie in den
alemannischen Rechtsquellen », dans SCHOTT 1978, p. 51-72.
73. OLBERG 1991, p. 244.
74. SMITH 2001.
75. Gisela MUSCHIOL, « Liturgie und Klausur : Zu den liturgischen Voraussetzungen von
Nonnenemporen », dans CRUSIUS 2001, p. 129-148, aux p. 135 sqq.
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l’atteste. Mais la transformation de ces basiliques en monastères sous l’impulsion de la reine Bathilde, vers 660, alors même que le culte des saints
fondateurs se développait, conduisit à une exclusion des femmes de l’accès
aux reliques – voire à une exclusion de l’ensemble des laïcs (hommes et
femmes) à la faveur de la réforme promue par Benoît d’Aniane. Certes, on
eut recours à diverses solutions pour permettre aux laïcs de vénérer les
reliques, qu’elles fussent temporaires (par exemple, l’exposition des reliques
sous une tente à l’extérieur du monastère) ou définitives (la construction
de plusieurs églises destinées à abriter les reliques, distinctes de l’église abbatiale, comme ce fut par exemple le cas à Nivelles ou à Lobbes). Il n’empêche
que la distinction entre clercs, moines et laïcs, qui se renforce à l’époque
carolingienne, touche plus directement les femmes.
Il existe des traits et des pratiques concernant plus spécifiquement les
femmes. C’est ainsi qu’en matière d’artisanat, les activités textiles semblent
être de leur ressort exclusif 76 ; il n’est pas impossible que la déploration des
défunts soit également affaire de femmes 77. Dans le domaine spirituel, les
mentions assez fréquentes de femmes à l’origine de la conversion de leur
mari, tandis que les allusions aux pressions faites par le mari pour la conversion de son épouse sont rares, témoignent de la différence d’appréciation
du rôle imparti à chacun, et de l’importance plus grande accordée à la
conversion de souverains (alors que leur pieuse épouse ou les parents de
cette dernière ont dû, auparavant, passer par cette étape), car c’est elle qui
s’avère décisive dans la conversion des peuples – cet égard, la conversion au
catholicisme de Brunehaut et de sa sœur, Galeswinthe, font exception 78.
De même, les mentions nominales de marraines sont rares dans les sources
du haut Moyen Âge 79.
La Gender History offre, pour l’histoire du haut Moyen Âge comme pour
les autres périodes, une relecture des sources visant à mieux apprécier les
relations entre les hommes et les femmes 80 ; elle se traduit souvent par une
revalorisation de la place de la femme dans la société 81. Certes, on peut
trouver un discours misogyne dans la bouche des clercs, mais il n’est pas
certain qu’il ait été ressenti comme tel à l’époque 82 – même la figure d’Ève
76. Ludolf KUCHENBUCH, « Opus feminile. Das Geschlechterverhältnis im Spiegel von Frauenarbeiten
im früheren Mittelalter », dans GOETZ 1991, p. 139-175.
77. C’est ce qu’affirme NOLTE 1995, p. 177 ; TREFFORT 1996, p. 81 sq. est plus prudente.
78. NOLTE 1995, p. 290 sq.
79. Ibid., p. 154 sqq.
80. Suzanne Fonay WEMPLE, « Les traditions romaines, germanique et chrétienne », dans KLAPISCHZUBER 1991, p. 185-216. La bibliographie est immense, cf. A FFELDT 1997. Citons juste deux
exemples, dans deux domaines très différents : Albrecht CLASSEN, « Frauenbriefe an Bonifatius.
Frühmittelalterliche Literaturdenkmäler aus literarhistorischer Sicht », AKG 72 (1990), p. 251273 ; Gabriele VON OLBERG, « Aspekte der rechtlich-sozialen Stellung der Frauen in den frühmittelalterlichen Leges », dans AFFELDT 1990, p. 221-235.
81. Dans le domaine politique, cf. en dernier lieu : PANCER 2001.
82. GOETZ 1995, p. 404 sq.
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(dont le nom était assez souvent donné aux femmes) est ambivalente 83. Les
pratiques occultes et la magie sont toutefois réputées principalement affaires
de femmes – a fortiori de femmes fatales 84 ! La médecine courante (celle
des « remèdes de bonne femme ») était peut-être un domaine réservé,
comme ce qui concerne l’obstétrique 85, mais les sources manquent pour
qu’on puisse vraiment se prononcer 86.
Il arrive qu’hommes et femmes soient logés à même enseigne : dans les
pénitentiels irlandais, par exemple, « l’adultère commis par le mari ou par
l’épouse constitue une faute parfaitement identique 87 ». Il n’empêche que
le masculin s’avère souvent et longtemps le cadre du pouvoir – en témoignent, dans le monde monastique (où la femme eut, de fait, une marge
d’action plus grande dans le siècle dès lors qu’elle n’était plus du siècle), le
modèle de la « vierge virile » qu’est la virgo agissant comme un homme
(virago) et le terme même d’« abbesse », féminisation du terme abbas comme
si la responsable de la communauté s’avérait une père 88. L’élaboration d’une
réelle morale du mariage au IXe siècle contribua cependant à l’émergence –
au-delà de la revendication du pouvoir de certaines reines (veuves) aux
temps mérovingiens – d’une association des femmes au pouvoir, dans le
couple royal comme dans les couples aristocratiques 89.
L’étude du rapport des femmes aux biens patrimoniaux fait l’objet d’un
intérêt particulier de la part des historiens 90. Dans le monde carolingien,
les femmes disposaient d’un pouvoir certain, et d’une relative indépendance
en ce qui concerne la gestion de leurs biens, comme en témoigne, vers le
milieu du IXe siècle, le testament d’Erchanfrède, la veuve du comte Nithad,
qui disposa des biens sis dans plusieurs pagi de la rive gauche de la Moselle
(dans la région de Trèves), qu’elle possédait au titre de son hereditas et au
titre de la dos reçue de son mari 91. Ces biens furent confiés publiquement
83. Ibid., p. 71 sqq.
84. Monica BLÖCKER, « Frauenzauber – Zauberfrauen », Zeitschrift für Schweizerische Kirchengeschichte
76 (1982), p. 1-39
85. Gerhard BAADER, « Der Hebammenkatechismus des Muscio – ein Zeugnis frühmittelalterlicher
Geburtshilfe », dans AFFELDT 1990, p. 115-125.
86. AFFELDT 1997, p. 56. Sur la pratique de la médecine, cf. Gundolf KEIL & Paul SCHNITZER (éd.),
Das Lorscher Arzneibuch und die frühmittelalterliche Medizin, Lorsch, 1991.
87. MANSELLI 1977, p. 371.
88. Anne-Marie HELVÉTIUS, « Virgo et virago : réflexions sur le pouvoir du voile consacré d’après les
sources hagiographiques de la Gaule du nord », dans LEBECQ et alii 1999, p. 189-203 ; Stéphane
LEBECQ, « Sur les femmes et leurs éventuels pouvoirs au premier Moyen Âge », ibid., p. 251-256
(sur l’abbesse : p. 255).
89. Régine LE JAN, « L’épouse du comte du IXe au XIe siècle : transformation d’un modèle et idéologie
du pouvoir », dans LEBECQ et alii 1999, p. 65-74 ; rééd. dans LE JAN 2001, p. 21-29.
90. David HERLIHY, « Land, family and women in continental Europe, 701-1200 », Traditio 18
(1962), p. 89-120 ; Ingrid HEIDRICH, « Besitz und Besitzverfügung verheirateter und verwitweter freier Frauen im merowingischen Frankenreich », dans GOETZ 1991, p. 119-138 ; Doris
HELLMUTH, Frau und Besitz. Zum Handlungsspielraum von Frauen in Alamannien (700-940),
Sigmaringen, 1998.
91. Janet L. NELSON, « The wary widow », dans DAVIES & FOURACRE 1995, p. 82-113.
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à la garde d’hommes « illustres » (c’est-à-dire des nobles exerçant des fonctions publiques) jusqu’à son trépas (elle pouvait toutefois, si elle le désirait,
mettre un terme à cette sorte de curatelle) ; à sa mort, ses héritiers n’entreraient en possession des biens qu’après avoir financé le service liturgique
de sa propre memoria, de celle de sa famille et du comte Nithad, en versant
la coquette somme de 100 livres en or et en argent répartie de manière égale
entre vingt monastères de la région (chaque établissement recevant
100 sous). Erchanfrède agit en tant qu’exécutrice testamentaire de son mari
pour les biens qu’elle avait reçus de lui et qui revinrent aux neveux de ce
dernier, mais elle disposa librement des biens de son propre héritage, qu’elle
légua à un certain Bernard à condition qu’il finance un service liturgique
annuel à Prüm, à hauteur de 30 livres. Le lien unissant Erchanfrède à
Bernard n’est pas précisé ; peut-être s’agissait-il de son filleul 92.
Quant à la femme lombarde, elle était apparemment plus mal lotie,
comme l’exprime cet extrait de l’Edit de Rothari :
« Il n’est pas licite, pour chaque femme libre qui vit sous la juridiction
de notre royaume selon la loi des Lombards, de vivre selon le pouvoir de
sa volonté, c’est-à-dire selpmundia, mais, au contraire, elle doit toujours
rester sous le pouvoir des hommes ou du roi. Elle n’aura pas la possibilité
de donner ou d’aliéner des biens meubles ou immeubles sans le consentement de celui qui a son mundium. »
Cela ne qui ne signifie pas que les aristocrates lombardes n’avaient pas
le moyen d’influer sur de devenir de leurs biens 93 – alors même que l’incapacité juridique théorique des femmes dans le droit lombard pouvait toucher les populations d’origine romaine, comme en témoigne cette charte
de 758 établie au nom d’une Romana mulier du nom de Gunderada et faisant mention du consentement de son mari, en dépit de la liberté que lui
accordait en théorie le droit romain ou, plutôt, en conformité avec le droit
lombard 94. Les femmes lombardes n’étaient point seules à demeurer d’éternelles « mineures » ; en Irlande également, les femmes ne jouissaient pas de
la personnalité juridique (ni, d’ailleurs, les fils adultes vivant encore chez
leur père 95).
Clercs et laïcs
Nous avons vu plus haut à propos de l’accès aux reliques combien le
haut Moyen Âge fut une période de renforcement de la césure entre laïcs
92. C’est l’hypothèse formulée par LE JAN 1995, p. 238.
93. Cristina LA ROCCA, « Pouvoirs des femmes, pouvoir de la loi dans l’Italie lombarde », dans LEBECQ
et alii 1999, p. 37-50 (citation de l’Edit de Rothari, chap. 204, d’après la traduction p. 42).
94. Brigitte POHL-RESL, « Legal practice and ethnic identity in Lombard Italy », dans POHL & REIMITZ
1998, p. 205-219, à la p. 210.
95. RICHTER 1996, p. 31.
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et clercs 96 ; c’est d’ailleurs précisément à cette époque que l’usage de la tonsure s’imposa progressivement en Occident 97. Tous les personnages dessinés sur le folio du Sacramentaire de Marmoutier (milieu du IXe siècle) représentant les divers degrés de la hiérarchie ecclésiastique, de l’acolyte et des
autres clercs mineurs jusqu’à l’évêque, portent la tonsure. Cette évocation
des ordres figurés avec leurs attributs est d’autant plus intéressante que les
clercs, même les plus humbles, y portent un nimbe circulaire. Cela ne signifie pas qu’on a affaire à des saints (lorsqu’un personnage vénérable, de son
vivant, est représenté aux côtés d’un saint, il est généralement pourvu d’un
nimbe de forme rectangulaire, pour le distinguer du saint, qui porte un
nimbe circulaire) : en l’occurrence, ces nimbes expriment la sainteté de leur
fonction, l’aura censée entourer ceux qui sont consacrés à Dieu 98.
L’un des domaines dans lesquels les clercs et les laïcs étaient censés se
distinguer s’avérait le port des armes – en Irlande, le mot láech, dont l’origine latine (laicus) est évidente, ne signifiait-il d’ailleurs pas « guerrier 99 » ?
La chasse, qui est à la fois une raison, une conséquence et la forme d’exaltation la plus courante du port des armes, fut l’objet de critiques sévères
de la part du clergé 100. Néanmoins, les souverains carolingiens – n’étant
pas à un paradoxe près, vraisemblablement comme nous – intégrèrent à ce
point les membres du clergé à leur société, qu’ils firent reposer une partie
la convocation de l’ost sur leurs évêques et abbés 101 ; à l’instar de leurs
moines, ces derniers étaient loin d’être tous clercs, a fortiori prêtres 102 –
on observe toutefois une augmentation significative du nombre des prêtres
au sein des communautés monastiques à partir des temps carolingiens (il
s’agit d’un phénomène lié à l’évolution des pratiques liturgiques et de la
spiritualité, dont la multiplication des messes « privées » est l’expression la
plus tangible 103).
96. Sur les ordres ecclésiastiques, cf. Roger E. REYNOLDS, « Clerics in the early middle ages : hierarchies and functions », dans REYNOLDS 1999, p. 1-31.
97. Louis TRICHET, La tonsure. Vie et mort d’une pratique ecclésiastique, Paris 1990.
98. Autun, BM, ms. 19 bis, fol. 173v. Reproduction en couleur dans Patrick PÉRIN & Laure-Charlotte
FEFFER (éd.), La Neustrie. Les pays au nord de la Loire de Dagobert à Charles le Chauve (VIIe-IXe siècles),
Rouen, 1985, p. 86. Commentaire : ANGENENDT 1995, p. 95 ; Matthias Th. KLOFT, « Das geistliche Amt im Umfeld des Frankfurter Konzils », dans Rainer BERNDT (éd.), Das Frankfurter Konzil
von 794. Kristallisationspunkt karolingischer Kultur, t. 2 : Kultur und Theologie, Mayence, 1997,
p. 885-917.
99. Richard SHARPE, « Hiberno-Latin laicus, Irish láech and the Devil’s men », Eriu 30 (1979), p. 75-92.
100. Thomas SZABÓ, « Die Kritik der Jagd von der Antike zum Mittelalter », dans RÖSENER 1997,
p. 167-229.
101. PRINZ 1971.
102. FELTEN 1980.
103. Arnold ANGENENDT, « Missa specialis. Zugleich ein Beitrag zur Entstehung der Privatmessen »,
FMSt 17 (1983), p. 153-221 ; Angelus A. HÄUSSLING, « Missarum sollemnia : beliebige Einzelfeiern
oder integrierte Liturgie ? », dans Segni e riti 1987, t. 2, p. 559-578 ; Franz NEISKE, « Frömmigkeit
als Leistung ? Überlegungen zu großen Zahlen im mittelalterlichen Totengedenken », Zeitschrift
für Literaturwissenschaft und Linguistik 20 (1990), p. 35-47.
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Liberté et servitude
Les critères de liberté comptent également parmi les principaux éléments de distinction sociale ; mais ici, le terrain devient beaucoup plus
mouvant : statut juridique 104 et position socio-économique se déclinent
de mille manières, si bien qu’il s’avère parfois impossible de trancher entre,
vers le haut, noblesse et liberté ; vers le bas, esclavage et servitude (qu’on
naisse dans cet état ou qu’on y soit réduit, comme prisonnier infortuné –
parfois importé depuis les marges de la Chrétienté, notamment les pays
dits « slaves » parce que leurs peuples alimentaient le commerce servile 105
– ou qu’on ait contracté des dettes – dans ce cas, on avait parfois quelque
chance de se tirer d’affaire).
La liberté s’exprime par la jouissance de la personnalité juridique et la
capacité de porter les armes. Dans le monde franc, seuls les hommes libres
rejoignent l’ost et font la guerre. Inversement, les esclaves doivent rester au
service de leur maître ; ils ne peuvent tester en justice, ni exercer le droit de
propriété. Il est probable que la condition de certaines femmes, astreintes
au travail artisanal, était plus précaire que celle des hommes et de leurs
familles, installés sur une tenure. Les conditions des servi et/ou mancipia
(c’est-à-dire des « dépendants 106 ») n’étaient toutefois pas celles du temps
de la traite des Noirs : ils étaient « c[h]asés » et demeuraient attachés à la
terre. On ne déracinait généralement pas les familles pour les placer ailleurs,
en fonction des impératifs économiques – les servi et/ou mancipia pouvaient se marier et fonder une famille 107 ; ils recevaient les sacrements comme
n’importe quels autres chrétiens.
Cet attachement à la terre n’était pas le propre des personnes de condition servile : de plus en plus d’hommes libres entrèrent en dépendance, si
bien qu’il est difficile de dire si c’est le statut de l’« esclave » qui s’élève, ou
si c’est celui du « libre » qui s’avilit (n’oublions pas que cette société est profondément marquée par la culture chrétienne, où l’humilité est censée exalter). Toujours est-il que la condition de « ceux qui cultivent la terre » se
nivelle. Elle se nivelle d’autant plus que, dès le IXe siècle, le statut de la terre
et celui de la personne ne coïncident plus : un tenancier libre peut fort bien
exploiter un manse servile (et vice versa) et s’acquitter des redevances définies en fonction du statut de la terre.
104. Clausdieter SCHOTT, « Freiheit und Libertas. Zur Genese eines Begriffs », ZRG GA 104 (1987) ;
Gerhard KÖBLER, Die Freien (liberi, ingenui) im alemannischen Recht, dans SCHOTT 1978, p. 3850 ; OLBERG 1991 ; NEHLSEN 1972.
105. Présentation synthétique dans Charles VERLINDEN, « La traite des esclaves. Un grand commerce
international au Xe siècle », Études de civilisation médiévale (IXe-XIIe siècles). Mélanges offerts à EdmondRené Labande, Poitiers, 1974, p. 721-730, aux p. 726 sq.
106. Sur la question, cf. en dernier lieu Étienne RENARD, « Les mancipia carolingiens étaient-ils des
esclaves ? Les données du polyptyque de Montier-en-Der dans le contexte documentaire du
IXe siècle », dans CORBET 2000, p. 179-209
107. Charles VERLINDEN, « Le “mariage” des esclaves », Matrimonio 1977, t. 2, p. 569-593.
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À vrai dire, la liberté s’avère bien relative, comme l’illustre l’affranchissement des serfs destinés à la cléricature 108. Le droit canon exige de tout
impétrant qu’il soit libre, mais l’affranchissement destiné à ordonner le desservant de l’église d’un domaine est, somme toute, une simple formalité
permettant au jeune homme dégrossi de mieux servir son maître en accompagnant spirituellement ses congénères, en les encadrant du point de vue
moral – à moins qu’il ne soit voué à prier perpétuellement pour lui, comme
on en trouve l’exemple dans ce modèle d’acte 109 :
« […] Moi, Untel, soucieux du remède de mon âme, de celle de mes
parents (parentes) et de mes proches (propinqui), j’ai décidé, par amour pour
le Christ […] de libérer du joug difficile de la servitude humaine l’un de
mes serviteurs (famuli), avec l’accord de mes amis et de mes parents (cognati),
de telle sorte que, étant lui-même astreint (mancipatus) au service divin, il
ne cesse de prier pour moi tout le temps que dure sa vie, et que, gravissant
un à un les degrés de l’avancement sacré, il soit en mesure de supplier pour
nous le Seigneur miséricordieux [en en étant toujours] plus proche et plus
familier (vicinius et familiarius). »
Qu’on parle donc d’esclaves jusqu’au Xe siècle 110 ou de serfs dès le
IX siècle 111, force est de reconnaître que, face à l’emprise toujours plus grande
des réseaux de protection qui fait que le grand propriétaire des environs
devient « seigneur » foncier – avant de prendre bientôt des couleurs plus
« banales » – et qui isole de plus en plus les petits alleutiers au point de les
contraindre à rejoindre le système qui se met en place, mieux valait assurer
le quotidien (être certain de « bénéficier » de sa terre, pouvoir compter sur
ses voisins, dont on était solidaire) que défendre un titre dont la fortune prochaine des ministériaux allait montrer le caractère en partie illusoire 112.
e
L’exercice de « métiers »
La société du haut Moyen Âge a connu la spécialisation sociale : tous
les hommes n’étaient pas des paysans-guerriers. On en est par exemple
108. À ce propos, cf. Alexandre VIDIER, « Notices sur des actes d’affranchissement & de précaire concernant Saint-Aignan d’Orléans (IXe-Xe siècles) », MA 20 (1907), p. 289-317.
109. Das Formelbuch des Bischofs Salomo III von Konstanz aus dem neunten Jahrhundert, éd. Ernst
DÜMMLER, Leipzig, 1857, p. 20 (n° 18 : carta libertatis).
110. Pierre BONNASSIE, « Survie et extinction du régime esclavagiste dans l’Occident du haut Moyen
Âge (IVe-XIe siècle) », CCM 28 (1985), p. 307-343 ; rééd. dans BONNASSIE 2001, p. 85-142 ;
HAMMER 2002.
111. Hans-Werner GOETZ, « Serfdom and the beginnings of a “seigneurial system” in the Carolingian
period : a survey of the evidence », EME 2 (1993), p. 29-51 ; Jean-Pierre DEVROEY, « Men and
women in early medieval serfdom : the ninth-century north Frankish evidence », PP 166 (2000),
p. 3-30.
112. Les serfs affranchis des temps carolingiens ne participent-ils pas, en quelque sorte, du même phénomène que celui analysé par D. Barthélemy à propos du « livre des serfs » de Marmoutiers
(XIe siècle), où l’autodédition en servage peut s’avérer, essentiellement, le moyen de préciser les
relations avec le seigneur afin de le mieux servir, voire de le servir dans de meilleures conditions ?
Cf. BARTHÉLEMY 1997, p. 57 sqq.
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revenu de la définition des Frisons comme des « marchands/paysans » :
c’étaient plutôt des « marchands professionnels » et certains de leurs terpen
étaient des lieux d’entrepôt et d’artisanat orientés vers le négoce – en effet,
il y avait en Frise une forte production textile : les draps frisons étaient particulièrement réputés dans le monde franc et en Angleterre ; ils servaient à
payer les redevances dues par les domaines frisons de certaines abbayes,
comme celles de Fulda ou de Werden 113. Les marchands frisons n’étaient
assurément pas les seuls à vivre d’un savoir-faire qui n’était pas agricole.
Des fonctions prestigieuses ?
Au sein des communautés rurales, certaines personnes exerçaient une
fonction sociale qui leur conférait un rang particulier : c’est assurément le
cas du maire, qui devait servir au seigneur d’interlocuteur lorsqu’une affaire
concernait l’ensemble du domaine, et pouvait se faire le porte-parole des
villageois. On monte assurément dans la hiérarchie sociale – on entre dans
le milieu de la petite aristocratie, bien en prise avec la vie des communautés villageoises – avec les machtierns de Bretagne, les maîtres de la vie locale,
qui veillent notamment au respect du droit à l’échelle du plou ; le cartulaire
de Redon est notre principale source d’information sur ces principes plebis,
dont les mentions tendent à s’estomper vers la fin du IXe siècle 114.
Il est probable que le desservant de paroisse jouissait également d’un
certain prestige, mais il est difficilement possible – en l’état de la documentation – de se faire une idée précise à ce sujet 115 : les sources normatives règlent la question de la dotation de l’église, du niveau de formation
exigible de la part d’un candidat à la prêtrise et de ses rapports avec le patron
de l’église qu’il dessert ; les sources narratives nous renseignent sur quelques
manquements (ponctuels ?) à la discipline ecclésiastique – mais qu’en estil du regard que les ouailles portaient sur leur pasteur ?
Détenteur d’un savoir, le médecin semble avoir bénéficié d’une position sociale particulière, dont témoigne par exemple le fait que, chez les
Alamans, il prêtait serment sur ses propres instruments. Les nombreuses
références au médecin dans les lois wisigothiques plaident également en
faveur de son importance sociale 116. Quant aux autres fonctions qui confèrent éventuellement quelque prestige en raison d’un rapport particulier
avec le seigneur, elles supposent un certain savoir-faire. Les moulins constituaient assurément déjà des instruments de pouvoir (au moins économique),
mais il est difficile de dire si le meunier jouissait d’un statut particulier –
113. LEBECQ 1983, t. 1, p. 131 sqq. (sur le drap) ; p. 139 sqq. (sur les terpen) ; p. 249 sqq. (sur la spécialisation professionnelle des marchands).
114. DAVIES 1988, p. 163 sqq. ; TONNERRE 1994, p. 233 sqq.
115. Cf. AUBRUN 1986.
116. NIEDERHELLMANN 1983, p. 66 sqq.
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dans certains cas, il semble prendre les traits d’un ministérial 117, comme
les caballarii et autres dépendants spécialisés dans le service de courrier, tels
les sindmanni attestés en Bavière au début du Xe siècle 118.
Des artisans
Les fouilles d’habitats ruraux éclairent l’artisanat d’un jour nouveau 119.
Elles ont prouvé que le tissage et le filage constituaient une activité domestique (présence de fusaïoles, analyses palynologiques attestant la culture du
lin et du chanvre) ; de même, il semble que la métallurgie du fer était pratiquée assez largement (dans le quart nord-est de la France actuelle et dans la
vallée du Rhône), alors qu’on a plutôt tendance à postuler une raréfaction de
la production – à l’inverse, les vestiges de fours de potiers sont rares (ce qui
ne laisse pas d’étonner). Il n’empêche qu’en certains sites, on peut parler d’ateliers sidérurgiques supposant une activité (proto-industrielle) importante et
nécessitant une main-d’œuvre spécialisée 120, comme c’était également le cas
pour l’exploitation des gisements de minerai ou des salines 121.
En Bavière, on observe l’existence de villages d’artisans spécialisés dans
telle ou telle production. Il s’agit de villages dont le toponyme a comme
suffixe -arn et ses variantes. Citons comme exemples Sattlern, où l’on produisait des selles, mais aussi Schäftlarn, où un important monastère fut
fondé au VIIIe siècle : on y produisait probablement des épées. On suppose
que ces « villages d’artisans » tirent leur origine de l’influence slave, particulièrement forte en Bavière ; les Slaves connaissaient en effet ce système
de spécialisation économique proto-urbain. Mais d’autres noms suggèrent
une spécialisation agricole : Fiskeon, sur l’Ammersee, était un lieu de pêche ;
Pframmern, un lieu de culture de la prune. On tient là un indice de la spécialisation artisanale et agricole de certains domaines appartenant à l’aristocratie et aux abbayes 122.
Certaines activités artisanales nécessitaient des connaissances particulières 123 ; c’était apparemment le cas des fabricants de cloches : la cloche,
117. CHAMPION 1996 ; SQUATRITI 1998, p. 150 sqq. ; Aline DURAND, « Les moulins carolingiens du
Languedoc (fin VIIIe siècle-début XIe siècle) », dans Mireille MOUSNIER (éd.), Moulins et meuniers
dans les campagnes européennes (IXe-XVIIIe siècle), Toulouse, 2002, p. 31-52.
118. DOLLINGER 1949, p. 289 sq.
119. Édith PEYTREMANN, « Les structures d’habitat rural du haut Moyen Âge en France (Ve-Xe siècle).
Un état de la recherche », dans LORREN & PÉRIN 1995, p. 1-28, aux p. 13 sq.
120. Marc LEROY, « Un atelier sidérurgique du haut Moyen Âge découvert à Ludres (Meurthe-etMoselle) », AE 40 (1988), p. 151-167. Géographie des gisements dans John U. NEF, « Mining
and Metallurgy in Medieval Civilisation », dans Michael Moïssey POSTAN & Edward MILLER
(éd.), The Cambridge Economic History of Europe, vol. 2 : Trade and Industry in the Middle Ages,
2e éd., Cambridge, 1987, p. 691-761.
121. STOCLET 1993, p. 426.
122. STÖRMER 1973, t. 1, p. 144; Karl BOSL, « Raumordnung im Aufbau des mittelalterlichen Staates »,
Historische Raumforschung 3 (1961), p. 9-23 ; rééd. dans BOSL 1964, p. 357-376, aux p. 370 sq.
123. Sur les activités artisanales au sein des monastères, cf. Fred SCHWIND, « Zu karolingerzeitlichen Klöstern
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instrument de musique de plus en plus indispensable à la vie liturgique,
pouvait contribuer à l’étude des rapports de proportions qui fondait la science
musicale de cette époque (un élément du quadrivium au même titre que
l’algèbre). C’est ce qui explique probablement pourquoi Notker de SaintGall désignait en tant que magister le moine Tanco, un artisan (opifex) habile
tant dans le travail des métaux que dans celui du verre 124. Les verriers étaient
des personnages manifestement appréciés 125 ; certains vivaient apparemment
de leur « métier », ou du moins étaient identifiés comme tels 126.
L’intérêt de la documentation lucquoise est indéniable en ce sens qu’elle
atteste l’existence d’artisans en ville 127, mais force est de constater que nous
ne sommes guère avancés sur les conditions de vie de l’orfèvre Pierre lorsqu’on le voit souscrire une charte de son frère – à ceci près (la chose est
importante) que, d’une part, le métier sert ici aussi à l’identification sociale,
et, d’autre part, que ce personnage appartient au milieu des petits propriétaires : son frère, le prêtre Anacard, est en effet en mesure d’offrir l’église de
Saint-Pierre de Castiglione, qu’il dessert, à l’église Saint-Colomban construite
hors les murs de Lucques 128. De même, en 900, le roi Louis l’Enfant donne
à un moine de Lorsch, Sigolf, des biens du fisc sis en Lobdengau : il s’agit
de terres auparavant tenues – « possédées » de la part du roi (ex parte iuris
nostri) – par le forgeron (faber) Helmerich et le forestier Engilbreht, et comprenant tout ce qu’une formule de pertinence qui se respecte peut mentionner : des exploitations (curtes) et des maisons, des mancipia, des champs,
prés, forêts, cours d’eaux, moulins, pêcheries, terres incultes, etc. Bref, indépendamment du statut de la terre (voire en raison même de ce dernier), ce
forgeron et ce forestier pouvaient mener grand train 129.
L’exploitation de la mer
À n’en pas douter, la pêche constituait une activité particulière ; pour le
moins pouvait-elle être réservée, pour des raisons techniques évidentes, à
des personnes expérimentées (il ne sera ici question que de la pêche en mer,
alors que la pêche en eau douce, notamment par le moyen de pêcheries qui
étaient de véritables réserves à poisson, occupait une place fondamentale
als Wirtschaftsorganisationen und Stätten handwerklicher Tätigkeit », dans FENSKE et alii 1984,
p. 101-123. Sur les travailleurs spécialisés parmi les dépendants d’abbayes, cf. FELLER 1998, p. 460.
124. NOTKER LE BÈGUE, Gesta Karoli, I, 29, dans Reinhold RAU, Quellen zur karolingischen
Reichsgeschichte, vol. 3, Darmstadt, 1960, p. 364.
125. Bedae Venerabilis Homeliarum Evangelii Libri II, dans Bedae Venerabilis Opera, 3, éd. David HURST,
Turnhout, 1955, p. 93.
126. Recueil des actes de Charles II le Chauve, roi de France, éd. Georges TESSIER, t. 2, Paris, 1952, p. 114
(n° 273, du 20 septembre 864).
127. Cf. le commentaire de Jean-Pierre DEVROEY dans MCKITTERICK 2001, p. 108.
128. Luigi SCHIAPARELLI, Codice diplomatico longobardo, vol. 2, Rome, 1933, p. 252 sqq. (n° 219, du
4 mai 768). Sur Lucques, cf. WICKHAM 1988.
129. Die Urkunden Zwentibolds und Ludwigs des Kindes, éd. Theodor SCHIEFFER, Berlin, 1960, p. 100 sq.
(n° 4).
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dans l’alimentation médiévale 130). On peut difficilement avoir des connaissances précises sur le statut des pêcheurs, mis à part le fait qu’ils étaient en
général probablement des dépendants de grands établissements ecclésiastiques ou au service d’un personnage puissant. Il est par exemple vraisemblable que les moines de Saint-Germain-des-Prés tiraient partie de la possession d’un domaine à Saint-Germain-Village, non loin de Pont-Audemer,
pour s’approvisionner en produits de la mer (le toponyme de ce domaine
est explicite : villa supra mare) 131. En 776, l’abbaye de Lorsch reçut en donation un manse sis probablement sur les côtes de l’île zélandaise de Schouwen.
L’abbaye reçut ce manse ainsi que la terre qui en dépendait, un esclave avec
sa femme et son fils, et 17 sauneries (l’acte précise que ces fours étaient destinés à « faire du sel »). Il semblerait donc qu’en Zélande, il existait un personnel servile spécialisé dans la production de sel par combustion de la tourbe
salée. À la fin du IXe siècle, l’abbaye de Nivelles avait également des domaines
en Frise et des mancipia spécialement affectés à la production du sel 132.
Dans la première Vie de sainte Brigitte, qui date du milieu du VIIe siècle,
la sainte de Kildare est censée s’être adressée à « un de ses serviteurs qui était
pêcheur et qui avait l’habitude de tuer des taureaux marins » pour qu’il aille
en mer chercher de quoi nourrir des hôtes de passage. Plus intéressant est
un extrait des miracles de Saint-Vaast d’Arras, datant de la fin du IXe siècle.
Il y est relaté comment, en 875, les pêcheurs de Saint-Vaast réussirent une
belle prise lors d’une chasse à la baleine alors qu’ils n’avaient que deux
bateaux et que les autres pêcheurs, qui n’avaient pas voulu se joindre à eux,
rentrèrent bredouilles après avoir eu bien peur. En l’occurrence, c’est le
début de l’histoire qui importe ici :
« Dans la mer Britannique […] les pêcheurs ont l’habitude de partir
ensemble pour aller attraper la baleine. Survint une altercation pour une
question de priorité entre les nôtres et les matelots d’autres patrons, ceuxci refusant de rejoindre le consortium des nôtres à moins qu’on ne leur
donnât des sous pour l’entreprise commune. Comme les nôtres refusèrent,
tous les autres qui appartenaient à diverses églises et étaient venus là pour
pêcher, se moquèrent des nôtres […]. »
On le voit, les pêcheurs qui partent chasser la baleine sont les hommes
de diverses églises (d’où ce qu’on pourrait désigner comme un « esprit de
clocher » dans le récit partisan de cette sorte de pêche miraculeuse) ; l’association de plusieurs bateaux est généralement un gage de réussite. Comme
le note S. Lebecq, « il semble que c’étaient les premiers prêts au port qui,
suivant le droit, devaient organiser le consortium de l’expédition, peut-être
130. Jean VERDON, « Recherches sur la pêche et la pisciculture en Occident durant le haut Moyen
Âge », Actes du 102e Congrès national des Sociétés savantes (Limoges, 1977). Archéologie et histoire
de l’art, Paris, 1979, p. 337-349 ; SQUATRITI 1998, p. 103 sqq.
131. ELMHÄUSER & HEDWIG 1993, p. 233 sqq.
132. LEBECQ 1996, p. 185.
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parce qu’ils avaient été les premiers à repérer au large le banc de cétacés.
Chaque élément nouveau venu devait payer une participation pour avoir
le droit de se joindre au groupe et de participer au partage des prises 133 ».
Les âges de la vie
Comme l’affirme l’Ecclésiaste, il y a un temps pour tout (Qohélet 3, 1).
Au haut Moyen Âge, comme dans l’Antiquité, la vie d’un homme ou d’une
femme se décomposait en plusieurs étapes.
L’espérance de vie
Peut-on savoir quelle était l’espérance de vie des populations du haut
Moyen Âge, alors que la documentation écrite ne se prête bien souvent pas
du tout aux enquêtes démographiques et que, dans les rares cas où l’on peut
se livrer à quelques calculs, la nature des sources (en l’occurrence, les polyptyques) nécessite une grande prudence et la détermination de facteurs pondérant les données ? On se tourne alors vers l’archéologie funéraire et l’étude
anthropologique des ossements, sans avoir l’assurance qu’on a affaire à toute
la population d’un même lieu (les fouilles, à l’échelle d’un site, sont parfois partielles ; la connaissance exhaustive d’une nécropole ou d’un cimetière ne signifie pas qu’on sait tout des défunts à l’échelle de leur territoire).
La société du haut Moyen Âge était-elle vraiment un monde de jeunes
adultes, comme on l’affirme souvent ?
Il n’est pas possible de proposer ici une réponse. Des travaux reposant
sur des études d’ostéologie (concernant l’évolution des sutures crâniennes
et prenant en compte le processus de calcification des os de nourrissons),
des comparaisons de données de démographie humaine et animale et une
reconsidération de la lecture des données statistiques privilégiant la notion
de fourchette conduisent à un nouvel examen de la question. Il se pourrait
bien que le modèle démographique typique de la France d’Ancien Régime
s’avère également vrai pour les périodes plus anciennes : une espérance de
vie de 25 ans à la naissance signifie que la moitié des enfants ne franchit
pas la barre des 11 ans (alors qu’un quart des nourrissons a disparu avant
d’atteindre le premier anniversaire) ; ceux qui parviennent l’âge de 20 ans
ont encore bien souvent 30 à 40 ans devant eux 134.
133. Stéphane LEBECQ, « Scènes de chasse aux mammifères marins (mers du nord, VIe-XIIe siècles) »,
dans Élisabeth MORNET & Franco MORENZONI (éd.), Milieux naturels, espaces sociaux. Études
offertes à Robert Delort, Paris, 1997, p. 241-253, à la p. 246. Les traductions d’extraits de sources
sont citées d’après les pièces annexes, p. 248 (Brigitte) et p. 251 (Saint-Vaast).
134. Claude MASSET, « À quel âge mouraient nos ancêtres ? », Population & Sociétés 380 (juin 2002),
p. 1-4 – disponible électroniquement : http://www.ined.fr/publications.
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L’enfance
Dès avant la naissance de l’enfant, on reconnaissait au fœtus la dignité
humaine. Dans les pénitentiels, qui condamnent généralement la contraception et voient dans l’avortement un homicide, une distinction est parfois établie entre l’avortement pratiqué « avant que [le fœtus] n’ait une
âme » (antequam animam habeat, selon la formulation du pénitentiel attribué à Théodore de Canterbury) et celui fait après le délai de 40 jours suivant la conception 135. Le baptême des jeunes enfants est une pratique qui
s’imposa au cours du haut Moyen Âge, au point qu’on peut considérer cette
cérémonie religieuse comme celle de l’entrée dans la vie sociale 136. À une
époque où la mort des nourrissons était fréquente, cet usage contribuait
peut-être à atténuer la douleur des parents, qui pouvaient nourrir l’idée que
leur enfant était mort dans un état de grâce particulier, dont semblent témoigner certaines pratiques funéraires 137.
Isidore de Séville propose une autre distinction des âges que celle qui
prévalait dans l’Antiquité (puer, iuvenis, vir, senex) : après l’infantia (jusqu’à 7 ans), vient la pueritia (de 8 à 14 ans), puis l’adolescentia, la juventus
(en fait, l’âge mûr), l’aetas senioris et la senectus. Il définit les deux premiers
âges de la vie par les incapacités qui marquent l’enfant au cours de son développement : l’infans est « celui qui ne sait pas parler » ; le puer est censé être
« pur » (autrement dit, ne pas encore pouvoir accomplir l’acte sexuel).
Les lois wisigothiques s’avèrent assez complexes : selon les cas, on est
réputé majeur à 10, 12, 14 ou 15 ans. Particulièrement intéressante est la
progression régulière du Wergeld concernant un enfant (expression de sa
valeur croissante une fois que sa capacité de survivre était prouvée et qu’il
acquerrait des compétences) : il augmente d’année en année jusqu’à la quinzième année; ensuite, il reste stable jusqu’à la vingtième année, pour attendre
son maximum entre 20 et 50 ans. Le système wisigothique représente une
exception ; généralement, les lois barbares ne connaissent qu’un seul âge
critique, marquant le passage entre deux états : l’incapacité juridique et la
majorité. Ce changement intervient à l’âge de 10 ans chez les Anglo-Saxons,
à l’âge de 12 ans chez les Lombards et les Francs Saliens, à l’âge de 15 ans
dans le droit ripuaire, qui semble être celui adopté par les Carolingiens. La
législation lombarde présente un intérêt particulier, en ce sens que l’âge de
12 ans requis pour être majeur d’après l’Edit de Rothari, fut repoussé au
siècle suivant jusqu’à l’âge de 18 ans (législation du roi Liutprand), pour
éviter que les biens de l’héritage ne soient dilapidés de manière irréfléchie 138.
135. MANSELLI 1977, p. 368 sq.
136. Michel RUBELLIN, « Entrée dans la vie, entrée dans la chrétienté, entrée dans la société : Autour
du baptême à l’époque carolingienne », AE 34 (1982), p. 31-51.
137. Cécile TREFFORT, « Archéologie funéraire et histoire de la petite enfance. Quelques remarques à
propos du haut Moyen Âge », dans Robert FOSSIER (éd.), La petite enfance dans l’Europe médiévale et moderne, Toulouse, 1997, p. 93-107.
138. OFFERGELD 2001, p. 10 sqq.
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L’enfant demeure sous l’autorité du son père (ou de quelque autre personne exerçant le mundium) au moins jusqu’à sa majorité (voire tant qu’il
demeure sous le toit paternel). Au cours du haut Moyen Âge, les droits du
père se sont restreints, si bien qu’on ne peut parler de pater familias 139. Son
autorité trouve toutefois son expression dans certaines cérémonies, telle
l’oblation monastique 140 : ce sont les parents qui offrent leur enfant au
saint (et renoncent ainsi à leurs droits sur lui). L’éducation des enfants 141
différait sensiblement selon qu’ils étaient élevés dans un monastère, dans
le cercle familial aristocratique (puis à la cour) ou par leurs parents de condition modeste (recevant alors au mieux quelques rudiments d’instruction
auprès du desservant de paroisse lorsqu’il en était capable).
L’entrée dans l’âge adulte
Le mariage était certainement, pour les laïcs, une étape essentielle de
la vie sociale. En ce qui concerne les jeunes aristocrates, la remise des armes
s’avérait d’une importance toute particulière. Constituait-elle pour autant
une césure entre l’enfance et l’âge adulte, pour ces jeunes hommes qui
avaient appris très tôt le maniement des armes 142 ? On pourrait le penser,
eu égard aux développements ultérieurs : dans la société chevaleresque, qui
puise probablement son origine dans l’éthique nobiliaire carolingienne 143,
l’adoubement peut être considéré comme un rite de passage d’autant plus
important qu’on tarde alors à se marier. Mais durant le haut Moyen Âge,
il semble que la remise du « baudrier du service (armé) » – le cingulum
militiae – soit plutôt une manière d’investiture. Ainsi, les fils du roi (qu’il
s’agisse de Louis le Pieux, qui reçut des armes « convenant à son âge » en
781 alors qu’il avait trois ans, ou de Charles le Chauve à l’âge certes fatidique de 15 ans) furent armés au moment où l’administration d’un territoire leur était confiée. Quant aux armes trouvées dans certaines tombes
139. D. SCHWAB, « Kind », HRG 2, col. 717-725.
140. Jürgen WEITZEL, « Oblatio puerorum. Der Konflikt zwischen väterlicher Gewalt und
Selbstbestimmung im Lichte eines Instituts des mittelalterlichen Kirchenrechts », dans BRIESKORN
et alii 1994, p. 59-74.
141. Mayke DE JONG, « Growing up in a Carolingian monastery : Magister Hildemar and his oblates »,
JMH 9 (1983), p. 99-128 ; JONG 1996 ; Martin HEINZELMANN, « Studia sanctorum. Éducation,
milieux d’instruction et valeurs éducatives dans l’hagiographie en Gaule jusqu’à la fin de l’époque
mérovingienne », dans SOT 1990, p. 105-138 ; Christoph DETTE, « Kinder und Jugendliche in
der Adelsgesellschaft des frühen Mittelalters », AKG 76 (1994), p. 1-34 ; cf. aussi infra p. 194.
142. Régine LE JAN-HENNEBICQUE, « Apprentissages militaires, rites de passage et remises d’armes au
haut Moyen Âge », Éducation, apprentissages, initiation au Moyen Âge, Montpellier, 1993, p. 213232.
143. Sur cette question très controversée, cf. FLORI 1983 ; Karl LEISER, « Early Medieval Canon Law
and the Beginnings of Knighthood », dans FENSKE et alii 1984, p. 549-566 ; Janet L. NELSON,
« Ninth-Century Knighthood : The Evidence of Nithard », dans Christopher HARPER-BILL,
Christopher J. HOLDSWORTH & Janet L. NELSON (éd.), Studies in Medieval History presented to
R. Allen Brown, Woodbridge, 1989, p. 255-266 ; rééd. dans NELSON 1996, p. 75-87 ; BARTHÉLEMY
1977, p. 193 sqq.
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d’enfants 144, leur présence ne prend son sens que si l’on reconnaît dans
l’armement le signe du pouvoir – qu’il serve à exprimer un statut (notamment en mettant en exergue une parenté biologique ou non 145) ou à revendiquer des droits (en témoignent, en négatif, les entrées de nobles en religion qui se font, au IXe siècle, non plus seulement par la tonsure, mais aussi
par le dépôt des armes sur l’autel 146).
Le retrait du monde
L’un des termes latins pour désigner la mort, discessus (dont vient le mot
français « décès »), évoque une séparation, un éloignement, une mise en
retrait ; de fait, le trépas chrétien, tel qu’il apparaît dans les mises en scène
de la « bonne mort » de personnes nobles par les mœurs ou par la naissance, semble avant tout un congé pris d’avec le siècle. La « mort des grands »
et les conditions de leur inhumation sont bien connues 147. Certains d’entre
eux, avant de quitter la vie, avaient quitté le monde 148.
L’exemple de l’empereur Lothaire Ier est probablement le plus célèbre,
mais le fils de Louis le Pieux, qui mourut sous l’habit monastique, fut loin
d’être le seul à se retirer dans un monastère pour y finir ses jours, quitte à
ne prononcer les vœux définitifs (à l’instar d’une pénitence publique) qu’à
l’article de la mort. On connaît plusieurs membres de l’aristocratie qui se
retirèrent à Prüm, grâce aux donations qu’ils firent au monastère à cette
occasion : en 765, un certain Egidius, qui venait de Neustrie, donna des
biens sis dans les pagi du Mans et de Rouen à l’abbaye Saint-Sauveur où il
avait « déposé [sa] chevelure pour le nom du Seigneur 149 » ; en 834, Louis
le Pieux confirma la donation faite par son vassal Baudry, qui souhaitait
s’adonner à la vie monastique 150.
Avant d’entrer au monastère de Saint-Pierre de Longoret (c’est-à-dire
Saint-Cyran) dans le diocèse de Bourges, vers 678, le moine Baronte, qui
avait un fils, avait été marié à trois reprises. Sa célèbre vision, qui constitue
144. Le plus bel exemple est offert par la tombe B 809 de la cathédrale de Cologne (deuxième quart
du VIe siècle), cf. Otto DOPPELFELD, « Das fränkische Knabengrab unter dem Chor des Kölner
Doms », Germania 42 (1964), p. 156-188 (sur les armes, cf. p. 164-176) ; Georg HAUSER, « Das
fränkische Gräberfeld unter dem Kölner Dom », dans FRANKEN 1996, t. 1, p. 438-447.
145. Régine LE JAN, « Frankish giving of arms and ritual of power : continuity and change in the
Carolingian period », dans THEUWS & NELSON 2000, p. 281-310 ; traduction française dans
LE JAN 2001, p. 171-189, aux p. 179 sq.
146. Ibid., p. 184 sq.
147. Cf. le numéro spécial sur « la mort des grands » : Médiévales 31 (1996) ; Alain DIERKENS, « Autour
de la tombe de Charlemagne. Considérations sur les sépultures et les funérailles des souverains
carolingiens et des membres de leur famille », dans DIERKENS & SANSTERRE 1991, p. 156-180 ;
Janet L. NELSON, « Carolingian Royal Funerals », dans THEUWS & NELSON 2000, p. 132-184.
148. Pour la période suivante, cf. Charles DE MIRAMON, « Embrasser l’état monastique à l’âge adulte
(1050-1200). Étude sur la conversion tardive », Ann. HSS 1999, p. 825-849.
149. Urkundenbuch zur Geschichte der… mittel-rheinischen Territorien, éd. H. BEYER, t. 1, Coblence,
1860, p. 24 (n° 19, 14 février 765).
150. Cf. KUCHENBUCH 1978, p. 51.
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l’un des premiers récits de « visions politiques » du Moyen Âge, permet
peut-être de cerner l’état d’esprit dans lequel se trouvaient ces laïcs qui
s’étaient retirés du monde pour prendre l’habit et expier ainsi leurs péchés 151
(Baronte était fraîchement « converti » à la vie monastique lorsque saint
Pierre l’exhorta à racheter ses fautes : de fait, il reconnut les adultères dont
l’accusaient les démons).
L’être hors norme
Il a été, jusqu’au développement qui précède, essentiellement question
de la manière dont les individus s’intégraient dans la société. Ils pouvaient
aussi s’en distinguer – de gré ou de force –, quitte à mieux agir sur elle.
C’est le cas des êtres hors norme que sont les saints – des personnages étymologiquement « à part ». Au cours du haut Moyen Âge, ils le sont aussi
pour le moins socialement : par leur rang dans la hiérarchie (notamment
la hiérarchie ecclésiastique) ou par leur mode de vie ascétique. A posteriori,
les saints les plus particuliers s’avèrent probablement les rois, martyrs et/puis
confesseurs, dont « le type […] a évolué à mesure que la royauté elle-même
se consolidait 152 » : ils concentrent en leur personne les formes de l’élection divine.
Le saint est un modèle (par sa parole et par la manière dont sa vie est
rapportée 153), un modèle désormais d’autant plus accessible (aux membres
de l’élite sociale) que, bien que la palme du martyre soit toujours la marque
la plus noble d’une mort violente 154, se développe depuis Grégoire le Grand
l’idée qu’on peut souffrir le martyre spirituellement 155. Le saint est aussi
une figure attractive – même (et peut-être surtout) s’il s’agit d’un ermite 156
– non seulement de son vivant, mais aussi après sa mort : les pèlerinages
sur les tombes des saints en sont l’expression, tout comme le rôle fondamental joué par la dévotion aux reliques dans la vie spirituelle, cultuelle et
politique du haut Moyen Âge 157.
À l’époque qui nous intéresse, il n’y a pas de canonisation par le pape –
le premier exemple (isolé), qui concerne Ulrich d’Augsbourg, date de 993.
151. CAROZZI 1994, p. 139 sqq.
152. Robert FOLZ, Les saints rois du Moyen Âge en Occident (VIe-XIIIe siècles), Bruxelles, 1984, p. 21.
153. Kathleen MITCHELL, « Saints and public Christianity in the Historiae of Gregory of Tours », dans
NOBLE & CONTRENI 1987, p. 77-94 ; Julia M. H. SMITH, « The problem of female sanctity in
Carolingian Europe, c. 780-920 », PP 146 (1995), p. 3-37.
154. C’est ce qu’illustre la manière dont l’hagiographe de saint Kilian († vers 689) présente sa mort,
cf. Knut SCHÄFERDIEK, « Kilian von Würzburg. Gestalt und Gestaltung eines Heiligen », dans
KELLER & STAUBACH 1994, p. 313-340.
155. Pius ENGELBERT, « Mönchtum, Mission, Martyria. Anmerkungen zum Leben des hl. Ansgar »,
SMGBZ 113 (2002), p. 81-104, aux p. 101 sqq.
156. HEUCLIN 1988.
157. Werner JACOBSEN, « Saints’ Tombs in Frankish Architecture », Speculum 72 (1997), p. 11071143; ROLLASON 1989; GEARY 1993; Edina BOZÓKY & Anne-Marie HELVÉTIUS (éd.), Les reliques.
Objets, cultes, symboles, Turnhout, 1999.
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La sainteté d’un personnage est consacrée par l’affluence des pèlerins sur le
lieu de sa sépulture (un mouvement que l’évêque du lieu peut bien évidemment encourager). Il s’avère difficile de juger de la manière dont un
saint personnage était perçu de son vivant (les contemporains, dans les
sources annalistiques et les actes de la pratique, n’ont généralement pas de
raison de s’écarter du vocabulaire classique pour désigner un moine, un
clerc ou un évêque : vir venerabilis, homo Dei ou quelque autre expression
de ce genre). En revanche, il n’y a pas lieu de rejeter systématiquement les
allusions que peuvent faire les hagiographes à la forte impression produite
par leur héros sur ceux qu’il rencontrait 158.
L’exclusion sociale
Nous avons vu plus haut que les lépreux furent mis à l’écart du reste de
la population à partir de l’époque carolingienne – du moins les autorités
recommandaient-elles de les tenir au loin pour éviter toute contamination 159.
Ces malades étaient loin d’être les seuls exclus de la société du haut Moyen
Âge. L’exclusion sociale, qui prit de plus en plus une dimension ecclésiastique, était une mesure assez courante de châtiment, ou plutôt : un moyen
d’amener le fautif à résipiscence. C’était par exemple le cas des prostituées
et des homosexuels 160, comme l’illustre cet extrait de pénitentiel tardif 161 :
« Si une femme a été une prostituée publique, qu’après avoir abandonné
son vice, elle fasse pénitence durant 14 ans, et que tous les jours de sa vie
elle jeûne au pain et à l’eau le lundi, le mercredi et le samedi et qu’elle s’abstienne toujours de viande. Que la même sentence soit observée par les prostitués de sexe masculin, à ceci près que les hommes accompliront la moitié de leur pénitence dehors, à la porte de l’église. »
L’excommunication
L’excommunication, sanction ecclésiastique écartant un pécheur de la
communion eucharistique, avait d’importantes répercussions sociales en
cette époque où il n’y a pas de distinction nette entre ce qui est religieux et
ce qui est profane. À l’origine, le terme « excommunication » désigne toutes
sortes de sanctions ecclésiastiques ; il prend son sens technique spécifique
au cours du haut Moyen Âge et, vers la fin du IXe siècle, se distingue de
l’anathème, considéré comme la peine la plus grave puisque cette « malé158. Sur les manifestations de la sainteté, cf. GRAUS 1965, p. 88 sqq. ; POULIN 1975.
159. Cf. supra p. 72 (La maladie).
160. BRUNDAGE 1987, p. 147; Vern BULLOUGH & Bonnie BULLOUGH, Women and Prostitution. A Social
History, Buffalo, 1987, p. 114 sqq. ; Matthias SCHWAIBOLD, « Mittelalterliche Bußbücher und
sexuelle Normalität », Ius Commune 15 (1988), p. 107-133.
161. Hermann Josef SCHMITZ, Die Bußbücher und die Bußdisciplin der Kirche, t. 1, Mayence, 1883,
p. 454 (c. 64) ; il s’agit d’un extrait du Pénitentiel d’Arundel (Xe-XIe siècle).
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diction » sépare non seulement de la communauté chrétienne, mais de l’espérance eschatologique d’être associé au corps du Christ 162.
La force du sentiment religieux des gens du haut Moyen Âge ne doit pas
faire illusion ; elle ne signifie pas pour autant que la menace de l’excommunication faisait automatiquement plier tout un chacun. On pourrait multiplier les exemples de menaces qu’il fallut mettre à exécution, et du temps
nécessaire pour amener le récalcitrant à raison. Le cas de Chrothilde, la fille
du roi Charibert, et de Basine, la fille du roi Chilpéric, s’avère d’autant plus
représentatif de ce phénomène qu’il s’agit de personnes a priori portées à
respecter les décisions du clergé, puisque Chrothilde et Basine étaient des
moniales – on doit seulement reconnaître qu’elles ne prirent pas le voile en
vertu d’un choix libre et personnel, mais qu’elles y furent contraintes par
leur famille (cela est parfaitement attesté dans le cas de Basine). Chrothilde,
qui fut l’âme de la révolte de 589 à Sainte-Croix de Poitiers, ne se laissa pas
intimider par Grégoire de Tours lorsque ce dernier, consulté par elle, lui lut
la lettre que les évêques réunis en concile à Tours, en 567, avaient écrite à
Radegonde, menaçant d’excommunication tout membre de la communauté
s’écartant de la règle de saint Césaire d’Arles. Cela ne détourna pas la princesse de sa volonté de faire juger et déposer son abbesse, Leubovera 163.
La pénitence
L’un des apports majeurs des missionnaires irlandais et de leurs émules
anglo-saxons fut l’introduction de la pénitence tarifée, à l’origine des pratiques sacramentelles actuellement en vigueur dans l’Église catholique 164.
La pénitence tarifée suscita de vives oppositions dans l’épiscopat carolingien, dont certains membres se déclaraient attachés à la pénitence antique,
chance unique de rachat accordée à l’auteur d’une faute grave 165. Cette
pénitence publique, à laquelle on devait se soumettre librement, pouvait
participer de ces peines infamantes dont la pratique judiciaire médiévale
connaît maints exemples 166 ; surtout, elle excluait (pour un temps) le pénitent de la communion des fidèles et le mettait donc à l’écart de la vie sociale
– c’est pourquoi elle était incompatible avec l’exercice du pouvoir 167.
162. A. VACANT, « Anathème », Dictionnaire de théologie catholique, t. 1/1, col. 1168-1171 ; E. VALTON,
« Excommunication », ibid., t. 5/2, col. 1734-1744.
163. SCHEIBELREITER 1979.
164. Raymund KOTTJE, « Bußpraxis und Bußritus », dans Segni e riti 1987, t. 1, p. 369-395 ; sur la
valeur spirituelle de la pénitence, cf. DRISCOLL 1999.
165. Robert FOLZ, « La pénitence publique au IXe siècle d’après les canons de l’évêque Isaac de Langres »,
L’encadrement religieux des fidèles au Moyen Âge et jusqu’au Concile de Trente, t. 1, Paris, 1985,
p. 331-343.
166. Jean-Marie MOEGLIN, « Harmiscara – Harmschar – Hachée. Le dossier des rituels d’humiliation
et de soumission au Moyen Âge », ALMA 54 (1996), p. 11-65.
167. Mayke DE JONG, « Power and humility in Carolingian society : the penance of Louis the Pious »,
EME 1 (1992), p. 29-52.
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Pénitence assimilée à une « conversion » et prise de l’habit monastique sur
le tard participent donc du même esprit 168.
Le bannissement
L’errance, qui pouvait revêtir la forme d’une ascèse particulière dans le
cas de la peregrinatio monastique de tradition irlandaise, lorsque le moine
quittait sa terre et sa famille (cognatio) à l’instar d’Abraham 169, pouvait aussi
s’avérer une condamnation particulièrement rude – d’autant que certains
textes législatifs irlandais considéraient les personnes étrangères au túath
comme des « non-êtres » (cette mesure ne touchait cependant pas ceux qui
s’adonnaient à la peregrinatio pour des motifs religieux 170).
La peine de bannissement mettait l’individu au ban de la société 171 ;
elle le plaçait hors du cadre contraignant mais aussi protecteur dans lequel
s’inscrivait la vie sociale : le banni était un « ennemi » chassé définitivement
d’un royaume ou d’un territoire, ou bien seulement temporairement. Tel
était par exemple le cas, dans le droit franc, du profanateur d’une tombe :
il était condamné à demeurer wargus, c’est-à-dire à errer sans pouvoir bénéficier du gîte et du couvert de la part de quiconque, jusqu’au moment où
les parents du défunt demandaient sa réintégration « parmi les hommes »
– c’est-à-dire son retour à la vie sociale 172. Cette mesure n’est pas sans présenter de similitude avec la sentence ecclésiastique d’excommunication.
L’emprisonnement
En 818, le roi Bernard d’Italie 173 et ses complices furent soumis au
« jugement des Francs », qui leur infligèrent la peine de mort, une condamnation commuée par Louis le Pieux en peine d’aveuglement, désormais
classique en cas de lèse-majesté 174. Ceux qui n’avaient trempé que de loin
dans cette affaire furent, selon les cas, condamnés à l’exil ou à la réclusion
168. Mayke DE JONG, « What was public about public penance ? Paenitentia publica and justice in the
Carolingian world », Giustizia 1997, t. 2, p. 863-902 ; EADEM, « Transformations of penance »,
dans THEUWS & NELSON 2000, p. 185-224.
169. ANGENENDT 1972, p. 124 sqq. Sur la manière ambiguë dont était perçue la peregrinatio, cf. JeanMarie SANSTERRE, « Attitudes à l’égard de l’errance monastique en Occident du VIe au XIe siècle »,
dans DIERKENS & SANSTERRE 2000, p. 215-234.
170. KELLY 1988, p. 5.
171. H. HOLZHAUER, « Landesverweisung (Verbannung) », HRG 2, col. 1436-1448 ; E. KAUFMANN,
« Acht », HRG 1, col. 25-32.
172. Hermann NEHLSEN, « Der Grabfrevel in den germanischen Rechtsaufzeichnungen. Zugleich ein
Beitrag zur Diskussion um Todesstrafe und Friedlosigkeit bei den Germanen », dans JANKUHN et
alii 1978, p. 107-168 ; Ruth SCHMIDT-WIEGAND, « Wargus. Eine Bezeichnung für den
Unrechtstäter in ihrem wortgeschichtlichen Zusammenhang », ibid., p. 188-196.
173. DEPREUX 1997, p. 134 sqq.
174. Geneviève BÜHRER-THIERRY, « “Just Anger” or “Vengeful Anger” ? The Punishment of Blinding
in the Early Medieval West », dans ROSENWEIN 1998, p. 75-91.
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dans un monastère, après avoir reçu la tonsure. Les évêques impliqués
devaient être déposés canoniquement, puis gardés dans des monastères. La
réclusion dans les monastères était chose courante. Certes, la privation de
liberté pouvait prendre d’autres formes (notamment lorsqu’il s’agissait
d’otages nobles, en particulier ceux qui appartenaient aux peuples vivant
aux confins du royaume et qui avaient été soumis à l’issue de quelque
révolte) : l’accueil à la cour royale ou dans l’entourage d’un évêque pouvait
avoir valeur de mise en résidence surveillée. Les mentions de prisons autres
que monastiques sont relativement rares.
En revanche, nombreux sont les exemples de personnages de haute naissance écartés de la vie politique par l’entrée forcée dans les ordres 175 : c’est
ainsi que Mérovée, le fils de Chilpéric Ier, fut tonsuré et gardé au monastère de Saint-Calais (en 576) ou que le dernier roi mérovingien, Childéric
III, fut tonsuré et envoyé à Saint-Bertin (en 751). Charlemagne fit de même
avec le duc Tassilon III de Bavière et son fils Théoton, en 788, et avec son
propre fils, Pépin le Bossu, qu’il fit interner à Prüm à la suite de la révolte
de 792. L’internement dans un monastère apparaît dans les sources normatives au cours de la première moitié du VIe siècle (le rôle de l’empereur
Justinien semble à cet égard particulièrement important). À l’origine, cette
mesure concernait essentiellement les clercs ayant commis une grave faute
morale. Parmi les laïcs, seuls les honorati, les veuves et les divorcés étaient
concernés 176. L’ascèse que suppose la vie monastique favorisait bien évidemment le recours aux monastères comme lieux carcéraux : il s’agissait
d’endroits de correction et de pénitence 177.
L’habit, expression du rang social
Il a parfois été question, dans les pages qui précèdent, de l’apparence et
de la manière de se comporter ; en la matière, le choix des vêtements joue
un rôle indéniable – pensons notamment aux vêtements liturgiques du
clergé 178 ou aux attributs du guerrier 179 ; la coupe des cheveux est aussi
révélatrice du statut des personnes 180. Les habits sont le signe de la fonc175. Klaus SPRIGADE, « Abschneiden des Königshaares und kirchliche Tonsur bei den Merowingern »,
Die Welt als Geschichte 22 (1962), p. 142-161 (cet auteur a consacré sa thèse de doctorat à l’internement monastique : Die Einweisung ins Kloster und in den geistlichen Stand als politische
Maßnahme im frühen Mittelalter, Heidelberg, 1964) ; Mayke DE JONG, « Monastic prisoners or
opting out ? Political coercion and honour in the Frankish kingdoms », dans JONG et alii 2001,
p. 291-328.
176. Karl Leo NOETHLICHS, « Das Kloster als “Strafanstalt” im kirchlichen und weltlichen Recht der
Spätantike », ZRG KA 80 (1994), p. 18-40.
177. JENAL 1995, t. 2, p. 796.
178. Roger E. REYNOLDS, « Clerical liturgical vestments and liturgical colors in the middle ages », dans
REYNOLDS 1999, p. 1-16 (n° VI).
179. Simon COUPLAND, « Carolingian arms and armor in the ninth century », Viator 21 (1990), p. 29-50.
180. Robert BARTLETT, « Symbolic meanings of hair in the middle ages », TRHS, 6e série, 4 (1994),
p. 43-60.
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tion, comme le prouve la remise de vêtements royaux à celui qui accède au
pouvoir royal 181. C’est ainsi que l’arrivée auprès de Charles le Chauve, lors
des fêtes de Pâques 841, de messagers venus d’Aquitaine pour apporter les
ornements royaux à celui qui peinait à s’imposer politiquement, fut interprétée comme un présage d’autant plus heureux que Charles, aux dires de
Nithard, sortait alors précisément du bain ! On pourrait multiplier les
exemples de remises de vêtements (ou de leur abandon symbolique), bien
avant la rédaction des ordines du sacre. Grégoire de Tours n’affirme-t-il pas
que Clovis, lorsqu’il reçut le codicille du consulat, changea de vêtements
dans la basilique de Saint-Martin de Tours, qu’il revêtit une tunique de
pourpre et une chlamyde, et qu’il ceint son front d’un diadème ? Le port
d’un vêtement particulier peut s’avérer un message politique ; c’est le cas
pour Clovis, qui revendique l’héritage romain, comme pour Charles le
Chauve : au retour de son couronnement impérial, le souverain apparut
vêtu à la mode byzantine lors de l’assemblée réunie au début de l’été 876
à Ponthion – cette manière de se comporter fut apparemment mal perçue,
car elle exprimait un changement dans la conduite du gouvernement qui
n’agréait pas à l’ensemble de l’aristocratie franque.
Le fait que l’habit marque la condition sociale est manifeste dans le cas
des veuves, qui entraient dans cet état en « changeant de vêtement ».
L’expression employée lors du concile de Tolède de 633 est particulièrement intéressante, puisqu’elle met en exergue le lien entre comportement
social et vêtement, par l’emploi du terme habitus qui, tout à la fois, signifie « comportement » et se trouve à l’origine du mot « habit » : « Il y a deux
sortes de veuves : les veuves séculières et les moniales. Séculières sont les
veuves qui, désirant encore se marier, n’ont pas déposé [ou renoncé à] l’habitus laïque », alors que les moniales, elles, ont « changé leur habitus séculier 182 ». Il n’y a pas d’ambiguïté possible sur le fait que ce changement
d’habitus est la prise de l’habit noir, habit de deuil qui voue la veuve à la
chasteté 183. Cette cérémonie semble antérieure d’à peu près un siècle à la
prise de voile des vierges consacrées, dont l’usage semble s’imposer seulement vers le milieu du VIe siècle 184.
Même au couvent, l’habit pouvait exprimer la distinction sociale, comme
le montrent la chemise de sainte Bathilde et, a contrario, les dernières volontés de Gertrude de Nivelles 185. Le choix de Gertrude prouve qu’il n’allait
pas de soi qu’un personnage de haute naissance s’habille humblement. Le
181. Michael MOORE, « The king’s new clothes : royal and episcopal regalia in the Frankish empire »,
dans Stewart GORDON (éd.), Robes and Honor. The medieval world of investiture, New York, 2001,
p. 95-135.
182. JUSSEN 2000, p. 168.
183. JUSSEN 1993, p. 157 sqq.
184. MUSCHIOL 1994, p. 50.
185. YOUNG 1986, p. 379 ; Bonnie EFFROS, « Symbolic expressions of sanctity : Gertrude of Nivelles
in the context of Merovingian mortuary custom », Viator 27 (1996), p. 1-10.
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malheureux destin de Nanctus apporte également la preuve du fait que les
haillons ne convenaient pas à un seigneur. Le diacre de Mérida qui, dans
le second quart du VIIe siècle, rédigea la Vie de l’abbé Nanctus, relate comment le roi Leovigild (568-586) fit don d’un domaine du fisc à cet ermite.
Peu de temps après, des habitants du lieu voulurent voir leur nouveau
maître. Quand ils l’aperçurent, vêtu d’habits crasseux et les cheveux hirsutes, ils se dirent : « Plutôt mourir que de servir un tel maître ! » Mais en
réalité, peu après dans la forêt, c’est à ses jours qu’ils mirent fin 186.
186. Vitas sanctorum patrum Emeretensium, éd. A. MAYA SÁNCHEZ, Turnhout, 1992, p. 21-24.
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Chapitre VI
Alliances et solidarités
Les hommes et les femmes du haut Moyen Âge s’intégraient dans des
groupes de diverses natures, qui pouvaient se fonder sur les liens du sang
ou sur une « charité » reposant sur le choix de ceux à qui l’on s’associait 1.
Ces alliances et autres pactes créaient un ensemble d’obligations et de droits
qui s’avère le cadre privilégié de l’expression des solidarités.
Les contextes de la solidarité
Les formes de solidarités son fort variables. Elles peuvent avoir un fondement institutionnel (comme, par exemple, pour la perception de l’impôt 2), ou s’appuyer sur des relations personnelles. Le plus souvent, ces deux
facteurs sont combinés. C’est ce qu’illustre par exemple le passage de la Vie
de saint Willibald où l’auteur, Hugeburc (une moniale anglo-saxonne,
parente de l’évêque d’Eichstätt, qui vivait non loin de là, au monastère de
Heidenheim), dit que Willibald bénéficia de l’aide des évêques lorsqu’il
voyagea en Italie du Sud, chacun le recommandant à un autre confrère 3.
Les relations d’obligation réciproque sont bien connues dans le cas de
la Gefolgschaft, de la suite armée évoquée au chapitre précédent. Mais elles
pouvaient aussi prendre d’autres formes. C’est ainsi que la vente pouvait
servir à créer un lien social de dépendance entre l’acheteur et le vendeur, le
second pouvant devenir l’obligé du premier lorsque le prix était versé en
1. Pour Anita GUERREAU-JALABERT, « Spiritus et caritas. Le baptême dans la société médiévale », dans
Françoise HÉRITIER-AUGÉ & Élisabeth COPET-ROUGIER (éd.), La parenté spirituelle, Paris, 1995,
p. 133-203, aux p. 178 sq., « l’on ne saurait prêter trop de valeur au fait […] que la société chrétienne médiévale accorde un rôle central et fondateur au précepte “aimez-vous les uns les autres” ;
c’est bien en ces termes, c’est-à-dire comme caritas, que l’Occident médiéval pense le modèle de
toute relation sociale ».
2. Ferdinand LOT, « Un grand domaine à l’époque franque. Ardin en Poitou, contribution à l’étude
de l’impôt », Bibliothèque de l’École des hautes études, Sc. Hist. et phil., 230 (1921), p. 109-129 ; rééd.
dans Recueil des travaux historiques de Ferdinand Lot, t. 2, Paris, 1970, p. 191-211.
3. LEVISON 1946, p. 39.
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nature (indépendamment de toute considération relative à l’intensité des
flux monétaires), qu’il s’agisse d’une tête de bétail permettant le renouvellement du cheptel vif ou de céréales en période de famine. On observe ce
trait à propos d’un certain Karol, fils de Liutprand, qui faisait partie de la
frange supérieure de la paysannerie dans le comté de Chieti durant le troisième quart du IXe siècle. La vingtaine d’acquisitions foncières qu’il réalisa
dans la zone de la villa Teatina nous le montre soucieux de donner plus de
cohérence à ses domaines et de se constituer une clientèle 4. Il est bien évident que, plus généralement, les largesses obligent ceux qui les reçoivent,
au plan matériel comme spirituel 5.
Le poids du groupe
La nécessité qu’éprouvait le roi de Northumbrie, Edwin, de préserver la
cohésion de son aristocratie lorsqu’il se convertit au christianisme, en 627,
est exprimée par Bède le Vénérable dans la volonté du roi de consulter l’assemblée des sages (le witenagemot) pour s’assurer que tous étaient d’accord
pour adopter avec lui la foi prêchée par Paulin 6. Il se pourrait que certaines
chartes de donations à saint Willibrord, entre 704 et 722, illustrent – sur le
continent et du temps même de Bède – le ralliement en bloc des propriétaires fonciers de Toxandrie à la foi et à l’œuvre du missionnaire, dans un
contexte de pression militaire, puis de victoire des maires du Palais francs 7.
Ce poids du groupe est particulièrement patent à propos de la faide et
de la responsabilité juridique des parents, mais on y lit également ses limites.
En effet, en dépit de la prégnance des liens de parenté, il était possible de
les rompre définitivement. On pouvait exclure un individu de la parentèle
lorsque cette dernière ne voulait pas cautionner son acte ; un membre de
la parentèle pouvait également se désolidariser du groupe, notamment lorsqu’il refusait de s’associer au paiement d’un Wergeld. Le droit franc prévoyait que, dans ce cas, « celui qui veut se retirer de sa parentèle » devait,
dans le cadre d’une assemblée judiciaire, rompre en quatre une branche audessus de sa tête et en jeter les morceaux aux quatre points cardinaux, en
déclarant qu’il se séparait de son clan en matière de serment, d’héritage et
en toute autre affaire et que, si l’un de ses parents venait à mourir, il ne voulait être associé ni à l’héritage, ni au paiement de quelque composition 8.
4. Laurent FELLER, « Achats de terres, politiques matrimoniales et liens de clientèle en Italie centroméridionale dans la seconde moitié du IXe siècle », dans MORNET 1995, p. 425-438.
5. Michael BORGOLTE, « Felix est homo ille, qui amicos bonos relinquit. Zur sozialen Gestaltungskraft
letztwilliger Verfügungen am Beispiel Bischof Bertrams von Le Mans (616) », dans MAURER & PATZE
1982, p. 5-18.
6. Le récit, fort célèbre, des délibérations se trouve au livre II, chap. 13 de l’Histoire ecclésiastique du
peuple anglais.
7. Marios COSTAMBEYS, « An aristocratic community on the northern Frankish frontier, 690-726 »,
EME 3 (1994), p. 39-62.
8. R. HESSLER, « Entsippung », HRG 1, col. 947-949.
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Aux temps carolingiens, l’émergence d’un ordre ecclésiastique prenant
conscience de ses intérêts propres vint également concurrencer ceux inhérents aux familles aristocratiques, certains de leurs membres privilégiant
parfois l’intérêt de leur monastère sur celui de leur parentèle ; cette évolution est concomitante du renforcement de l’emprise du pouvoir royal 9.
Faide et Wergeld
Les colonies frisonnes installées au loin formaient un groupe solidaire,
ou pour le moins ne faisait-on pas de détail lorsqu’un Frison avait commis
un crime : tous étaient responsables collectivement. Vers 770, saint Liudger
en fit l’expérience lors de son séjour à York, où il étudia durant plusieurs
années auprès d’Alcuin 10 :
« Il aurait voulu persévérer plus longtemps encore dans les études sacrées,
mais il n’en eut pas la possibilité, car il se fit qu’au cours d’une rixe qui
opposa à leurs adversaires certains habitants d’York, le fils d’un comte de
la région fut assassiné par un marchand frison, et qu’aussitôt, pour éviter
la vengeance des familiers de la jeune victime, les Frisons durent quitter le
pays des Angles. »
On a ici clairement affaire à une faide, et son statut de jeune clerc (il est
alors diacre) ne met pas Liudger à l’abri d’un mauvais coup : Alcuin le force
à partir. Les Frisons ne demeurèrent cependant pas longtemps absents de
York; peut-être durent-ils collectivement acquitter le paiement d’un Wergeld.
La faide est la vengeance impliquant l’ensemble de Sippe, de la parentèle d’individus impliqués dans un conflit pour effacer un outrage ou compenser un préjudice lorsqu’il s’avère impossible de s’entendre sur le paiement d’un Wergeld. Elle met en jeu la solidarité au sein des systèmes de
parenté, qui oblige chaque parent de l’auteur du trouble (ainsi, tous peuvent être sollicités pour réunir la somme d’un Wergeld) et fait de chaque
parent de la victime le bénéficiaire du versement de la composition : lorsqu’un membre de la parentèle est impliqué dans une affaire, c’est tout le
groupe qui l’est par la même occasion. Le recours à la faide est un pis-aller
(que les Carolingiens tentèrent d’éradiquer) qui s’impose au-delà du cercle
social où l’autorité de quelque personne peut imposer une décision ou un
règlement à l’amiable 11.
9. Régine LE JAN, « Der Adel um 800 : Verwandschaft, Herrschaft und Treue », dans Jörg JARNUT &
Peter JOHANEK (éd.), Am Vorabend der Kaiserkrönung : Das Epos « Karolus Magnus et Leo papa » und
der Papstbesuch in Paderborn 799, Berlin 2001, p. 259-270; version française (sous le titre : « Réseaux
de parenté, memoria et fidélité autour de l’an 800 ») dans LE JAN 2001, p. 108-118.
10. Traduction par Stéphane LEBECQ, « La famille et les apprentissages de Liudger d’après les premiers
chapitres de la Vita Liudgeri d’Altfrid », dans SOT 1990, p. 283-299, à la p. 299 ; commentaire :
LEBECQ 1983, t. 1, p. 244 sq.
11. E. KAUFMANN, « Fehde », HRG 1, col. 1083-1093 ; W. PREISER, « Blutrache », ibid., col. 459-461 ;
GUICHARD & CUVILLIER 1986, p. 312 sq. ; pour une approche anthropologique et ethnologique
de la faide (chez les Nuers), cf. Max GLUCKMAN, « The Peace in the Feud », PP 8 (1955), p. 1-14.
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Le mariage
Les formes d’union maritale ont connu de profonds changements au
cours du haut Moyen Âge : à la diversité et la souplesse se substitue un cadre
chrétien qui n’est pas sans influer sur la conception même de la famille ; le
modèle du mariage qui s’impose alors tire son origine de l’évolution de la
conception du couple née dès le IIIe siècle, indépendamment du christianisme : c’est « une institution que le christianisme a consacrée sans la
créer 12 ». L’action conjointe des rois et des évêques, par l’imposition de ce
modèle comme norme, en assure le succès.
L’importance du mariage dans les relations sociales du haut Moyen Âge
est d’autant plus grande qu’il n’est pas seulement l’affaire de deux individus : il lie également leurs parentèles. Dans les milieux aristocratiques se
définissent ainsi de véritables stratégies matrimoniales visant à la conclusion d’alliances entre divers réseaux familiaux 13.
Les formes de l’union
On distingue essentiellement deux formes de mariage 14 : le contrat d’origine romaine et l’union de tradition germanique, dite Friedelehe, dont le
nom exprime l’attirance mutuelle des conjoints. Ces deux formes de mariage
sont sanctionnées par deux manières différentes de doter l’épouse.
Indépendamment de ce que le père donnait à sa fille (qui pouvait s’avérer
une avance d’hoirie), le mariage était scellé soit par la donation faite par
l’époux avant les noces, soit par le « don du matin » (Morgengabe) remis
par l’homme au lendemain de la consommation de l’union. Au cours du
haut Moyen Âge, cette dotation de l’épouse prit la forme de la constitution d’un douaire. Les biens servant à la dotation des femmes semblent
avoir été, de génération en génération, destinés à cela 15. Aux formes d’unions
qu’on vient d’évoquer s’oppose le rapt 16. Ce dernier ne signifie pas qu’il
12. Pierre TOUBERT, « L’institution du mariage chrétien, de l’Antiquité tardive à l’an mil », Morfologie
1998, t. 1, p. 503-549 (citation : p. 515).
13. Karl SCHMID, « Heirat, Familienfolge, Geschlechterbewusstsein », Matrimonio 1977, t. 1,
p. 103-137 ; TOUBERT 1986, p. 346 sqq. ; LE JAN 1995 ; Didier LETT, Famille et parenté dans
l’Occident médiéval, Paris, 2000.
14. GOODY 1985 ; GAUDEMET 1987 ; REYNOLDS 1994 ; W. OGRIS, « Friedelehe », HRG 1, col.
1293-1296 ; Raymund KOTTJE, « Eherechtliche Bestimmungen der germanischen Volksrechte (5.8. Jahrhundert) », dans AFFELDT 1990, p. 211-220.
15. MIKAT 1978; Diane Owen HUGHES, « From brideprice to dowry in Mediterranean Europe », Journal
of Family History 3 (1978), p. 262-296 ; GUICHARD & CUVILLIER 1986, p. 324 sq. ; Régine LE JAN,
« Aux origines du douaire médiéval (VIe-Xe siècle) », dans PARISSE 1993, p. 107-122 ; rééd. dans
LE JAN 2001, p. 53-67 ; Christian LAURANSON-ROSAZ, « Douaire et sponsalicium durant le haut
Moyen Âge », dans PARISSE 1993, p. 99-104 ; Régine LE JAN, « Douaires et pouvoirs des reines en
Francie et en Germanie (VIe-Xe siècle) », dans LE JAN 2001, p. 68-88 ; François BOUGARD, Laurent
FELLER & Régine LE JAN (éd.), Dots et douaires dans le haut Moyen Âge (VIIe-Xe siècle), Rome, 2002.
16. A. ERLER, « Frauenraub (raptus) I », HRG 1, col. 1210-1212 ; Frank SIEGMUND, « Pactus Legis
Salicae § 13 : Über den Frauenraub in der Merowingerzeit », FMSt 32 (1998), p. 101-123. Il faut
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n’y avait pas de consentement mutuel de la part des époux, mais que l’union
avait été conclue sans l’accord de la parentèle de l’épouse.
À l’époque carolingienne, la Friedelehe, qui était une union certes légitime, fut de plus en plus concurrencée par la Muntehe qui, elle, engendrait
un transfert de mundium, du père au mari ; le droit des enfants à l’héritage
différait selon ces deux formes d’union. C’est ce point et la question de la
publicité des noces qui faisait la différence entre un mariage légitime et le
concubinat (en la matière, la controverse autour du divorce de Lothaire II
constitue assurément un point d’orgue 17). À cet égard, on n’établissait pas
de différence en fonction du statut des personnes – comme l’énonce Pépin
le Bref dans un capitulaire de 755 : « Que tous les hommes qui sont laïques
procèdent à des noces publiques, tant les nobles que ceux qui ne le sont
pas 18. » Cette époque est également marquée par le développement d’un
idéal chrétien de la vie conjugale.
Une éthique des rapports amoureux
Les relations sexuelles font l’objet, de la part du clergé, d’un contrôle et
d’une restriction. Les pénitentiels constituent parfois de petites anthologies de perversion sexuelle ; ils nous renseignent autant sur les pratiques des
laïques que sur les hantises des clercs 19 (plus intéressante que les diverses
formes de sodomie est la conscience très nette de l’abus d’autorité dans le
monde monastique révélée par les pénitentiels 20). En revanche, la doctrine
des clercs semble encore hésitante en ce qui concerne les interdits de parenté,
qui oscillent entre le 4e et le 7e degré 21. La grande innovation des temps
carolingien semble être la prise en compte de la parenté spirituelle dans les
causes d’empêchement, ce en quoi P. Toubert voit un lien avec la tendance
à une promotion sacramentelle du mariage – qui ne se traduit toutefois
pas, au-delà d’une possible bénédiction par le prêtre, par une liturgie clairement définie 22. À cette époque, on commence également à procéder à
des enquêtes préalables, rendues possibles par l’obligation de publicité qui
distinguer le rapt du viol ; sur ce dernier, cf. Julie COLEMAN, « Rape in Anglo-Saxon England »,
dans HALSALL 1998, p. 193-204.
17. Stuart AIRLIE, « Private bodies and the body politic in the divorce case of Lothar II », PP 161 (1998),
p. 3-38 ; Thomas BAUER, « Rechtliche Implikationen des Ehestreites Lothars II. : Eine Fallstudie
zu Theorie und Praxis des geltenden Eherechts in der späten Karolingerzeit. Zugleich ein Beitrag
zur Geschichte des frühmittelalterlichen Eherechtes », ZRG KA 80 (1994), p. 41-87 ; Karl Josef
HEIDECKER, Kerk, huwelijk en politieke macht. De zaak Lotharius II (855-869), Amsterdam, 1997.
18. Capitularia regum Francorum, éd. Alfred BORETIUS, t. 1, Hanovre, 1883, p. 36 (n° 14, chap. 15).
19. LUTTERBACH 1999.
20. MANSELLI 1977, p. 375 sqq.
21. MIKAT 1994 ; Paul MIKAT, « Zu den merowingisch-fränkischen Bedingungen der
Inzestgesetzgebung », dans BRIESKORN et alii 1994, p. 3-30 ; Rudolf WEIGAND, « Die Ausdehnung
der Ehehindernisse der Verwandtschaft », ZRG KA 80 (1994), p. 1-17 ; CORBET 2001, p. 1 sqq.
22. Cyrille VOGEL, « Les rites de la célébration du mariage : leur signification dans la formation du lien
durant le haut Moyen Âge », Matrimonio 1977, t. 1, p. 397-465.
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entoure désormais le mariage. Surtout, les évêques du IXe siècle ont développé une réflexion sur la valeur du mariage permettant aux laïques de vivre
pleinement l’idéal chrétien dans leur état de gens mariés 23. Ce mouvement
participe de la réflexion, plus large, sur les divisions théoriques de la société,
qui modifie la hiérarchie sociale idéale 24.
La famille nucléaire
Le couple et ses enfants forment la structure de base de la famille au
haut Moyen Âge, qu’on soit chez les nobles 25 ou chez les paysans 26 ; ainsi,
dans les actes de l’abbaye de Farfa, le terme de familia désigne la famille
étroite, c’est-à-dire le groupe formé par le père, la mère et les enfants, dès
la fin du VIIIe siècle 27. La famille nucléaire paysanne – la véritable communauté d’exploitation (même s’il pouvait arriver que plusieurs couples,
des familles de frères et sœurs par exemple, exploitent ensemble un même
manse, ou qu’un autre adulte partage la vie de la famille) – est relativement
bien connue grâce aux actes de la pratique et, surtout, grâce à certains documents de gestion domaniale 28. Cette famille, notamment le couple, qu’on
peut appréhender par les sources écrites, en trouve-t-on aussi des traces
archéologiques ?
On sait qu’il était courant d’employer plusieurs fois une même tombe
pour y déposer un nouveau défunt, en repoussant les ossements du premier occupant sur le côté. Il n’est malheureusement pas possible d’avoir
des certitudes sur l’existence, ou non, de relations entre les morts déposés
dans un même sarcophage. Néanmoins, on peut penser que le soin avec
lequel les ossement étaient placés à une extrémité de la sépulture – comme
c’est par exemple le cas dans la nécropole des « Combes » à Yvoire (HauteSavoie, fin Ve-VIIIe siècles) – était motivé par un sentiment particulier à
l’égard du défunt. De là à supposer qu’il s’agît par exemple d’époux, il y a
un pas séduisant qu’on ne peut malheureusement pas franchir 29.
23. Pierre TOUBERT, « La théorie du mariage chez les moralistes carolingiens », Matrimonio 1977, t. 1,
p. 233-282.
24. Cf. infra p. 264.
25. LE JAN 1995, p. 333 sqq.
26. Présentation fondamentale par TOUBERT 1986, p. 336 sqq. ; cf. également GOETZ 1995, p. 251
sqq.
27. TOUBERT 1973, t. 1, p. 709 note 1.
28. À titre d’exemples, cf. Monique ZERNER, « La population de Villeneuve-Saint-Georges et de Nogentsur-Marne au IXe siècle d’après le polyptyque de Saint-Germain-des-Prés », Annales de la Faculté
des lettres et sciences humaines de Nice 37 (1979), p. 17-24 ; Carl I. HAMMER, « Family and familia
in early-medieval Bavaria », dans Richard WALL, Jean ROBIN & Peter LASLETT (éd.), Family forms
in historic Europe, Cambridge, 1983, p. 217-248 ; Régine LE JAN, « Entre maîtres et dépendants :
réflexions sur la famille paysanne en Lotharingie, aux IXe et Xe siècles », dans MORNET 1995, p. 277296 ; rééd. dans LE JAN 2001, p. 239-254.
29. LORANS 2000, p. 174 et p. 184-185.
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Quant aux sources sur les rapports entre les parents et les enfants (indépendamment des questions relatives à la transmission de l’héritage, particulièrement délicate en cas de secondes noces 30), elles sont relativement rares.
Les récits hagiographiques évoquent toutefois les relations entre le saint et
ses parents 31. Sans forcément appréhender la conversion « en terme d’identification déficitaire à l’image du père réel provoquant la recherche d’un substitut paternel compensatoire représenté par l’abbé, image du père idéal »,
comme l’hypothèse en a été formulée 32, force est de constater qu’on rencontre souvent une opposition entre l’attitude du père, hostile à l’entrée de
son fils dans la voie monastique, et le soutien de sa mère, « protectrice de la
vocation du saint ». Il n’est guère possible de savoir s’il s’agit réellement d’une
« pathologie œdipienne » récurrente ou de l’application par les hagiographes
d’un topos. Ce lien mère-fils est d’autant plus naturel que c’est à la mère que
revenait l’éducation morale et spirituelle des enfants – d’ailleurs, les termes
relatifs à la nourriture des enfants (l’allaitement par la mère est la règle, qui
souffre toutefois des exceptions 33) et à leur éducation sont souvent associés
dans les sources 34 (nutrire, erudire, docere). À cet égard, les recommandations
de la mère de Didier de Cahors, Herchenfrède, dont l’hagiographe du saint
évêque a copié trois lettres adressées à Didier lorsqu’il vivait à la cour, et celles
de Dhuoda, qui écrivit son Liber manualis à l’attention de son fils Guillaume
deux siècles plus tard, témoignent des mêmes préoccupations 35.
La parenté
Les gens du haut Moyen Âge disposaient d’un vocabulaire assez riche
pour désigner les divers liens de parenté, mettant l’accent, selon les cas, sur
la force des liens du sang, que suggère par exemple le terme de cognatio, ou
sur le groupe que représentent les parents, qu’exprime le mot parentela.
L’étude de ce vocabulaire est une des clefs pour mieux comprendre les systèmes de parenté de cette époque 36.
30. Brigitte KASTEN, « Stepmothers in Frankish legal life », dans Pauline STAFFORD, Janet L. NELSON
& Jane MARTINDALE (éd.), Law, laity and solidarities. Essays in honour of Susan Reynolds, Manchester
2001, p. 47-67.
31. PADBERG 1980, p. 62 sqq. ; RÉAL 2001, p. 384 sqq.
32. Nira GRADOWICZ-PANCER, « Papa, maman, l’abbé et moi. Conversio morum et pathologie familiale
d’après les sources hagiographiques du haut Moyen Âge », MA 102 (1996), p. 7-25 (citation : p. 8 sq.).
33. Jean VERDON, « Les femmes laïques en Gaule au temps des Mérovingiens : les réalités de la vie
quotidienne », dans AFFELDT 1990, p. 239-261, aux p. 251 sq. À ce qu’il semble, l’allaitement
durait généralement 2 ans, cf. Monique ZERNER-CHARDAVOINE, « Enfants et jeunes au IXe siècle.
La démographie du polyptyque de Marseille, 813-814 », Provence historique 31 (1981), p. 355-384,
à la p. 360.
34. NOLTE 1995, p. 181 sqq.
35. Ibid., p. 218 sqq.
36. Donald A. BULLOUGH, « Early medieval social groupings : the terminology of kinship », PP 45
(1969), p. 3-18; Anita GUERREAU-JALABERT, « La désignation des relations et des groupes de parenté
en latin médiéval », ALMA 46-47 (1986/7), p. 65-108 ; LE JAN 1995, p. 159 sqq.
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Les liens du sang : la famille élargie
La famille large, la Sippe, constitue l’un des thèmes d’histoire sociale qui
ont fait couler le plus d’encre 37. Le schéma classique de l’évolution des liens
de parenté veut qu’un système agnatique hiérarchisé se soit substitué à un
ensemble plus flou et plus large. Les travaux récents, tout en soulignant
l’importance des relations cognatiques, ont montré toute la complexité de
cette question : il faut en effet distinguer la conscience d’appartenir à telle
lignée et les pratiques juridiques 38. Les liens familiaux s’imposent à l’individu autant qu’ils sont revendiqués par lui, lorsqu’il y voit son intérêt : selon
G. Althoff, la Sippe constitue « plutôt un phénomène identitaire qu’un
groupement juridiquement fixé 39 ». Rappelons que les mariages et les liens
du sang ne font pas tout et qu’ils ne s’imposent pas systématiquement, puisqu’il est possible de recourir au serment pour garantir la solidarité au sein
de la parentèle 40.
Il est significatif que les relations familiales, que l’on peut tenter de
reconstituer d’après les anthroponymes et la manière dont les noms sont
énumérés (notamment dans les libri memoriales 41), s’avèrent particulièrement tangibles dans les transactions foncières 42 : la famille, qu’elle soit très
large ou qu’elle se hiérarchise, constitue le cadre dans lequel les biens circulent ou dans lequel on exerce des droits sur un ensemble de biens. C’est
par exemple peut-être ainsi qu’on doit considérer les genealogiae bavaroises 43.
La Loi des Bavarois cite en effet le nom de cinq grandes familles, dont le
prestige est juste un peu moindre que celui de la famille ducale des
Agilolfides. Seulement deux de ces groupes familiaux apparaissent dans les
actes de la pratique et ont donc pu faire l’objet d’une étude : les Huosi et
les Fagana. Les Huosi semblent constituer la famille la plus importante ; dès
le règne de Pépin le Bref, ils furent des alliés de poids pour le pouvoir caro37. Karl SCHMID, « Zur Problematik von Familie, Sippe und Geschlecht, Haus und Dynastie beim
mittelalterlichen Adel. Vorfragen zum Thema “Adel und Herrschaft im Mittelalter” », ZGO 105
(1957), p. 1-62 ; rééd. dans SCHMID 1983, p. 183-244.
38. Constance B. BOUCHARD, « Family structure and family consciousness among the aristocracy in
the ninth to eleventh centuries », Francia 14 (1986), p. 639-658 ; ALTHOFF 1990, p. 31 sqq. ; LE
JAN 1995 ; H. R. LOYN, « Kinship in Anglo-Saxon England », ASE 3 (1974), p. 197-209 ; CHARLESEDWARDS 1993.
39. Citation d’après Bernhard JUSSEN, « Famille et parenté. Comparaison des recherches françaises et
allemandes », dans SCHMITT & OEXLE 2002, p. 447-460, à la p. 449. Dans cet article, l’auteur
souligne que les diverses écoles historiographiques n’arrivent pas à un constat uniforme en ce qui
concerne la part des relations agnatiques et cognatiques au sein des systèmes familiaux du Moyen Âge.
40. Céline MARTIN, « Un conflit de serments en Espagne wisigothique », Règlement des conflits, 2001,
p. 83-96.
41. Karl SCHMID, « Religiöses und sippengebundenes Gemeinschaftsbewußtsein in frühmittelalterlichen Gedenkbucheinträgen », DA 21 (1965), p. 18-81.
42. À titre d’exemples, cf. GOCKEL 1970 ; Michael GOCKEL, « Zur Verwandtschaft der Äbtissin Emhilt
von Milz », dans Helmut BEUMANN (éd.), Festschrift für Walter Schlesinger, t. 2, Cologne 1974,
p. 1-70; WEIDEMANN 1986 ; Eberhard DOBLER, « Die Sippe des Grafen Audoin/Otwin : Fränkische
Aristokraten des 7. und frühen 8. Jahrhunderts in Südalemannien », ZGO 149 (2001), p. 1-60.
43. MURRAY 1983, p. 99 sqq.
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lingien. Cette famille était implantée principalement dans la région entre
Ammersee et Isar, à l’ouest de la Bavière, et contrôlait les monastères de
Scharnitz-Schlehdorf, Benediktbeuren et Tegernsee ; surtout, elle exerça
une mainmise sur le siège épiscopal de Freising durant environ un siècle 44.
Durant presque toute la période qui nous intéresse ici, les relations de
parenté demeurèrent indifférenciées. On décèle toutefois une conscience des
liens patrilinéaires, qui tendent à s’imposer vers la fin du IXe siècle, au moment
où la transmission des honores de père en fils, de possible devient normale,
voire incontournable. La tendance de plus en plus forte à considérer les honores
comme un ensemble de fonctions et de biens patrimoniaux semble concomitante du renforcement de la conscience familiale d’ordre agnatique.
Les références familiales ne s’appliquent pas qu’aux groupes s’échangeant les femmes et partageant le même sang ; elles peuvent également, par
exemple, servir à exprimer les liens unissant les évêques entre eux par le
biais de leur rapport privilégié à leur Église 45. Cette conception des successions épiscopales relève d’un autre champ, celui de la parenté spirituelle.
L’adoption et la parenté spirituelle
Un bel exemple à l’intersection des deux systèmes de parentés, charnelle
et spirituelle, est offert par la relation que Charles le Chauve entretint avec
le princeps breton Érispoé, le fils de Nominoé, à qui le roi avait confié l’administration du regnum de Bretagne. En 856, la fille d’Érispoé fut fiancée
au fils du roi, Louis le Bègue. Cette cérémonie changea apparemment le
lien entre le roi des Francs et le Breton, puisqu’il le désigna désormais comme
son compère (compater), un terme tout à fait exceptionnel dans les usages
de chancellerie 46, qui s’applique généralement aux pères d’un même individu : son géniteur et son parrain 47.
Durant le haut Moyen Âge, il existait diverses manières de créer des
sortes d’affinités électives, qui ne se substituaient pas aux liens du sang, mais
s’avéraient complémentaires; elles présentaient notamment l’avantage d’élargir les réseaux de relation à des cercles échappant aux implications des liens
charnels 48 : un parent spirituel n’hérite certes pas, mais il ne peut également pas être mêlé aux affres de la faide. Ces pratiques sociales ont fait l’objet d’un examen renouvelé dans les dernières années 49 ; elles revêtent prin44. STÖRMER 1972, p. 90 sqq.
45. Michel SOT, « Historiographie épiscopale et modèle familial en Occident au IXe siècle », Ann. ESC
1978, p. 433-449.
46. Recueil des actes de Charles II le Chauve, roi de France, éd. Georges TESSIER, t. 1, Paris, 1943, p. 480
& p. 482 (n° 180 & n° 181). À ce propos, cf. CHÉDEVILLE & GUILLOTEL 1984, p. 292 sqq.
47. Joseph H. LYNCH, « Spiritale vinculum : the vocabulary of spiritual kinship in early medieval
Europe », dans NOBLE & CONTRENI 1987, p. 181-203, aux p. 190 sqq.
48. Bernhard JUSSEN, « Künstliche und natürliche Verwandtschaft ? Biologismen in den kulturwissenschaftlichen Konzepten von Verwandtschaft », dans BESSMERTNY & OEXLE 2001, p. 39-58.
49. Cf. notamment JUSSEN 1991.
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cipalement deux formes : le baptême 50 et l’adoption 51 ; cette dernière, lorsqu’elle n’était pas un effet du baptême (aux conséquences alors essentiellement spirituelles) qui se substitua aux traditions juridiques romaines 52,
visait alors à la désignation d’un héritier – c’est ce qu’on appelle l’affatomie 53 (il n’y a pas que dans les milieux aristocratiques que la dévolution
des biens pouvait nécessiter la désignation d’un bénéficiaire par voie d’adoption : la dévolution d’une tenure pouvait également donner lieu à une affiliatio 54). La dimension politique et diplomatique du baptême est bien
connue 55. Ce n’était toutefois pas le seul moyen de nouer des alliances indépendamment du mariage, comme l’illustre le voyage que Charles Martel
fit faire à Pépin le Bref, vers 737, pour se rendre à la cour lombarde :
« Charles, prince des Francs, envoya […] son fils Pépin chez Liutprand
pour qu’il lui coupe les cheveux selon la coutume. Il les lui tailla, devenant
un père pour lui, et le renvoya riche de nombreux dons royaux chez l’auteur de ses jours 56. »
En Irlande, il était de coutume d’envoyer son fils à la cour d’un roi ou
d’un puissant personnage pour l’y faire éduquer ; c’est ce qu’on appelle le
fosterage 57, dont le nom semble venir de la racine indo-européenne *pat- à
l’origine de nombreux termes relatifs à la nourriture 58 (du latin pasco à l’anglais food ou à l’allemand füttern). On rejoint ici les « nourris » du monde
franc – à ceci près que cette pratique, en Irlande, s’apparentait à une adoption et qu’elle pouvait être pratiquée dans toutes les couches sociales. Le
fosterage créait des liens non seulement entre les parents adoptifs et l’enfant, mais aussi entre lui et leurs propres enfants, entre ses parents adoptifs
et ses géniteurs 59. Il n’empêche que les liens créés par l’accueil à la cour
franque pouvaient aussi s’avérer solides – et grande la dette à l’égard du
nourricier. C’est ce qu’illustre Éginhard dans le prologue à sa Vita Karoli 60 :
il se dit mû par « la reconnaissance envers l’homme qui [l’]a nourri et l’amitié indéfectible nouée tant avec lui qu’avec ses enfants dès [qu’il a] com50. LYNCH 1986.
51. Anita GUERREAU-JALABERT, « Qu’est-ce que l’adoptio dans la société chrétienne médiévale ? »,
Médiévales 35 (1998), p. 33-49.
52. Bernhard JUSSEN, « Adoptiones franques et logique de la pratique. Remarques sur l’échec d’une importation juridique et les nouveaux contextes d’un terme romain », dans CORBIER 1999, p. 101-121.
53. Emmanuelle SANTINELLI, « Continuité ou rupture ? L’adoption dans le droit mérovingien »,
Médiévales 35 (1998), p. 9-18.
54. FELLER 1998, p. 529 sqq.
55. ANGENENDT 1984.
56. PAUL DIACRE, Histoire des Lombards, trad. François BOUGARD, Turnhout, 1994, p. 149 (VI, 53).
57. François KERLOUEGAN, « Essai sur la mise en nourriture et l’éducation dans les pays celtiques d’après
le témoignage des textes hagiographiques latins », Études celtiques 1968, p. 101-146 ; RICHTER
1996, p. 23-24.
58. Anita GUERREAU-JALABERT, « Nutritus/oblatus : parenté et circulation d’enfants au Moyen Âge »,
dans CORBIER 1999, p. 263-290, aux p. 267 sq.
59. CHARLES-EDWARDS 2000, p. 82.
60. ÉGINHARD, Vie de Charlemagne, éd. Louis HALPHEN, Paris, 1938, p. 4-5.
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mencé de vivre à sa cour ». De fait, des amitiés durables naissaient de cette
communauté de vie et d’apprentissage des usages auliques, comme l’évoque
aussi, une génération plus tôt, le biographe de saint Didier de Cahors à
propos des relations que ce dernier avait nouées à la cour de Clotaire II et
de son fils, Dagobert Ier, avec saint Éloi ou saint Ouen 61.
L’amitié
L’étude de l’amitié au haut Moyen Âge dépasse le cadre des simples relations amicales, sur lesquelles les œuvres de certains lettrés (notamment les
poètes) jettent quelque lumière. C’est en particulier le cas de Venance
Fortunat, dont l’attitude à l’égard de Radegonde peut être interprétée comme
une préfiguration des relations courtoises 62. Les déclarations d’amitié ou
d’amor d’Alcuin aux lettrés de la cour de Charlemagne et à ses élèves ont pu
être interprétées comme des témoignages d’amours interdites 63 ; en la matière,
il faut se montrer particulièrement prudent (sans pour autant verser dans
l’angélisme et dénier l’existence de pratiques homosexuelles dans les monastères) : il est en effet très difficile de distinguer ce qui relève du vocabulaire
allégorique et spirituel, et ce qui traduit une relation pédéraste.
L’amitié pouvait se traduire de manière plus institutionnelle, entre des
individus ou des communautés. C’est ainsi que les échanges de reliques
avaient pour vocation de sceller des liens d’amitié 64. L’échange pouvait
mettre en jeu les personnes et les biens, comme c’est le cas lors du voyage
que le comte saxon Liudolf et son épouse, Oda, firent à Rome « avec des
dons », vers 845 : Liudolf se recommanda à saint Pierre en même temps
que les siens et que les biens sur lesquels il voulait fonder un monastère
pour sa fille, Hathumoda. En échange, il reçut les reliques des papes Anastase
et Innocent, qui furent transférés à Brunshausen. Il s’agit là de l’acte à l’origine de la fondation de l’abbaye de Gandersheim, véritable lieu de mémoire
familiale de la dynastie ottonienne 65.
L’amitié pouvait ainsi revêtir des enjeux de nature juridique et politique,
voire diplomatique. Dans le dialogue imaginaire et scolaire qu’il conduit
avec Pépin d’Italie, Alcuin répond à son élève, qui lui demande ce qu’est
l’amitié (amicitia) : c’est l’aequalitas animorum 66. On le voit, ce qui prime
61. Vie de saint Didier, évêque de Cahors (630-655), éd. René POUPARDIN, Paris, 1900, p. 5 (I, 3).
62. Verena EPP, « Männerfreundschaft und Frauendienst bei Venantius Fortunatus », dans Thomas
KORNBICHLER & Wolfgang MAAZ (éd.), Variationen der Liebe. Historische Psychologie der
Geschlechterbeziehung, Tübingen, 1995, p. 9-26 ; sur Venance Fortunat, cf. GEORGE 1992.
63. John BOSWELL, Christianity, Social Tolerance, and Homosexuality. Gay People in Western Europe from
the Beginning of the Christian Era to the Fourteenth Century, Chicago, 1980, p. 189.
64. Roman MICHALOWSKI, « Le don d’amitié dans la société carolingienne et les “translationes sanctorum” », Hagiographie, culture et sociétés (IVe-XIIe siècles), Paris, 1981, p. 399-416; GEARY 1994, p. 194 sqq.
65. RÖCKELEIN 2002, p. 142.
66. Disputatio Pippini cum Albino, éd. W. SUCHIER, dans Lloyd William DALY & Walther SUCHIER
(éd.), Altercatio Hadriani Augusti et Epicteti philosophi, Urbana, 1939, p. 141.
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(aux yeux du diacre de York comme à ceux de ses contemporains), c’est la
notion d’égalité entre les partenaires. L’amicitia servit en effet à garantir des
relations de soutien réciproque entre des individus ou des groupes réputés
égaux 67 ; entre les personnes privées, cela put avoir quelque répercussion
sur la vie judiciaire. Surtout, l’amicitia, scellée par des serments, garantissait la paix entre les peuples, voire leur soutien militaire en cas de péril
(même s’ils payaient tribut, les peuples soumis ne perdaient pas la face : ils
étaient réputés s’être ralliés librement). Ce fut une des principales formes
d’accord diplomatique. Les serments de Strasbourg (en 842) et l’accord de
Coulaines (en 843) participent de ce principe. Ils représentent un jalon
important dans l’histoire des institutions : alors qu’à l’époque mérovingienne, la conclusion d’une amicitia supposait que les deux partenaires partageaient le même statut, on observe ici une différence de rang entre le roi
et les membres de l’aristocratie (à Coulaines, le roi se rallie à un accord
conclu initialement sans lui) qui prélude à la politique d’amicitia d’Henri
l’Oiseleur. La prestation d’un serment et la célébration d’un banquet, qui
scellaient l’amicitia, ressortissent des thèmes suivants.
L’association jurée
Les conjurationes du haut Moyen Âge pouvaient revêtir essentiellement
deux aspects : il pouvait s’agir de réelles conjurations, c’est-à-dire de la réunion
d’opposants à quelque pouvoir (généralement : le roi) qui se liaient par serment pour agir contre ce dernier et pour le renverser, mais il pouvait aussi
d’agir d’associations de personnes soucieuses de s’apporter une aide mutuelle
– ce sont les ghildes 68 (à l’époque qui nous intéresse, il ne s’agit pas encore
de groupements professionnels 69). Ces formes d’associations apparaissent
sous ce nom dans les sources aux temps carolingiens (les associations de
prêtres attestées dans les années trente du VIe siècle en semblent toutefois
très proches). Ce qui est ici frappant, c’est qu’on rencontre les ghildes au
moment précis où (et parce que) on commence à les combattre. En 779,
Charlemagne interdit les ghildes en tant qu’associations jurées, car la pres67. ALTHOFF 1990, p. 88 sqq. ; EPP 1999 ; cf. également FRITZE 1954.
68. Otto Gerhard OEXLE, « Die mittelalterlichen Gilden : ihre Selbstbedeutung und ihr Beitrag zur
Formung sozialer Strukturen », dans ZIMMERMANN 1979, p. 203-226 ; id., « Gilden als soziale
Gruppen in der Karolingerzeit », dans Herbert JANKUHN, Walter JANSSEN, Ruth SCHMIDT-WIEGAND
& Heinrich TIEFENBACH (éd.), Das Handwerk in vor- und frühgeschichtlicher Zeit, t. 1 : Historische
und rechtshistorische Beiträge und Untersuchungen zur Frühgeschichte der Gilde, Göttingen, 1981,
p. 284-354 ; id., « Conjuratio et ghilde dans l’Antiquité et dans le haut Moyen Âge. Remarques sur
la continuité des formes de la vie sociale », Francia 10 (1982), p. 1-19 ; id., « Conjuratio und Gilde
im frühen Mittelalter. Ein Beitrag zum Problem der sozialgeschichtlichen Kontinuität zwischen
Antike und Mittelalter », dans Berent SCHWINEKÖPER (éd.), Gilden und Zünfte. Kaufmännische
und gewerbliche Genossenschaften im frühen und hohen Mittelalter, Sigmaringen, 1985, p. 151-214 ;
ALTHOFF 1990, p. 119 sqq.
69. Cf. supra p. 144.
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tation d’un serment créant des obligations de secours mutuel pouvait entraîner des réactions concurrentes de la fidélité due au roi – alors même que les
« conjurés » pouvaient s’engager sur le nom de tel saint (un capitulaire de
789 mentionne saint Étienne) ou sur le roi et ses fils (on comprend que
Charlemagne ait interdit ce genre de serment tandis qu’il exigeait de tous
les hommes libres un serment de fidélité à son égard et envers ses fils).
Les confréries qu’étaient les ghildes (au IXe siècle, Hincmar de Reims
parle en effet de confratria) étaient toutefois autorisées dès lors qu’elles
n’étaient pas fondées sur un engagement juré. Elles avaient néanmoins mauvaise presse en raison des débordements auxquels pouvaient donner lieu les
beuveries par lesquelles s’achevaient certains banquets. L’élément convivial
de ces associations d’entraide (le capitulaire de Herstal de 779 tolère explicitement l’action caritative par le biais d’aumônes et le secours en cas d’incendie et de naufrage), qui pouvaient rassembler à la fois clercs et laïques,
hommes et femmes, s’avère en effet essentiel : la bonne chère est indispensable à la célébration de la caritas (d’ailleurs, ce terme, qui signifie « amour »
ou « charité », peut aussi avoir le sens de « repas »).
Boire et manger ensemble
La conclusion d’une amitié, la restauration de la paix et de la concorde
étaient célébrées par la prise en commun d’un repas. Échange de cadeaux
et banquet sont des éléments indispensables à la publicité d’une bonne
entente 70. Boire et manger ensemble offre notamment l’occasion de signifier (ou rétablir) les hiérarchies et les préséances ou de célébrer les mérites
des hôtes attablés, comme l’illustre la manière dont Wealhtheow, l’épouse
du roi Hrothgar, officia lors de l’arrivée à la cour de Beowulf et de ses compagnons 71 : il y avait alors assurément un art de trinquer ! Mais bien évidemment, il pouvait aussi y avoir des dérapages (fréquents ?) lors de banquets bien arrosés (d’où leur condamnation par les évêques, même s’il leur
arrivait eux-mêmes de succomber à l’ivresse, comme ce prélat dont Notker
le Bègue prétend qu’il appréciait particulièrement le vin d’Alsace 72) – le
mérite de Beowulf ne résidait-il d’ailleurs pas, entre autres choses, en ce
qu’il n’avait jamais trucidé l’un de ses compagnons de beuveries 73, lors des
fêtes organisées dans les grandes maisons-halls 74 ?
70. Gerd ALTHOFF, « Fest und Bündnis », dans ALTENBURG et alii 1991, p. 29-38.
71. Michael J. ENRIGHT, « Lady With a Mead-Cup. Ritual, Group Cohesion and Hierarchy in the
Germanic Warband », FMSt 22 (1998), p. 170-203.
72. Christian WILSDORF, « Sigolsheim et son vignoble aux temps carolingiens », Media in Francia 1989,
p. 507-524.
73. BULLOUGH 1991a, p. 14 sq. ; cf. également l’approche pleine d’humour dans Alex WOOLF & Roy
ELDRIDGE, « Sharing a drink with Marcel Mauss : the uses and abuses of alcohol in early medieval Europe », Journal of European Archaeology 1994, 327-340.
74. Hayo VIERCK, « Hallenfreude. Archäologische Spuren frühmittelalterlicher Trinklage und mögliche
Wege zu ihrer Deutung », dans ALTENBURG 1991, p. 115-122.
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Aux yeux des clercs, le repas et la prise en commun de boisson semblent
souvent connotés d’une dimension païenne, ce qui motive leur rejet violent ; tel est par exemple le cas lorsque saint Colomban, arrivant aux environs de Bregenz, découvre les mœurs des Suèves 75 :
« Tandis qu’il demeurait là et circulait parmi les habitants du pays, il en
trouva qui voulaient offrir un sacrifice impie. Ils avaient placé en évidence
un grand récipient, appelé vulgairement “cuve”, contenant vingt boisseaux,
plus ou moins, et l’avaient rempli de bière. L’homme de Dieu s’approche
et demande ce qu’ils veulent faire. Ils répondent qu’ils veulent sacrifier à
leur dieu, appelé Wotan. En entendant parler de cet acte funeste, le saint
souffle sur le récipient. Ô merveille, le récipient éclate avec fracas et se brise
en morceaux, la force enragée s’en échappe avec le breuvage de bière. Ainsi
devient-il manifeste que le récipient recelait le diable, qui se servait de ce
breuvage impie pour prendre les âmes des sacrificateurs. »
Les repas funéraires, qui s’inscrivent dans une longue tradition antique,
ont aussi été interprétés 76, et donc condamnés, comme des manifestations
de paganisme. Leur importance sociale est pourtant manifeste 77. Certaines
fouilles de cimetières mérovingiens ont confirmé l’existence de repas partagés sur les tombes des défunts. Les cendres, les os d’animaux et les tessons retrouvés, par exemple, dans certaines nécropoles des environs de Metz
(Morley, Varangéville, Bouzonville ou Ennery) pourraient bien être les reliefs
de banquets célébrés sur place 78.
La fonction « mémoriale » des repas est particulièrement bien attestée
dans le monde monastique (on conserve également des exemples de chants
interprétés par les moines en de telles occasions 79). Charles le Chauve multiplia les fondations de refectiones dans certains grands établissements monastiques : il s’agissait de repas copieux 80 dont bénéficiaient certaines communautés au jour anniversaire de la mort des parents et des proches du
souverain et au jour anniversaire de son sacre 81 ; les moines étaient réputés
prier Dieu avec d’autant plus d’ardeur qu’ils étaient repus (il s’agit d’un
trait apparemment propre aux temps carolingiens, qui tranche notamment
75. JONAS DE BOBBIO, Vie de saint Colomban et de ses disciples, trad. Adalbert DE VOGÜÉ, Bégrolles-enMauges, 1988, p. 159 (I, 27, § 53).
76. KYLL 1972.
77. Otto Gerhard OEXLE, « Mahl und Spende im mittelalterlichen Totenkult », FMSt 18 (1984), p. 401420.
78. HALSALL 1995, p. 247.
79. Karl HAUCK, « Rituelle Speisegemeinschaft im 10. und 11. Jahrhundert », Studium generale 3
(1950), p. 611-621 ; Gerd ALTHOFF, « Der frieden-, bündnis- und gemeinschaftstiftende Charakter
des Mahles im früheren Mittelalter », dans Irmgard BITSCH, Trude EHLERT & Xenja VON ERTZDORFF
(éd.), Essen und Trinken in Mittelalter und Neuzeit, Sigmaringen, 1987, p. 13-25.
80. Michel ROUCHE, « Les repas de fête à l’époque carolingienne », dans Denis MENJOT (éd.), Manger
et boire au Moyen Âge, t. 1, Paris, 1984, p. 265-296.
81. Eugen EWIG, « Remarques sur la stipulation de la prière dans les chartes de Charles le Chauve »,
dans Rita LEJEUNE & Joseph DECKERS (éd.), Clio et son regard. Mélanges d’histoire, d’histoire de l’art
et d’archéologie offerts à Jacques Stiennon, Liège, 1982, p. 221-233.
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avec l’ascétisme des périodes qui précèdent et suivent immédiatement cet
âge). La dimension liturgique de ces repas semble évidente ; cela ne signifie toutefois pas que la prise quotidienne de la nourriture en commun fut
anodine : elle s’inscrivait certainement dans le prolongement du repas eucharistique 82.
82. SCHMITT 1990, p. 76 ; Stéphane BOULC’H, « Le repas quotidien des moines occidentaux du haut
Moyen Âge », RBPH 75 (1997), p. 287-328.
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Chapitre VII
Culture et communication
Les divers degrés de perception du repas et la culture du boire en commun évoqués au chapitre précédent participent pleinement des modes de
communication de cette époque. Il n’est pas certain que la distinction entre
profane et sacré (ou religieux) soit à cet égard très opérante ; il existe toutefois divers niveaux de culture, qui ressortissent des traditions orales ou
du savoir écrit. C’est dans le milieu savant qu’on observe au mieux la formation et l’expression d’identités culturelles dont il est difficile d’apprécier
dans quelle mesure elles concernent plus particulièrement, voire spécifiquement, telle ou telle catégorie sociale.
Fêtes et spectacles
Le moment privilégié pour boire et pour manger ensemble s’avère la
fête, dont ces formes de convivialité sont d’ailleurs constitutives. Il y avait
des fêtes occasionnelles, liées à un événement particulier, et les fêtes cycliques,
liées notamment au calendrier liturgique (ou à l’organisation de foires, ellesmêmes conditionnées par le calendrier chrétien). Thégan évoque les acteurs
de théâtre, bouffons et mimes, et les musiciens qui venaient à la table de
Louis le Pieux pour réjouir les membres de son entourage lors des grandes
fêtes 1. Il n’y avait pas de fête réussie sans banquet et artiste pour amuser la
galerie : la tradition orale épique du Moyen Âge remonte à cette époque,
où l’importance des jongleurs est indéniable 2.
Le rôle de la musique était essentiel, non seulement pour l’accompagnement (sur un instrument à cordes) des épopées et autres éloges du souverain ou de ses hôtes de marque, mais aussi pour la liturgie royale, pour
l’acclamation du souverain. Ermold le Noir évoque « la trompette (tuba)
de Theuto [qui] retentit et donne le signal aux voix du chœur » dans l’église
1. Thégan rapporte cela au chap. 19 de ses Gesta Hludowici.
2. RICHTER 1994, p. 45 sqq.
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d’Ingelheim 3. Toutefois, l’instrument servant par excellence à l’exaltation
de la sublimité royale était l’orgue ; l’introduction des orgues hydrauliques
chez les Francs se fit sous l’influence et par imitation de Byzance 4. La part
du chant choral était cependant essentielle. À l’exception des Laudes royales 5,
on connaît assez mal la musique para-liturgique (et encore moins la musique
profane) ; en revanche, le recours aux neumes, bien attesté à partir de la fin
du IXe siècle (afin d’aider le chantre à mémoriser la mélodie apprise par
cœur), permet aux musicologues de reconstituer certains chants liturgiques 6.
Parmi les fêtes exceptionnelles, il y en avait qui revenaient à intervalle
plus ou moins régulier. En Irlande, on peut citer la fête de Tara (Feis Temro)
organisée le 1er novembre sur la colline de Tara, le siège du pouvoir de la
dynastie des Uí Néill. Chaque roi ne célébrait cette fête qu’une seule fois
dans son règne, à un moment qui ne coïncidait pas avec son accession au
pouvoir. Le premier roi dont on peut établir avec certitude qu’il a célébré
cette fête est Ailill Molt, vers la fin du Ve siècle ; le dernier roi s’étant prêté
à ce rituel fut Diarmait, en 558 ou en 560. Ensuite, cette fête, qui avait
pour fonction d’exalter la royauté des Uí Néill, fut remplacée par une assemblée d’une semaine tenue chaque année, au mois d’août, à Tailtiu (Teltown),
à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Tara 7.
Ces fêtes de Tara et de Tailiu peuvent être rapprochées de deux pratiques
du monde carolingien : certains couronnements festifs (Festkrönungen) qui
ne sont pas liés à un avènement 8 et la tenue régulière des plaids. Les rencontres entre souverains donnaient lieu également à l’organisation de réjouissances 9. Les plaisirs de la table ne contribuaient pas uniquement à la réussite d’une rencontre politique ; les chasses faisaient également partie des
réceptions royales 10. Elles mettaient en évidence la vigueur du roi ; en
revanche, les mêlées à l’origine des tournois convenaient mieux à célébrer
l’égalité des participants, sans parler de la maîtrise de leur comportement.
Nithard décrit ainsi les jeux organisés à Worms pour célébrer la concorde
entre Louis le Germanique et Charles le Chauve suite à la prestation des
serments de Strasbourg (février 842) :
3. ERMOLD LE NOIR, Poème sur Louis le Pieux…, éd. et trad. Edmond FARAL, Paris, 1932, p. 176 sqq.
4. Sabine ŽAK, « “Imitatio” vorbildlicher Höfe bei der zeremoniellen Festmusik in Spätantike und
Frühmittelalter », dans ALTENBURG et alii, 1991, p. 481-487. Pour un exemple d’instrument antique,
cf. STIEGEMANN & WEMHOFF 1999, t. 2, p. 862 sqq. (cat. XI.49).
5. Ernst H. KANTOROWICZ, Laudes regiae. A Study in Liturgical Acclamations and Mediaeval Ruler
Worship, with a Study of the Music of the Laudes and Musical Transcriptions by Manfred F. BUKOFZER,
Berkeley, 1958.
6. Susan RANKIN, « Carolingian music », dans MCKITTERICK, 1994, p. 274-316.
7. RICHTER 1996, p. 44.
8. Carlrichard BRÜHL, « Fränkischer Krönungsbrauch und das Problem der “Festkrönungen” », HZ
194 (1962), p. 265-326.
9. VOSS 1987, p. 146 sqq.
10. Cf. infra p. 250 sq.
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« Souvent […] ils se réunissaient pour procéder à des jeux dans l’ordre
suivant. On s’assemblait en un lieu pouvant convenir à ce genre de spectacle, et toute la foule se rangeait sur chaque côté. Tout d’abord, les Saxons,
les Gascons, les Austrasiens, les Bretons se précipitaient en nombre égal,
d’une course rapide, les uns contre les autres, comme s’ils voulaient en venir
aux mains ; puis une partie d’entre eux faisait volte-face et, se protégeant
de leurs boucliers, ils feignaient de vouloir échapper par la fuite à leurs camarades qui les poursuivaient […] ; finalement, les deux rois, à cheval, avec
toute la jeunesse, s’élançant au milieu de grandes clameurs et brandissant
leurs lances, chargeaient parmi les fuyards tantôt les uns, tantôt les autres. »
Nithard loue le caractère admirable de cette rencontre, car « personne
[…] ne s’avisait de faire aucun mal ni de proférer aucune injure à l’égard
de quiconque 11 ».
Niveaux de culture
A priori, ces réjouissances martiales pourraient sembler l’apanage des
laïcs ; il faut toutefois se montrer prudent lorsqu’il s’agit d’analyser les divers
niveaux de références culturelles : la distinction majeure pourrait s’avérer
moins celle entre clercs et laïques que celle entre membres des élites et tout
venant, et encore… pas dans tous les domaines. À cet égard, la similitude
des mélodies entre les chants des moniales de Poitiers et ceux des populations vivant à proximité du monastère, qu’évoque Venance Fortunat, s’avère
tout à fait révélatrice du caractère perméable de la clôture 12 :
« Une fois, lorsque le crépuscule du soir étendait son ombre et que des
personnes du siècle, portant guirlandes et cithares, chantaient à grand
tumulte autour du monastère, alors que la sainte [il s’agit de Radegonde]
avait discouru assez longuement devant deux témoins, une moniale dit par
plaisanterie : “Madame, j’ai reconnu une de mes chansons lancées par des
danseurs.” Elle répondit : “C’est un peu fort que toi qui es liée à la vie
monastique, tu prennes plaisir à entendre l’odeur du siècle.” La sœur insiste
encore : “C’est vrai, Madame, ce sont deux et même trois de mes chansons
que je viens d’entendre, des chansons que j’ai retenues.” La sainte répond :
“Dieu m’est témoin qu’à l’instant je n’ai rien entendu d’un chant dans le
goût du siècle.” Voilà qui est manifeste : bien que vivant par la chair dans
le siècle, elle vivait cependant par l’esprit dans le ciel 13. »
Une autre anecdote, rapportée par Adomnán, offre un éclairage complémentaire. L’hagiographe relate que des hommes absolument pas reli11. NITHARD, Histoire des fils de Louis le Pieux, éd. et trad. Philippe LAUER, Paris, 1926, p. 111 sqq.
(III, 6). Jean-Michel MEHL, Les jeux au royaume de France du XIIIe au début du XVIe siècle, Paris,
1990, p. 66, y reconnaît une description du jeu de barres.
12. Imke LANGE, Teste Deo, me nihil audisse modo saeculare de cantico. « Volk » und « Elite » als kulturelle Systeme in De vita s. Radegundis libri duo, dans GOETZ & SAUERWEIN 1997, p. 20-38.
13. Traduction d’Yves CHAUVIN et de Georges PON dans Robert FAVREAU (éd.), La Vie de sainte
Radegonde par Fortunat. Poitiers, Bibliothèque municipale, manuscrit 250 (136), Paris, 1995, p. 109
(chap. 36).
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gieux, voire des criminels ou des brigands, étaient réunis dans une maison
et chantaient les louanges de saint Columba (laudum carmina et nominis
commemoratio) en langue gaélique, lorsqu’ils furent assaillis par leurs ennemis : ils en réchappèrent grâce à ces chants, qui leur valurent une protection miraculeuse 14. On peut rapprocher cet usage des « vers à chanter au
réfectoire » par les moines le jour de la fête de Colomban (un homonyme
de l’abbé d’Iona), que Jonas de Bobbio joignit à la Vie du saint abbé 15 :
« Tu es grand, ô illustre prêtre, enveloppé d’une auguste gloire.
Tu es la gloire des tiens, Colomban, parfum de l’univers.
Les cohortes des moines t’appelleront leur illustre père.
Sage t’on nommé les grands, prophète t’ont appelé les rois. […] »
On ne peut exclure l’hypothèse que certains laïques s’appropriaient des
cantiques d’usage monastique, qu’ils chantaient dans leur propre langue
– ceci est d’autant plus probable que le chant de certains cantiques religieux permettait aux laïcs d’intervenir en langue vernaculaire 16 (inversement, la musique religieuse médiévale fourmille d’emprunts mélodiques
aux chansons profanes). Les lettrés pouvaient en effet s’inspirer de diverses
traditions ; ainsi, l’abbé de Malmesbury, Aldhelm († 709), était capable de
composer et réciter des poèmes en latin aussi bien qu’en vieil anglais. Un
poème latin composé au IXe ou au Xe siècle, le Waltharius, dont la matière
est à peu près la même que celle du Nibelungenlied, illustre également les
interférences qui pouvaient exister entre les deux traditions culturelles, latine
et germanique. D’après la langue, ce texte ressortit de la culture savante,
mais la manière dont est construit le récit correspond aux références germaniques (notamment la manière dont sont conduits les dialogues entre
les protagonistes 17).
Culture savante et culture populaire
Aux temps carolingiens, la maîtrise du savoir écrit conférait assurément
un certain prestige, comme l’illustre l’anecdote rapportée dans la Conversion
des Bavarois et des Carinthiens concernant le prêtre Ingo, dont il a déjà été
question 18 :
14. Adomnán’s Life of Columba, éd. et trad. Alan O. ANDERSON & Marjorie O. ANDERSON, Oxford,
1991, p. 16 (I, 1 = 9b).
15. JONAS DE BOBBIO, Vie de saint Colomban et de ses disciples, trad. Adalbert DE VOGÜÉ, Bégrolles-enMauges, 1988, p. 169.
16. Wolfgang HAUBRICHS, « Heiligenfest und Heiligenlied im frühen Mittelalter. Zur Genese mündlicher und literarischer Formen in einer Kontaktzone laikaler und klerikaler Kultur », dans
ALTENBURG et alii 1991, p. 133-143.
17. Norbert VOORWINDEN, « Latin words, Germanic thoughts – Germanic words, Latin Thoughts.
The merging of two traditions », dans Richard NORTH – Tette HOFSTRA (éd.), Latin Culture and
Medieval Germanic Europe, Groningue, 1992, p. 113-128, p. 124 sqq.
18. Cf. supra p. 43 sq.
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« Tout le peuple lui fut à un tel point soumis que personne n’osait ignorer son ordre (praeceptum), même s’il avait reçu de lui une feuille sans rien
écrit dessus. »
Cette carta sine litteris a beaucoup intrigué les historiens 19, qu’il s’agisse
d’un parchemin vierge dont la seule présentation faisait autorité – a fortiori, on peut s’imaginer l’impression que devait faire un diplôme aux tailles
imposantes (à peu près le format A3), muni du sceau, voire du monogramme royal, et introduit par des lettres allongées qui en soulignent la
solennité 20 – ou d’un document muni de signes difficilement déchiffrables
(il existait alors en effet des écritures chiffrées 21).
Au cours du haut Moyen Âge, le savoir écrit (culture littéraire héritée
de l’Antiquité, exégèse biblique) devint l’apanage du clergé – bien que certains laïcs, tels Nithard, Dhuoda ou Alfred le Grand soient là pour nous
rappeler à la prudence : hommes et femmes de l’élite pouvaient avoir accès
à cette culture, alors même qu’Asser, le biographe du roi de Wessex, affirme
qu’Alfred était très friand de poèmes en vieil anglais et qu’il les apprenait
par cœur. Le rapport à la culture profane évolua toutefois : l’intérêt des
clercs carolingiens pour les écrits antiques révèle certes une soif de connaissance, mais la plupart du temps, il s’agissait de mettre ces connaissances au
service du mouvement de « correction » qui caractérise la « renaissance »
carolingienne ; la science doit être mise au service du Salut 22.
La supériorité prétendue de la culture latine avait déjà été exprimée par
Venance Fortunat, qui se plaignait de l’inculture des membres de la cour
mérovingienne, incapables de distinguer le vulgaire du pathétique, le braiment de l’âne du chant du cygne : il se moquait de leurs chants barbares
accompagnés du son de la harpe, eux qui n’étaient pas capables d’apprécier
la musicalité de ses poèmes. Or ce trait même interdit d’opposer radicalement culture écrite et culture orale. Qui plus est, pour tous les hommes du
haut Moyen Âge, quel que fût leur niveau intellectuel, il n’y avait qu’une
seule manière de lire : à voix haute. La séparation des mots dans les manuscrits, qui s’impose lentement durant le haut Moyen Âge, s’est avérée une
19. Milko KOS, « Carta sine litteris », MIÖG 62 (1954), p. 97-100.
20. Jan BISTŘICKÝ (éd.), Typologie der Königsurkunden, Olomouc, 1998 ; Hagen KELLER, « Zu den
Siegeln der Karolinger und der Ottonen. Urkunden als Hoheitszeichen in der Kommunikation
des Königs mit seinen Getreuen », FMSt 32 (1998), p. 400-441 ; Peter RÜCK (éd.), Graphische
Symbole in mittelalterlichen Urkunden. Beiträge zur diplomatischen Semiotik, Sigmaringen, 1996 ;
Jochen GÖTZE, « Die Litterae Elongatae. Ein Beitrag zur Formengeschichte und Herkunft der mittelalterlichen Urkundenschrift », AfD 11/12 (1965/66), p. 1-70.
21. Bernhard BISCHOFF, « Übersicht über die nichtdiplomatischen Geheimschriften des Mittelalters »,
dans BISCHOFF 1966-1981, t. 3, p. 120-148.
22. Sur l’enseignement, cf. RICHÉ 1962 ; RICHÉ 1979 ; John J. CONTRENI, « Education and learning
in the early middle ages : new perspectives and old problems », The International Journal of Social
Education 4 (1989), p. 9-25 ; rééd. dans CONTRENI 1992 (n° II). Sur la « renaissance » carolingienne, cf. MCKITTERICK 1994 ; SULLIVAN 1995. Sur les divers niveaux de culture et l’interaction
entre profane et sacré, culture savante et culture populaire, les pages qui suivent doivent beaucoup
à un ouvrage fondamental : RICHTER 1994a. Il y est fait ici référence une fois pour toutes.
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étape fondamentale dans l’histoire de la lecture silencieuse qui n’existe alors
que sous la forme de lecture murmurée, considérée comme une véritable
ascèse 23. Toute culture écrite revêt donc une dimension orale.
Cette culture orale nous est assez bien connue par les récits épiques. Le
chant des carmina rythmait la vie des peuples barbares. Dans sa Germanie,
Tacite mentionne cette pratique avant le déclenchement des batailles.
Certains chants servaient aussi à préserver le souvenir de batailles célèbres ;
c’est le cas du Versus de bella quae fuit acta Fontaneto, un poème rythmique
célébrant la bataille de Fontenoy-en-Puisaye (841), dont le latin est fort
éloigné des canons classiques. Dans un manuscrit dont l’appartenance à
l’abbaye de Saint-Amand est attestée depuis le XIIe siècle, mais qui provient
vraisemblablement de la vallée du Rhin ou de Franconie, on conserve à la
fois la Cantilène de sainte Eulalie (le premier texte en picard, qui date de la
fin du IXe siècle) et le Ludwigslied, qui célèbre la victoire d’un roi Louis
– probablement celle de Louis III à Saucourt, en 881. Ce genre de texte
était interprété par un ioculator, à l’origine (étymologique) du jongleur (en
français) et du Gaukler (en allemand).
Dans un livre paru en 1960 et intitulé : The Singer of Tales, Albert Lord
présente les résultats d’une étude menée en Yougoslavie durant une trentaine d’années, sous l’impulsion de Milman Parry. Il s’agit d’une enquête
sur les chanteurs de contes (guslar), qui s’accompagnaient d’un instrument
à une corde, le gusle. Les contes pouvaient comporter plusieurs milliers de
vers. Ils étaient mémorisés, mais pas de manière figée : la trame était respectée, mais enrichie de petites variantes. La récitation de poèmes entraînait donc à chaque fois une légère révision. L’art des guslar ne pouvait s’acquérir qu’au terme d’une longue période d’observation, par une
mémorisation des formules stéréotypées dont la maîtrise permettait l’improvisation. Les inflexions du récit pouvaient par conséquent dépendre des
goûts de l’auditoire. C’est sur ce modèle qu’il faut s’imaginer la genèse des
chansons de geste comme celle de l’Iliade et de l’Odyssée. La matière des
récits épiques pouvait être constituée d’événements relativement récents
(c’est le cas de la Chanson de Roland, qui tire son origine de la bataille de
Roncevaux, en 778, dont plusieurs indices permettent de penser que la
popularité fut rapidement grande; par ailleurs, Widukind de Corvey évoque
la faide des Babenberg, qui sévit au début du Xe siècle, en se fondant sur la
rumor vulgi, la rumeur publique), ou d’anecdotes remontant beaucoup plus
loin dans le temps, comme c’est le cas de l’Histoire des rois de Bretagne de
Geoffroy de Monmouth, rédigée en 1138, qui développe la figure d’Arthur
à partir de mentions éparses plus anciennes (notamment l’Historia Brittonum
de Nennius, qui date du début du IXe siècle), ou encore le Nibelungenlied,
mis par écrit au début du XIIIe siècle, dont l’essentiel de l’intrigue a pour
23. Paul SAENGER, Space Between Words. The Origins of Silent Reading, Stanford, 1997.
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cadre le temps des raids hunniques, au Ve siècle. La tradition orale se prête
naturellement à des déformations de l’histoire originelle ; elle n’en est pas
moins un support privilégié de la mémoire 24.
Nous savons que les personnes connaissant les épopées anciennes étaient
tenues en haute estime par la population. C’est ce qu’illustre un extrait de
la Vie de saint Liudger. À propos de l’évangélisation des Frisons, l’auteur
évoque la conversion d’un scop (c’est-à-dire un poète, l’équivalent du scalde
scandinave ou du rhapsode de la Grèce antique) aveugle du nom de Bernlef
« qui était très estimé de ses voisins, parce qu’il était affable et qu’il avait
appris à chanter les hauts faits des anciens et les combats des rois 25 ».
Culture chrétienne et culture profane
Peut-on vraiment considérer qu’à un « refus » de la « culture folklorique » (par « destruction », « oblitération » et « dénaturation ») de la part
des clercs des temps mérovingiens suivit, « à partir de l’époque carolingienne », une « réaction folklorique » qui aurait été « le fait de toutes les
couches laïques 26 » ? L’évolution semble moins linéaire qu’il n’y paraît
– Alcuin ne reprochait-il pas à des moines anglo-saxons d’écouter au réfectoire « non pas le lecteur, mais le joueur de harpe, non pas les sermons des
Pères de l’Église, mais les chansons païennes » ? D’où sa question : « Qu’estce que le Christ a à voir avec Ingeld », un héros germanique 27 ?
L’opposition apparente entre culture orale et culture savante reposant
sur le recours à l’écrit ne coïncide pas avec la dichotomie profane/religieux ;
on observe même de nombreuses interférences 28. Toutefois, certaines pratiques inhérentes à la culture orale étaient en contradiction avec l’éthique
chrétienne, et c’est en fonction de ce hiatus que nous rencontrons des mentions de pratiques condamnées non pas en tant qu’elles relèvent du domaine
de la culture orale, mais en tant que païennes. C’est ainsi qu’à la fin du
VIe siècle, le roi Childebert Ier publia un édit dans lequel il condamnait le
chant de cantiques profanes parce qu’il était lié à des séances de soûlerie
collective qui avaient lieu lors de grandes fêtes religieuses (Noël, Pâques)
ou le dimanche. Ce n’était pas les chants en soi qui offensaient Dieu, mais
24. Johannes FRIED, « Die Königserhebung Heinrichs I. Erinnerung, Mündlichkeit und Traditionsbildung im 10. Jahrhundert », dans Michael BORGOLTE (éd.), Mittelalterforschung nach der Wende
1989, Munich, 1995, p. 267-318 ; id., « Mündlichkeit, Erinnerung und Herrschaft. Zugleich zum
Modus “De Heinrico” », dans Joseph CANNING & Otto Gerhard OEXLE (éd.), Political Thought
and the Realities of Power in the Middle Ages, Göttingen, 1998, p. 9-32 ; Matthew INNES, « Memory,
orality and literacy in an early medieval society », PP 158 (1998), p. 3-36.
25. Stéphane LEBECQ, « Entre tradition orale et littérature héroïque : le cas du scop frison Bernlef »,
Médiévales 20 (1991), p. 17-24.
26. Jacques LE GOFF, « Culture cléricale et tradition folkloriques dans la civilisation mérovingienne »,
Ann. ESC 22 (1967), p. 780-791.
27. GOUREVITCH 1992, p. 30.
28. On trouvera une présentation de la question et la bibliographie dans DEPREUX 2002, p. 724 sqq.
& p. 727 sqq.
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le contexte dans lequel on les chantait. C’est également en raison de la trivialité de certaines histoires que l’assistance aux spectacles était déconseillée,
voire interdite, aux clercs. Il semble toutefois qu’ils les appréciaient autant
que les laïques. D’une certaine manière, la culture orale (et profane, voire
païenne) fut bridée par une volonté politique de discipline.
Le fait que les épopées profanes et les textes antiques véhiculaient des
valeurs réputées païennes suscita une sorte de gêne chez certains, mais pas
tous : Notker le Bègue prétend qu’à la cour de Charlemagne, il y avait un
clerc versé à la fois dans les Saintes Écritures et dans la littérature profane, qui
pouvait composer et interpréter des chants aussi bien religieux que profanes.
Rien ne sert de chercher si ce clerc a réellement existé : ce qui importe, c’est
que Notker tenait la chose pour tout à fait crédible. Selon le témoignage
d’Éginhard, Charlemagne fit mettre par écrit les récits épiques germaniques 29 :
« [Il fit] recueillir et consigner par écrit les lois, transmises jusqu’alors
par tradition orale, de tous les peuples placés sous sa domination. Il transcrivit aussi, pour que le souvenir ne s’en perdît pas, les très antiques poèmes
barbares où étaient chantées l’histoire et les guerres des vieux rois. »
On remarquera le lien implicite que le biographe de Charlemagne établit entre la rédaction du droit et la préservation de l’identité des peuples,
dont on retrouvera explicitement l’association lorsqu’on évoquera les traditions lombardes 30. En revanche, Louis le Pieux se montra hostile aux poetica carmina gentilia qu’il avait appris dans sa jeunesse : Thégan affirme
qu’il ne voulut plus « ni les lire, ni les entendre, ni les enseigner ». S’agit-il
des barbara et antiquissima carmina évoqués par Éginhard, c’est-à-dire des
poèmes épiques de la tradition orale ? Ou bien Louis le Pieux visait-il les
auteurs classiques de l’Antiquité romaine, dont le contenu de l’œuvre n’était
pas en harmonie avec l’éthique chrétienne ? Il s’avère impossible de trancher 31 – mais ce qui est certain, c’est que le récit de Thégan illustre le malaise
que pouvaient ressentir certains membres de la cour au début du IXe siècle,
à propos des traditions profanes et/ou païennes. Cette méfiance explique
l’attitude d’Alcuin, qui interdit la lecture de Virgile à ses novices alors que
lui-même s’en était nourri dans sa jeunesse 32.
Culture pratique : la connaissance du droit
Dans les dernières années, la place de l’écrit dans les sociétés du haut
Moyen Âge, notamment le monde carolingien, a fait l’objet d’une atten29. ÉGINHARD, Vie de Charlemagne, éd. et trad. Louis HALPHEN, Paris, 1938, p. 83 (c. 29).
30. Cf. infra p. 214 sq.
31. Dieter GEUENICH, « Die volkssprachige Überlieferung der Karolingerzeit aus der Sicht des
Historikers », DA 39 (1983), p. 104-130.
32. Gernot WIELAND, « Alcuin’s Ambiguous Attitude Towards the Classics », The Journal of Medieval
Latin 2 (1992), p. 84-95.
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dans les pratiques administratives et juridiques 33. Quelle que fût la manière
dont les gens avaient accès au droit, par la consultation de recueils (dont
l’application concrète de la teneur est controversée 34), par l’audition de lectures publiques ou tout simplement par ouï-dire, force est de reconnaître
qu’il était connu de tout un chacun 35 – et pas uniquement des rachimbourgs et des échevins, ces professionnels du droit qui les remplacèrent dans
le monde carolingien au tournant du VIIIe et du IXe siècle. Citons un seul
exemple. Dans l’Edit de Pîtres du 25 juin 864, Charles le Chauve dénonce
une dérive dont on lui a fait rapport 36 :
« Certains individus bien légers originaires des comtés dévastés par les
Normands, dans lesquels ils avaient leurs biens, leurs dépendants (mancipia) et leurs maisons, font le mal en y étant presque autorisés (quasi licenter), parce que – à ce qu’ils disent – ils n’ont rien qui puisse servir à les faire
comparaître en justice ; parce qu’ils n’ont pas de maisons où l’on puisse les
citer à comparaître et les y contraindre selon la loi ; ils disent […] qu’ils ne
peuvent pas être jugés légalement (legaliter). »
Pour le moins s’agissait-il de personnes bien au fait des procédures judiciaires. L’ancien droit franc 37 prévoyait en effet que quiconque voulait
convoquer une personne en justice devait se rendre chez elle (ad domum)
avec des témoins ; si la personne en question était absente, la convocation
devait être signifiée à son épouse ou à quelque membre de sa familia – d’où
l’évocation des mancipia dans le capitulaire de Charles le Chauve.
Mais en quelle langue plaidait-on ? Si les lois continentales sont rédigées en latin, force est de reconnaître l’importance des termes d’origine vernaculaire dans le vocabulaire juridique – il n’est donc pas incongru de penser que pour bien des participants aux assemblées judiciaires, le recours à
la langue vernaculaire était naturel 38. Les interférences linguistiques dont
témoignent les textes juridiques reflètent en tout cas la variété des modes
de communication et des références culturelles qui y étaient associées durant
le haut Moyen Âge 39.
33. MCKITTERICK 1989 ; MCKITTERICK 1990.
34. Cf. Raymund KOTTJE, « Zum Geltungsbereich der Lex Alamannorum », dans BEUMANN &
SCHRÖDER 1987, p. 359-377 ; Clausdieter SCHOTT, « Zur Geltung der Lex Alamannorum », dans
Pankraz FRIED & Wolf-Dieter SICK (éd.), Die historische Landschaft zwischen Lech und Vogesen.
Forschungen und Fragen zur gesamtalemannischen Geschichte, Augsbourg, 1988, p. 75-105.
35. Wilfried HARTMANN, « Rechtskenntnis und Rechtsverständnis bei den Laien des frühen
Mittelalters », dans Hubert MORDEK (éd.), Aus Archiven und Bibliotheken. Festschrift für Raymund
Kottje zum 65. Geburtstag, Francfort/Main, 1992, p. 1-20.
36. Capitularia regum Francorum, t. 2, éd. Alfred BORETIUS & Viktor KRAUSE, Hanovre, 1893, p. 313
(n° 273, chap. 6).
37. Pactus Legis salicae, titre 1 (de manire), § 3 (cette disposition n’est pas reprise dans la version en
100 titres).
38. Ruth SCHMIDT-WIEGAND, « Stammesrecht und Volkssprache in karolingischer Zeit », dans BEUMANN
& SCHRÖDER 1978, p. 171-203.
39. Ruth SCHMIDT-WIEGAND, « Die volkssprachigen Wörter der Leges barbarorum als Ausdruck
sprachlicher Interferenz », FMSt 13 (1979), p. 56-87.
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Les langues
En adoptant le latin comme langue cultuelle, l’Église a largement contribué à son maintien et à son étude. Ceci est d’autant plus vrai pour les régions
qui n’avaient pas été romanisées. Durant le très haut Moyen Âge, dans les
régions romanisées, la prédication avait lieu en latin – ce qui ne signifie pas
pour autant que son contenu fût forcément de haut niveau. En effet,
Grégoire le Grand se plaignait que ses Moralia in Job avaient pu faire l’objet d’une lecture devant une assemblée de niveau médiocre : seule la langue
était par conséquent comprise, mais pas l’idée qu’elle exprimait. Bientôt
allait venir le temps où, dans certaines régions pourtant romanisées, même
la compréhension du latin poserait problème.
Les communautés linguistiques
En matière d’évolution linguistique 40, la question essentielle n’est pas
celle, autrefois posée par Ferdinand Lot, de savoir quand on a cessé de parler latin en Gaule (du point de vue purement grammatical, force est de
constater que le latin du VIe siècle s’écarte déjà sensiblement des canons
classiques), mais celle de savoir quand on a cessé de comprendre le latin en
Gaule (M. Richter). On peut alors déplacer le point de rupture des temps
mérovingiens aux temps carolingiens. Comme le note J. Fontaine, « la distinction entre latin et roman n’était sans doute pas aisée pendant une longue
phase de transition où la différence de degré n’était pas encore parvenue à
se constituer en véritable différence de structure linguistique 41 ».
Les recommandations des Pères du concile de Tours de 813 et le texte
des serments de Strasbourg peuvent être considérés comme des jalons importants. Il convient toutefois de ne pas se méprendre sur leur portée. La recommandation conciliaire de prêcher en langue vernaculaire, « en langue
romaine rustique ou germanique », ne signifie pas que le latin n’était plus
compris, mais qu’une telle prédication permettait à tous une compréhension plus facile. Il n’empêche que les troupes de Charles le Chauve et celles
de Louis le Germanique, une génération plus tard, parlaient manifestement
des langues différentes : au témoignage de Nithard, chaque groupe s’exprimait dans sa « propre langue » (propria lingua) – c’est ainsi que Charles
présenta à ses hommes les conditions de l’accord en langue romane et s’engagea envers son frère en langue germanique, pour être compris des hommes
de ce dernier, et inversement (notons que les deux rois, à l’évidence, maî40. À ce propos, les travaux de Michel BANNIARD sont fondamentaux, cf. BANNIARD 1989 ; BANNIARD
1992 ; id., « Latin et communication orale en Gaule franque : Le témoignage de la Vita Eligii »,
dans FONTAINE & HILLGARTH 1992, p. 58-79 ; id., « Seuils et frontières langagières dans la Francia
romane du VIIIe siècle », dans JARNUT et alii 1994, p. 171-191.
41. Jacques FONTAINE, « De la pluralité à l’unité dans le “latin carolingien” ? », dans Nascita dell’Europa
1981, t. 2, p. 765-805, à la p. 797 note 43.
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trisaient les deux langues). La distinction linguistique est alors consommée,
mais ce repère de 842 n’en est pas vraiment un : s’il est vrai que les serments
de Strasbourg sont de précieux monuments de l’histoire des langues vernaculaires, il est aussi évident que les parlers germaniques étaient (depuis
longtemps, c’est-à-dire depuis l’installation des populations germaniques
dans ces contrées) prépondérants dans les régions sises au-delà du limes
(d’où était issue une bonne partie des troupes de Louis le Germanique).
Par conséquent, les changements essentiels concernent les pays actuellement de langue allemande ayant fait autrefois partie du monde romain ;
tout s’est joué durant le haut Moyen Âge (les évolutions postérieures au
IXe siècle s’avèrent assez ponctuelles 42). Dans les pays romanisés, la séparation du latin et de la langue vernaculaire se fit lentement, au cours d’un
très long VIIIe siècle – de manière plus rapide dans les régions septentrionales, plus lente au sud. Dans la région de Coire, au début du IXe siècle,
l’évêque Remedius, qui compléta la Lex Romana Curiensis, était toutefois
encore en mesure de demander à ses prêtres d’en faire une lecture commentée à leurs ouailles deux fois par mois : il s’agit d’un indice du maintien du latin dans ces contrées.
Quant aux inscriptions irlandaises dans l’alphabet dit ogam, attestées
du Ve au VIIe siècle (mais dont la majeure partie date du VIe siècle), elles sont
présentes non seulement dans le Sud et le Sud-Ouest de l’Irlande, mais aussi
au sud-ouest du pays de Galles (dans le comté de Pembroke). L’écriture
ogam, employée pour célébrer le souvenir des défunts de haut rang, est
constituée d’encoches (pour les voyelles) et de traits plus longs (pour les
consonnes) placés sur une ligne formée par l’arête de la pierre. Leur présence dans le pays de Galles témoigne d’une installation durable de populations irlandaises jouissant d’un certain prestige et du maintien de leur
langue d’origine – ou pour le moins de la survivance de cette langue dans
le contexte de la liturgie funéraire 43.
Le latin : d’une langue vernaculaire à un langage savant
En Irlande, il semble que le rayonnement du monastère de Bangor, au
siècle, ait contribué à l’uniformisation de la langue vernaculaire et de
l’écriture 44, telles qu’elles apparaissent par exemple dans le Livre d’Armagh
copié en 807. La politique de réforme et d’uniformisation du latin aux
temps carolingiens, qui devait tant aux érudits insulaires, contribua, quant
à elle, à dissocier la langue vernaculaire de la langue savante dans les régions
romanes.
VIIIe
42. Cf. la carte publiée dans MUSSET 1969, p. 175.
43. RICHTER 1996, p. 39 ; CHARLES-EDWARDS 2000, p. 163-172.
44. RICHTER 1996, p. 24.
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La restauration de la grammaire classique aux temps carolingiens joua
un grand rôle dans la distinction entre les divers niveaux de langue. Ceci
est très nettement illustré par la rédaction d’une nouvelle Vie de saint Riquier
par Alcuin, en 801 : les moines de Saint-Riquier disposaient d’un texte
hagiographique mérovingien pour l’édification du peuple, mais ils souhaitaient disposer d’une version meilleure destinée à leurs propres usages 45.
Lorsqu’on voulait se faire comprendre du peuple, il fallait ainsi adapter son
style à un auditoire illettré ; le fait que l’archevêque Hincmar de Reims rédigea sa Vie de saint Remi à la fois à l’attention des lettrés et de tous n’en
apporte pas véritablement le contre-exemple, puisqu’il avait distingué les
passages dont la lecture était réservée aux initiés (les illuminati) et ceux qui,
moins ardus, pouvaient être lus à tous 46.
Les niveaux de culture ne s’expriment pas uniquement par la qualité de
la syntaxe, mais aussi par la manière de parler 47. Les gens du haut Moyen
Âge s’avéraient sensibles à l’adéquation entre la prononciation et le rôle
social tenu ou la fonction exercée. Ainsi, Grégoire de Tours relate que les
membres de son clergé furent choqués de la manière dont un prêtre, à qui
l’évêque de Tours avait demandé de le remplacer pour dire la messe, avait
célébré : il avait prononcé rustice (c’est-à-dire à la manière d’un paysan) les
festiva verba de la liturgie. Or les sermons et autres textes devaient émouvoir l’assemblée, comme du temps d’Augustin ou d’Ambroise. Néanmoins,
il convenait de ne pas parler de manière théâtrale dans les églises, comme
le prouve un canon du concile anglo-saxon de Clovesho, en 747, où il est
demandé aux prêtres de parler simplement, et de ne pas imiter les poètes.
Le recours à la traduction
Grande était la variété des langues, même au sein d’un royaume. Le latin
pouvait faire office de langue commune, mais les différences de prononciation devaient en rendre la compréhension parfois difficile. Les missionnaires, tels Colomban ou Boniface, furent confrontés à ces difficultés 48.
Nous savons qu’on recourait parfois aux services d’interprètes et aux traductions ; Bède le Vénérable en recommande par exemple l’emploi dans le
45. Pour une présentation de la production hagiographique d’Alcuin, cf. Christiane VEYRARD-COSME,
« Typologie et hagiographie en prose carolingienne : mode de pensée et réécriture. Étude de la Vita
Willibrordi, de la Vita Vedasti et de la Vita Richarii d’Alcuin », dans Dominique BOUTET & Laurence
HARF-LANCNER (éd.), Écriture et modes de pensée au Moyen Âge (VIIIe-XVe siècles), Paris, 1993, p. 157186.
46. Wolfert S. VAN EGMONT, « The Audience of Early Medieval Hagiographical Texts : Some Questions
Revisited », dans MOSTER 1999, p. 41-67, p. 53 sqq.
47. À ce propos, cf. Michael RICHTER, « Urbanitas – rusticitas : linguistic aspects of a mediaeval dichotomy », dans BAKER 1979, p. 149-157.
48. Michel BANNIARD, « Credo et langage : les missions de saint Boniface », dans DIERKENS &
SANSTERRE 2000, p. 165-187 – cette étude présente de manière exemplaire la variété des formes
de communication et des niveaux de culture. Cf. également PADBERG 1995, p. 140 sqq.
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cadre de la prédication (les dons miraculeux de Cædmon, un frère illettré
de l’abbaye de Whitby qui s’adonnait en quelque sorte au Gospel en chantant dans sa propre langue l’histoire sainte après qu’on la lui eut expliquée,
en offrent une illustration 49), mais les témoignages sont assez ténus. Sur le
continent, on ne conserve par exemple qu’un seul sermon en édition
bilingue : l’exhortatio ad plebem christianam, transmise par deux manuscrits.
Tous les textes rédigés en langue vernaculaire 50 ne sont pas des traductions
stricto sensu, mais la plupart du temps, il s’agit d’adaptations de textes préexistants, notamment bibliques. Qu’on songe au Heliand, à l’adaptation du
récit des origines dans Genesis, au poème eschatologique Muspilli, ou à
diverses prières, telle celle de Wessobrunn – sans parler du Credo et du Pater
noster, dont on conserve des versions en langue germanique dès la fin du
VIIIe siècle. Il s’agissait de rendre la parole de Dieu accessible même aux personnes ne comprenant pas le latin, comme l’affirme Otfrid de Wissembourg
dans la préface de son Liber Evangeliorum – quitte à gauchir un peu la teneur
du message pour l’adapter à l’univers mental de l’auditoire. Ces textes participent de l’œuvre de prédication 51 ; ils furent réalisés à des fins catéchétiques et missionnaires. Ce n’était en revanche pas le cas de la Règle de saint
Benoît, dont on conserve à Saint-Gall une version latine avec traduction
interlinéaire 52. Comme l’a montré M. Banniard, le recours à la langue vernaculaire pour le commentaire d’un texte difficile en permettait une meilleure
compréhension – c’est ce qu’illustre l’épisode de la visite de Boniface au
monastère de Pfalzel, lorsqu’il interrogea le jeune Grégoire, qui deviendrait
son disciple, sur le sens de la lecture du texte sacré qu’il avait faite au réfectoire : Grégoire fut déconcerté par la demande de Boniface, qui attendait
de lui un commentaire « selon sa propre langue » ; Boniface tira parti de
l’embarras du jeune homme pour se livrer lui-même à l’exégèse du texte en
langue vernaculaire, à la grande satisfaction de son auditoire.
Conscience identitaire
Les langues font partie des critères de distinction des peuples. D’ailleurs,
selon Isidore de Séville, les gentes tirent leur origine des langues, et non n’inverse 53 : on ne saurait mieux souligner la dimension culturelle de l’identité ethnique durant le haut Moyen Âge, un aspect de l’histoire sociale de
49. Bède le Vénérable relate l’histoire de Cædmon au livre IV, chap. 24 de son Histoire ecclésiastique
du peuple anglais.
50. Panorama dans Cyril EDWARDS, « German vernacular literature : a survey », dans MCKITTERICK
1994, p. 141-170 ; cf. également HAUBRICHS 1988.
51. R. Emmet MCLAUGHLIN, « The word eclipsed ? Preaching in the early middle ages », Traditio 46
(1991), p. 77-122, aux p. 117 sqq.
52. Stefan SONDEREGGER, « Althochdeutsch in St. Gallen », dans OCHSENBEIN 1999, p. 205-222.
53. Walter POHL, « Telling the difference : signs of ethnic identity », dans POHL & REIMITZ 1998,
p. 17-69 (citation des Étymologies p. 17 sq.).
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cette époque ayant fait l’objet d’un profond renouvellement historiographique dans les dernières décennies 54. On pourrait multiplier les angles
d’approche de ce phénomène complexe 55. La réflexion des historiographes
du haut Moyen Âge, en particulier, reflète la formation des identités « nationales », sur laquelle les événements politiques furent également de quelque
incidence 56 – ce fut notamment le cas chez les Francs des IVe-VIe siècles,
dont l’intégration dans le monde romain constitue l’élément fédérateur 57,
et chez les Saxons du Xe siècle une fois les Liudolfides montés sur le trône 58.
Nous évoquerons plus loin la part accordée au passé par les lettrés du haut
Moyen Âge ; mais tout d’abord, il convient d’étudier l’influence du droit
et de la religion en la matière, sur laquelle la documentation lombarde offre
un éclairage particulièrement intéressant.
Les principes d’ethnogénèse : l’exemple lombard
Le lien entre loi et mémoire historique est particulièrement manifeste
dans le cas de l’Edit de Rothari (643). Le roi avait fait procéder à une enquête
pour rétablir l’ancien droit (il n’était pas le seul à vouloir restaurer des usages
qui n’avaient pas encore été couchés par écrit) ; il entendait par conséquent
s’inscrire dans la continuité des souverains lombards, dont il fit placer une
liste en tête de sa législation. Cette généalogie constitua le noyau à partir
duquel un auteur, qui écrivait probablement à la génération suivante, composa l’Origo gentis Langobardorum, un texte dont la tradition manuscrite
est exclusivement liée à celle de l’Edit. Ce récit relate la migration des
Lombards depuis la Scandinavie jusqu’en Italie, où ils s’installèrent définitivement. Il s’agit, sous la forme d’une généalogie royale, de la présentation
de l’ethnogénèse de ce peuple, qui tire son nom d’un mythe et dont l’identité s’est formée au fil des combats qui l’opposèrent à ses voisins. L’étude
conjointe de ce document fort riche, qui se fonde sur des traditions orales
(autrefois traduites en images sur l’ordre de la reine Théodelinde pour déco54. Walter POHL, « Conceptions of Ethnicity in Early Medieval Studies », Archaeologia Polona 29
(1991), p. 39-49 ; rééd. dans LITTLE & ROSENWEIN 1998, p. 15-24 ; GEARY 2001 ; pour un exemple
d’application, cf. WOLFRAM 1990.
55. Cf. par exemple Alfred P. SMYTH, « The Emergence of English Identity, 700-1000 », dans SMYTH
1998, p. 24-52.
56. Sur le rapport entre les peuples et leurs territoires, cf. Johannes FRIED, « Gens und regnum.
Wahrnehmungs- und Deutungskategorien politischen Wandels im früheren Mittelalter.
Bemerkungen zur doppelten Theoriebindung des Historikers », dans Jürgen MIETHKE & Klaus
SCHREINER (éd.), Sozialer Wandel im Mittelalter. Wahrnehmungsformen, Erklärungsmuster,
Regelungsmechanismen, Sigmaringen, 1994, p. 73-104 ; Hans-Werner GOETZ, « Zur zeitgenössischen Terminologie und Wahrnehmung ostfränkischer Ethnogenese im 9. Jahrhundert », MIÖG
108 (2000), p. 85-116.
57. Ian WOOD, « Defining the Franks : Frankish Origins in Early Medieval Historiography », dans
Simon FORDE, Lesley JOHNSON & Alan V. MURRAY (éd.), Concepts of National Identity in the Middle
Ages, Leeds, 1995, p. 47-57 ; WOOD 1998.
58. Matthias BECHER, Rex, Dux und Gens. Untersuchungen zur Entstehung des sächsischen Herzogtums
im 9. und 10. Jahrhundert, Husum, 1996.
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rer le palais de Monza 59) dont l’origine se perd dans la mémoire, et de
l’Histoire des Lombards de Paul Diacre 60 permet non seulement de retracer
les pérégrinations de ce peuple via l’île de Gotland, Rügen et le Mecklembourg, leur confrontation aux Burgondes, aux Antes et aux Bohémiens,
leur passage dans la Puszta et en Pannonie 61, mais aussi de reconstituer les
bouleversements socio-religieux qu’ils connurent lors du départ de
Scandinavie 62, passant probablement d’un régime matriarcal à un régime
patriarcal, dont l’adoption par Wotan (par le fait de les nommer, à la suite
d’un travestissement peut-être rituel) pourrait être l’expression du délaissement des dieux de la fertilité (les Vanes, auxquels appartenait Freia, qui
peut être assimilée à Vénus comme en témoigne l’équivalence « friday
= Freitag = vendredi = dies Veneris ») en faveur des dieux de la guerre
qu’étaient les Ases (représentés ici par Wotan, alias Odin).
Paul Diacre parlait de l’Origo gentis Langobardorum comme d’une « fable
ridicule », mais il prit soin de s’en inspirer, car l’anecdote de la victoire des
Winniles sur les Vandales grâce au soutien de Wotan, qui leur donna leur
nom suite à la ruse de son épouse Freia, était constitutive de l’identité du
peuple des Lombards – un épisode auquel il était inconcevable de renoncer. Loup de Ferrières intégra ce texte à la compilation juridique que lui
avait commandée Evrard de Frioul dans les années trente du IXe siècle 63.
Or la tradition manuscrite de ce recueil est particulièrement éclairante :
alors que la version diffusée en Saxe (elle est connue par un manuscrit de
Gotha copié à Fulda au début du XIe siècle) contient un récit remanié au
début du IXe siècle à l’attention de Pépin d’Italie, où la dimension mythologique de l’origine des Lombards est édulcorée, la version diffusée en Italie
(dont témoigne un manuscrit de Modène de la fin du Xe siècle) comprend
le texte originel de l’Origo. Cette divergence s’avère d’autant plus importante qu’il semble bien que l’intérêt historiographique pour le passé lombard se renforça après l’annexion franque du temps de Charlemagne 64.
59. Walter POHL, « Der Gebrauch der Vergangenheit in der Ideologie der regna », Ideologie 1999, t. 1,
p. 149-175, à la p. 172.
60. Sur ce texte, cf. Donald BULLOUGH, « Ethnic History and the Carolingians : an alternative reading
of Paul the Deacon’s Historia Langobardorum », dans HOLDSWORTH & WISEMAN 1986, p. 85-105 ;
rééd. dans BULLOUGH 1991, p. 97-122 ; Walter POHL, « Paulus Diaconus und die Historia
Langobardorum : Text und Tradition », dans SCHARER & SCHEIBELREITER 1994, p. 375-405.
61. Jörg JARNUT, « Zur Frühgeschichte der Langobarden », SM, 3e série, 24 (1983), p. 1-16 ; rééd. dans
JARNUT 2002, p. 275-290.
62. HAUCK 1955 ; HAUCK 1964 ; Jörg JARNUT, « Die langobardische Ethnogenese », dans WOLFRAM
& POHL 1990, p. 97-102 ; rééd. dans JARNUT 2002, p. 29-34 ; Herwig WOLFRAM, « Origo et religio. Ethnische Traditionen und Literatur in frühmittelalterlichen Quellen », dans Wilfried
HARTMANN (éd.), Mittelalter. Annäherung an eine fremde Zeit, Ratisbonne, 1993, p. 27-39.
63. Oliver MÜNSCH, Der Liber legum des Lupus von Ferrières, Francfort/Main, 2001.
64. Walter POHL, « Memory, identity and power in Lombard Italy », dans HEN & INNES 2000, p. 928.
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La loi, critère de distinction
Réginon de Prüm prétendait que les différences ethniques s’exprimaient
par l’origine, les mœurs, la langue et la loi. Ce dernier critère ne fait pas
partie de ceux habituellement retenus. Bien que tous s’avèrent arbitraires
et parfois conditionnés par le contexte politique 65, il se pourrait que le
choix de Réginon reflète une évolution. Les références au droit comme élément de distinction ethnique, par exemple par le biais de la professio legis
(la déclaration de la loi selon laquelle on vivait lors de l’accomplissement
d’un acte juridique), deviennent plus nombreuses au fur et à mesure qu’on
avance dans le haut Moyen Âge (la pratique de la professio legis est bien
connue en Italie ; de manière significative, son apparition est concomitante
de la conquête carolingienne 66). Il n’est toutefois pas certain qu’on dépassait le simple formalisme juridique 67. La question de la réalité de la personnalité des lois (notamment les conditions matérielles d’application du
principe selon lequel chacun devait être jugé selon son droit – par conséquent : la nécessité de disposer partout, ou du moins dans les lieux où le
brassage de populations était le plus intense, de juges compétents en divers
droits) est assez controversée 68 ; on peut d’ailleurs douter du caractère strict
de la distinction ethnique par le biais des pratiques juridiques 69 – à l’exception toutefois de certaines, qui semblent particulièrement liées à tel ou
tel peuple. C’est le cas de l’usage selon lequel on tirait les témoins par l’oreille
(un geste destiné à désigner la personne et à fixer l’événement dans sa
mémoire) : bien qu’il ne s’agisse pas d’une spécificité du droit bavarois, on
peut tenir pour certain que toutes les personnes qui, dans les chartes bavaroises, sont réputées s’être pliées à ce rituel sont en réalité des Bavarois, car
65. Patrick J. GEARY, « Ethnic identity as a situational construct in the early Middle Ages », Mitteilungen
der anthropologischen Gesellschaft in Wien 113 (1983), p. 15-26.
66. Brigitte POHL-RESL, « Ethnische Bezeichnungen und Rechtsbekenntnisse in langobardischen
Urkunden », dans BRUNNER & MERTA 1994, p. 163-171.
67. Walter POHL, « Zur Bedeutung ethnischer Unterscheidung in der frühen Karolingerzeit », dans
HÄSSLER 1999, p. 193-208.
68. Sur la personnalité des lois, cf. Simeon L. GUTERMAN, The Principle of the Personality of Law in the
Germanic Kingdoms of Western Europe from the Fifth to the Eleventh Century, Francfort/Main, 1990.
Sur l’effectivité des lois, cf. par exemple Raymund KOTTJE, « Die Lex Baiuvariorum – das Recht
der Baiern », dans MORDEK 1986, p. 9-23 ; Carl I. HAMMER, Lex scripta in early medieval Bavaria :
Use and abuse of the Lex Baiuvariorum, dans Edward B. KING & Susan J. RIDYARD (éd.), Law in
Mediaeval Life and Thought, Sewanee, 1990, p. 185-195.
69. État de la question dans Philippe DEPREUX, « La loi et le droit. La part des échanges culturels dans
la référence à la norme et les pratiques juridiques durant le haut Moyen Âge », dans Les échanges
culturels au Moyen Âge (XXXIIe Congrès de la SHMES, Boulogne-sur-Mer 2001), Paris, 2002 – sous
presse ; cf. également Roger COLLINS, « Law and Ethnic Identity in the Western Kingdoms in the
Fifth and Sixth Centuries », dans SMYTH 1998, p. 1-23. Si certaines lois semblent plus particulièrement marquées par les traditions germaniques (cf. par exemple SIEMS 1980), force est de reconnaître qu’il s’avère difficile de distinguer les éléments romains de ceux qui ne le sont pas, cf. Ian
WOOD, « Roman Law in the Barbarian Kingdoms », dans ELLEGÅRD & ÅKERSTRÖM-HOUGEN
1996, p. 5-14. Sur la législation romaine, cf. id., « The Code in Merovingian Gaul », dans Jill
HARRIES & Ian WOOD (éd.), The Theodosian Code. Studies in the Imperial Law of Late Antiquity,
Londres, 1993, p. 161-177.
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c’est par ce geste qu’on distinguait les témoins bavarois de ceux qui ne
l’étaient pas, notamment les Slaves 70.
Faire mémoire
La conscience d’appartenir à une même communauté (quelle qu’elle
fût) était renforcée par l’entretien d’une même mémoire 71 (au sens de souvenir du passé) et par l’acte même de « faire mémoire » – avec ses implications liturgiques évidentes dans cette société chrétienne 72, l’Église ayant
été instituée par l’ordre donné par le Christ à ses disciples de réitérer la
Cène : hoc facite in meam commemorationem (1 Cor. 11, 24). Les recherches
récentes de l’école allemande sur la memoria ont profondément renouvelé
l’approche de l’histoire sociale du haut Moyen Âge 73.
Lieux de mémoire
Lorsque Rigobert reçoit de Pépin II le pouvoir de délimiter la villa de
Gernicourt en se promenant durant la sieste de ce dernier, son biographe,
qui écrit à la fin du IXe siècle, fait dire au maire du Palais que cette manière
de procéder est la même que celle de Clovis à l’égard de saint Remi. Ainsi,
l’évêque de Reims se met en route « suivant l’exemple du très saint Remi »,
comme l’observe Flodoard au milieu du Xe siècle. Le chanoine avait la Vita
Rigoberti sous les yeux pour rédiger son Histoire de l’Église de Reims ; en
revanche, la manière dont l’auteur anonyme de cette Vie associe la délimitation du domaine de Gernicourt au souvenir de l’attribution à Remi, par
Clovis, de biens sis en Soissonais – lors de laquelle le saint fit quelques prodiges – permet de penser que la réminiscence du modèle de Remi lui était
venue spontanément à l’esprit : c’était une référence naturelle pour ce clerc
qui, chaque année, était amené à méditer la Vita Remigii 74. Pour un moine
ou un ecclésiastique, les actes de tous les jours s’inscrivaient donc dans la
mémoire des saints.
Les monuments étaient aussi des supports de la mémoire 75, qui pouvaient faire l’objet d’une métamorphose : ainsi, il est probable que les fana
70. WOLFRAM 1995, p. 330.
71. FENTRESS & WICKHAM 1992.
72. SCHMID 1985.
73. À propos du contexte historiographique des recherches sur la memoria, cf. Michael BORGOLTE,
« Memoria. Bilan intermédiaire d’un projet de recherche sur le Moyen Âge », dans SCHMITT &
OEXLE 2002, p. 53-69; sur la memoria en tant que pratique sociale, cf. Michel LAUWERS, « Memoria.
À propos d’un objet d’histoire en Allemagne », ibid., p. 105-126.
74. Vita Remigii episcopi Remensis auctore Hincmaro, éd. Bruno KRUSCH, MGH SS rer. Merov. 3,
Hanovre, 1896, p. 306 sq. (c. 17) ; Vita Rigoberti episcopi Remensis, éd. Wilhelm LEVISON, MGH
SS rer. Merov. 7, Hanovre, 1920, p. 65 (c. 4) ; FLODOARD VON REIMS, Historia Remensis ecclesiae,
éd. Martina STRATMANN, Hanovre, 1998, p. 158 (2, c. 11).
75. WARD-PERKINS 1984, p. 223 sqq.
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présentés comme des temples païens dans les sources concernant l’Angleterre
ou la Frise étaient des sanctuaires romains réemployés par les peuples de
tradition germanique 76. Il a déjà été question plus haut des monastères
familiaux 77 : ils étaient assurément les lieux de mémoire par excellence – les
lieux les plus propices à la célébration de la memoria.
Généalogie et ré-appropriation du passé
Le souvenir des héros d’autrefois était perpétué par les carmina évoqués
plus haut, mais aussi par les généalogies dont la raison d’être était plus politique que motivée par quelque sentiment de piété ; elles avaient notamment pour vocation d’assurer la légitimité des vivants en leur attribuant
parfois une origine mythique et divine 78. Bien évidemment, les récits historiographiques ne sont pas neutres, qu’ils défendent le pouvoir établi, qu’ils
contribuent à asseoir des revendications ou qu’ils témoignent, plus simplement, d’un esprit de clocher ; la manière dont les sources historiographiques furent instrumentalisées a récemment fait l’objet d’un réexamen
profond 79.
Parmi les principaux éléments de la conscience historique que pouvaient
avoir les gens du haut Moyen Âge, le positionnement par rapport à l’héritage romain jouait un rôle prépondérant, ne serait-ce que pour défendre
l’idée d’une indépendance à son égard, et d’une antiquité tout aussi vénérable : l’origine prétendument troyenne des Francs en apporte une magnifique illustration 80. Inversement, alors que les Anglo-Saxons étaient bien
moins redevables aux Romains de leurs structures politiques, grande fut
l’importance de la référence à Rome – en l’occurrence : à la papauté – dans
la constitution de l’identité anglaise 81, en dépit d’une conscience toujours
76. Ian N. WOOD, « Some Historical Re-identifications and the Christianization of Kent », dans
ARMSTRONG & WOOD 2000, p. 27-35, à la p. 30.
77. Cf. supra p. 132 sqq.
78. HAUCK 1955 ; HAUCK 1964 ; Kenneth SISAM, « Anglo-Saxon genealogies », Proceedings of the British
Academy 39 (1953), p. 287-347 ; Hermann MOISL, « Anglo-Saxon royal genealogies and Germanic
oral tradition », JMH 7 (1981), p. 215-248.
79. À titre d’exemples, cf. Hans-Werner GOETZ, « Vergangenheitswahrnehmung, Vergangenheitsgebrauch und Geschichtssymbolismus in der Geschichtsschreibung der Karolingerzeit », dans
Ideologie, 1999, t. 1, p. 177-225 ; GERBERDING 1987 ; Rosamond MCKITTERICK, « Constructing
the past in the early middle ages : the case of the Royal Frankish Annals », TRHS, 6e série, 7 (1997),
p. 101-129 ; Roger COLLINS, « The “Reviser” Revisited : Another Look at the Alternative Version
of the Annales Regni Francorum », dans MURRAY 1998, p. 191-213 ; Bart JASKI, « Kings over
Overkings. Propaganda for Pre-eminence in Early Medieval Ireland », dans GOSMAN et alii 1997,
p. 163-176 ; T. S. BROWN, « Romanitas and campanilismo : Agnellus of Ravenna’s view of the past »,
dans HOLDSWORTH & WISEMAN 1986, p. 107-114.
80. Eugen EWIG, « Le mythe troyen et l’histoire des Francs », dans ROUCHE 1997, t. 1, p. 817-847 ;
Matthew INNES, « Teutons or Trojans ? The Carolingians and the Germanic past », dans HEN &
INNES 2000, p. 227-249.
81. En dernier lieu, cf. Nicholas BROOKS, « Canterbury, Rome and the construction of English identity », dans SMITH 2000, p. 221-247.
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tangible des origines germaniques 82 : l’œuvre de Bède en témoigne. Quant
à la vigueur de l’attachement à Rome éprouvé en Irlande, elle explique peutêtre la place particulièrement grande du souvenir des fondateurs dans les
monastères de l’île ou dans les établissements irlandais sur le continent : il
pourrait s’agir d’une imitation du modèle romain, faisant de l’abbé le successeur du saint fondateur comme le pape est successeur de saint Pierre 83.
Indépendamment du contexte irlandais, on connaît le rôle fondamental
joué par l’origine apostolique (attestée ou légendaire) dans la constitution
de l’identité d’une Église – cela est par exemple manifeste dans la manière
dont Flodoard relate l’histoire de l’Église de Reims, vers le milieu du
Xe siècle 84.
Liturgie du souvenir
À la jonction entre commémoration des actes et des hommes, on peut
citer les cartulaires 85. Certes, la copie plus ou moins raisonnée de chartes
pouvait avoir essentiellement pour vocation de faciliter la gestion des biens
(ce fut le cas à Fulda, Mondsee ou à Wissembourg) ou d’en défendre la
propriété lors d’actions en justice (tel était le cas, à Salzbourg, du Libellus
Virgilii qui servit de modèle à la Notitia Arnonis et aux Breves Notitiae),
mais elle pouvait également revêtir essentiellement une dimension « mémoriale » : le cartulaire de Freising, copié de manière particulièrement soigneuse par le diacre Cozroh sur l’ordre de l’évêque Hitto (811-835), en
apporte l’illustration. En effet, ce cartulaire avait été réalisé « afin que
demeure[nt] à jamais [et] la mémoire de ceux qui enrichirent cette maison
de leurs biens et en firent leur héritière, et tout ce qu’ils remirent et donnèrent à cette même maison pour le salut de leur âme ».
La commémoration des bienfaiteurs (non seulement de la part des établissements bénéficiaires de leurs largesses, mais également, par exemple,
de la part d’affranchis astreints à la célébration de l’anniversaire du décès
de leur ancien maître 86) et, plus généralement, la commémoration des
défunts les rendaient présents aux vivants : ils formaient une même com82. Michael HUNTER, « Germanic and Roman antiquity and the sense of the past in Anglo-Saxon
England », ASE 3 (1974), p. 29-50.
83. RICHTER 1996, p. 69.
84. SOT 1993, p. 357-377.
85. Patrick GEARY, « Entre gestion et gesta », dans Olivier GUYOTJEANNIN, Laurent MORELLE & Michel
PARISSE (éd.), Les cartulaires, Paris, 1993, p. 13-24 ; GEARY 1996, p. 136 sqq. (la traduction du cartulaire de Freising a été modifiée) ; cf. également, pour les aspects diplomatiques, Peter JOHANEK,
« Zur rechtlichen Funktion von Traditionsnotiz, Traditionsbuch und früher Siegelurkunde », dans
CLASSEN 1977a, p. 131-162 ; pour la fonction « mémoriale » du livre : Eric PALAZZO, « Le livre
dans les trésors du Moyen Âge. Contribution à l’histoire de la Memoria médiévale », Ann. HSS
1997, p. 93-118.
86. Michael BORGOLTE, « Freigelassene im Dienst der Memoria. Kulttradition und Kultwandel zwischen Antike und Mittelalter », FMSt 17 (1983), p. 234-250.
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munauté, la communion des saints 87. L’expression liturgique de la communauté des vivants et des morts se traduisait notamment par la récitation
des noms inscrits dans les libri memoriales, qui étaient déposés sur l’autel
durant la célébration de la messe 88 – il arrivait d’ailleurs qu’on grave des
noms à même la table d’autel ou sur les murs du sanctuaire 89.
La neuvième année du règne de Charlemagne, les moines de
Wissembourg, qui souhaitaient faire uniquement mémoire des frères défunts
de leur communauté, conclurent un accord avec leur abbé, l’évêque de
Worms, Erembert, aux termes duquel ils célébreraient une liturgie spéciale
le 28 novembre de chaque année. L’intention dans laquelle, en ce jour, les
moines entendaient s’adonner aux prières exprime bien la nature de cette
communauté des vivants et des morts : tous devaient prier « en demandant
instamment au Créateur de toutes choses, de manière unanime et spéciale,
par de pieuses supplications, que l’œuvre de sa piété nous soit de quelque
utilité en vue du Salut et qu’elle obtienne la béatitude sans fin pour leurs
âmes ». Assurément, ce qui était le « jour de fête de nos défunts » devait permettre aux moines de Wissembourg, dans un élan communautaire les unissant à ceux « qui, à ce que nous croyons, nous ont précédés vers le Seigneur »,
de prier aussi pour eux-mêmes avec une ferveur toute particulière 90.
87. Karl SCHMID & Joachim WOLLASCH, « Die Gemeinschaft der Lebenden und Verstorbenen in
Zeugnissen des Mittelalters », FMSt 1 (1967), p. 365-443 ; Otto Gerhard OEXLE, « Die Gegenwart
der Toten », dans Herman BRAET & Werner VERBEKE (éd.), « Death in the Middle Ages », Louvain,
1983, p. 19-77 ; Giles CONSTABLE, « The commemoration of the dead in the early middle ages »,
dans SMITH 2000, p. 169-195.
88. Otto Gerhard OEXLE, « Memoria und Memorialüberlieferung im früheren Mittelalter », FMSt 10
(1976), p. 70-95. Cf. par exemple Giles CONSTABLE, « The liber memorialis of Remiremont »,
Speculum 47 (1972), p. 261-277 ; rééd. dans CONSTABLE 1979 (n° V).
89. Die Altarplatte von Reichenau-Niederzell, Dieter GEUENICH, Renate NEUMÜLLERS-KLAUSER & Karl
SCHMID (éd.), Hanovre 1983, p. 17 sqq. – table d’autel : Moissac (Tarn-et-Garonne, IXe s.), Minerve
(Hérault, IXe-XIe s.), etc. ; murs du sanctuaire : Parenzo (Istrie, VIe-Xe s.), Monte Gargano (VIIeIXe s.) ; la table d’autel de Reichenau-Niederzell, dont les inscriptions datent des Xe et XIe siècles,
compte environ 300 noms, dont 80 % sont des noms masculins ; près des deux tiers sont des graffitis et le reste est constitué de noms écrits à l’encre ; lorsqu’ils furent inscrits, ces noms étaient probablement ceux de vivants, et non de défunts.
90. Michael BORGOLTE, « Eine Weißenburger Übereinkunft von 776/77 zum Gedenken der verstorbenen Brüder », ZGO 123 (1975), p. 1-15 (édition à la p. 15).
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Chapitre VIII
Pouvoir et autorité
Paul Diacre écrit du roi Alboin (vers 560-572) qu’il « vit la célébrité de
son nom se répandre si largement qu’aujourd’hui encore [c’est-à-dire plus
de deux siècles après sa mort] sa libéralité, sa gloire, ses succès militaires et
sa valeur sont chantés chez le peuple des Bavarois comme chez celui des
Saxons et chez d’autres hommes de même langue 1 ». On aurait pu citer ce
magnifique exemple de carmina, dont la matière était commune à l’ensemble
des peuples germaniques, lorsqu’il s’agissait d’évoquer la culture orale au
chapitre précédent, mais peut-on imaginer meilleure définition de la royauté?
Liberalitas, gloria, felicitas dans la conduite des campagnes militaires, et,
pour couronner le tout : virtus – telles sont assurément les qualités d’un roi.
Toutefois, en dépit de son prestige, le prince ne régnait pas sans partage : conformément à la tradition définie par le pape Gélase vers la fin du
Ve siècle, le pouvoir du roi était tempéré et guidé par l’autorité des évêques 2 :
« Il y a deux pouvoirs par lesquels le monde est régi […] : l’autorité (auctoritas) sacrée des pontifes et le pouvoir (potestas) royal. Le poids des pontifes est plus lourd dans la mesure où ils auront à répondre pour les rois
eux-mêmes au tribunal de Dieu. »
Pouvoir coercitif et autorité sont les deux concepts qui définissent le
cadre légal dans lequel s’inscrit le gouvernement des hommes, à quelque
échelle que ce soit. On en trouve l’illustration dans la notice d’un plaid
tenu à Rižana, en Istrie, au début du IXe siècle.
Le plaid de Rižana (804)
Le document traduit en annexe est tout à fait exceptionnel 3 ; il permet
de cerner quels étaient les diverses manifestations du pouvoir et quels en
1. PAUL DIACRE, Histoire des Lombards, trad. François BOUGARD, Turnhout, 1994, p. 36 (I, 27).
2. LEMARIGNIER 1970, p. 64 ; GUILLOT et alii 1995, p. 35.
3. Cf. infra p. 271 sqq.
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LES SOCIÉTÉS OCCIDENTALES DU MILIEU DU VIE À LA FIN DU IXE SIÈCLE
étaient les enjeux, en un temps et un lieu certes particuliers (l’Istrie au tournant du VIIIe et du IXe siècle ne peut pas être jugée représentative de la situation de l’Empire carolingien à cette époque, a fortiori de l’Occident) – mais,
précisément, les bouleversements liés à l’introduction de la domination
franque dans ce territoire jusqu’alors byzantin, dans un contexte diplomatique complexe et tendu, nous offrent l’occasion rare de saisir sur le vif des
conflits, des revendications, des prétentions que le poids des habitudes nous
voile peut-être ailleurs.
Il s’agit de la notice d’un plaid tenu en 804 par les missi de Charlemagne,
à Rižana, lors duquel 172 témoins se prêtèrent à l’inquisitio du prêtre Izzo
(peut-être un moine de Farfa et probablement le représentant spécial du
roi Pépin d’Italie) et des comtes Cadola (un Alaman, attesté plus tard comme
marquis de Frioul) et Aio (un Lombard particulièrement influent en Frioul,
qui avait participé à la révolte nobiliaire consécutive à la conquête franque,
s’était exilé chez les Avars, mais était finalement rentré en grâce auprès de
Charlemagne). La déposition sous serment de ces 172 témoins fut ensuite
comprise comme une confirmation par serment de l’accord (convenientia)
conclu lors de ce plaid – en témoigne la confirmation par Louis le Pieux,
en 815, dans un diplôme pour le patriarche de Grado, Fortunat 4 :
« Quant au jugement (iudicatum) que les légats de notre seigneur et
géniteur, le prêtre Iz[z]o et les comtes Cadola et Aio, établirent (constituerunt) entre vous en vertu de l’ordre de notre seigneur et géniteur et que
172 primates de votre peuple confirmèrent par serment, si quelqu’un venait
à le violer par quelque désobéissance (contumacia), qu’il sache qu’il sera
puni de la peine spécifiée dans ce jugement, c’est-à-dire qu’il devra payer
9 livres d’or à notre Palais. »
Outre le caractère particulièrement vivant de ce genre de procès-verbal
relatant le déroulement des débats contradictoires, où la rhétorique de la
plaidoirie perce de temps à autre, cette charte est intéressante en ce sens qu’elle
relate comment, de manière classique, ce qui devait être un procès se transforma en un accord où chacun jeta du lest – les plaignants renoncèrent aux
poursuites à condition de revenir aux usages anciens, ce à quoi le patriarche
de Grado (qui occupe une place ambivalente, puisqu’il est à la fois visé par
les plaintes et semble, à un moment, mener les débats), les évêques d’Istrie
et le duc Jean (qui fait véritablement figure d’accusé) consentirent.
Des diverses personnalités mises en cause, le duc Jean suscitait le plus
de rancœur (en témoigne l’inventaire méticuleux de tous les biens en son
pouvoir) : il incarnait les changements politiques récemment introduits à
la faveur du passage de la région sous la domination franque. Le principal
grief qu’avaient les membres de l’aristocratie locale, les homines capitanei
4. Pietro KANDLER, Codice diplomatico Istriano, t. 1, Trieste 1862, rééd. 1986, p. 128 (texte cité par
Stefan ESDERS dans son étude sur le plaid de Rižana, p. 110, note 129 – cf. note 1 de l’annexe, où
cette notice de plaid est traduite).
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représentant le populus, c’est qu’il les avait appauvris – au sens médiéval du
terme : les redevances étaient certes plus lourdes, mais ce que les potentats
locaux ne pouvaient souffrir, c’est qu’on les prive du décorum qui les mettait à l’honneur (on se riait d’eux aux alentours !). Somme toute, ces Francs
ne savaient pas vivre : les agents du duc et des églises les forçaient à rentrer
dans le rang, Jean se servait de leur argent, prétendait que leurs terres relevaient en réalité du fisc, et leur refusait l’honneur d’aller à la cour ; il les
privait de leurs clientèles, méprisait les coutumes fixées par leurs ancêtres
(notamment en ce qui concerne l’impôt et le droit de propriété) ; il jouait
des Slaves contre les maîtres locaux, pour imposer des réseaux de dépendance concurrentiels.
Certes, ces potentats avaient déjà perdu (irrémédiablement) une partie
de leur autonomie : alors que le patriarche de Grado participait autrefois à
l’impôt à même hauteur qu’eux (cela vaut également pour les autres évêques,
mais le document tait ce qu’il en fut exactement), le bénéfice de l’entregent
du prélat, qui se chargeait désormais directement de l’acquittement de certaines obligations envers le pouvoir central, s’était monnayé par la remise
de sa quote-part. L’attitude de Jean à propos des cadeaux royaux participait du même esprit. On sait, grâce à Hincmar de Reims, que la remise des
cadeaux lors des assemblées était le moment privilégié pour accéder au souverain. Évoquant la tenue des plaids généraux, l’archevêque de Reims écrirait en effet deux générations plus tard 5 :
« Tandis que ces délibérations [il s’agit de la préparation des décisions par
la crème de l’aristocratie et les conseillers du prince] avaient lieu en l’absence du roi, celui-ci restant avec la foule recevait les présents, saluait les
grands, s’entretenait avec ceux qu’il voyait rarement, compatissait aux souffrances des vieillards, se réjouissait avec les jeunes gens et s’occupait des autres
choses de même nature tant dans l’ordre spirituel que dans l’ordre séculier. »
La notice du plaid de Rižana montre bien comment les prérogatives de
chacun étaient définies, c’est-à-dire limitées (pensons à l’hébergement du
patriarche à Pula et à celui des missi impériaux dans les cités). La déposition du personnage le plus influent (primas) de Pula est de première importance en ce qui concerne la mise en scène du pouvoir – l’adventus du
patriarche et de sa suite (en témoigne la présence du « maire », le responsable de sa « maison ») donnait lieu au déploiement d’une véritable liturgie, qui culminait dans l’offrande des clefs du palais épiscopal (domus ecclesiae) faisant du patriarche le maître des lieux durant son séjour. Les notables
de Pula et d’ailleurs tenaient à cette mise en scène qui leur permettait d’exprimer leur rang social. Ils revendiquaient également qu’on les consulte et
qu’on maintienne la vie institutionnelle locale.
5. HINCMAR, De ordine palatii, trad. Maurice PROU, Paris, 1884, p. 91 (chap. 35) ; l’édition critique
de référence est celle de Thomas GROSS et Rudolf SCHIEFFER (MGH, Hanovre 1980).
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Le nouveau pouvoir avait remis en cause l’ordre établi. C’est ce que les
notables d’Istrie contestaient ; la protection de Charlemagne, par le biais
de ses missi, leur permit d’en obtenir le rétablissement – à charge pour les
parties de se contrôler mutuellement et de s’obliger au paiement d’une composition au fisc en cas d’infraction à l’ordre rétabli. On tient là un bel
exemple d’équilibre entre pouvoir central et pouvoirs locaux. Le serment
prêté lors de la déposition en justice ne garantissait pas seulement la véracité des dires ; à l’avenir, il obligeait également de manière collective ceux
qui s’étaient soumis à cette procédure.
Le pouvoir royal
On considère généralement que, durant le haut Moyen Âge, on est passé
(à des rythmes différents selon les endroits) d’une conception de la royauté
fondée sur la force martiale (Heerkönigtum) à un pouvoir tirant sa justification de la Providence divine – saint Paul n’avait-il pas affirmé qu’il n’est
pas de pouvoir qui ne vienne de Dieu : non est potestas nisi a Deo (Rom. 13,
1) ? Il convient toutefois de se montrer prudent quant à la nature de la
royauté « germanique » des origines : les rois du haut Moyen Âge sont essentiellement les héritiers des traditions romaines; leur sacralité originelle (Heil),
en particulier, est suspecte – en effet, le paradigme du Königsheil date d’un
point de vue historiographique 6. Il n’empêche que, dans les sociétés païennes
et chrétiennes, le comportement du roi et l’état du royaume étaient associés, l’un ayant une répercussion sur l’autre. C’est ainsi qu’on peut se livrer
à une analyse anthropologique de la royauté qui conduit, par exemple, à
reconnaître une valeur rituelle à certaines formes de régicide ou de mise à
mort des membres d’une famille royale, telle la noyade pratiquée en Irlande 7.
La christianisation de l’institution royale, à laquelle est notamment lié
le rôle croissant du roi dans la nomination des évêques 8, est un processus
complexe 9. Le haut Moyen Âge offre, à cet égard, une évolution d’autant
plus intéressante qu’elle se décompose en deux mouvements inverses : la
distinction du roi et l’association à son pouvoir. On peut interpréter certaines pratiques funéraires anglo-saxonnes comme la traduction spatiale du
caractère extraordinaire (au sens étymologique) du pouvoir royal 10. Mais
par ailleurs, la christianisation de la royauté se traduisit par une exaltation
6. Joachim EHLERS, « Grundlagen der europäischen Monarchie in Spätantike und Mittelalter »,
Majestas 8/9 (2000/2001), p. 49-80.
7. N. B. AITCHISON, « Regicide in early medieval Ireland », dans HALSALL 1998, p. 108-125.
8. Dietrich CLAUDE, « Die Bestellung der Bischöfe im merowingischen Reich », ZRG KA 49 (1963),
p. 1-75.
9. EWIG 1956.
10. Deborah MAUSKOPF DELIYANNIS, « Church Burial in Anglo-Saxon England : The Prerogative of
Kings », FMSt 29 (1995), p. 96-119. Sur les transformations de l’idéologie royale en Angleterre
durant le haut Moyen Âge, cf. WALLACE-HADRILL 1971 ; VOLLRATH-REICHELT 1971.
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de la notion de ministère qui associait les fidèles au roi, devenu leur
modèle 11.
Le roi guerrier
En Irlande, le roi (rí, qui vient de la forme celtique rix d’où l’allemand
« Reich » tire son origine, et qu’il faut rapprocher du latin rex) n’avait pas
de pouvoir judiciaire ou réglementaire. Certes, l’un des deux noms par lesquels on désignait l’agent royal chargé d’exiger ce qui était dû au roi (ou à
une église importante), le rechtaire, témoigne d’une fonction ayant trait au
domaine juridique (Recht) comme c’est également le cas du terme latin
iudex désignant tout agent du pouvoir public dans le monde franc, mais il
s’agissait de faire valoir les droits du roi, et nom d’établir le droit en son
nom – l’autre terme pour désigner cet officier, máer, vient du latin maior 12,
qui a donné « maire » en français. Par conséquent, le champ d’action du
roi, en Irlande, était essentiellement militaire : il devait défendre son peuple
contre les ennemis venus d’ailleurs 13.
Assurément, la force armée était une vertu royale. On en trouve l’expression dans le mode d’investiture des rois lombards : avant la conquête
de l’Italie par les Francs, qui y introduisirent l’usage du couronnement, la
désignation du roi se faisait par la remise d’une lance au nouveau chef de
l’exercitus Langobardorum, au cours d’une assemblée précisément appelée
« plaid des lances » (gairethinx) – de même, l’approbation de grandes décisions (comme la promulgation de l’Edit de Rothari en 643) se faisait par
l’assemblée des hommes en armes, qui manifestaient leur accord en frappant de leur lance leur bouclier 14. La persistance de cet élément guerrier
aux temps carolingiens est illustrée par un récit de vision rédigé par un clerc
de Mayence, du temps de Louis le Germanique (un souverain « guerrier »
par excellence 15) : l’auteur, qui se réfère au témoignage d’Éginhard que lui
aurait transmis Raban Maur, relate comment Charlemagne aurait reçu en
songe une épée dont les mentions (en langue germanique) gravées dessus
constituaient un message divin. Quelle que fût la signification originelle
de ces inscriptions énigmatiques ou l’interprétation qu’on en fit 16, force
11. Nikolaus STAUBACH, « Quasi semper in publico. Öffentlichkeit als Funktions- und Kommunikationsraum karolingischer Königsherrschaft », dans MELVILLE & MOOS 1998, p. 577-608.
12. CHARLES-EDWARDS 2000, p. 256.
13. RICHTER 1996, p. 28. En revanche, sur le roi comme le gardien du droit, cf. Ó CRÓINÍN 1995, p.78 sqq.
14. Stefano GASPARRI, « Kingship rituals and ideology in Lombard Italy », dans THEUWS & NELSON
2000, p. 95-114.
15. Eric J. GOLDBERG, « “More devoted to the equipment of battle than the splendor of banquets” :
Frontier kingship, martial ritual, and early knighthood at the court of Louis the German », Viator
30 (1999), p. 41-78.
16. Patrick GEARY, « Germanic Tradition and Royal Ideology in the ninth Century : The “Visio Karoli
Magni” », FMSt 21 (1987), p. 274-294 ; cf. également Robert FOLZ, Le souvenir et la légende de
Charlemagne dans l’Empire germanique médiéval, Paris, 1950, p. 12.
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est de reconnaître l’importance symbolique de cet objet qui (bien qu’il ne
fasse pas encore partie des attributs iconographiques du roi 17) devient un
élément des regalia au cours du IXe siècle, au prix d’une transformation de
sa signification : de signe de virilité, il devint l’attribut du défenseur de
l’Église 18.
Le principe dynastique
L’origine familiale était essentielle pour l’accession à la royauté : il fallait appartenir à la famille régnante, être du même sang que le roi pour lui
succéder (en allemand, le terme Geblüt, qui signifie « lignée », tire son origine du mot « sang »). C’est ce qu’exprimait le port des cheveux longs chez
les Mérovingiens 19. L’acclamation chez les Francs avait seulement pour raison d’être la reconnaissance de la capacité à régner de celui qui, par sa naissance, y était appelé – d’où la nécessité pour les Carolingiens de recourir
au sacre afin de légitimer leur pouvoir, suite à la déposition de Childéric III
par Pépin le Bref. En Irlande, où tous les parents du roi étaient en droit de
lui succéder et d’être désignés comme son successeur – comme tánaise, c’està-dire « celui qui est attendu » – de son vivant même, un mot spécial (rígdomnae) sert à désigner, à partir du IXe siècle, ceux qui détiennent cette regis
materia, cette qualité royale 20. L’importance de l’appartenance à la famille
régnante est aussi exprimée par le terme vieil anglais cyning 21, qu’on retrouve
dans l’allemand « König » et dont la forme syncopée (cyng) a donné l’anglais « king ». En effet, le suffixe -ing semble désigner « le fils de » celui qui
fait partie du cyn, c’est-à-dire le membre la famille (royale en l’occurrence).
À cet égard, une mention de la Chronique anglo-saxonne s’avère particulièrement intéressante : en 866, les gens de Northumbrie chassèrent le roi
Osberth et se placèrent sous l’autorité d’Ælla, « un roi qui n’était pas de
naissance royale » (ungecyndne cyning 22).
La christianisation de la royauté est couronnée par le sacre 23, qui en est
le « signe » le plus manifeste – ce qui ne veut pas dire que, s’il peut avoir
vocation à protéger la dynastie, il exclut pour autant les membres de l’aris17. Olivier BOUZY, « Les armes, symboles d’un pouvoir politique : l’épée du sacre, la sainte Lance, l’oriflamme, aux VIIIe-XIIe siècles », Francia 22/1 (1995), p. 45-57.
18. Percy Ernst SCHRAMM, Der König von Frankreich. Das Wesen der Monarchie vom 9. zum
16. Jahrhundert. Ein Kapitel aus der Geschichte des abendländischen Staates, t. 1, Darmstadt, 1960,
p. 59.
19. WALLACE-HADRILL 1962, p. 148 sqq.
20. RICHTER 1996, p. 30.
21. HUNTER BLAIR 1956, p. 195-197.
22. Two of the Saxon Chronicles parallel, éd. Charles PLUMMER & John EARLE, Oxford, 1892, p. 20-21
(a. 867) ; The Anglo-Saxon Chronicle, trad. G. N. GARMONSWAY, 2e éd., Londres, 1994, p. 68-69.
23. Robert-Henri BAUTIER, « Sacres et couronnements sous les Carolingiens et les premiers Capétiens.
Recherches sur la genèse du sacre royal français », Annuaire-Bulletin de la Société de l’Histoire de
France, 1987-1988, p. 7-56 ; rééd. dans BAUTIER 1991 (n° II).
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tocratie 24 ou qu’il consolide vraiment le pouvoir royal 25 : en témoigne la
« maladie des Goths » le morbus Gothorum consistant à déposer les rois 26 ;
vers la fin du IXe siècle, l’élection de souverains issus des « entrailles » des
royaumes, comme le dit Réginon, prouve également les limites de l’interdiction que le pape Étienne II est censé avoir formulée en 754 à SaintDemis (Clausula de Unctione Pippini). La défense effective de la dynastie
supposait d’autres moyens, qui visaient d’abord à contrôler l’aristocratie.
Quelles que soient les appréciations qu’on peut porter sur l’efficience du
gouvernement durant le haut Moyen Âge, force est de constater la force de
l’élément personnel dans la relation au souverain 27. Cela s’avère patent dans
la forme que revêtait l’avènement des rois : il a déjà été question des serments de fidélité prêtés par les hommes libres au début d’un règne 28 ; dans
l’Empire carolingien, au début du IXe siècle, l’hommage des grands devint
constitutif de la prise du pouvoir par le nouveau souverain ainsi reconnu
formellement (en témoignent les hommages reçus par Louis le Pieux lorsqu’il se rendit de Doué-la-Fontaine à Aix-la-Chapelle après la mort de
Charlemagne ; de même, lorsque Charles le Chauve eut reçu le duché du
Mans en 838, il s’y rendit et « tous les habitants vinrent se recommander
à lui et lui prêter le serment de fidélité 29 »). On observe aussi la force du
lien personnel avec le roi dans le monde anglo-saxon, puisque c’est par le
même terme qu’on exprime le choix d’un seigneur dont on rejoint la suite
(geceosan to hlaforde) et le choix du roi : geceosan to cyninge 30.
Le ministère royal
L’onction n’est aucunement à l’origine d’un changement de nature de
la royauté 31 – même si le sacre participe de l’exaltation de la dignité royale,
au même titre que les autres éléments de la liturgie royale qui se développent en continuité avec les traditions romaines (ceci s’avère particulièrement patent dans le cas de la monarchie wisigothique 32), ou que d’autres
24. NELSON 1987.
25. Jean DEVISSE, « Le sacre et le pouvoir avant les Carolingiens, l’héritage wisigothique », dans Le sacre
des rois, Paris, 1985, p. 27-38 ; Michel ZIMMERMANN, « Les sacres des rois wisigoths », dans ROUCHE
1997, t. 2, p. 9-28.
26. L’expression est de « Frédégaire » (Chronique IV, 82).
27. Johannes FRIED, « Der karolingische Herrschaftsverband im 9. Jh. zwischen “Kirche” und
“Königshaus” », HZ 235 (1982), p. 1-43; Hans-Werner GOETZ, « Staatlichkeit, Herrschaftsordnung
und Lehnswesen im ostfränkischen Reich als Forschungsprobleme », dans Feudalesimo 2000, t. 1,
p. 85-143.
28. Cf. supra p. 156.
29. NITHARD, Histoire des fils de Louis le Pieux, éd. et trad. Philippe LAUER, Paris, 1926, p. 27 (1, 6).
30. VOLLRATH-REICHELT 1971, p. 55.
31. À cet égard, une étude s’avère fondamentale : EWIG 1956. Cf. également ULLMANN 1969; WALLACEHADRILL 1971.
32. Pablo C. DIAZ & M. R. VALVERDE, « The theoretical strength and practical weakness of the Visigothic
monarchy of Toledo », dans THEUWS & NELSON 2000, p. 59-93.
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usages encore (par exemple, les règles iconographiques soulignant l’appartenance du souverain – désigné par la main de Dieu – à une autre sphère
que le reste des mortels 33). Alors même que l’élection divine exprimée par
le sacre mettait le roi à part en le « consacrant », la réflexion idéologique
sur la nature du pouvoir royal chrétien permit au contraire d’y associer très
largement le populus en développant l’idée de ministère royal, c’est-à-dire
l’idée d’un « service » de la communauté politique (à l’instar de l’Église,
corps mystique du Christ selon saint Paul), en vertu de quoi chacun, « en
son lieu et à sa place », participe au pouvoir royal 34. En effet, aux temps
carolingiens, le roi devint tout à la fois « un roi oint et un roi ministériel 35 ».
« Ministériel », le roi l’était toutefois déjà depuis longtemps ; le changement
qui intervint alors n’était dû qu’à la surenchère que représentait le sacre.
Cette réflexion chrétienne sur la nature du pouvoir royal est déjà bien
attestée au VIe siècle 36. Grégoire le Grand, qui rappelait par exemple au roi
wisigoth Reccarède que ce dernier était un minister Dei, un « serviteur de
Dieu », marqua de son empreinte l’idéologie royale 37. Se faisant l’écho de
l’importance du respect de la justice pour le maintien de l’ordre et de la
paix (une idée augustinienne s’il en est), il avait écrit aux rois mérovingiens
Thierry II et Théodebert II que « le bien suprême, chez les rois, est de cultiver la justice et de préserver à chacun ses droits ». Déjà, le roi Gontran,
dans son Edit de 585, avait affirmé qu’il croyait plaire à Dieu lorsqu’il préservait les justitiae jura (on pourrait bien évidemment aussi remonter à la
lettre de saint Remi à Clovis, où l’évêque exhortait le roi à faire régner la
justice). Ce devoir d’être juste fut présenté par Isidore de Séville comme
l’élément constitutif du pouvoir royal. Sa définition s’avéra fondamentale
à l’époque carolingienne, ainsi qu’en témoigne l’emploi (comme d’une
arme) qu’en fit à plusieurs reprises l’évêque Jonas d’Orléans, aux alentours
de 830, notamment au début de son traité sur l’institution royale 38 :
« Le roi tire son nom du fait d’agir droitement. Si en effet il règne avec
piété, justice et miséricorde, c’est à juste titre qu’on l’appelle roi; s’il manque
à ces vertus, il perd le nom de roi. »
33. Dominique ALIBERT, « La majesté sacrée du roi : images du souverain carolingien », Histoire de l’art
5/6 (1989), p. 23-36 ; id., « Sacre royal et onction royale à l’époque carolingienne », dans Jacqueline
HOAREAU-DODINAU & Pascal TEXIER (éd.), Anthropologies juridiques. Mélanges Pierre Braun,
Limoges, 1998, p. 19-44 ; Christiane RAYNAUD, Le commentaire de document figuré en histoire médiévale, Paris, 1997, p. 141 sqq. ; Mariëlle HAGEMAN, « Between the Imperial and the Sacred : The
Gesture of Coronation in Carolingian and Ottonian Images », dans MOSTERT 1999, p. 127-163.
34. Olivier GUILLOT, « Une ordinatio méconnue. Le capitulaire de 823-825 », dans GODMAN & COLLINS
1990, p. 455-486 ; Matthew KEMPSHALL, « No bishop, no king : the ministerial ideology of kingship and Asser’s Res gestae Aelfredi », dans GAMESON & LEYSER 2001, p. 106-127.
35. Jacques LE GOFF, « Roi », dans LE GOFF & SCHMITT 1999, p. 985-1004.
36. Sur ce qui suit, cf. EWIG 1956.
37. Sur l’importance de ce pape, cf. Bruno JUDIC, « La tradition de Grégoire le Grand dans l’idéologie politique carolingienne », dans LE JAN 1998, p. 17-57.
38. JONAS D’ORLÉANS, Le métier de roi (De institutione regia), éd. et trad. Alain DUBREUCQ, Paris, 1995,
p. 185 (3).
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Plaids généraux et conciles
Dans le monde anglo-saxon, l’organe politique qui conseillait le roi était
le witenagemot, l’assemblée des « sages », des « meilleurs » ; on sait peu de
choses sur sa composition, si ce n’est que les évêques, les abbés des principaux monastères et les nobles les plus illustres en faisaient partie. Il est probable qu’on était appelé à vie à faire partie de cette assemblée et que la
convocation, par le roi, de telle personne à son conseil consacrait le prestige de sa famille, fondé sur la noblesse et la richesse 39. Il n’est pas certain
que le witenagemot anglo-saxon se distingue vraiment du placitum generale
franc. Là également les grands laïques et ecclésiastiques étaient associés aux
délibérations et aux décisions.
Bien que, dans la forme, les décisions de discipline ecclésiastique et de
dogme aient souvent été laissées à l’appréciation des seuls évêques et
membres du synode ecclésiastique (cela est particulièrement net en Bavière,
où le duc ne jouissait pas du même pouvoir d’intervention que le roi
franc 40), force est de reconnaître le caractère mixte (c’est-à-dire composé
de clercs et de laïques) de bien des assemblées réputées être des conciles,
dès lors qu’on y débat de questions d’ordre politique : à cet égard, les conciles
de Tolède sont exemplaires, puisqu’ils constituent les véritables assemblées
générales du royaume wisigothique 41 ; mais on pourrait dire cela également
de la plupart des grandes assemblées des temps carolingiens, même si le
poids politique des évêques, dont « l’entrée en scène » remonte au deuxième
quart du IXe siècle 42, devint peu à peu prépondérant 43. Les assemblées
(qu’on les appelle « plaids », « conciles » ou « synodes ») s’avéraient les principaux organes de gouvernement 44, indispensables à la prise des décisions
et à leur entérinement par les « fidèles », qui exprimaient leur accord, leur
consensus 45. Ces assemblées constituaient le grand moment de la vie politique, où l’on profitait de l’affluence pour juger les affaires pendantes et
régler des différends, pour réunir tel synode restreint afin de trancher une
39. VOLLRATH-REICHELT 1971, p. 61 sqq.
40. Hans BARION, « Die Verfassung der bayrischen Synoden des 8. Jahrhunderts », Römische
Quartalschrift für christliche Altertumskunde und für Kirchengeschichte 38 (1930), p. 90-94 ; Heinrich
BERG, « Zur Organisation der bayerischen Kirche und zu den bayerischen Synoden des
8. Jahrhunderts », dans WOLFRAM & POHL 1990, p. 181-197.
41. CLAUDE 1971 ; Hans Hubert ANTON, « Der König und die Reichskonzilien im westgotischen
Spanien », HJ 92 (1972), p. 257-281 ; SCHWÖBEL 1982 ; Rosine LETINIER, « Le rôle politique des
conciles de l’Espagne wisigothique », RHDFE 75 (1997), p. 617-626.
42. Étienne DELARUELLE, « En relisant le “De institutione regia” de Jonas d’Orléans. L’entrée en scène
de l’épiscopat carolingien », dans Mélanges… Louis Halphen, Paris, 1951, p. 185-192.
43. Wilfried HARTMANN, « Laien auf Synoden der Karolingerzeit », AHC 10 (1978), p. 249-269. À
titre d’exemple, cf. Hans Hubert ANTON, « Synoden, Teilreichsepiskopat und die Herausbildung
Lotharingiens (859-870) », dans JENAL 1993, p. 83-124.
44. Sur les conciles et synodes dans le monde anglo-saxon : VOLLRATH 1985 ; CUBITT 1995 ; dans le
monde franc : PONTAL 1989; HARTMANN 1989. Bibliographie sur les plaids généraux dans DEPREUX
1998, p. 213, note 2.
45. HANNIG 1982.
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question particulière, pour conclure des accords, pour rencontrer l’un ou
l’autre et négocier une faveur 46. Les sources relatives à l’assemblée tenue en
août 822 à Attigny, si importante du point de vue purement politique, illustrent de manière exceptionnelle la diversité des affaires qu’on pouvait traiter lors d’un tel rassemblement 47.
Le droit des armes
La réunion du plaid général et la convocation de l’ost coïncidaient souvent ; la guerre faisait partie intégrante de la vie politique d’alors : qu’il
s’agisse de campagnes militaires visant à la conquête de nouveaux territoires 48 ou du contrôle des confins du royaume (à ce propos, il est possible
que certains royaumes frontaliers, tels ceux de Northumbrie et de Wessex,
aient dû leur prospérité à leur situation marginale, qui favorisait les échanges
et rendait possible une politique d’expansion 49).
La justification de la guerre
Les conflits entre les rois anglo-saxons furent nombreux 50 ; ceux entre
les souverains carolingiens le devinrent dans la seconde moitié du IXe siècle.
Reflet des hasards de la documentation ou (plus probablement) expression
d’une aspiration (ecclésiale) à l’unité d’autant plus forte qu’elle était menacée, les affrontements armés à l’intérieur du monde franc furent perçus
comme des dérèglements – ceux qui s’opposaient à mort n’étaient-ils pas
des frères ou des parents plus ou moins proches ? En revanche, lorsque les
armes étaient tournées vers l’extérieur, la guerre était justifiée, voire juste.
On observe en effet, au cours de l’époque carolingienne, le développement
d’une rhétorique visant à présenter, sous certaines conditions, le recours à
la force comme une œuvre pie. La réception de la réflexion patristique sur
la « guerre juste » n’est pas étonnante, lorsqu’on sait l’importance de l’augustinisme politique dans l’idéologie de cet âge 51.
46. DEPREUX 1998.
47. Ibid., p. 214 sqq. ; Olivier GUILLOT, « Autour de la pénitence publique de Louis le Pieux (822) »,
dans Jacqueline HOAREAU-DODINAU, Xavier ROUSSEAUX & Pascal TEXIER (éd.), Le pardon, Limoges,
1999, p. 281-313.
48. Cf. par exemple Jörg JARNUT, « Die Landnahme der Langobarden in Italien aus historischer Sicht »,
dans MÜLLER-WILLE & SCHNEIDER 1994, t. 1, p. 173-194 ; rééd. dans JARNUT 2002, p. 307-328 ;
POHL 1997.
49. John R. MADDICOTT, « Two Frontier States : Northumbria and Wessex, c. 650-750 », dans John
R. MADDICOTT & David M. PALLISER (éd.), The Medieval State. Essays Presented to James Campbell,
Londres, 2000, p. 25-45.
50. Ce qui est souvent présenté comme des « movements towards unity » (selon le titre d’un développement dans HUNTER BLAIR 1956, p. 49) consiste en une lecture « post-alfrédienne » de la diversité des royaumes rivaux de l’heptarchie (un concept également tardif, cf. Simon KEYNES,
« Heptarchy », dans LAPIDGE et alii 1999, p. 233). Sur ces royaumes, cf. YORKE 1990.
51. Janet L. NELSON, « Violence in the Carolingian world and the ritualization of ninth-century warfare », dans HALSALL 1998, p. 90-107. Sur la doctrine de saint Augustin et sa réception durant le
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Quant à la raison d’être de la guerre, de manière toute prosaïque, elle
permettait, grâce au butin, d’enrichir le trésor royal et contribuait ainsi à
l’équilibre entre la royauté et l’aristocratie, réglé par les dons au souverain
et les largesses royales 52. Il est d’ailleurs probable que la possibilité continue, vers l’est, de lever tribut a contribué à la différentiation institutionnelle entre la Francia occidentalis et la Francia orientalis 53.
Soumission et intégration de la Saxe au monde franc
La soumission de nouveaux territoires est illustrée de manière exemplaire, en raison de la multiplicité des sources, par le cas de la Saxe, où
Charlemagne fit régner un régime de terreur durant une trentaine d’années 54. L’histoire de l’intégration des Saxons au royaume des Francs est particulièrement intéressante, car on y observe les divers enjeux et les diverses
formes de la conquête, qui ne se limitent d’ailleurs pas au seul territoire des
Saxons : l’ensemble des peuples entre Elbe et Oder fut concerné par l’entreprise politique et militaire des Francs 55. Le cas saxon montre éloquemment le lien entre conversion au christianisme et soumission au pouvoir
franc 56, qui conduisit à de nombreux bouleversements institutionnels – à
commencer par l’introduction d’une royauté unique 57. La dimension politique de la mission est exposée de manière particulièrement explicite par
l’auteur de la Vie de saint Willehad, le premier évêque de Brême († 789),
qui écrivait dans les années 840 environ 58.
La conquête de la Saxe, comme celle de la Frise trois générations plus
tôt 59, ne put se faire que par le ralliement de l’aristocratie (ou d’une partie de
haut Moyen Âge, cf. également, Frederick H. RUSSELL, The Just War in the Middle Ages, Cambridge,
1975, p. 16 sqq.
52. Matthias HARDT, « Royal treasures and representation in the early middle ages », dans POHL &
REIMITZ 1998, p. 255-280.
53. Timothy REUTER, « Plunder and tribute in the Carolingian Empire », TRHS, 5e série, 35 (1985),
p. 75-94.
54. LAMMERS 1970 ; HÄSSLER 1999.
55. Lothar DRALLE, « Wilzen, Sachsen und Franken um das Jahr 800 », dans BEUMANN & SCHRÖDER
1978, p. 205-227.
56. Ernst SCHUBERT, « Die Capitulatio de partibus Saxoniae », dans Dieter BROSIUS, Christine VAN DEN
HEUVEL, Ernst HINRICHS & Hajo VAN LENGEN (éd.), Geschichte in der Region. Zum 65. Geburtstag
von Heinrich Schmidt, Hanovre, 1993, p. 3-28 ; Bonnie EFFROS, « De partibus Saxoniae and the
Regulation of Mortuary Custom : A Carolingian Campaign of Christianization or the Suppression
of Saxony Identity ? », RBPH 75 (1997), p. 267-256.
57. Matthias BECHER, « Non enim habent regem idem Antiqui Saxones… Verfassung und Ethnogenese
in Sachsen während des 8. Jahrhunderts », dans HÄSSLER 1999, p. 1-31.
58. Traduction en anglais par Peter J. POTTER et Thomas F. X. NOBLE dans Thomas F. X. NOBLE &
Thomas HEAD, Soldiers of Christ. Saints and Saints’ Lives from Late Antiquity and the Early Middle
Ages, University Park (Pennsylvanie), 1995, p. 279-291. En particulier, l’auteur anonyme associe
la promotion impériale de Charlemagne à la conquête de la Saxe ; sur les liens entre le couronnement de la Noël 800 et la soumission de la Saxe, cf. Henry MAYR-HARTING, « Charlemagne, the
Saxons, and the Imperial Coronation of 800 », EHR 111 (1996), p. 1113-1133.
59. Stéphane LEBECQ, « Francs contre Frisons (VIe-VIIIe siècles) », dans La guerre et la paix. Frontières et
violences au Moyen Âge, Paris, 1978, p. 53-71, aux p. 69 sq.
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l’aristocratie) locale, dont l’emprise territoriale fut, sinon modifiée, du moins
re-qualifiée à la faveur de l’introduction – relativement rapide – de l’institution comtale. Les terres appartenant aux nobles furent transformées en territoires, en ressorts administratifs, dès que l’élite saxonne commença de se rallier à Charlemagne : lors du plaid tenu en 782 à la source de la Lippe, le roi
des Francs conféra les pouvoirs comtaux à certains membres de la haute
noblesse saxonne. Désormais, il n’y eut plus coïncidence entre les entités administratives et le cadre de vie, comme c’était vraisemblablement le cas du Gau,
considéré à l’origine comme une « communauté de peuplement organisée
politiquement 60 ». Or le pouvoir des nobles locaux investis de l’autorité comtale s’exerçait moins au sein d’un territoire clairement délimité qu’en des lieux
qui leur servaient de points d’appui (leurs biens allodiaux notamment, en
l’absence de domaines fiscaux d’importance en cette région nouvellement
conquise – si ce n’est l’ensemble des biens confisqués pour « infidélité »).
La conquête de la Saxe fut poursuivie par l’intégration de cette province
au royaume franc, de laquelle participèrent les translations de reliques :
« elles garantirent les liens sociaux, religieux et politiques de la Saxe à l’égard
des autres parties du royaume franc, indépendamment des partages politiques du IXe siècle 61 ».
L’encadrement des hommes
Les personnes dont dépend, au premier chef, l’exercice du pouvoir dans
le royaume franc sont les comtes, qu’on parle de comes ou de grafio. Le premier avait autorité sur l’ensemble de la civitas (divisée en pagi) ; le second,
qu’on rencontre dans les régions orientales, était de rang moindre à l’origine. C’est vers la fin du VIIe siècle que les deux termes devinrent équivalents. Entre temps, l’institution comtale avait été sérieusement compromise, les évêques s’imposant au cours du VIe siècle comme les seuls véritables
garants de l’ordre public. Les Carolingiens rendirent au comte son lustre
et en firent le représentant du roi par excellence au niveau local, le comte
étant assisté de « vicaires » (les viguiers ou centeniers). Ce pouvoir était
exercé dans les pagi, qui peuvent faire figure de circonscriptions administratives 62. La chose était-elle cependant aussi simple ?
Territoires et circonscriptions administratives
Dans les dernières décennies la question de l’institution comtale a fait
l’objet d’une réelle controverse 63, due essentiellement à la diversité des régions
60. KRÜGER 1950, p. 25 : « eine politisch organisierte Siedlungsgemeinschaft ».
61. RÖCKELEIN 2002, p. 366.
62. Dietrich CLAUDE, « Untersuchungen zum frühfränkischen Comitat », ZRG GA 81 (1964), p. 1-79.
63. Présentation synthétique (et bibliographie) dans Michael BORGOLTE, « Grafschaft, Grafschaftsverfassung », LMA 4, col. 1635-1636.
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étudiées : l’emprise territoriale des comtes ne pouvait pas être la même dans
les régions depuis longtemps romanisées, où les civitates et pagi définissaient
des cadres administratifs anciens, et les régions échappant à ce modèle – principalement, la Saxe. Dans certaines régions (en Alémanie ou en Bavière),
les biens fiscaux semblent avoir servi de base à la formation des comtés, qui
ne constituaient en aucun cas un découpage continu du territoire. Là comme
ailleurs, les « enclaves » jouissant de l’immunité s’avéraient nombreuses.
Prenons un exemple : celui de l’église cathédrale de Châlons-sur-Marne
(Châlons-en-Champagne). En 845, Charles le Chauve en confirma l’immunité, qui s’appliquait non seulement aux biens de l’église à l’intérieur du
diocèse (dans les pagi de Vertus, de Changy, d’Astenois et de Perthois), mais
aussi dans le ducatus de Thuringe et dans le pagus de Worms 64.
Il semble donc préférable de raisonner en termes de zones où s’exerce
l’influence comtale, plutôt qu’en termes de circonscriptions clairement définies par les limites du pagus ou de son équivalent (?) pour les régions orientales (le Gau, un terme signifiant à l’origine « terre habitée et fertile » et
dont il est loin de s’avérer certain qu’il désignait des fractions régulières
d’un territoire 65) – d’autant plus que l’ensemble d’un pagus pouvait ne pas
relever de l’autorité d’un seul et même comte. On observe un éclatement
des pouvoirs similaire dans la Gaule méditerranéenne 66. Si l’on voulait cartographier les comtés et les territoires des temps carolingiens, il serait parfois préférable de recourir à des points plutôt qu’à des lignes.
Le contrôle effectif d’un territoire ne pouvait se faire avec succès qu’à
l’échelon, sinon local, du moins régional – que l’unité plus ou moins formelle fût le résultat de l’hégémonie exercée par un souverain, comme c’était
le cas dans le monde anglo-saxon 67, ou qu’il y eût délégation d’autorité à
un fils du roi, lui-même investi de la dignité royale, comme on l’observe
dans le monde franc 68. Ces « rois associés » n’étaient pas des « sous-rois » ;
le terme consacré, celui de Unterkönig, est particulièrement malheureux car
il ne reflète pas la terminologie des sources. En témoigne « Frédégaire »
lorsqu’il relate la nomination de Dagobert Ier comme roi d’Austrasie par
Clotaire II, en 623 :
« La trente-huitième année du règne de Clotaire, [ce dernier] fait de son fils
Dagobert [son] associé au pouvoir royal (consortem regni facit) et il l’institue roi
[en lui donnant autorité] sur les Austrasiens (super Austrasius regem instituit 69). »
64. Recueil des actes de Charles II le Chauve, roi de France, éd. Georges TESSIER, t. 1, Paris, 1943, p. 194
(n° 67).
65. Michael BORGOLTE, « Gau », LMA 4, col. 1141.
66. Michel FIXOT, « La cité et son territoire : l’exemple du sud-est de la Gaule », dans BROGIOLO et alii
2000, p. 37-61, aux p. 59 sq.
67. David N. DUMVILLE, « The terminology of overkingship in early Anglo-Saxon England », dans
HINES 1997, p. 345-365.
68. EITEN 1907.
69. The Fourth Book of the Chronicle of Fredegar with its continuations, éd. et trad. John Michael WALLACEHADRILL, Londres, 1960, p. 39 (chap. 47).
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La nomination des fils du souverain aux fonctions royales était tout à
la fois un moyen de les initier au gouvernement en tenant compte de leur
haute naissance et d’honorer tel ou tel peuple particulièrement illustre. Mais
si l’on fait abstraction du prestige attaché au titre royal, il semble que les
pouvoirs de ces rois ne différaient pas fondamentalement de ceux des missi 70.
Attestés à l’époque mérovingienne, ces représentants du souverain, issus de
frange supérieure de l’aristocratie 71 et munis de pouvoirs spéciaux, virent
leur autorité renforcée par l’attribution qui leur fut faite d’un territoire précisément défini, le missaticum, au début du IXe siècle 72. Ces circonscriptions étaient implantées là où les territoires n’étaient pas constitués en
royaumes (c’est-à-dire au cœur de l’Empire). À cet égard, on peut rapprocher de ces entités territoriales les divers « duchés » dont la création était
liée à une délégation de l’autorité publique 73.
Les pouvoirs publics locaux
Concrètement, l’unité administrative réellement tangible (en particulier en
matière judiciaire, lorsqu’il s’agissait de cas relevant de la basse justice) pour les
populations locales était de taille assez réduite : ainsi, on a pu dénombrer (au
moins) 23 vigueries dans le pagus de Tours; l’emplacement de leur chef-lieu
pouvait éventuellement connaître des déplacements, de nouvelles circonscriptions pouvaient être créées; il semble en tout cas toujours s’agir de territoires restreints (dans la région de Loches, ils font moins d’une dizaine de kilomètres de rayon 74). Les changements pouvaient non seulement s’avérer d’ordre
spatial, mais aussi concerner le statut même du lieu. Un exemple en est fourni
par le pagus de Persiceta, en Italie du Nord, rétrogradé aux temps carolingiens
au rang de territoire administré par un gastald (la concurrence dont souffrirent les ducs lombards au VIIIe siècle est un phénomène plus général 75).
70. Philippe DEPREUX, « Empereur, empereur associé et pape au temps de Louis le Pieux », RBPH 70
(1992), p. 893-906, aux p. 903 sq. ; sur la situation en Bavière, cf. Jürgen HANNIG, « Zur Funktion
der karolingischen “missi dominici” in Bayern und in den südöstlichen Grenzgebieten », ZRG GA
101 (1984), p. 256-300.
71. Jürgen HANNIG, « Pauperiores vassi de infra palatio ? Zur Entstehung der karolingischen
Königsbotenorganisation », MIÖG 91 (1983), p. 309-374.
72. Karl Ferdinand WERNER, « Missus – Marchio – Comes. Entre l’administration centrale et l’administration locale de l’Empire carolingien », dans PARAVICINI & WERNER 1980, p. 191-239 ; Jürgen
HANNIG, « Zentrale Kontrolle und regionale Machtbalance. Beobachtungen zum System der karolingischen Königsboten am Beispiel des Mittelrheingebietes », AKG 66 (1984), p. 1-46.
73. Karl Ferdinand WERNER, « Les principautés périphériques dans le monde franc du VIIIe siècle », I
problemi dell’Occidente nel secolo VIII, t. 2, Spolète 1973, p. 483-514 ; rééd. dans WERNER 1979
(n° II) ; id., « La genèse des duchés en France et en Allemagne », dans Nascita 1981, t. 1, p. 175-207.
74. LORANS 1996, p. 33 sqq. ; cf. également Jean-Pierre BRUNTERC’H, « Le duché du Maine et la marche
de Bretagne », dans ATSMA 1989, t. 1, p. 1-127 ; Marcel GARAUD, « Les circonscriptions administratives du Comté de Poitou et les auxiliaires du Comte au Xe siècle », MA 59 (1953), p. 11-61 ;
Jean-François BOYER, « Les circonscriptions civiles carolingiennes à travers l’exemple limousin »,
CCM 39 (1996), p. 235-261.
75. DELOGU 1968, p. 76 & p. 67.
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Le maillage du territoire était donc réalisé de diverses manières, notamment par le biais des vigueries (vicariae) et des centaines (dans les régions
de tradition germanique plus forte). Les cités pouvaient constituer un ressort distinct, sous l’autorité d’un vicecomes (c’est notamment le cas en
Italie 76) ; en Bavière également, on trouve un subvicarius civitatis à
Ratisbonne, qui est de loin le principal centre politique et économique de
la région à la fin du IXe siècle 77. Dans l’Ardenne, une région pour laquelle
l’abondance des sources du haut Moyen Âge permet une connaissance relativement précise, on compte de nombreuses villae royales s’avérant des circonscriptions administratives 78 (on connaît une trentaine de lieux, parmi
lesquels Aix, Jupille, Bastogne ou Bullange). C’est dans les « vides » que
furent fondées les abbayes de Saint-Hubert, de Stavelot-Malmédy et de
Prüm, qui contribuèrent ainsi au renforcement des points de contrôle territorial. Rares étaient les villae royales n’ayant pas d’importance administrative significative (c’était par exemple le cas de Chèvremont – cette villa
dépendait elle-même du fisc de Jupille).
Quant à la géographie des lieux de frappe de la monnaie, elle reflète
l’organisation non seulement économique, mais aussi politique de l’espace.
Les ateliers sont attestés dans des villae et des vici, mais aussi en des lieux
dont l’importance en matière de voies de communication est manifeste (par
exemple, en tel portus ou tel pons). La multiplication des petits ateliers dans
la seconde moitié du VIIe siècle ou vers la fin du règne de Charles le Chauve
illustre l’emprise plus grande de l’aristocratie en ces périodes. La résurgence
de ces lieux de frappe au même endroit qu’autrefois (cela n’est toutefois pas
toujours vrai) prouve, de manière générale, la permanence des structures
politico-économiques, voilée par le contrôle de la frappe exercé durant un
temps avec plus de rigueur par le pouvoir royal 79.
Les titulaires d’honores recevaient des biens attachés à l’exercice de leur
fonction. C’est le cas du comte ou de l’évêque (comitatus, episcopatus), mais
aussi, probablement, de(s certains) agents subalternes. Ainsi, en Italie, on
observe « […] un regroupement des possessions des officiers de rang moyen
dans certaines zones privilégiées, comme si la fonction de gastald était liée
à la jouissance d’une terre particulière : les terres possédées par les gastalds,
et peut-être aussi par les sculdasii, sont toujours les mêmes, et circulent à
l’intérieur du groupe 80 ».
76. Ibid., p. 104 sq.
77. MITTERAUER 1964.
78. EWIG 1963, p. 536 sq.
79. Olivier BRUAND, « Circulation monétaire et pouvoirs politiques locaux sous les Mérovingiens et
les Carolingiens (du VIIe au IXe siècle) », dans Argent 1998, p. 47-59.
80. FELLER 1998, p. 571.
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L’autorité de l’évêque
Tout au long du Moyen Âge, l’évêque peut être considéré comme la figure
d’autorité par excellence – il a seul autorité dans son diocèse et ne connaît,
au début de l’époque qui nous intéresse ici, pas de supérieur hiérarchique ; à
l’occasion, il peut s’avérer le meilleur défenseur des intérêts de la population
et jouer un véritable rôle d’intermédiaire entre cette dernière et le pouvoir
royal 81. L’histoire de l’épiscopat, du VIe au IXe siècle, se caractérise à la fois par
une intégration dans divers réseaux (notamment celui des relations vassaliques) et par une affirmation du pouvoir spirituel (dans les affaires politiques 82 comme dans la discipline ecclésiastique à l’intérieur du diocèse 83),
qui se manifeste notamment par le contrôle de la circulation des clercs (au
moyen des litterae formatae 84), les visites pastorales (cette pratique, qui pouvait conduire à certains excès dans les réquisitions nécessaires à l’entretien de
la suite de l’évêque, comme l’atteste un canon du septième concile de Tolède,
en 646, restreignant à 50 le nombre des chevaux et à un jour la durée du
séjour en un même lieu 85, trouve sa plus belle illustration dans les Deux livres
des causes synodales de Réginon de Prüm 86), la revendication d’une compétence judiciaire sur les laïcs 87 et, au IXe siècle, la rédaction de capitulaires (épiscopaux) publiés lors des synodes diocésains. Les pouvoirs civils de certains
évêques aux temps mérovingiens sont bien connus 88 (leur rôle tardo-antique
dans le soin et la défense de leur cité servit de modèle au-delà du très haut
Moyen Âge 89). Mais peut-on, lorsqu’on considère les rapports de pouvoir au
sein du diocèse, proposer une analyse selon laquelle l’évêque, au VIIIe siècle,
exercerait son autorité « sur des hommes plutôt que sur un territoire 90 » ? La
81. SCHEIBELREITER 1983, p. 177 sqq.
82. Cf. par exemple Giovanni TABACCO, « Il volto ecclesiastico del potere nell’età carolingia », dans
Giorgio CHITTOLINI & Giovanni MICCOLI (éd.), Storia d’Italia. Annali, t. 9 : La Chiesa e il potere
politico dal Medioevo all’età contemporanea, Turin, 1986, p. 5-41.
83. Le gouvernement d’Hincmar, qu’on connaît bien grâce à DEVISSE 1975-1976, est exemplaire, cf.
STRATMANN 1991. Par ailleurs, cf. Stefan ESDERS & Heike Johanna MIERAU, Der althochdeutsche
Klerikereid. Bischöfliche Diözesangewalt, kirchliches Benefizialwesen und volkssprachliche Rechtspraxis
im frühmittelalterlichen Baiern, Hanovre, 2000.
84. Les litterae formatae sont des lettres de recommandation permettant à un prêtre de quitter son diocèse pour exercer son ministère ailleurs. Afin d’en empêcher la falsification, on chiffrait ces lettres
d’après un système fondé sur la valeur numérique des lettres de l’alphabet grec, cf. Clara FABRITIUS,
« Die Litterae Formatae im Frühmittelalter », AfU 9 (1926), p. 39-194.
85. SCHEIBELREITER 1983, p. 212.
86. HELLINGER 1962-1963.
87. Wilfried HARTMANN, « Der Bischof als Richter. Zum geistlichen Gericht über kriminelle Vergehen
von Laien im früheren Mittelalter (6.-11. Jahrhundert) », Römische Historische Mitteilungen 28
(1986), p. 103-124.
88. Jean DURLIAT, « Les attributions civiles des évêques mérovingiens : l’exemple de Didier, évêque de
Cahors (630-655) », AM 91 (1979), p. 237-254.
89. Geneviève BÜHRER-THIERRY, « De saint Germain de Paris à saint Ulrich d’Augsbourg : l’évêque
du haut Moyen Âge, garant de l’intégrité de sa cité », dans Patrick BOUCHERON & Jacques
CHIFFOLEAU (éd.), Religion et société urbaine au Moyen Âge, Paris, 2000, p. 29-41.
90. Nancy GAUTHIER, « Le réseau de pouvoirs de l’évêque dans la Gaule du haut Moyen Âge », dans
BROGIOLO et alii 2000, p. 173-207, à la p. 203.
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reprise en main du pouvoir par les Carolingiens a compromis pour un temps
certaines principautés épiscopales 91, mais ces mêmes souverains se sont servis des évêques pour gouverner – et leur ont donné les moyens financiers
(en l’occurrence, fiscaux) de le faire, notamment en marche d’Espagne 92.
Dresser un tableau d’ensemble impose ainsi des nuances locales – ne seraitce qu’en raison du fait que certains évêques carolingiens (tels ceux de Saxe)
étaient moins riches et moins puissants que d’autres 93.
Le schéma hiérarchique classique de l’Église romaine veut que l’évêque
gouverne un diocèse. Tel n’était cependant pas toujours le cas dans l’Europe
du haut Moyen Âge. La spécificité du cas irlandais est souvent affirmée, où
l’absence de tout héritage de l’Antiquité romaine et l’inexistence d’un réseau
urbain durant le très haut Moyen Âge s’avèrent deux éléments majeurs d’explication. L’institution épiscopale introduite par Palladius et saint Patrick
au Ve siècle aurait été détournée par les monastères à partir du VIIe siècle –
il existe cependant des abbés-évêques dès le milieu du VIe siècle, tel
saint Finnian de Mag mBili/Moville († 579). Ainsi, l’abbé revendiquait
l’autorité spirituelle et sacramentelle sur les monastères et ses dépendants ;
il disposait d’un moine ayant reçu l’ordination épiscopale pour dispenser
les sacrements, ce qui explique pourquoi, en Irlande, le territoire d’un
monastère est désigné du nom de parochia, un terme qui désignait le diocèse avant de connaître une évolution sémantique (au cours du haut Moyen
Âge) conduisant au sens de paroisse 94. Ce déclin du statut de l’évêque en
Irlande a récemment fait l’objet d’une remise en question 95.
Point n’est besoin d’aller en Irlande pour trouver des abbés-évêques 96 :
il y en avait par exemple à Lobbes au début du VIIIe siècle. Cette particularité est peut-être liée au contexte de la mission dans la région ; elle est peutêtre due à une influence des Irlandais, bien implantés aux alentours et dans
l’Ardenne – saint Remacle († 673-679), originaire du monastère colombanien de Luxeuil et fondateur du monastère de Stavelot-Malmédy, était
lui aussi un abbé-évêque. Il faut également signaler que certains grands établissements disposaient d’un évêque en raison de l’affluence des pèlerins
venant prier chez eux : il s’agissait avant tout de prédicateurs chargés d’instruire les foules (de fait, la seule personne ayant normalement autorité en
matière d’annonce de la Parole de Dieu et de prédication est l’évêque). Tel
était le cas à Saint-Denis : en 786, le pape Hadrien Ier confirma le droit
91. KAISER 1981; Reinhold KAISER, « Royauté et pouvoir épiscopal au nord de la Gaule (VIIe-IXe siècles) »,
dans ATSMA 1989, t. 1, p. 143-159.
92. Reinhold KAISER, « Teloneum episcopi. Du tonlieu royal au tonlieu épiscopal dans les civitates de la
Gaule (VIe-XIIe siècle) », dans PARAVICINI & WERNER 1980, p. 469-485.
93. Christopher CARROLL, « The bishoprics of Saxony in the first century after Christianization », EME
8 (1999), p. 219-246.
94. ANGENENDT 1995, p. 205-207.
95. Jean-Michel PICARD, « Pour une réévaluation du rôle et du statut de l’évêque dans l’Irlande du haut
Moyen Âge », Médiévales 42 (2002), p. 131-152.
96. DIERKENS 1985, p. 288-293 et p. 346.
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qu’avait cette abbaye de disposer d’un évêque désigné par l’abbé et les
moines, « grâce à la prédication de qui le peuple accourant dévotement de
diverses régions, chaque jour, au seuil du monastère du martyr du Christ
[Denis] puisse obtenir de rechercher le remède de l’âme 97 ». La présence
d’un évêque à Saint-Denis est attestée du milieu du VIIIe siècle au début du
IXe ; elle l’est également à Saint-Martin de Tours au milieu du VIIIe siècle.
Rien ne prouve qu’il s’agit d’un phénomène dû à l’influence colombanienne
sur ces établissements du temps de la reine Bathilde 98. Le très haut Moyen
Âge offre donc une certaine diversité, à laquelle le Carolingiens tentèrent
tant bien que mal de mettre de l’ordre.
La paroisse
Les paroisses médiévales se mirent en place essentiellement durant le haut
Moyen Âge 99 ; alors que l’existence des anciennes grandes paroisses était
matérialisée par la construction d’églises baptismales 100, le phénomène majeur
de la seconde moitié du haut Moyen Âge fut une adaptation du réseau paroissial aux réalités du peuplement 101, une adéquation entre église (en pierre ou
en bois, en pierre et en bois, sans qu’on puisse établir une stricte hiérarchie
entre ces modes de construction 102) permettant aux populations des alentours d’assister au culte dominical, et lieu de sépulture 103. Il s’agit d’une des
manifestations les plus exemplaires de la christianisation des campagnes, qui
se traduit en termes institutionnels 104 : la nomination d’un desservant 105,
la construction et la dotation de l’église – la fameuse église « privée 106 » –
(parfois par les habitants du lieu, dont peut faire partie le prêtre, dans les
97. Papsturkunden in Frankreich, nouvelle série, t. 9 : Diözese Paris, vol. 2 : Abtei Saint-Denis, éd. Ralf
GROSSE, Göttingen, 1998, n° 8, p. 82-88.
98. Hieronymus FRANK, Die Klosterbischöfe des Frankenreiches, Münster, 1932, p. 38 sqq.
99. AUBRUN 1986 ; synthèse des principaux aspects de la question dans Henri PLATELLE, « La paroisse
et son curé jusqu’à la fin du XIIIe siècle. Orientations de la recherche actuelle », dans L’encadrement
religieux des fidèles au Moyen Âge et jusqu’au Concile de Trente, t. 1, Paris, 1985, p. 11-26 ; pour un
exemple particulier (le diocèse de Limoges), cf. AUBRUN 1981 ; pour une étude classique sur la
christianisation des campagnes et les fondations d’églises dans l’Antiquité tardive, cf. Clare
E. STANCLIFFE, « From town to country : the christianisation of the Touraine, 370-600 », dans
BAKER 1979, p. 43-59.
100. Gisela CANTINO WATAGHIN, « Christianisation et organisation ecclésiastique des campagnes :
l’Italie du Nord aux IVe-VIIIe siècles », dans BROGIOLO et alii 2000, p. 209-234.
101. Gabriel FOURNIER, « La mise en place du cadre paroissial et l’évolution du peuplement », dans
Cristianizzazione 1982, t. 1, p. 495-563.
102. Charles BONNET, « Les églises en bois du haut Moyen Âge d’après les recherches archéologiques »,
dans GAUTHIER & GALINIÉ 1997, p. 217-236 ; SCHOLKMANN 2000.
103. GALINIÉ & ZADORA-RIO 1996 ; FIXOT & ZADORA-RIO 1994.
104. Josef SEMMLER, « Mission und Pfarrorganisation in den rheinischen, mosel- und maasländischen
Bistümern (5.-10. Jahrhundert) », dans Cristianizzazione 1982, t. 2, p. 813-888.
105. Michel AUBRUN, « Le clergé rural dans le royaume franc du VIe au XIIe siècle », dans BONNASSIE
1995, p. 15-27.
106. Wilfried HARTMANN, « Der rechtliche Zustand der Kirchen auf dem Lande : die Eigenkirche in
der fränkischen Gesetzgebung des 7. bis 9. Jahrhunderts », dans Cristianizzazione 1982, t. 1,
p. 397-441.
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sociétés où les petits alleutiers prédominent 107 ; ailleurs, par quelque riche
personnage des environs et, dans le cadre d’un domaine, par le propriétaire
foncier – à cet égard, les abbayes jouèrent un rôle fondamental 108), la perception de la dîme (imposée par Pépin le Bref), qui permet le rappel annuel
de la dépendance des habitants à l’égard de telle église 109 – un enjeu de pouvoir considérable, à l’origine de maints conflits. Il y a discussion pour savoir
si la paroisse s’avère essentiellement une communauté de fidèles ou bien un
territoire 110 ; il n’est pas certain que ces diverses approches s’excluent mutuellement – elles reflètent peut-être tout simplement deux points de vue : celui
des habitants et celui du pouvoir ecclésiastique.
Le renforcement du réseau paroissial est dû à une volonté de la part du
clergé et du pouvoir séculier de mieux encadrer les populations – et à un
besoin ressenti par ces dernières ? – du point de vue moral et spirituel 111
(cet encadrement ne se traduisit pas que par la création de paroisses ; ainsi,
il pouvait également revêtir la forme de pèlerinages fidélisant la population
des alentours à tel sanctuaire, comme celui organisé dans les années 830
par les moines de Saint-Hubert 112). En dépit de la réticence manifeste dont
les textes réglementaires témoignent à l’égard de l’exercice, par les moines,
d’activités hors du monastère, il est indéniable que les membres des communautés monastiques contribuèrent directement à l’encadrement spirituel des campagnes, par la prédication 113 et la célébration de la messe dans
107. Pierre BONNASSIE & Jean-Pascal ILLY, « Le clergé paroissial aux IXe-Xe siècles dans les Pyrénées
orientales et centrales », dans BONNASSIE 1995, p. 153-166 ; cf. également FELLER 1998, p. 807.
108. Jean-François LEMARIGNIER, « Quelques remarques sur l’organisation ecclésiastique de la Gaule
du VIIe à la fin du IXe siècle principalement au nord de la Loire », dans Agricoltora 1966, p. 451486 ; rééd. dans LEMARIGNIER 1995, p. 65-100 ; id., « Encadrement religieux des campagnes et
conjoncture politique dans les régions du royaume de France situées au nord de la Loire, de Charles
le Chauve aux derniers Carolingiens (840-987) », dans Cristianizzazione 1982, t. 2, p. 765-800 ;
rééd. dans LEMARIGNIER 1995, p. 115-150.
109. Giles CONSTABLE, « Nona et decima. An Aspect of Carolingian Economy », Speculum 35 (1960),
p. 224-250 ; rééd. dans CONSTABLE 1979 (n° VI) ; Josef SEMMLER, « Zehntgebot und
Pfarrtermination in karolingischer Zeit », dans Aus Kirche und Reich. Studien zu Theologie, Politik
und Recht im Mittelalter. Festschrift für Friedrich Kempf, Sigmaringen, 1983, p. 33-44.
110. Alain DIERKENS, « Les paroisses rurales dans le nord de la Gaule pendant le haut Moyen Âge. État
de la question et remarques critiques », La paroisse en questions. Des origines à la fin de l’Ancien
Régime, Ath, 1998, p. 21-48.
111. La collection canonique de Réginon de Prüm en constitue le témoignage le plus complet, cf.
HELLINGER 1962-1963 ; sur les aspects cultuels, cf. Arnold ANGENENDT, « Die Liturgie und die
Organisation des kirchlichen Lebens auf dem Lande », dans Cristianizzazione 1982, t. 1, p. 169226 ; sur les pratiques pénitentielles, cf. Cyrille VOGEL, « La discipline pénitentielle en Gaule des
origines au IXe siècle. Le dossier hagiographique », Revue des sciences religieuses 30 (1956), p. 1186 ; VOGEL 1969 ; Thomas M. CHARLES-EDWARDS, « The Penitential of Columbanus », dans
LAPIDGE 1997, p. 217-239. Sur l’encadrement des populations par le biais de la plebs, cf. FELLER
1998, p. 786 sqq.
112. Alain DIERKENS, « La christianisation des campagnes de l’Empire de Louis le Pieux. L’exemple
du diocèse de Liège sous l’épiscopat de Walcaud (c. 809-c. 831) », dans GODMAN & COLLINS
1990, p. 309-329, aux 326 sq.
113. XIV homélies du IXe siècle d’un auteur inconnu de l’Italie du Nord, éd. et trad. Paul MERCIER, Paris,
1970 ; Raymond ETAIX, « Un manuel de pastorale de l’époque carolingienne (Clm 27152) », RB
91 (1981), p. 105-130.
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les églises rurales dépendant de leur établissement. L’étude de cette question est assez délicate, car les textes sont parfois contradictoires – à moins
qu’ils n’illustrent tout simplement l’écart entre la norme et la pratique 114.
Sous Charlemagne, l’opposition à l’exercice, par les moines, de la cure des
âmes est particulièrement manifeste en Bavière, où plusieurs établissements,
tels ceux de Tegernsee et de Chiemsee, furent privés de leurs paroisses par
décision de justice. Les Pères du synode de Reisbach (en 800) avaient interdit à toute personne ayant fait profession monastique de « tenir une
paroisse » et de participer aux assemblées judiciaires. Il est probable que les
moines ne desservaient pas eux-mêmes toutes leurs églises, mais en confiaient
la charge à des clercs dépendant du monastère. On connaît cependant le
nom de certains moines de l’abbaye parisienne de Saint-Germain-des-Prés
ou, en Alémanie, de l’abbaye de Saint-Gall ayant eu la charge d’églises au
IXe siècle. En outre, Rimbert affirme que saint Anschaire avait prêché lorsqu’il était moine à Corvey, peu après 822, et qu’il était ainsi devenu « l’enseignant du peuple » (doctor populi). Quelques générations plus tôt, saint
Amand avait, en divers endroits, confié la cure des âmes à des « frères »
(fratres). Le fait que des moines assurent la cure des âmes fut entériné par
le synode réuni par Raban Maur à Mayence, en octobre 847 : il leur fut
seulement interdit de le faire sans le consentement de l’évêque (une restriction tout simplement motivée par un souci de bonne discipline ecclésiastique). L’accroissement des patrimoines monastiques eut certainement
une influence décisive en la matière, mais il n’est pas impossible que ce
souci pastoral des moines s’inscrive aussi dans la tradition d’évangélisation
qui constitue un aspect de la peregrinatio insulaire. Dans le monde anglosaxon d’avant l’implantation viking, il semblerait d’ailleurs que les paroisses
étaient desservies par des communautés monastiques 115 (selon l’origine étymologique du terme de Minster).
Droits sur les hommes et droits sur les biens
C’est essentiellement lorsqu’elle passe dans le domaine ecclésiastique, à
la faveur de donations le plus souvent, que nous pouvons appréhender, de
manière rétrospective et lacunaire, la fortune des laïcs et le rapport qu’ils
entretenaient avec leurs biens, la façon dont ils « tenaient » ou « possé114. AMOS 1987 ; BERLIÈRE 1927 ; SEMMLER 1965 ; Giles CONSTABLE, « Monasteries, rural churches
and the cura animarum in the early middle ages », dans Cristianizzazione 1982, t. 1, p. 349-389.
115. BLAIR & SHARPE 1992 – ce volume concerne non seulement l’Angleterre, mais aussi le pays de
Galles et l’Irlande (cf. notamment Alan THACKER, « Monks, preaching and pastoral care in early
Anglo-Saxon England », p. 137-170 ; Catherine CUBITT, « Pastoral care and conciliar canons :
the provisions of the 747 Council of Clofesho », p. 193-211 ; Sarah FOOT, « Anglo-Saxon minsters : a review of terminology », p. 212-225 ; John BLAIR, « Anglo-Saxon minsters : a topographical review », p. 226-266) ; cette analyse a récemment été contestée par Eric CAMBRIDGE &
David ROLLASON, « The pastoral organization of the Anglo-Saxon Church : a review of the “Minster
Hypothesis” », EME 4 (1995), p. 87-104.
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daient » la terre. Comme on l’a déjà dit, le modèle que nous connaissons
le mieux (ou le moins mal) est celui du (grand) domaine 116, notamment
le domaine ecclésiastique, dont il n’est pas certain qu’il différait beaucoup,
dans sa structure, des domaines appartenant aux laïcs 117 ou des domaines
du fisc 118. On sait que les terres des monastères étaient dispersées afin de
diversifier les sources d’approvisionnement 119. Les familles aristocratiques
disposaient aussi de biens sis en divers endroits du royaume (au point que
cette dispersion peut s’avérer un critère de noblesse 120). Le testament de
Berthramn du Mans (616), par exemple, montre que l’évêque était certes
essentiellement possessionné en pays manceau, mais qu’il disposait également de biens dans la vallée de la Seine, dans toute l’Aquitaine, et même
en Bourgogne et en Provence 121.
Au sein du domaine, le maître voyait-il ses pouvoirs restreints à ceux
strictement nécessaires à une bonne gestion, ou bien jouissait-il d’une autorité sur les hommes habitant sur ses terres, acquittant le paiement d’un cens
et effectuant des services ou des corvées 122 ? En raison de l’attachement de
certaines catégories de personnes (les colons tout spécialement) à la terre
qu’ils exploitaient, les maîtres du sol contrôlaient de facto pour le moins
une partie de la population. L’immunité leur conféra une autre autorité,
d’ordre public.
L’immunité
C’est par le biais de l’immunité que les propriétaires des terres sur lesquelles vivaient les paysans avaient droit de basse justice sur eux. L’immunité
était un privilège dont l’origine remontait à l’Antiquité ; initialement, il
s’agissait d’une exemption fiscale. La nature de l’immunité durant le haut
116. Synthèses : Adriaan VERHULST, « La diversité du régime domanial entre Loire et Rhin à l’époque
carolingienne », dans JANSSEN & LOHRMANN 1983, p. 133-148 ; TOUBERT 1990 ; KUCHENBUCH
1991; Yoshiki MORIMOTO, « Autour du grand domaine carolingien : aperçu critique des recherches
récentes sur l’histoire rurale du haut Moyen Âge (1987-1992) », dans VERHULST & MORIMOTO
1994, p. 25-79. Des actes de colloques fondamentaux : VERHULST 1985 ; RÖSENER 1989. Cf.
également Pierre TOUBERT, « Il sistema curtense : la produzione e lo scambio interno in Italia nei
secoli VIII, IX e X », dans Rugiero ROMANO & Ugo TUCCI (éd.), Storia d’Italia. Annali, t. 6 :
Economia naturale, economia monetaria, Turin, 1983.
117. Werner RÖSENER, « Strukturformen der adeligen Grundherrschaft in der Karolingerzeit », dans
RÖSENER 1989, p. 126-180.
118. GOCKEL 1970, p. 203 sqq. ; METZ 1960 ; Wolfgang METZ, « Quellenstudien zum Servitium regis »,
AfD 38 (1992), p. 17-68 ; Elisabeth MAGNOU-NORTIER, « Capitulaire De villis et curtis imperialibus (vers 810-813). Texte, traduction et commentaire », RH 299 (1998), p. 643-689.
119. Jean-Pierre DEVROEY, « “Ad utilitatem monasterii”. Mobiles et préoccupations de gestion dans
l’économie monastique du monde franc », dans DIERKENS et alii 1993, p. 224-240.
120. LE JAN 1995, p. 71 sqq.
121. WEIDEMANN 1986, p. 79 sqq.
122. Sur ces questions, cf. Hanna VOLLRATH, « Herrschaft und Genossenschaft im Kontext frühmittelalterlicher Rechtsbeziehungen », HJ 102 (1982), p. 33-71 ; Hans-Werner GOETZ, « Herrschaft
und Recht in der frühmittelalterlichen Grundherrschaft », HJ 104 (1984), p. 392-410.
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Moyen Âge est une question d’autant plus sujette à discussion qu’on observe
une grande variété de formes, en particulier selon que le roi avait accordé
ou pas à l’immuniste le bénéfice de l’impôt 123. La définition minimaliste
qu’on peut en donner consiste en une interdiction faite aux agents du pouvoir public de pénétrer sur le territoire du bénéficiaire de l’immunité, dans
l’exercice de leurs fonctions. Par conséquent, l’immuniste (ou son représentant dans le cas d’un ecclésiastique, l’avoué) avait à charge de faire respecter l’ordre public sur ses terres ou de livrer au comte les criminels.
L’immunité en faveur des ecclésiastiques est mieux connue, mais les laïcs
pouvaient également en bénéficier 124. Aux temps carolingiens, c’était explicitement le cas des aprisionnaires de Septimanie, les Hispani responsables
des défrichements jouissant du droit de basse justice sur leurs hommes 125.
L’immunité a certes pu amplifier la médiatisation du pouvoir lorsque le roi
n’était pas en mesure de s’imposer politiquement dans l’ensemble du
royaume ; lorsque le pouvoir royal était fort, cela put au contraire s’avérer
un moyen de renforcer le contrôle du territoire en multipliant le nombre
des personnes directement responsables devant le souverain.
Propriété et possession
Il y avait une gradation dans les droits exercés sur les biens fonciers – gradation qu’on observe au mieux lorsque ces biens changent de mains 126.
Durant le haut Moyen Âge, la distinction romaine entre propriété et possession 127 existait encore quant au principe, même si les termes évoluèrent
(bien souvent, on prétend désormais posséder ce que l’on tient). La distinction est particulièrement nette à propos de la précaire (où chaque partie trouvait son avantage, comme l’exprime le terme bavarois de complacitatio, un accord censé avoir « plu » à chacun 128) : l’alleutier donnait un bien
(pour telle ou telle raison, d’ordre économique ou politique) à une personne (généralement un établissement monastique) dont il récupérait la
jouissance sa vie durant; généralement, cet usufruit était accordé aux enfants,
voire à plusieurs générations d’héritiers. La donation aux églises pouvait
123. En dernier lieu, cf. ROSENWEIN 1999. Cf. également Numa Denys FUSTEL DE COULANGES, « Étude
sur l’immunité mérovingienne », RH 22 (1883), p. 249-290 ; François Louis GANSHOF,
« L’immunité dans la monarchie franque », dans Les liens de vassalité et les immunités, Bruxelles,
1958, p. 171-216 ; Elisabeth MAGNOU-NORTIER, « Étude sur le privilège d’immunité du IVe au
IXe siècle », RM 60 (1981-1984), p. 465-512 ; Carlrichard BRÜHL, « Die merowingische
Immunität », dans Chiesa e mondo feudale nei secoli X-XII, Milan, 1995, p. 27-44.
124. Alexander Callander MURRAY, « Immunity, Nobility, and the Edict of Paris », Speculum 69 (1994),
p. 18-39.
125. DEPREUX 2001, p. 31 sq.
126. Cf. Transferts patrimoniaux 1999.
127. J. K. B. M. NICHOLAS, An introduction to Roman Law, Oxford, 1962, p. 98 sqq.
128. Wolfgang HESSLER, « Complacitatio. Wortschöpfung und Begriffsbildung bei Vorbehaltsschenkungen an die Kirche im frühmittelalterlichen Bayern », ZBLG 41 (1978), p. 49-92.
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s’avérer le moyen de préserver l’intégrité d’un bien et de la famille à laquelle
il appartenait 129.
Certains biens circulaient au sein de la famille, et chacun de ses membres
jouissait d’un droit de regard sur leur devenir ; c’est en particulier le cas des
biens servant à constituer les dots et douaires. En certains endroits, les biens
étaient incessibles (comme les biens de mainmorte des églises), non pas parce
qu’ils appartenaient à tel saint, mais au clan ou au roi – ainsi, en Irlande, la
question de la propriété du sol est réglée par le principe selon lequel la terre
appartenait au clan, et non à tel ou tel individu ; outre le respect pour les
biens donnés à Dieu, c’est ce qui explique l’importance des monastères « privés » sur cette île, puisque les communautés étaient installées sur des biens
en fait inaliénables 130. Dans le monde carolingien, les aliénations (sous forme
d’échanges) de biens d’églises étaient soumises à l’autorisation du souverain.
Au pays de Galles, toutes les terres semblent à l’origine avoir appartenu
au roi ; ce n’est qu’au cours du VIIIe siècle qu’on voit apparaître les transactions foncières, suite aux largesses de ce dernier. Il se pourrait que la formation d’une réelle aristocratie soit liée à la possibilité de constituer des patrimoines fonciers – là, mais aussi en Angleterre, où l’on obtint du roi, vers la
même époque, qu’il garantisse le caractère irréversible des donations faites
par lui en octroyant une charte, d’où ces terres tirent leur nom : bookland 131.
Le règlement des conflits
La plupart des conflits dont nous avons connaissance sont des différends relatifs aux biens fonciers. Les aspects économiques n’étaient pas les
seuls mobiles : les droits sur les personnes et le prestige dont jouissaient certains lieux donnés aux églises entraient en jeu 132 (ce sont principalement
les conflits impliquant des établissements ecclésiastiques dont nous avons
connaissance, pour des raisons archivistiques). Bien souvent, la contestation d’une donation venait de la part d’héritiers ou d’ayants droit contestant a posteriori le bien-fondé des largesses de leur parent, ou bien s’étant
initialement tenus à l’écart par opposition à la conclusion de cet acte juridique où, bien que leur accord fût préférable (afin de garantir la pérennité
de la donation), il n’était pas encore indispensable. Il y avait alors tout un
rituel de la plainte, où l’occupation physique du bien contesté jouait un
rôle décisif 133. Ce qui était en jeu, c’était non pas forcément la récupéra129. HARTUNG 1988 ; JAHN 1988.
130. RICHTER 1996, p. 68. À nuancer toutefois par Ó CRÓINÍN 1995, p. 144 sqq.
131. JAMES 2001, p. 207 sqq.
132. Sur les enjeux de la propriété foncière, cf. DAVIES & FOURACRE 1995. Pour une étude de cas, cf.
Ross BALZARETTI, « The monastery of Sant’ Ambrogio and dispute settlement in early medieval
Milan », EME 3 (1994), p. 1-18.
133. Régine LE JAN, « Malo ordine tenent. Transferts patrimoniaux et conflits dans le monde franc (VIIeXe siècle) », dans Transferts patrimoniaux 1999, p. 951-972 ; rééd. dans LE JAN 2001, p. 132-148.
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tion du bien, mais le rappel qu’on avait des droits sur lui et que, par conséquent, la largesse consentie à telle église n’était pas le fait du seul individu
qui en avait pris la décision. Il était possible que la simple association au
bénéfice spirituel qui pouvait en résulter suffise à pacifier les rapports entre
les divers protagonistes ; il était rare qu’on déboute quelqu’un totalement :
l’issue des conflits résidait souvent dans la recherche d’un compromis.
Jugement, arbitrage, compromis
La connaissance des modes de résolution des conflits a été renouvelée
dans les dernières années grâce à une attention plus grande accordée aux
études de cas, ce qui a conduit à un changement de l’angle d’approche, privilégiant non plus la norme, mais la pratique 134.
La manière la plus courante (et la plus simple) de résoudre des conflits
était la conclusion d’un accord où chacun consentait à quelques concessions : la convenientia 135, établie grâce à l’entremise d’un ou plusieurs personnages puissants qui intervenaient comme arbitres choisis par les parties.
Point n’était donc besoin de déposer une plainte devant le tribunal public 136.
Dès lors que la procédure visant à sanctionner une faute était publique et
cautionnée par ceux qui comptaient dans la famille ou dans le groupe, il
pouvait également ne pas s’avérer nécessaire de recourir à l’intervention du
juge : tel était par exemple le cas en Irlande à propos des saisies 137.
En dépit du formalisme de cette époque en matière juridique 138, il arrivait qu’on passe d’une procédure judiciaire à un règlement à l’amiable. C’est
ce qu’illustre la manière dont, au début du IXe siècle, l’évêque de Freising,
Atton, mit fin à un différend qui l’opposait aux membres de la famille fondatrice de l’église Saint-Martin de Biberbach, qui contestaient la nomination du desservant imposé par lui 139. Ils avaient engagé une procédure judiciaire, mais ils avaient échoué dans leur revendication du droit de
présentation, qui avait donné lieu à une enquête (et inquirere temptaverunt
et cum iustitia obtinere non potuerunt). Alors, ils se présentèrent devant
l’évêque et lui firent publiquement abandon des droits sur l’église ; ensuite,
134. DAVIES & FOURACRE 1986 ; Giustizia 1995 ; Giustizia 1997.
135. Adam J. KOSTO, « The convenientia in the early middle ages », Medieval Studies 60 (1998), p. 154.
136. Patrick J. GEARY, « Extra-judicial means of conflict resolution », dans Giustizia 1995, t. 1, p. 569601.
137. Jean-Michel PICARD, « Les procédures judiciaires en Irlande au haut Moyen Âge », dans Règlement
des conflits 2001, p. 67-81, aux p. 73 sqq.
138. Dieter WERKMÜLLER, « Et ita est altercatio finita. Ein Beitrag zum fränkischen Prozeß », dans
Gerhard KÖBLER (éd.), Wege europäischer Rechtsgeschichte. Karl Kroeschell zum 60. Geburtstag dargelegt von Freunden, Schülern und Kollegen, Francfort/Main, 1987, p. 592-606 ; Warren BROWN,
« The use of norms in disputes in early medieval Bavaria », Viator 30 (1999), p. 15-40.
139. Die Traditionen des Hochstifts Freising, éd. Theodor BITTERAUF, t. 1, Munich, 1905, p. 217 (n° 235);
à ce propos, cf. BROWN 2001, p. 81 sq.
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Atton nomma un autre clerc, probablement de la famille plaignante. Cette
dernière, contre la reconnaissance de l’autorité épiscopale, parvint donc à
ses fins – en témoigne la rubrique de ce document, qui nous révèle l’analyse qu’en fit le scribe Cozroh : « Convenientia d’Atton avec les hommes
appelés Mohingara ».
Les assemblées judiciaires
Les différends pouvaient bien évidemment être tranchés par voie judiciaire, que ce soit devant une assemblée de nature politique 140 ou devant
le tribunal royal ou comtal. Si l’on en croit un capitulaire visant à régler la
discipline au palais d’Aix-la-Chapelle, grande était l’affluence des personnes
venant soutenir une cause devant le tribunal royal 141. Ce tribunal avait
notamment connaissance de toutes les affaires impliquant le roi ; à un échelon plus local, le tribunal des missi avait presque la même importance 142.
Le tribunal comtal avait connaissance des crimes de haute justice ou des
affaires dans lesquelles des notables étaient impliqués. La juridiction de
base était celle du centenier, qui siégeait régulièrement, alors que la réunion
du tribunal comtal, parfois itinérant 143, était un événement mondain à
l’échelle du comté, se reproduisant seulement quelques fois dans l’année.
Dans le monde franc, l’évolution majeure se situe au tournant du VIIIe et
du IXe siècle, avec l’institution par Charlemagne des échevins, des spécialistes (on dirait : des « professionnels du droit ») dont la nomination était
soumise à l’agrément du roi par l’intermédiaire de ses missi et qui remplacèrent peu à peu les rachimbourgs, ces sages issus des notables et choisis en
fonction des affaires et des personnes impliquées, pour dire le droit au cas
par cas 144.
Faire preuve de son droit : une épreuve
Le principal moyen de prouver son bon droit était de prêter serment en
compagnie de co-jureurs. Cet acte engageait Dieu et les saints sur les reliques
desquels on jurait. Il participait donc du même esprit que les ordalies (la
140. Cf. par exemple Hubert MORDEK, « Ein exemplarischer Rechtsstreit : Hinkmar von Reims und
das Landgut Neuilly-Saint-Front », ZRG KA 83 (1997), p. 86-112.
141. Janet L. NELSON, « Aachen as a place of power », dans JONG et alii 2001, p. 217-241.
142. Régine LE JAN, « Justice royale et pratiques sociales dans le royaume franc au IXe siècle », dans
Giustizia 1997, t. 1, p. 47-85 ; rééd. dans LE JAN 2001, p. 149-170.
143. Cf. par exemple Hagen KELLER, « Der Gerichtsort in oberitalienischen und toskanischen Städten.
Untersuchungen zur Stellung der Stadt im Herrschaftssystem des regnum Italicum vom 9. bis
11. Jahrhundert », QFIAB 49 (1969), p. 1-72.
144. François Louis GANSHOF, « Charlemagne et l’administration de la justice dans la monarchie
franque », dans Karl der Große 1965, t. 1, p. 394-419 ; BOUGARD 1995 ; Lucas F. BRUYNING,
« Lawcourt proceedings in the Lombard kingdom before and after the Frankish conquest », JMH
11 (1985), p. 193-214.
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vengeance du saint à l’égard du parjure fait partie des topoi hagiographiques),
ces « jugements de Dieu » par lesquels on constate qui dit vrai 145 – qu’il
s’agisse de courir sur des socs de charrue chauffés à blanc ou de récupérer
un objet dans un récipient d’eau bouillante (le signe divin est manifesté par
la manière dont la brûlure guérit), de plonger dans l’eau froide (si la personne flotte, c’est que les eaux la rejettent ; en revanche, elles accueillent le
bienheureux innocent qui coule – et qu’on remonte à la surface à l’aide
d’une laisse), de s’affronter dans un duel judiciaire 146 (Dieu donne la victoire au plus fort des champions) ou, encore, de se prêter à l’épreuve de la
croix, une ordalie un temps préconisée lorsqu’une des parties en cause était
ecclésiastique 147 (il s’agissait de tenir les bras en croix le plus longtemps
possible : le premier qui flanchait avait perdu). Ces procédures, qui donnaient lieu à une véritable liturgie, pouvaient aussi s’avérer des procédés
d’intimidation, dans lesquels l’assistance veillait à l’ambiance.
Le simple fait de convaincre des hommes dont le témoignage compte,
des boni homines 148, qu’on est dans son droit pouvait s’avérer une épreuve –
ceux-ci devaient se porter garants de la bonne foi de la personne mise en
cause. Comment cet engagement était-il négocié ? Au tournant du IXe et du
Xe siècle, un témoignage écrit adressé au roi Édouard l’Ancien relate comment un certain Helmstan perdit ses biens à Fonthill 149. Cet individu avait
volé la ceinture de l’ealdorman Æthelred, un puissant personnage de Mercie.
C’est alors que ses ennemis revendiquèrent ses biens. Mais comment trouver des amis pour soutenir ses droits de manière désintéressée lorsqu’on est
en position de faiblesse ? Helmstan alla trouver son parrain, l’ealdorman
Ordlaf, pour lui demander de l’assister en justice. Ce dernier accepta d’intervenir auprès du roi Alfred le Grand et de prêter serment pour laver l’honneur de son protégé, à condition que ce dernier lui abandonnerait sa terre
en échange. Ce document est exceptionnel et d’autant plus précieux qu’il
nous permet de voir comment ce qui pouvait sembler une affaire simplement réglée par la prestation d’un serment mettait en jeu des négociations,
des concessions, qui ne laissaient finalement pas tout méfait impuni pour
peu que son auteur ait de l’entregent : Helmstan laissa véritablement plus
que des plumes dans cette affaire, qui fut réglée dans un cadre para-judiciaire.
145. BARTLETT 1986 ; Dominique BARTHÉLEMY, « Diversité des ordalies médiévales », RH 280 (1988),
p. 3-25.
146. Morton W. BLOOMFIELD, « Beowulf, Byrhtnoth, and the judgment of God : Trial by combat in
Anglo-Saxon England », Speculum 44 (1969), p. 545-559.
147. Robert JACOB, « La parole des mains. Genèse de l’ordalie carolingienne de la croix », dans Claude
GAUVARD & Robert JACOB (éd.), Les rites de la justice. Gestes et rituels judiciaires au Moyen Âge,
Paris, 1999, p. 19-62.
148. NEHLSEN-VON STRYCK 1981.
149. Cette lettre est traduite dans WHITELOCK 1968, p. 501 sqq. (n° 102). Commentaire dans DAVIES
& FOURACRE 1986, p. 234 ; WICKHAM 1995, p. 510. Affaire mentionnée sous le n° 24 dans
Patrick WORMALD, « A handlist of Anglo-Saxon lawsuits », ASE 17 (1988), p. 247-281 ; rééd.
dans WORMALD 1999a, p. 253-287.
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Chapitre IX
Ordre et désordre
Le roi Oswine de Deira avait fait don d’un « excellent cheval » à l’évêque
Aidan de Lindisfarne († 652), dont Bède le Vénérable met en exergue l’humilité lorsqu’il affirme qu’il se déplaçait jusqu’alors à pied. Or, peu après,
l’évêque donna ce cheval « avec tout son harnachement royal » à un pauvre
qui lui demandait l’aumône. Ayant eu vent de ce geste, le roi est censé le
lui avoir reproché en ces termes :
« Pourquoi as-tu voulu, seigneur évêque, faire don à un mendiant d’un
cheval royal, qu’il te fallait garder pour ton usage propre ? Ne possédionsnous donc pas en grand nombre des chevaux de moindre valeur et d’autres
objets qui auraient constitué des présents convenables pour des pauvres,
sans que tu donnes au mendiant le cheval que j’avais spécialement choisi
pour être le tien ? »
Et l’évêque de demander en retour au roi si le fils d’une jument lui était
plus cher qu’un fils de Dieu 1. Ce n’était pas le principe même de l’aumône,
mais sa nature, que contestait Oswine. Ses motifs étaient probablement les
suivants : en donnant son cheval, l’évêque pouvait laisser penser qu’il faisait peu de cas de la faveur royale dont il jouissait ; son geste pouvait être
considéré comme désobligeant à l’égard du roi ; surtout, il faisait fi de la
hiérarchie sociale, en donnant à quelqu’un qui n’y avait pas droit un cadeau
de grande valeur. Inversement, Bède, par la voix d’Aidan, laisse entendre
que Dieu ne fait pas acception des personnes, contrairement aux hommes.
Il ne faudrait cependant pas croire que les clercs n’étaient pas attachés à la
notion d’ordre et aux règles de préséance. Bien au contraire, ils contribuèrent grandement à la définition de la hiérarchie sociale médiévale 2.
1. Bede’s Ecclesiastical history of the English people, éd. Bertram COLGRAVE & R. A. B. MYNORS, Oxford,
1969, p. 258 (3, 14) ; citation d’après BÈDE LE VÉNÉRABLE, Histoire ecclésiastique du peuple anglais,
trad. Olivier SZERWINIACK et alii, t. 1, Paris, 1999, p. 156 sq. ; cf. Jos BAZELMANS, « Beyond power.
Ceremonial exchanges in Beowulf », dans THEUWS & NELSON 2000, p. 311-375, à la p. 329.
2. Cf. par exemple la synthèse de l’apport du haut Moyen Âge (en l’occurrence, essentiellement des
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Signes et symboles
La « raison des gestes » fait l’objet d’une attention particulière de la part
des médiévistes, en raison de l’importance que revêtaient les aspects formels dans les rapports sociaux 3 et les rituels dans les modes de communication au Moyen Âge 4. Tout est alors langage, pas seulement les mots, mais
aussi les gestes, le vêtement, l’apparence et la manière de se comporter. La
trame des rituels semble évoluer peu au fil des siècles : on décline toujours
à peu près la même gestique, dont le sens devait s’imposer aux esprits, ce
qui ne signifie pas que tout était réglé de manière intangible 5 – un peu
comme dans la récitation des séquences d’une épopée, où le poète a essentiellement la liberté de choisir entre plusieurs formules stéréotypées.
Dans la conclusion des actes juridiques, la remise d’un objet peut s’avérer aussi (voire plus) contraignante qu’une parole donnée ou qu’un engagement écrit. La force des gestes et la valeur des rituels sont particulièrement évidentes dans le cadre des célébrations liturgiques ou para-liturgiques
(telles les translations de reliques 6), mais aussi à propos des actes politiques.
Mise en scène politique
Dans un poème dédié au roi Pépin Ier d’Aquitaine, Ermold le Noir décrit
le déroulement d’une audience royale. Le poète aquitain, en exil à
Strasbourg, envoie Thalie auprès de son maître, à la cour d’Angeac, pour
lui demander de ses nouvelles ; voici les recommandations qu’il fait à la
muse 7 :
« En cette nombreuse cour, il se trouvera certainement quelque ami pour
vouloir te présenter au roi. Dès que ta bonne fortune t’aura conduite devant
lui, tu lui diras : “Roi vénérable, trois fois je te salue !” Puis, te prosternant,
baise ses pieds avec respect. De son auguste main, il te relèvera sans doute ;
et alors, touché de tes grands sanglots et de tes larmes, s’il a quelque souci
de moi, il t’ordonnera de parler : “D’où viens-tu, et qui t’a envoyée en notre
palais ?” Et toi, hâte-toi de produire ton message, de dire tout ce que tu as
à dire, et, je t’en prie, en peu de mots : les grands n’aiment pas les longs
discours. »
temps carolingiens) dans Dominique IOGNA-PRAT, Ordonner et exclure. Cluny et la société chrétienne
face à l’hérésie, au judaïsme et à l’islam, 1000-1150, Paris, 1998, p. 20 sqq.
3. SCHMITT 1990 ; Verena EPP, « Rituale frühmittelalterlicher “amicitia” », dans ALTHOFF 2001, p. 1124.
4. Frans THEUWS, « Rituals in transforming societies », dans THEUWS & NELSON 2000, p. 1-13, à la
p. 8 (et note 18), reconnaît dans les rituels « one form of externalisation of ideas », ces dernières étant
« made available to the senses and thus to interpretation and appropriation by others ».
5. Gerd ALTHOFF, « Die Veränderbarkeit von Ritualen im Mittelalter », dans ALTHOFF 2001, p. 157176.
6. RÖCKELEIN 2002, p. 368 sq.
7. ERMOLD LE NOIR, Poème sur Louis le Pieux et épîtres au roi Pépin, éd. et trad. Edmond FARAL, Paris,
1932, p. 207.
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ORDRE ET DÉSORDRE
Ce texte résume les éléments principaux d’une audience royale : on n’accède pas seul auprès du souverain, mais on est introduit auprès de lui (ce
qui constitue en soi une faveur) ; les marques de respect sont non seulement verbales, mais relèvent aussi d’une gestique qu’il faut rapprocher de
la proskynèse ; le comportement (en l’occurrence : la démonstration d’affliction par les pleurs) contribue à la délivrance du message ; la présentation au souverain ne vaut pas autorisation de lui parler : cette dernière est
une marque supplémentaire de faveur.
Il n’est pas surprenant que notre information soit particulièrement abondante en ce qui concerne la haute société, la cour du roi et le monde monastique. Que les descriptions dont on dispose s’avèrent le reflet de la réalité ou
le produit d’une réflexion (cléricale) sur la portée des gestes censés avoir été
accomplis 8, la valeur intrinsèque de ces rituels semble difficilement contestable – dans le contexte temporel et mental des auteurs de nos sources ; leur
rédaction à des fins de propagande n’en restreint pas pour autant l’intérêt 9.
Ces rituels exaltent notamment la majesté royale en puisant dans l’héritage antique 10. Les « entrées royales » (qu’il s’agisse de la description de
la manière dont il convenait de recevoir le roi dans une cité épiscopale ou
un monastère, au son des cantiques 11, ou du faste déployé lorsque l’empereur se rendait à Rome), la demande d’une faveur 12, ou encore, la soumission au roi 13 faisaient l’objet d’une « mise en scène » qui participait des
modes de communication entre le roi et ses fidèles, en signifiant la place
et le rang de chacun dans la société 14. La soumission au roi, qui s’avère une
reconnaissance de son autorité (le cas de Tassilon III de Bavière en offre
une magnifique illustration 15) est particulièrement intéressante, en ce sens
qu’elle garantit le statut des grands. C’est ce que prouve un capitulaire de
Louis le Pieux relatif aux biens des grands d’Aquitaine. Seuls étaient garantis les droits de propriété de ceux 16 qui s’étaient librement ralliés à Pépin
8. BUC 2001 ; BUC 2001a.
9. Pour des études de cas, cf. Philippe BUC, « Ritual and interpretation : the early medieval case »,
EME 9 (2000), p. 183-210 ; id., « Text and Ritual in Ninth-Century Political Culture. Rome, 864 »,
dans Gerd ALTHOFF, Johannes FRIED & Patrick J. GEARY (éd.), Medieval Concepts of the Past. Ritual,
Memory, Historiography, Cambridge, 2002, p. 123-138.
10. MCCORMICK 1986.
11. WILLMES 1976, p. 75 sqq.
12. KOZIOL 1992.
13. Gerd ALTHOFF, « Das Privileg der “Deditio”. Formen gütlicher Konfliktbeendigung in der mittelalterlichen Adelsgesellschaft », dans OEXLE & PARAVICINI 1997, p. 27-52 ; rééd. dans ALTHOFF
1997, p. 99-125.
14. Gerd ALTHOFF, « Demonstration und Inszenierung. Spielregeln der Kommunikation in mittelalterlicher Öffentlichkeit », FMSt 27 (1993), p. 27-50 ; rééd. dans ALTHOFF 1997, p. 229-257.
15. Stuart AIRLIE, « Narratives of triumph and rituals of submission : Charlemagne’s mastering of
Bavaria », TRHS, 6e série, 9 (1999), p. 93-119.
16. Un problème de datation se pose à propos de cette mesure. Elle fait partie d’un ensemble de quatre
chapitres copiés en bloc dans deux manuscrits tourangeaux du 2e quart du IXe siècle, dont l’un (le
chapitre 3) fait mention de Charlemagne en tant qu’empereur ; ce capitulaire, qu’aucune rubrique
n’annonce (le titre est moderne : Responsa imperatoris de rebus fiscalibus data) est daté du début des
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le Bref et lui avaient fait remise de leur personne, à la différence de ceux
qui, vaincus par les armes, étaient tombés au pouvoir du roi des Francs 17 :
« Au sujet de[s] alleu[x] qui [se trouvent] dans les places fortes (castella)
conquises par notre grand-père, il nous semble qu’il faut procéder en faisant la distinction suivante : qu’ils n’aient pas eux-mêmes pouvoir sur les
biens [qui leur appartenaient en] propre, ceux qui résistèrent tant qu’ils le
purent et passèrent au pouvoir de notre grand-père contre leur volonté ; en
revanche, ceux qui se donnèrent alors que leurs alliés résistaient avec ténacité, quand bien même [leur] place forte aurait été prise par la force, ils doivent avoir ce qui, à l’intérieur, leur [appartient en] propre. »
À l’évidence, il y avait eu, lors des campagnes des années 760, des
notables d’Aquitaine qui avaient fait preuve d’un certain tact politique et
s’étaient inclinés devant la force des troupes franques; d’autres avaient refusé
l’humiliation d’une deditio – il leur en coûta !
La chasse royale
Un moment privilégié de la démonstration des vertus royales était offert
par la chasse à laquelle le souverain conviait les membres de l’aristocratie
et ses hôtes étrangers pour s’en servir comme d’un forum (l’expression est
de J. Jarnut 18), dans les forêts royales ou les breuils attenants aux palais 19.
années 820 (en raison de la relation établie par son éditeur avec l’affranchissement de Lambert évoqué ci-dessous). On observera toutefois que les personnes dont Louis le Pieux décide du devenir
des alleux sont censées avoir été des acteurs de la vie politique vers la fin du règne de Pépin le Bref.
Or en 823, Louis le Pieux affranchit un certain Lambert, qui avait été réduit en servitude lors de
la conquête de l’Aquitaine par le roi des Francs : il avait été donné comme otage par son père (cf.
DEPREUX 1997, p. 269, n° 168) – lorsqu’il fut affranchi, Lambert avait donc au moins 55 ans, plus
probablement une soixantaine d’années ; selon toute vraisemblance, il fut livré alors qu’il était encore
enfant, un procédé tout à fait classique à l’époque. En revanche, si l’on considère que les personnes
concernées par la décision de Louis le Pieux, au début des années 820, étaient toutes âgées d’au
moins une quinzaine d’années à la fin du règne de Pépin le Bref, force est de reconnaître que la
décision de l’empereur ne concernait que des vieillards, âgés d’environ 70 ans et plus ; surtout, elle
venait bien tard. Par conséquent, il faut soit considérer que l’empereur fait implicitement référence
aux ancêtres des grands d’Aquitaine de son temps, soit qu’il s’agit du rappel d’une décision prise
par le roi d’Aquitaine que fut Louis à partir de 781 ; il est probable que la question du statut des
biens appartenant aux notables aquitains s’était posée bien avant le règne impérial de Louis le Pieux.
Cette seconde explication est d’autant plus vraisemblable que, dans le chapitre 4, le souverain
annonce qu’il remet sa décision à plus tard, étant donné qu’il n’a pas encore pu évoquer telle question (dont nous ignorons la teneur) avec ses fidèles ; a contrario, la décision concernant les alleux
des notables d’Aquitaine était là, toute prête.
17. Capitularia regum Francorum, éd. Alfred BORETIUS, Hanovre, 1883, p. 296 (n° 145, chap. 2).
L’intérêt de ce texte est souligné par BUC 2001a, p. 875 sq.
18. Jörg JARNUT, « Die frühmittelalterliche Jagd unter rechts- und sozialgeschichtlichen Aspekten »,
dans L’uomo di fronte al mondo animale nell’alto medioevo, t. 1, Spolète, 1985, p. 765-798 ; rééd.
dans JARNUT 2002, p. 375-408 (p. 774/384 : « die Jagd als Forum ») ; cf. également NELSON 1987,
p. 120 sqq.
19. Karl HAUCK, « Tiergärten im Pfalzbereich », dans HEIMPEL 1963, p. 30-74 ; Lutz FENSKE, « Jagd
und Jäger im früheren Mittelalter. Aspekte ihres Verhältnisses », dans RÖSENER 1997, p. 29-93,
aux p. 56 sqq. ; Thomas ZOTZ, « Beobachtungen zu Königtum und Forst im früheren Mittelalter »,
ibid., p. 95-122.
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La description de la chasse constitue un élément presque obligé de la littérature aulique 20, car c’est le lieu où le roi pouvait, en affrontant une bête
« sauvage » et en la mettant à mort, faire preuve de sa maîtrise des armes et
de son sang-froid, du contrôle de la violence qu’il exerçait (la chasse a pu
être rapprochée d’un simulacre de la guerre). Ce n’est pas par hasard si l’auteur du poème De Karolo rege et Leone papa, qui relate la visite de Léon III
à Paderborn en 799 pour demander de l’aide à Charlemagne, montre ce
dernier en train de chasser avec toute la cour : il s’agit d’une démonstration de la discipline de la cour et de la vaillance du vainqueur des Saxons 21.
La chasse, au même titre que le festin, contribuait à faire montre du faste
de la cour de Louis le Pieux et de sa puissance au Danois Harold, dont le
baptême en 826 à Ingelheim est relaté avec force détails par Ermold le Noir.
L’investiture
Le rituel traduit dans les gestes une intention et la réalise, au sens premier du terme. On en a l’illustration dans la Règle de saint Benoît. Celui
qui veut entrer au monastère doit, après une période probatoire, se prêter
au rituel suivant 22 :
« Avant d’être reçu, il promettra devant tous à l’oratoire, persévérance,
bonne vie et mœurs, et obéissance, devant Dieu et ses saints. […] De cette
promesse, il fera une pétition au nom des saints dont il y a là les reliques
et de l’abbé en charge. Cette pétition, il l’écrira de sa propre main, ou s’il
ne sait pas écrire, un autre l’écrira à sa demande, et le novice y mettra un
signe et la posera de sa main sur l’autel. »
Par le dépôt de sa demande d’admission sur l’autel, le nouveau moine
exprime sans ambiguïté possible qu’il s’offre à Dieu 23.
L’abandon d’un droit et sa remise à autrui, l’investiture 24, se faisait par
le jet ou la remise d’un objet. L’acte juridique de renonciation à un droit,
la werpitio (à l’origine du français « déguerpir ») consistait en un rituel lors
duquel on jetait (le verbe allemand werfen est issu de la même racine)
quelque chose, généralement un fétu ou une baguette (festuca) qu’on pouvait éventuellement réduire en morceaux. La festuca est le symbole auquel
20. Peter GODMAN, « The Poetic Hunt, from Saint Martin to Charlemagne’s Heir », dans GODMAN
& COLLINS 1990, p. 565-589.
21. À ce propos, cf. Wilhelm HENTZE (éd.), De Karolo rege et Leone papa. Der Bericht über die
Zusammenkunft Karls des Großen mit Papst Leo III. in Paderborn 799 in einem Epos für Karl den
Kaiser, Paderborn, 1999.
22. La règle de saint Benoît, éd. et trad. Jean NEUFVILLE & Adalbert DE VOGÜÉ, t. 2, Paris, 1972 (chap. 58,
§ 17-20).
23. Hieronymus FRANK, « Untersuchungen zur Geschichte der benediktinischen Profeßliturgie im frühen Mittelalter », SMGBZ 63 (1951), p. 91-139.
24. Gerhard KÖBLER, « Die Herkunft der Gewere », TRG 43 (1975), p. 195-211 ; Hagen KELLER,
« Die Investitur. Ein Beitrag zum Problem der “Staatssymbolik” im Hochmittelalter », FMSt 27
(1993), p. 51-86.
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on avait le plus généralement recours 25 ; mais on pouvait aussi se servir
d’autres objets, de manière conjointe ou séparée, pour procéder à une investiture : une motte de terre, la charte de donation elle-même 26, un couteau 27, un gant 28, etc. Le bâton et sa variante plus noble, le sceptre, sont à
ce point associés à l’investiture d’un pouvoir qu’ils en sont devenus les
symboles 29.
Ces divers objets pouvaient aussi être remis à titre de gages 30, c’est-àdire qu’ils signifiaient la reconnaissance d’une dette ou d’un devoir, et matérialisaient l’engagement qu’on prenait d’accomplir à l’avenir tel acte juridique, par exemple une restitution. Dans l’affaire des biens de Saint-Martin
tenus injustement par le vassal de l’abbé Robert, Patéric, dont il a déjà été
question plus haut 31, le prévôt Erfred et l’avoué de Saint-Martin, Adalmar,
se rendirent auprès de l’abbé et le convainquirent d’ordonner la restitution
du bien en le menaçant de porter leur plainte devant le roi Eudes, son frère,
qui se trouvait alors à Tours. Robert leur dit 32 :
« “Qui a un gage (guadium) ?” Alors, Erfred [le prévôt !] tira un couteau
du fourreau qu’il avait par-devers lui et le lui donna. Ce dernier tendit le
couteau à l’avoué Adalmar et lui dit : “Tu dois le recevoir, puisque tu es
leur avoué [c’est-à-dire l’avoué des frères]. Et si cela s’avère nécessaire, tu
combattras pour eux” ! »
L’abbé Robert donna donc son accord à la restitution du bien contesté,
par la remise d’un couteau – à charge pour l’avoué de contraindre le vassal
Patéric à se soumettre à cette décision !
Au Moyen Âge, les actes juridiques étaient accomplis de manière très
concrète : dans le cas d’une donation ou d’une restitution (suite à une décision de justice, par exemple), il était de coutume de se rendre sur les lieux
pour procéder in situ à la remise formelle du bien ; il n’est pas rare que les
chartes soient complétées par une notice relatant la tenue de l’assemblée
lors de laquelle il fut procédé publiquement au rituel d’investiture et consignant le nom des témoins.
25. Pour un exemple d’application, cf. Elisabeth MAGNOU-NORTIER, « Remarques sur la genèse du
Pactus Legis Salicae et sur le privilège d’immunité (IVe-VIIe siècles) », dans ROUCHE 1997, t. 1, p. 495538, qui propose une traduction du titre 46 du Pacte de la Loi Salique, sur l’affatomie (p. 537).
26. Harold STEINACKER, « “Traditio cartae” und “traditio per cartam” : ein Kontinuitätsproblem », AfD
5/6 (1959/60), p. 1-72.
27. Eberhard FREIHERR VON KÜNSSBERG, Messerbräuche. Studien zur Rechtsgeschichte und Volkskunde,
Heidelberg, 1941.
28. Berent SCHWINEKÖPER, Der Handschuh im Recht, Ämterwesen, Brauch und Volksglauben, mit einer
Einführung von Percy Ernst SCHRAMM, Die Erforschung der mittelalterlichen Symbole, Wege und
Methoden, Berlin, 1938, rééd. Sigmaringen 1981.
29. Karl VON AMIRA, Der Stab in der germanischen Rechtssymbolik, Munich, 1909.
30. Hans Rudolf HAGEMANN, « Fides facta und wadiatio. Vom Wesen des altdeutschen Formalvertrages »,
ZRG GA 83 (1966), p. 1-34.
31. Cf. supra, p. 162.
32. Recueil des actes de Robert Ier et de Raoul, rois de France (922-936), éd. Jean DUFOUR, Paris, 1978,
p. 141 (n° 37, 13 juin 892).
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Les mentions de ces objets symboliques se multiplient et ces derniers
semblent se diversifier vers la fin des temps carolingiens ; ils sont alors réputés correspondre à la revendication de telle ou telle loi (par exemple : le
droit franc, le droit lombard). Mais il faut rester prudent quant à la portée
de la mention de ces objets (relativement fréquente en Italie) ou de son
absence dans les chartes : elle pouvait être laissée à la libre appréciation du
scribe – c’est ainsi que, parmi les actes privés du cartulaire de Casauria
datant du règne de Louis II, les documents rédigés par le notaire Audoald
portent mention des objets remis alors qu’ils sont passés sous silence dans
les actes rédigés par le notaire Arecisi, qui fait simplement état d’une investiture sans en préciser le mode 33.
Un espace ordonné
Les lettrés du haut Moyen Âge, en particulier ceux des temps carolingiens, avaient le désir de mettre toute chose en ordre, même le temps qui
passe et le cours des saisons – en témoigne la réforme du nom des mois
imposée par Charlemagne, qui exprime une volonté de faire explicitement
coïncider les activités des hommes et le cours des astres 34. Du point de vue
spatial, le développement des liturgies stationales révèle une volonté d’organiser l’espace et de le sacraliser 35 en établissant une hiérarchie des lieux,
par exemple à l’intérieur de la cité – en l’occurrence, au sein du groupe
cathédral 36 – ou dans les limites de l’enclos monastique 37. De fait, l’appréhension de l’espace repose alors essentiellement sur la conscience toute
concrète de l’existence de points forts autours desquels le territoire est défini,
délimité, structuré 38.
La délimitation de l’espace
Dans le monde franc, c’est à partir de l’époque carolingienne que les
bâtiments conventuels se regroupent autour d’un cloître, matérialisant ainsi
33. FELLER 1998, p. 38 sq.
34. HAMMER 1997.
35. Sur la sacralisation de l’espace, cf. par ailleurs – et entre autres – Michel LAUWERS, « Le cimetière
dans le Moyen Âge latin. Lieu sacré, saint et religieux », Ann. HSS, 1999, p. 1047-1072 ; AnneMarie HELVÉTIUS, « Le saint et la sacralisation de l’espace en Gaule du nord d’après les sources
hagiographiques (VIIe-XIe siècle) », dans KAPLAN 2001, p. 137-161.
36. Cf. Carol HEITZ, « Le groupe cathédral de Metz au temps de saint Chrodegang », dans Saint
Chrodegang. Communications présentées au colloque tenu à Metz à l’occasion du douzième centenaire
de sa mort, Metz, 1967, p. 123-132 ; Michel SOT, « Organisation de l’espace et historiographie épiscopale dans quelques cités de la Gaule carolingienne », dans Bernard GUENÉE (éd.), Le métier d’historien au Moyen Âge. Études sur l’historiographie médiévale, Paris, 1977, p. 31-43.
37. Sur Saint-Riquier, cf. RABE 1995.
38. Cf. Alain GUERREAU, « Quelques caractères spécifiques de l’espace féodal européen », dans Neithard
BULST, Robert DESCIMON & Alain GUERREAU (éd.), L’État ou le roi. Les fondations de la modernité
monarchique en France (XIVe-XVIIe siècles), Paris, 1996, p. 85-101.
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dans l’espace la clôture 39. Le premier exemple de monastère franc adoptant
la forme d’un cloître carré est celui de Lorsch, dont la construction eut lieu
peu après 762 (cette abbaye fut fondée par Cancor, un parent de Chrodegang
de Metz, dont le nom est d’ailleurs symétrique). L’historiographie récente
révèle l’existence d’une conception symbolique de l’espace, qui ne s’avère
toutefois pas une appréhension immatérielle. En effet, la notion de limite,
de clôture, est essentiellement matérielle 40, à l’instar des limites de parcelles,
qui gardent parfois l’empreinte de la centuriation romaine 41, ou de la feganga
(chemin des bêtes) de la législation lombarde qu’on trouve encore dans certaines campagnes scandinaves (sous le nom de fægang en danois) : il s’agit
d’un « passage clôturé qui permet l’acheminement du bétail vers les pâtures
et protège les cultures concentrées autour de l’habitat 42 ».
La délimitation d’un territoire ne s’établissait pas sur le parchemin ; elle
était définie, concrètement, par un « tour du propriétaire » : on l’a déjà dit
plus haut à propos de l’investiture, les transferts de propriété avaient lieu
sur le terrain ; on se déplaçait alors d’une limite à l’autre, d’un repère à
l’autre (qu’il s’agisse d’une croix, d’une pierre levée, d’un arbre marqué d’un
signe spécifique, etc.). Le cartulaire de Lorsch offre un magnifique exemple
d’une assemblée convoquée en pleine forêt, près d’un tumulus (!), pour procéder à la délimitation de la marcha de Heppenheim, 22 ans (!) après que
Charlemagne l’eut donnée à l’abbaye royale toute voisine 43 : le comte Warin,
qui l’avait tenue en bénéfice, en établit les limites « par le jugement et le
témoignage d’hommes illustres », en suivant certains finages marqués par
un tumulus, en prenant comme repère une hauteur, en suivant un cours
d’eau ou une voie publique (strata publica). La fréquence des termes vernaculaires dans les parties des actes où sont énumérés les biens et leurs
confins s’avère probablement le reflet des déplacements effectués sur le terrain, afin de déterminer les limites d’un territoire, parfois dans le cadre
d’une enquête 44. Selon la légende rapportée par Hincmar de Reims dans
le troisième quart du IXe siècle 45, Clovis aurait promis à saint Remi de lui
39. SMITH 2001, p. 95 ; Walter HORN, « On the Origins of the Medieval Cloister », Gesta 12 (1973),
p. 13-52; sur la disposition des bâtiments conventuels dans les monastères mérovingiens, cf. Edward
JAMES, « Archaeology and the Merovingian monastery », dans CLARKE & BRENNAN 1981, p. 33-55.
40. Harald SIEMS, « Flurgrenzen und Grenzmarkierungen in den Stammesrechten », dans BECK et alii
1979, p. 267-309.
41. Exemples spectaculaires dans WARD-PERKINS 1988. Plus largement, cf. Gérard CHOUQUER &
François FAVORY, L’arpentage romain. Histoire des textes – Droit – Techniques, Paris, 2001.
42. Anne NISSEN JAUBERT, « Systèmes agraires dans le sud de la Scandinavie entre 200 et 1200 », dans
COLARDELLE 1996, p. 76-86, à la p. 79.
43. Codex Laureshamensis, éd. Karl GLÖCKNER, t. 1, Darmstadt, 1929, p. 278 sqq. (n° 6a). À ce propos, cf. Matthew INNES, « People, places and power in Carolingian society », dans J ONG et alii
2001, p. 397-437.
44. Patrick J. GEARY, « Land, language and memory in Europe, 700-1100 », TRHS, 6e série, 9 (1999),
p. 169-184.
45. Vita Remigii episcopi Remensis auctore Hincmaro, éd. Bruno KRUSCH, MGH SS. rer. Merov. 3,
Hanovre, 1896, p. 306 sq. (chap. 17).
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accorder, en Soissonais, tout ce dont il pourrait faire le tour durant sa sieste
(rex sancto Remigio concessit, ut, quantum circuiret, dum ipse meridie quiesceret, totum illi donaret). C’est ainsi que « saint Remi, se dirigeant le long
des finages, tels qu’ils apparaissent de manière tout à fait manifeste, laissa
des marques de son passage » (sanctus autem Remigius per fines, quae manifestissime parent, pergens, signa sui itineris misit). Remi ne remit pas en question les finages (il n’en avait matériellement pas le temps !) ; l’essentiel était
pour lui de placer des signes de propriété. Ce marquage du territoire par
un déplacement autour du domaine devait avoir lieu de temps à autre pour
rappeler à chacun les droits du propriétaire 46.
On pourrait rapprocher ces déplacements des tournées du royaume mentionnées par Grégoire de Tours : à propos de Théodebert Ier à la mort de
son père Thierry Ier ; à propos de Clotaire Ier en 555 lorsqu’il revendiqua le
royaume de son frère Thierry Ier, à la mort du petit-fils de ce dernier,
Théodebald ; à propos de l’installation du fils de Clotaire Ier, Chramn, en
Aquitaine ; à propos de l’usurpateur Gondovald, en 584 ; à propos de
Childebert II l’année suivante. Le souverain ne pouvait que renforcer son
autorité en se montrant dans toutes les parties de son (nouveau) territoire,
mais la « chevauchée » (en allemand : Umritt) effectuée par le roi parcourant son royaume après son avènement, qui deviendrait « un rite fréquent,
non nécessaire, mais souhaitable 47 » sous les Ottoniens et les Saliens, n’avait
manifestement aucune dimension constitutive aux temps mérovingiens : il
est significatif que Grégoire de Tours ne mentionne ces tournées du royaume
qu’à propos de rois dont les droits sur le territoire revendiqué s’avéraient, à
un titre ou à un autre, contestables ou contestés 48 ; il était donc particulièrement important d’aller glaner, sur le terrain, les serments de fidélité.
Conscience de l’espace, connaissance du territoire
Les souverains du haut Moyen Âge pouvaient avoir une connaissance
relativement précise de leurs territoires, dont ils ordonnaient, le cas échéant,
des descriptions ou des inventaires. Nous sommes bien renseignés sur le
contexte dans lequel fut préparé le traité de Verdun d’août 843 : la richesse
des divers territoires fut évaluée au manse près, à ce que prétend un annaliste. Les difficultés que rencontrèrent les délégués chargés de négocier la
constitution des lots n’étaient pas dues à une incapacité intellectuelle de
concevoir un territoire, mais à l’impossibilité dans laquelle ils se trouvèrent
de mener partout leur enquête 49.
46. K.-S. KRAMER, « Grenzenumgang », dans HRG 1, col. 1804-1806.
47. PARISSE 2002, p. 65.
48. Roderich SCHMIDT, « Umfahrt », dans HRG 5, col. 421-426, aux col. 423 sq.
49. François Louis GANSHOF, « Zur Entstehungsgeschichte und Bedeutung des Vertrages von Verdun
(843) », DA 12 (1956), p. 313-330.
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Les biens appartenant aux grandes familles comtales de Saxe étaient disséminés dans toute la région. Les Liudolfides, par exemple, étaient implantés aussi bien à l’ouest, dans les vallées de la Hase et de l’Ems, qu’à l’est,
dans la région où fleuriraient plus tard le palais de Goslar et le siège métropolitain de Magdebourg. Néanmoins, on observe aussi une tendance au
regroupement, pour constituer de véritables pôles de pouvoir : alors que le
cours de la Weser est, aux environs de Corvey, dominé par les Egbertides,
plus au nord (vers Minden), il est dominé par les descendants de Widukind,
également fort présents entre Weser et Hase 50. À n’en point douter, le voyageur savait qu’il quittait la zone dominée par telle famille pour entrer dans
celle dominée par telle autre.
On avait une conception empirique des espaces de pouvoir (indépendamment de la représentation érudite de l’espace cartographié 51), comme
le prouve l’auteur anonyme des Versus de Asia et de universi mundi rota,
composés en milieu franc probablement au VIIIe siècle 52. Amplifiant le propos d’Isidore de Séville au point de le modifier complètement, ce poète
écrit 53 :
« La Gaule est dite “Belgique” entre le Rhin et la Seine.
Là sont les villae royales et les princes pleins d’élégance ;
Ce sont des hommes forts à la guerre, terribles au combat. »
La concentration des villae royales en Neustrie (que l’auteur limite aux
pays de la rive gauche de la Seine, et dont il fait ensuite l’éloge) et en
Austrasie était si importante qu’elle pouvait caractériser la Belgique aux
yeux d’un lettré des premiers temps carolingiens ; son propos témoigne éloquemment d’une conscience politique et territoriale de l’espace.
L’étude des translations de reliques permet également de cerner l’existence de sphères d’influence en relation avec le contexte politique. On
observe ce phénomène de manière particulièrement nette à propos des
translations de saints jusqu’en Saxe, au IXe siècle 54 : alors que les monastères de Corvey et de Herford, sous l’emprise de la famille des Ekbertides,
font venir leurs reliques de Francie occidentale, les monastères sous la domination de familles descendant de Widukind se tournent vers Rome
(l’exemple le plus significatif est celui des reliques de saint Alexandre, dont
le comte Walbert organise la translation depuis les catacombes romaines
jusqu’au monastère de Wildeshausen, en 850, grâce au soutien de l’empereur Lothaire Ier et du pape Léon IV). Cette répartition géographique s’avère
50. KRÜGER 1950, p. 65 (carte 8).
51. Patrick GAUTIER DALCHÉ, « De la glose à la contemplation : place et fonction de la carte dans les
manuscrits du haut Moyen Âge », dans Testo e immagine nell’alto medioevo, t. 2, Spolète, 1994,
p. 693-764 ; rééd. dans GAUTIER DALCHÉ 1997 (n° VIII).
52. GERBERDING 1987, p. 26 sq.
53. Poetae Latini aevi Carolini, t. 4/2, éd. Karl STRECKER, Berlin, 1896, p. 555 (n° 39, § 25).
54. RÖCKELEIN 2002, p. 241 sqq.
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le reflet de la division politique de l’aristocratie saxonne lors des dissensions
qui suivirent la mort de Louis le Pieux.
Les lieux centraux
Les monastères que nous venons de citer peuvent être considérés comme
des « lieux centraux », des lieux où le pouvoir des familles aristocratiques
s’exprimait au mieux, des lieux attractifs aussi. D’un point de vue archéologique, la concentration de richesses peut également servir de critère. Dans
le monde scandinave, la répartition des trésors constitués d’objets en or, en
argent ou en bronze permet de déterminer l’existence de certains lieux centraux, caractérisés par un habitat aristocratique et dont l’importance était à
la fois sociopolitique et religieuse 55. La concentration la plus importante se
trouve à Gudme 56 (au Danemark, sur l’île de Fyn ou Fionie) : on a retrouvé
10 kg d’or répartis sur une aire de 2 400 ha. Il s’agit d’une zone de peuplement constituée d’une cinquantaine d’exploitations qui connut son apogée
entre le IIIe et le VIIe siècle. Le nom de Gudme est lui-même significatif, puisqu’il signifie « demeure des dieux ». Dans ces trésors, on trouve notamment
des bractéates, attestées essentiellement de 450 à 550, et des feuilles d’or, utilisées comme amulettes du VIe au VIIIe siècle. En Scandinavie, les bractéates
ont été trouvées principalement dans les trésors ; celles découvertes dans les
mondes anglo-saxon et franc se trouvaient exclusivement en contexte funéraire – par conséquent, l’interprétation de leur dépôt diffère selon les lieux.
Ces feuilles d’or sont généralement de très petite dimension et portent une
empreinte sur une seule face, où figurent le plus souvent un homme nu portant un torque (peut-être le dieu Odin), un homme vêtu tenant un bâton à
la main (peut-être le dieu Thor) ou un couple représentant probablement
Freir et sa sœur Freia, divinités de la fertilité. Une centaine de ces feuilles
d’or ont été trouvées aux environs de la plage de Lundeborg, située à quelques
kilomètres à l’est de Gudme dont elle faisait office de port. Une cinquantaine de feuilles semblables, dont la datation du contexte par dendrochronologie donne la fourchette 710-720, furent découvertes dans le remblaiement d’un trou de poteau d’une maison longue à trois nefs fouillée à Slöinge,
près de Falkenberg (au sud-ouest de la Suède, dans le Halland). Jusqu’à présent, ces feuilles d’or ne sont connues que dans le monde scandinave.
La recherche sur les lieux centraux dans l’Occident du haut Moyen Âge
met en évidence un véritable maillage du territoire. La densité des palais
en Neustrie et la manière dont les rois en ont tiré parti autorisent ainsi
J. Barbier à parler de véritable « système palatial 57 ». L’exemple le plus spec55. MÜLLER-WILLE 1999, p. 64-73.
56. Lotte HEDEAGER, « Asgard reconstructed ? Gudme – a “central place” in the North », dans JONG
et alii 2001, p. 467-507.
57. BARBIER 1990.
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taculaire est toutefois offert par les burhs édifiés en Wessex à la fin du
IXe siècle, qui quadrillent le territoire de façon relativement régulière – pour
le moins sont-ils situés à moins d’une trentaine de kilomètres les uns des
autres, ce qui permet de se rendre de l’un à l’autre en une seule journée de
marche 58. Les curtes et autres villae royales servaient à affirmer la présence
du souverain dans la région, ne serait-ce que de façon symbolique. Leur
importance politique est soulignée par la tenue en ces endroits des assemblées, des plaids généraux. La recherche sur les résidences royales est plus
avancée en Allemagne et en France qu’en Angleterre 59, pour laquelle on
dispose toutefois d’enquêtes montrant le grand nombre de villae royales à
l’époque anglo-saxonne, en dépit du caractère parfois mouvant de ces
domaines. Certains changèrent de main, furent donnés à des proches du
roi ; d’autres ne furent jamais aliénés : c’est par exemple le cas des quatre
tunas dont le roi Cuthwulf s’était emparé en 571 lorsqu’il battit les Bretons
à Bedcanford 60.
Les palais sont des lieux de pouvoir 61, lieux d’où l’on gouverne parfois,
lieux – surtout – où l’on fait démonstration de sa richesse, de sa puissance,
de son influence. Le choix du site de Tara, en Irlande, comme siège du pouvoir de la dynastie des Uí Néill, semble particulièrement évident 62 : comme
son nom l’indique, il s’agit d’un endroit d’où l’on peut voir toutes les provinces d’Irlande – Tara signifie en effet « le lieu qui offre une vue au loin ».
Ce lieu est donc, en soi, tout un programme politique. De même, l’établissement des rois lombards à Pavie, s’il s’inscrit en partie dans la tradition
du pouvoir ostrogothique, correspond également à une volonté programmatique d’affirmation du pouvoir alors que d’autres sites, plus prestigieux,
auraient pu être retenus 63 (notamment Milan, capitale du temps de la
Tétrarchie). Le choix de certains sites pour y établir un palais ou y fixer une
« capitale » ne dépend pas de l’importance économique du lieu (comme
l’illustre par exemple, chez les Wisigoths, le fait que Tolède s’imposa sur
Mérida 64) ; alors que les Mérovingiens résidaient dans les cités, les
Carolingiens n’oublièrent pas qu’ils étaient issus du noble milieu des grands
propriétaires fonciers et ils préférèrent construire leurs palais hors des villes 65.
58. CAMPBELL et alii 1982, p. 152-153.
59. État des lieux de la Pfalzenforschung en Allemagne et en France dans EHLERS 2002 (contributions
de Caspar EHLERS et d’Annie RENOUX).
60. Peter SAWYER, « The Royal Tun in Pre-Conquest England », dans WORMALD et alii 1983, p. 273-299.
61. Eugen EWIG, « Résidence et capitale pendant le haut Moyen Âge », RH 230 (1963), p. 25-72 ; rééd.
dans EWIG 1976, t. 1, p. 362-408 ; Franz STAAB, « Palatium in der Merowingerzeit. Tradition und
Entwicklung », dans STAAB 1990, p. 49-67 ; Thomas ZOTZ, « Pfalzen zur Karolingerzeit. Neue
Aspekte aus historischer Sicht », dans FENSKE et alii 2001, p. 13-23.
62. RICHTER 1996, p. 44.
63. Gian Pietro BROGIOLO, « Capitali e residenze regie nell’Italia longobarda », dans RIPOLL & GURT
2000, p. 135-162.
64. J. H. W. G. LIEBESCHUETZ, « Ravenna to Aachen », dans RIPOLL - GURT 2000, p. 9-30, à la p. 25.
65. BARBIER 1990 ; Alain DIERKENS & Patrick PÉRIN, « Les sedes regiae mérovingiennes entre Seine et
Rhin », dans RIPOLL & GURT 2000, p. 267-304.
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L’étude des séjours royaux révèle que la fréquentation de tel ou tel site
tenait de la propagande politique, de la volonté de renouer avec telle tradition ou d’affirmer telle revendication sur le territoire où se trouve le palais
et/ou sur les régions voisines. Ainsi, la fréquentation du palais d’Attigny
fut pour Charles le Simple un moyen d’exprimer ses ambitions lotharingiennes (déjà sous Charles le Chauve, on peut établir une corrélation entre
son intérêt pour les affaires du royaume de Lothaire II et la fréquence de
ses séjours à Attigny 66). L’examen des lieux d’implantation des palais est
également, en soi, révélateur de la volonté, à l’époque carolingienne, de
doter chaque territoire d’un lieu où la présence du roi est exprimée – ne
serait-ce que de manière symbolique 67. C’est le cas de Paderborn 68 (l’urbs
Caroli de Saxe), mais aussi (entre autres) de Francfort ou de Ratisbonne,
dont la concentration des palais 69 (résidence des ducs Agilolfides, résidence
de Louis le Germanique et résidence des évêques à l’intérieur des murs ;
résidence d’Arnulf de Carinthie près de Saint-Emmeram) explique probablement pourquoi, chez les lettrés anglo-saxons de la fin du IXe siècle,
Ratisbonne était considérée comme le seul véritable centre urbain de
Germanie, ainsi qu’en témoigne le remaniement en vieil anglais de la description d’Orose 70 (l’auteur tardo-antique ne mentionne que les cours des
fleuves, sans faire référence aux peuples habitant cette partie d’Europe) :
« Au nord des sources du Danube et à l’est du Rhin, il y a les Francs
orientaux (Eastfrancan) ; plus au sud, il y a les Souabes (Swæfas), sur l’autre
rive du Danube; au sud et à l’est de ces derniers, il y a les Bavarois (Bægware)
– la partie qu’on appelle “Ratisbonne” (se dæl /b e mon Regnesburg hætt).
Immédiatement à l’est, il y a les Bohémiens (Bæme) ; au nord-est, les
Thuringiens (b
/ yringas). Au nord, il y a les Vieux-Saxons (Ealseaxan) et au
nord-ouest les Frisons (Frisan)… »
Les palais sont aussi des lieux auxquels on reconnaissait une certaine
sacralité (Ingelheim, dont on connaît bien le programme iconographique
décorant l’aula et l’église 71, n’est-il pas considéré comme la « demeure des
anges » ?). Au cours du haut Moyen Âge, on observe un renforcement de
ce phénomène, exprimé par la construction de collégiales à l’intérieur du
66. BARBIER 1982.
67. Thomas ZOTZ, « Carolingian tradition and ottonian-salian innovation : comparative observations
on palatine policy in the Empire », dans DUGGAN 1993, p. 69-100.
68. Présentation synthétique des fouilles réalisées à Paderborn par Sveva GAI, « Nouvelles données sur
le palais de Charlemagne et de ses successeurs à Paderborn (Allemagne) », dans RENOUX 2001,
p. 201-212.
69. Peter SCHMID, « König – Herzog – Bischof. Regensburg und seine Pfalzen », dans Lutz FENSKE
(éd.), Deutsche Königspfalzen. Beiträge zu ihrer historischen und archäologischen Erforschung, t. 4 :
Pfalzen – Reichsgut – Königshöfe, Göttingen, 1996, p. 53-83.
70. HERRMANN 1965, p. 186 ; LUND 1984, p. 16.
71. Walther LAMMERS, « Ein karolingisches Bildprogramm in der aula regia von Ingelheim », dans
Festschrift für Hermann Heimpel, t. 3, Göttingen, 1972, p. 226-289 ; rééd. dans id., Vestigia mediaevalia. Ausgewählte Aufsätze zur mittelalterlichen Historiographie, Landes- und Kirchengeschichte,
Wiesbaden, 1979, p. 219-283.
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palais, comme ce fut le cas à Aix-la-Chapelle ; il s’agit de fondations allant
bien au-delà de la construction d’un simple oratoire ou de la juxtaposition
d’une résidence royale et d’une église. Du temps de Clotaire II et de son
fils, Dagobert Ier, il existe un lien évident entre Saint-Denis et le palais de
Clichy – leur poids symbolique respectif étant à l’avantage de l’établissement monastique : « Le palais de Clichy paraît être pour ainsi dire dans la
dépendance de la basilique Saint-Denis, presque son annexe laïque. » En
revanche, les monastères palatins des temps carolingiens se développent
dans une véritable symbiose des pôles séculier et religieux 72.
Compiègne est l’exemple le plus célèbre d’un palais de la seconde moitié du IXe siècle pourvu d’une collégiale sur le modèle de celle d’Aix-laChapelle ; cet ensemble palatial offrait à Charles le Chauve un ersatz de la
résidence privilégiée de son grand-père et homonyme 73. Compiègne n’est
cependant pas un cas unique en son genre. Carloman, le fils de Louis le
Germanique, n’agit pas autrement en 877 lorsqu’il dota le « monastère nouvellement construit par nous depuis les fondations », c’est-à-dire le monastère fondé par lui à Altötting, en Bavière (sur la rive droite de l’Inn, non
loin de la confluence avec la Salzach). Il s’agit d’une résidence princière
attestée depuis la fin du VIIIe siècle, qui devint un palais d’importance
majeure sous le règne de Carloman et celui d’Arnulf de Carinthie 74.
Révolte et opposition
L’architecture religieuse pouvait s’avérer un moyen d’exprimer son attachement à telle tradition ou, au contraire, son opposition – au gouvernement du souverain, par exemple : l’abandon du plan typique de la réforme
de Benoît d’Aniane et le retour aux modèles des églises abbatiales more
romano telles qu’elles étaient construites sous Charlemagne 75 témoignent
des tensions suscitées par la politique de Louis le Pieux au sein de l’aristocratie aussi éloquemment que les libelles, poèmes et autres traités polémiques alors composés 76. Les mouvements d’opposition nobiliaire sont
bien connus aux temps carolingiens 77. Quant aux soulèvements « popu72. Josiane BARBIER, « Le sacré dans le palais franc », dans KAPLAN 2001, p. 25-41 (citation p. 36).
73. Reinhold KAISER, « Aachen und Compiègne : zwei Pfalzstädte im frühen und hohen Mittelalter »,
Rheinische Vierteljahrsblätter 43 (1979), p. 100-119 ; Martine PETITJEAN, « Fouilles sur le site palatial carolingien de Compiègne dans l’Oise », dans RENOUX 1996, p. 157-165.
74. Wilhelm STÖRMER, « Die Anfänge des karolingischen Pfalzstifts Altötting », dans Dieter BERG &
Hans-Werner GOETZ (éd.), Ecclesia et regnum. Beiträge zur Geschichte von Kirche, Recht und Staat
im Mittelalter. Festschrift für Franz-Josef Schmale zu seinem 65. Geburtstag, Bochum, 1989, p. 6171.
75. Werner JACOBSEN, « Gab es die karolingische “Renaissance” in der Baukunst ? », Zeitschrift für
Kunstgeschichte 51 (1988), p. 313-347 ; id., « Allgemeine Tendenzen im Kirchenbau unter Ludwig
dem Frommen », dans GODMAN & COLLINS 1990, p. 641-654.
76. Cf. par exemple David GANZ, « The Epitaphium Arsenii and Opposition to Louis the Pious », dans
GODMAN & COLLINS 1990, p. 537-550.
77. BRUNNER 1979.
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laires », ils peuvent également s’avérer liés à la vie politique et aux rivalités
qui se développèrent au sein de la famille régnante 78 ; le cas de la rébellion
qui eut lieu en Saxe en 841-842, la révolte des Stellinga (qui recruta ses partisans dans les classes moyennes de la population, les frilingi et lazzi), en
apporte éloquemment la preuve 79 – de même, les Vikings tirèrent parti des
troubles internes de l’Empire carolingien. Le recours à la violence s’avère
bien évidemment l’aspect le plus spectaculaire de ces révoltes. Leur fondement est, dans le cadre de ce livre, particulièrement intéressant, puisqu’il
met la plupart du temps en jeu l’une des formes les plus importantes des
relations sociales : l’association scellée par le serment.
La conjuration
On a interprété la révolte qui eut lieu en 589 au monastère de SainteCroix de Poitiers comme l’expression d’une « conscience de classe », la fille
de roi qu’était Chrothilde ne supportant pas de se soumettre à une abbesse
qui n’était pas du même rang social qu’elle. Qu’il s’agisse ou non d’un exemple
de l’antagonisme (supposé) entre une conception de la société nobiliaire et
germanique d’une part et chrétienne d’autre part, la manière dont Chrothilde
prépara son coup est significative de la nécessité qu’on éprouvait alors de
s’associer par serment, de se « conjurer » pour mener à bien un soulèvement :
en exigeant un serment des quarante moniales qui l’appuyèrent dans sa
contestation de l’abbesse Leubovera, Chrothilde leur imposait un lien similaire à celui du leudesamium et se constituait ainsi une sorte de Gefolgschaft 80.
Il existait des associations jurées de serfs particulièrement craintes par
le pouvoir. En 821, Louis le Pieux recommanda à ses missi de veiller à dissoudre de telles formes de solidarité, apparemment très courantes dans les
régions proches de la mer du Nord, et de contraindre à une amende sévère
les maîtres tolérant cela 81 :
« Au sujet des associations jurées (conjurationes) de serfs (servi), qui se
font dans les Flandres, dans le pays des Ménapes 82 et dans les autres endroits
maritimes, nous voulons que nos missi indiquent aux maîtres de ces serfs
qu’ils doivent leur défendre, dorénavant, faire de telles associations jurées.
Que ces mêmes maîtres sachent que, si leurs serfs osent faire une association jurée de quelque manière que ce soit après que notre ordre leur a été
communiqué, le maître [de tels serfs] devra payer notre ban, c’est-à-dire
60 sous. »
78. EPPERLEIN 1969, p. 15 sqq. (l’auteur parle de « bäuerlicher Widerstand »).
79. Eric J. GOLDBERG, « Popular Revolt, Dynastic Politics, and Aristocratic Factionalism in the Early
Middle Ages : The Saxon Stellinga Reconsidered », Speculum 70 (1995), p. 467-501.
80. SCHEIBELREITER 1979, p. 36.
81. Capitularia regum Francorum, éd. Alfred BORETIUS, t. 1, Hanovre, 1883, p. 301 (n° 148, chap. 7).
82. Le pagus Mempiscus comprenait à l’origine tout le littoral entre les bouches de l’Escaut et l’Aa. Son
chef-lieu était Cassel (cf. Auguste LONGNON, Atlas historique de la France depuis César jusqu’à nos
jours, vol. 1, Paris, 1912, p. 125), puis il fut transféré à Tournai (LEBECQ 1998, p. 488).
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En 805, Charlemagne avait déjà explicitement visé les associations de
serfs lorsqu’il prit des mesures contre les « conspirations ». Les personnes
convaincues de s’être engagées par la main droite devaient, si elles étaient
libres, jurer avec des co-jureurs qu’elles ne l’avaient pas fait à mauvais dessein ; quant aux serfs, ils devaient recevoir le fouet 83.
Des meneurs exaltés ?
Point n’était toutefois besoin de recourir au serment pour remettre en
cause l’ordre établi. Grégoire de Tours relate l’histoire d’une sorte d’illuminé contestataire (ou bien d’un dément possédé, c’est selon) originaire du
Berry 84, qui se rendit en Provence avant d’achever son périple en Velay, où
il fut assassiné par un membre de la suite de l’évêque du Puy, qu’il avait
défié en envoyant au prélat « des hommes qui dansaient et sautaient, le
corps nu, pour annoncer son arrivée ». L’homme se faisait passer pour le
Christ et vivait en compagnie d’une femme, « sa prétendue sœur qu’il faisait appeler Marie ». Ce Robin des Bois avant la lettre « se mit à dépouiller
et à dévaliser les gens qu’il pouvait rencontrer sur son chemin ; il faisait toutefois des largesses aux indigents avec le butin ». Il combinait, apparemment avec succès, contestation sociale et mysticisme :
« Une foule de gens affluait vers lui en lui présentant des malades auxquels il rendait la santé en les touchant. Ceux qui venaient à lui lui apportaient aussi de l’or et de l’argent ainsi que des vêtements. Pour exercer plus
facilement sa séduction il les distribuait aux pauvres ; il se prosternait au
sol en se répandant en prières avec la femme susdite, puis se redressant de
nouveau, il ordonnait à ceux qui se tenaient autour de lui de l’adorer. Il
prédisait également l’avenir… »
Selon Grégoire, cet individu parvint également à attirer à lui des clercs.
Il était loin d’être le seul à contester l’ordre établi, à concurrencer par exemple
l’institution de la matricule des pauvres, par le biais de « sortilèges ».
Dernières résurgences de la Bagaude ayant particulièrement sévi au
Ve siècle 85 ? En Espagne, au cours du VIe siècle, on observe aussi des mouvements de contestation du pouvoir wisigothique, par exemple à l’occasion
de la soumission par Léovigild, en 577, de l’Orospeda, une région qui se
situe vers la source du Guadalquivir : les classes inférieures de la société se
soulevèrent alors 86.
83. Capitularia regum Francorum, t. 1, p. 124 (n° 44, chap. 10).
84. GRÉGOIRE DE TOURS, Histoire des Francs, trad. Robert LATOUCHE, t. 2, Paris, 1963, p. 304-306
(X, 25).
85. FOLZ et alii 1972, p. 53 et p. 88.
86. CLAUDE 1970, p. 67 et p. 113.
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L’insécurité
Il a été rappelé à plusieurs reprises, au cours de cet ouvrage, que la
recherche de protection constituait un élément fondamental des rapports
sociaux durant le haut Moyen Âge. Est-ce à dire que l’insécurité régnait
partout, que la violence sévissait en tout lieu ? Le terme de « sauvagerie »
employé par certains pour décrire cette société 87 s’avère-t-il vraiment approprié ? Comme l’observe G. Halsall, il est bien délicat de porter un jugement
sur le degré de violence des sociétés du haut Moyen Âge et de dire si elles
étaient plus ou moins violentes que d’autres périodes, ne serait-ce qu’en
raison de la subjectivité des témoignages 88 – la violence, comme la souffrance qu’elle engendre, relèvent en partie de l’ordre de la perception, et
sont dès lors des données relatives.
Les terreurs suscitées par les Vikings, qui constituèrent une menace à partir de la fin du VIIIe siècle et dont les raids s’intensifièrent dans le deuxième
tiers du IXe siècle, relèvent du lieu commun historiographique – qui remonte
aux témoignages contemporains, notamment à propos des « exodes » de
reliques 89, les Vikings étant considérés comme les instruments de la vengeance divine 90. L’importance des « hommes du Nord » dans l’histoire de
l’Europe carolingienne est indéniable 91 ; or leur impact sur la vie des gens
fut assurément très variable, selon l’endroit et le moment (en ce qui concerne
la peur suscitée par leur passage ou aux environs des endroits où ils hivernaient, mais aussi en ce qui concerne leur influence sur les coutumes des
populations – à cet égard, le peu de vestiges vikings trouvés en Normandie
témoigne du caractère avancé de leur assimilation et de leur acculturation
lorsqu’ils s’y établirent définitivement 92). Les régions côtières et les vallées de
87. Pierre BONNASSIE, « Le rapport de l’homme à la terre, ou les deux sens du mot “culture”. Hommage
à Georges Duby », dans Claudie DUHAMEL-AMADO & Guy LOBRICHON (éd.), Georges Duby.
L’écriture de l’histoire, Bruxelles, 1996, p. 87-102 ; rééd. dans BONNASSIE 2001, p. 51-66, à la p. 53.
88. Guy HALSALL, « Violence and society in the early medieval west : an introductory survey », dans
HALSALL 1998, p. 1-45 (il s’agit d’une excellente synthèse, en introduction à un volume présentant la diversité des formes de violence durant le haut Moyen Âge).
89. Pierre RICHÉ, « Conséquences des invasions normandes sur la culture monastique dans l’Occident
franc », dans I Normanni e la loro espansione in Europa nell’alto medioevo, Spolète, 1969, p. 705721 ; Felice LIFSHITZ, « The migration of Neustrian relics in the Viking Age : the myth of voluntary exodus, the reality of coercion and theft », EME 4 (1995), p. 175-192. Certains exils furent
temporaires, d’autres définitifs ; à titre d’exemples, cf. Pierre GASNAULT, « Le tombeau de saint
Martin et les invasions normandes dans l’histoire et dans la légende », RHEF 47 (1961), p. 51-66 ;
Jacques LE MAHO, « Un exode de reliques dans les pays de la Basse Seine à la fin du IXe siècle »,
Bulletin de la Commission départementale des Antiquités de la Seine-Maritime 46 (1998), p. 137-188.
90. Simon COUPLAND, « The Rod of God’s Wrath or the People of God’s Wrath ? The Carolingian
Theology of the Viking Invasions », Journal of Ecclesiastical History 42 (1991), p. 535-554.
91. La bibliographie est énorme ; cf. par exemple GALINIÉ 1989 ; ROESDAHL 1991 ; Rüdiger FUCHS,
« Die Landnahme von Skandinaviern auf den Britischen Inseln aus historischer Sicht », dans
MÜLLER-WILLE & SCHNEIDER 1994, t. 2, p. 95-127 ; Piet LEUPEN, « Viking Age Raids and Urban
Settlement on the Rivers Rhine and Meuse in the Ninth Century », dans NILSSON & LILJA 1996,
p. 79-94 ; SAWYER 1997 ; CLARKE et alii 1998.
92. Anne NISSEN JAUBERT, « Some aspects of Viking research in France », dans Steffen STUMMANN
HANSEN & Klavs RANDSBORG (éd.), Vikings in the West, Copenhague, 2000, p. 159-169.
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la Francia occidentalis et des îles Britanniques ne furent pas seules à faire l’objet de pillages ; les Sarrasins constituèrent, par exemple, une menace en
Méditerranée 93. En Germanie, les Hongrois semèrent également la terreur
entre la fin du IXe siècle et le milieu du siècle suivant 94. Durant toute la période
qui nous intéresse ici, les régions orientales du monde franc furent soumises
à une insécurité latente, due aux tensions qui pouvaient exister entre les populations germaniques et les Slaves, avec qui elles coexistaient. Les rapports
entre les « Francs » et les Slaves n’étaient en effet pas toujours pacifiques,
comme l’illustre la plainte de l’auteur des Breves Notitiae de Salzbourg, à la
fin du VIIIe siècle, concernant les biens de la « celle » de Saint-Maximilien à
Bischofshofen, dans la vallée de la Salzach : cette « celle » fut plusieurs fois
la cible des Slaves, qui la détruisaient en « très cruels païens » qu’ils étaient 95.
Les divisions théoriques de la société
Au désordre que générait la violence, les clercs du haut Moyen Âge opposèrent une conception sociale reposant sur la notion d’ordre(s), qui marqua profondément l’éthique de gouvernement des souverains carolingiens
– en particulier Charlemagne, Louis le Pieux et Charles le Chauve 96. Parmi
les diverses manières d’envisager les catégories sociales, ils proposèrent successivement deux modèles essentiels, qui se chevauchèrent et demeurèrent
un temps en concurrence. Le premier, dont l’origine remonte aux Pères de
l’Église, consiste en une hiérarchisation des degrés de la perfection : au plus
haut se trouvent les moines, puis viennent les clercs et, ensuite, les laïcs 97.
Au cours du IXe siècle, un nouvel ordonnancement apparaît et tend à s’imposer dans la théologie politique dès les années 860 : la division de la société
entre ceux qui prient, ceux qui combattent et ceux qui travaillent la terre,
qui constitue une résurgence de la tripartition indo-européenne mise en
évidence par G. Dumézil 98.
On ne saurait trop rappeler qu’il s’agit là d’échelles morales, de visions
de l’esprit, de modes de représentation 99. Les distinctions, dans la pratique,
93. Sur la piraterie en Méditerranée, cf. Christophe PICARD, La mer et les Musulmans d’Occident au
Moyen Âge, VIIIe-XIIIe siècle, Paris, 1997, p. 9 sqq.
94. KRISTO 2000, p. 15 sqq.
95. WOLFRAM 1974, p. 210 sq.
96. Giles CONSTABLE, Three Studies in Medieval Religious and Social Thought, Cambridge, 1995,
p. 267 sqq. ; Dominique IOGNA-PRAT, « Ordre(s) », dans LE GOFF & SCHMITT 1999, p. 845-860.
97. Otto Gerhard OEXLE, « Tria genera hominum. Zur Geschichte eines Deutungsschemas der sozialen
Wirklichkeit in Antike und Mittelalter », dans FENSKE et alii 1984, p. 483-500; JUSSEN 1993, p. 167 sqq.
98. Georges DUBY, Les trois ordres ou l’imaginaire du féodalisme, Paris, 1978 ; Jacques LE GOFF, « Les
trois fonctions indo-européennes, l’historien et l’Europe féodale », Ann. ESC 34 (1979), p. 11871215 ; Dominique IOGNA-PRAT, « Le “baptême” du schéma des trois ordres fonctionnels. L’apport
de l’école d’Auxerre dans la seconde moitié du IXe siècle », Ann. ESC 41 (1986), p. 101-126.
99. À ce propos, cf. Otto Gerhard OEXLE, « Die funktionale Dreiteilung als Deutungsschema der sozialen Wirklichkeit in der ständischen Gesellschaft des Mittelalters », dans Winfried SCHULZE &
Helmut GABEL (éd.), Ständische Gesellschaft und soziale Mobilität, Munich, 1988, p. 19-51.
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se déclinaient plutôt de manière binaire : homme ou femme, clerc ou laïc,
puissant ou pauvre, etc. – avec toutes sortes de subtilités juridiques et sociales
quant au statut des personnes. Cette diversité n’est pas sans contribuer à
l’intérêt de l’Occident médiéval.
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Dans la seconde moitié du VIIe siècle, un Irlandais appelé Toimtenach,
qui latinisa son nom sous la forme de Cogitosus, rédigea une Vie de sainte
Brigitte dans laquelle il décrit l’église de Kildare, alors siège métropolitain
de Leinster 1. Il évoque la diversité des personnes fréquentant l’édifice, mais
aussi l’ordre qu’il y règne 2 :
« Cette église comporte beaucoup de fenêtres ; il y a une porte ornée sur
le côté droit, par laquelle les prêtres et les fidèles du peuple [c’est-à-dire :
les laïques] de sexe masculin entrent dans l’église ; il y a une autre porte,
sur le côté gauche, par laquelle les vierges et la congrégation des femmes
fidèles [ont] l’habitude d’entrer. Ainsi, dans une seule et même basilique
[de] grande [dimension], un peuple imposant, [composé de] divers ordre[s],
degrés, sexe[s] et [venant de divers] lieux, prie le Seigneur tout-puissant
d’un seul esprit [bien qu’il soit composé de] divers ordre[s] entre lesquels
sont placés des chancels (paries). »
Cogitosus évoque un peu plus loin l’affluence que connaît le lieu fondé
par sainte Brigitte, notamment lors de sa fête, le 1er février :
« Quel discours peut faire apprécier l’extrême beauté de cette église et les
prodiges [que recèle] cette cité ? – ainsi que nous l’appelons, si tant est que
nous puissions l’appeler une cité, alors qu’elle n’est entourée d’aucun mur.
Étant donné que d’innombrables populations s’y rassemblent, et puisqu’une
cité tire son nom de l’assemblée d’hommes nombreux en son sein, c’est une
grande cité et une métropole ! Dans ses environs (in suburbanis), que sainte
Brigitte définit d’une limite certaine, aucune chair n’est adverse; on ne craint
pas l’entrée d’ennemis. Au contraire, cette cité et ses environs (cum suis omnibus deforis suburbanis) sont un refuge très sûr pour tous les fugitifs de toute
la terre des Scoti. On y conserve les trésors des rois […] Qui pourrait énu1. Sur ce document, cf. Richard SHARPE, « Vitae S. Brigitae : the oldest texts », Peritia 1 (1982), p. 81106, aux p. 83 sqq.
2. Vita II S. Brigidae virginis, auctore Cogitoso, dans Acta Sanctorum…, Februarius, tome 1, Anvers,
1658, p. 141 ; traduction anglaise par S. CONNOLLY et J.-M. PICARD dans Journal of the Royal Society
of Antiquaries of Ireland 117 (1987), p. 11-27 (ici p. 26 sq.).
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mérer les diverses foules et le peuple innombrable affluant de toutes les provinces d’Irlande? Les uns [accourent] en raison de l’abondance des banquets,
d’autres pour le spectacle [qu’offrent] les foules, d’autres pour [obtenir] la
guérison de leurs maux ; d’autres [encore] affluent avec des dons et des
cadeaux importants pour la solennité de la nativitas de sainte Brigitte qui,
s’endormant le jour des calendes de février, abandonna sans crainte son vêtement charnel et suivit l’Agneau de Dieu dans les demeures célestes. »
Dans ce passage, fort riche, on retrouve nombre de thèmes évoqués dans
les pages qui précèdent : le souci de distinguer les individus en divers
« ordres », l’attraction que pouvait exercer un monastère sur les populations, le prestige de la « cité » (et la volonté de se rattacher à l’héritage
romain, ne serait-ce que par un artifice rhétorique), l’importance de la définition des limites et la paix dont on jouit à l’intérieur (qu’on appelle cela
protection ou immunité), le rôle joué par les richesses et les offrandes, la
dimension conviviale des grandes foires-assemblées organisées à l’occasion
des fêtes religieuses 3 ; l’aspiration au Salut, enfin, alors qu’on a tout lieu de
penser que Brigitte est l’effigie christianisée d’une divinité païenne.
Est-ce à dire que toute l’histoire du haut Moyen Âge se trouve condensée dans le récit de Cogitosus ? Ce serait aller un peu vite en besogne.
Les changements, entre le milieu du VIe siècle et la fin du IXe siècle, ne
sont pas négligeables : du point de vue géopolitique, les Francs se sont imposés comme le peuple qui constitue le pivot de l’Occident chrétien. Les
aspects économiques, avec le déplacement du centre de gravité de la
Méditerranée vers les fleuves de la mer du Nord ; les aspects diplomatiques,
avec le ralliement de la papauté et la conquête de nouveaux territoires ; les
aspects culturels et cultuels, pour lesquels l’impulsion donnée par certains
clercs réformateurs du milieu du VIIIe siècle et Charlemagne s’avère décisive – tous participent de ce même mouvement. L’encadrement des populations rurales se renforce et prend des formes nouvelles ; la paroisse devient
le cadre essentiel de la vie sociale, alors que l’emprise des grands propriétaires terriens s’accroît. À la faveur de ce mouvement, la notion de dépendance supplante celle de liberté dans la distinction sociale. La richesse terrienne, autant que la vigueur au combat, détermine la noblesse. Au cours
du haut Moyen Âge, les élites se sont renouvelées – du moins, elles apparaissent sous un jour nouveau, qui illustre le passage d’identités différentes,
voire antagonistes (ce qui n’empêche pas une fascination réciproque), à un
même profil : en paraphrasant saint Paul, on pourrait dire qu’il n’y a plus
ni Romains, ni Germains, mais des Francs, réputés être aimés du Christ
(comme on en trouve l’affirmation dans le Prologue de la Loi Salique). On
peut toutefois douter de la cohésion profonde du monde carolingien ; à cet
égard, laissons à P. Geary le mot de conclusion 4 :
3. CHARLES-EDWARDS 2000, p. 14 sq.
4. GEARY 1996, p. 56 sq.
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CONCLUSION
« Les diverses régions d’Europe qui avaient été unies par la force pendant la période franque n’avaient pas les mêmes traditions culturelles, politiques, ou sociales. Leur unité venait de leur héritage commun : certains
éléments de l’organisation provinciale de la fin de l’Empire romain, un système religieux et ecclésiastique imposé, et l’aristocratie mise en place par
les conquérants carolingiens victorieux. C’est peut-être cette dernière, plus
que toute autre chose, qui fit la cohésion de l’Europe au IXe siècle ; la désintégration de cette aristocratie et la fin de cette cohésion furent deux phénomènes indissociables aux Xe et XIe siècles ».
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Bibliographie
N.B. : Il s’agit ici d’une bibliographie sommaire, comprenant notamment les monographies
et les publications auxquelles il est fait plusieurs fois référence. Les autres études (articles ou
travaux plus ponctuels) sont généralement citées dans les notes infrapaginales (lorsque deux
publications d’un même auteur ont paru la même année, la seconde y est pourvue d’un
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Annexe
Accord conclu lors d’une assemblée judiciaire réunie
à Rižana (Risano) en 804, sous la présidence des missi
de Charlemagne alors envoyé en Istrie 1
(document traduit)
Au nom du Père, et du Fils, et du saint Esprit, amen.
Alors que, en vertu de l’ordre du très pieux et excellentissime seigneur
Charles, le grand empereur, et de son fils, le roi Pépin, nous, leurs serviteurs
(servi) – c’est-à-dire : Izzo, prêtre, et Cadola et Aio, comtes — avions été
envoyés en Istrie pour les causes des saintes églises de Dieu, au sujet des
droits (justitia) de nos seigneurs et à propos de la violence [subie par] le
peuple, les pauvres, les orphelins et les veuves, nous vînmes avant toute autre
chose dans le territoire de Capodistria, au lieu-dit Rižana. Là, le vénérable
homme Fortunat, patriarche, les évêques Théodore, Léon, Stauratius, Étienne
[et] Laurent, et le reste des primates ainsi que le peuple (populus) de la province d’Istrie étant assemblés, nous élûmes 172 des hommes les plus importants (homines capitanei) de chaque cité et castellum, et nous leur fîmes jurer
sur les quatre saints Évangiles de Dieu et sur les reliques des saints, qu’ils
diraient la vérité à propos de tout ce qu’ils savaient et de ce sur quoi nous
les interrogerions, tout d’abord au sujet des affaires des saintes églises de
1. Cesare MANARESI, I placiti del « regnum Italiae », Rome, 1955, p. 48 sqq. (n° 17). Ce texte a fait
l’objet d’un commentaire en forme de paraphrase par André GUILLOU, Régionalisme et indépendance
dans l’Empire byzantin au VIIe siècle. L’exemple de l’Exarchat et de la Pentapole d’Italie, Rome, 1969,
p. 294 sqq. On dispose également de traductions en allemand et de commentaires dans KRAHWINKLER
1992, p. 199 sqq. ; Stefan ESDERS, « Regionale Selbstbehauptung zwischen Byzanz und dem
Frankenreich. Die inquisitio der Rechtsgewohnheiten Istriens durch die Sendboten Karls des Großen
und Pippins von Italien », dans Stefan ESDERS & Thomas SCHARFF (éd.), Eid und Wahrheitssuche.
Studien zu rechtlichen Befragungspraktiken in Mittelalter und früher Neuzeit, Francfort/Main 1999,
p. 49-112. Toute traduction de ce genre de texte est périlleuse (les analyses ou traductions des uns
et des autres diffèrent d’ailleurs parfois sensiblement) ; il s’agit donc forcément ici d’une interprétation. Présentation du document supra p. 221 sqq.
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Dieu, ensuite au sujet des droits de nos seigneurs et de la violence [subie
par] le peuple de cette terre, les orphelins et les veuves et sur [leur] coutume
(consuetudo) – afin qu’ils nous dissent la vérité sans craindre quiconque.
Ils nous apportèrent des « brefs » pour chaque cité ou castellum, qu’ils
avaient faits du temps des magistri militum Constantin et Basile, mentionnant qu’ils ne recevaient de la part des églises ni aide (adiutorium) ni
redevance (consuetudines).
Le patriarche Fortunat fit la réponse suivante, en disant : « J’ignore si
vous voulez dire quelque chose à mon propos. Vous connaissez cependant
toutes les redevances (consuetudines) que ma sainte église vous donna depuis
toute antiquité jusqu’à présent ; vous me les avez abandonnées contre le fait
que, partout où je le pouvais, je vous suis venu en aide – ce que je veux
encore faire – et vous savez que j’ai, à votre place, envoyé de nombreux
dons (dationes) et de nombreuses personnes (missi) au service du seigneur
empereur. Mais qu’à présent il advienne comme il vous plaira. »
Tout le peuple dit d’une manière unanime : « Que cela demeure ainsi
à l’avenir comme autrefois et à présent, à notre avantage, car nous avons
reçu de nombreux avantages de votre part et nous croyons en avoir, à l’exception de la venue des missi de nos seigneurs : que vos gens (vestra familia) se plient [en cette circonstance] à l’antique coutume (consuetudo). »
Alors, le patriarche Fortunat dit : « Je vous demande, [mes] fils, de nous
dire la vérité, [c’est-à-dire] quelle coutume (consuetudo) ma sainte église
métropolitaine a eue parmi vous dans le territoire d’Istrie. »
Le premier de tous, le primas de Pula (Pola), dit : « Quand le patriarche
venait dans notre cité et si cela s’avérait opportun, en raison [de la venue]
des missi de nos seigneurs ou pour quelque plaid avec le magister militum
des Grecs, l’évêque sortait de notre cité avec les prêtres et le clergé vêtu
d’une chasuble (planeta), avec la croix, les cierges et l’encens, en psalmodiant comme [cela convient] pour le pontife suprême ; ils venaient avec les
judices et tout le peuple et, avec les enseignes [ou bien avec des cloches]
(signa), ils le recevaient avec grand honneur. Dès que ce pontife arrivait,
l’évêque l’accueillait dans la demeure de notre sainte église (domus sanctae
ecclesiae nostrae) et déposait les clefs de sa demeure aux pieds du patriarche.
Quant au patriarche, il les donnait à son maire et lui-même jugeait et disposait [tout] jusqu’au troisième jour ; le quatrième jour, il se rendait dans
son palais (rectorium). »
Ensuite, nous demandâmes aux judices des autres cités et castella si telle
était la vérité. Tous dirent : « C’est la vérité et nous souhaitons agir ainsi.
Nous ne pouvons pas en dire plus sur le patriarche. Quant à vos troupeaux
seigneuriaux, qu’ils paissent partout où les nôtres le font, sans aucune contrepartie (datio) ; nous voulons qu’il en demeure ainsi comme auparavant.
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ANNEXE
En revanche, au sujet des évêques, nous avons beaucoup à dire :
Chapitre I. Pour les missi de l’empereur, ou pour quelque don (datio)
ou collecte (collecta), l’église donnait la moitié et le peuple, la moitié.
Chapitre II. Quand les missi de l’empereur venaient, ils s’établissaient
dans le palais épiscopal (episcopium) et ils y résidaient jusqu’au moment où
ils devaient retourner auprès de leur maître (dominatio).
Chapitre III. Les chartes emphytéotiques, les livelli et les échanges honnêtes, [pratiqués de toute] antiquité, ne furent jamais aussi compromis (corruptae) qu’à présent.
Chapitre IV. Au sujet du droit de pâturage et de glandée, personne n’eut
recours à la force entre les villages, si ce n’est selon la coutume (consuetudo)
de nos parents.
Chapitre V. À propos des vignes, ils n’ont jamais pris le tiers, comme ils
le font à présent, mais seulement le quart.
Chapitre VI. Les gens (familia) de l’église n’osèrent jamais agir de façon
scandaleuse à l’égard d’un homme libre, le frapper de verges ou siéger devant
[des hommes libres]. Or ils nous frappent à présent de verges et nous poursuivent avec des épées. Quant à nous, par crainte de notre seigneur, nous
n’avons pas osé résister, afin que [la situation] n’empire pas.
[Chapitre] VII. Celui qui exploitait à cens (fenerabat) les terres de l’église,
ils ne l’expulsaient jamais avant le troisième avertissement.
[Chapitre] VIII. Sur la mer publique, là où tout le peuple pêche en commun, nous n’osons plus pêcher, car ils nous battent de verges et déchirent
nos filets.
Chapitre IX. Puisque vous nous interrogez au sujet des droits de nos
seigneurs, que les Grecs tinrent en leurs mains jusqu’à ce jour où nous passâmes aux mains de nos seigneurs, nous disons la vérité, telle que nous la
connaissons :
de la cité de Pula : 66 sous mancosi ;
de Rovinj (Rovigno) : 40 sous mancosi ;
de Porec (Parenzo) : 66 mancosi ;
du détachement militaire (numerus) de Trieste : 60 mancosi ;
de Labin (Albona) : 30 mancosi ;
de Pican (Pedena) : 20 mancosi ;
de Motovun (Montona) : 30 mancosi ;
de Buzet (Pinguente) : 20 mancosi ;
le chancelier de Novigrad (Cittanova) : 12 mancosi ;
ce qui fait au total 344 mancosi.
Ces sous, il les portait au Palais du temps des Grecs. Après que Jean prit
ses fonctions dans le duché, il eut ces sous pour son œuvre et il ne dit pas
qu’il s’agissait des droits (justitia) du Palais.
Il a le casale Orcionis avec de nombreuses oliveraies ;
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LES SOCIÉTÉS OCCIDENTALES DU MILIEU DU VIE À LA FIN DU IXE SIÈCLE
le domaine (portio) du casale Petriolo avec des vignes, des terres, des oliveraies ;
tout le domaine (portio) de Jean Cancianico avec les terres, les vignes,
les oliveraies et une maison avec ses pressoirs ;
la grande propriété (possessio) de Arbe avec les terres, les vignes, les oliveraies et sa maison ;
la propriété du magister militum Étienne ;
l’Hospice des vieillards (casa Zerontiaca) avec toute[s] s[es] propriété[s]
(cum omni possessione sua) ;
la propriété de l’hypatos Maurice, du magister militum Basile et de l’hypatos Théodore ;
la propriété qu’il tient à Priatello, avec les terres, les vignes et les oliveraies, et plusieurs autres lieux.
À Novigrad, il a le fisc public, où il demeure; à l’intérieur et à l’extérieur
de la cité, [il a] plus de 200 colons – lorsque le temps est favorable, ils rapportent plus de 100 muids d’huile, plus de 200 amphores de vin, suffisamment de blé et de châtaignes; il a des pêcheries qui lui rapportent chaque année
plus de 50 sous mancosi indépendamment de l’approvisionnement de sa table.
Tout cela, le duc le tient dans sa main, à l’exception de ces 344 sous,
comme il est écrit ci-dessus, qu’il doit porter au Palais.
Puisque vous nous interrogez au sujet de la force (forcia) que le duc Jean
exerce sur nous, nous disons la vérité de ce que nous savons :
Chapitre I. Il a pris nos forêts (silvae), d’où nos parents tiraient le droit
de pâturage et de glandée ; de même, il nous a pris des casale de moindre
rendement (casalia inferiora), d’où nos parents tiraient pareillement [profit], comme nous l’avons dit ci-dessus.
(À l’instant, Jean nous contredit.)
Qui plus est, il installa des Slaves (sclavi) sur nos terres ; ces derniers
labourent nos terres et nos essarts (runcora), ils ensemencent nos champs,
font paître dans nos prés, et pour ces terres [qui sont] les nôtres, ils versent
une redevance (pensio) à Jean. Et il ne nous reste ni les bovins, ni les chevaux. Si nous protestons, ils disent qu’ils les tueront. Il a enlevé nos marques
de confins (confines), que nos parents avaient disposées (ordinabant) selon
l’antique coutume (consuetudo).
Chapitre II. De toute antiquité, lorsque nous étions sous le pouvoir de
l’Empire des Grecs, nos parents avaient l’habitude (consuetudo) de [jouir]
des prérogatives (actus) du tribunat, d’avoir des domestici, des vicarii et des
locoservatores ; et en vertu de ces honores, ils se rendaient à la communio et
siégeaient en assemblée, chacun selon son honor ; et celui qui voulait un
honor meilleur que celui de tribun se rendait auprès de l’empereur, qui l’ordonnait hypatos. Alors, celui qui était hypatos impérial prenait rang en tout
lieu immédiatement après le magister militum.
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Tout récemment, notre duc, Jean, nous institua des centeniers (centarchi) ; il divisa le peuple entre ses fils, ses filles et son gendre ; et avec ces
pauvres (pauperes), ils se construisent des palais. Il nous a pris le tribunat ;
il ne nous permet pas d’avoir des hommes libres, mais il nous fait nous
rendre à l’ost avec nos servi ; il nous a pris nos affranchis ; il a placé des
hommes étrangers dans notre maison (casa) et notre jardin, mais nous
n’avons pas pouvoir (potestas) sur eux. Du temps des Grecs, tout tribun disposait de 5 personnes exemptes d’obligation (excusati) et même plus, et il
nous les a prises.
Nous n’avons jamais fourni les réquisitions de fourrage (fodrum), nous
n’avons jamais travaillé dans la curtis, nous n’avons jamais cultivé la vigne,
nous n’avons jamais fait de fours à chaux, nous n’avons jamais construit de
maisons, nous n’avons jamais fait de cabanes, nous n’avons jamais craint
les chiens, nous n’avons jamais fait de collecte, comme nous le faisons maintenant : pour chaque bovidé, nous donnons un muid ; nous n’avons jamais
fait de collecte pour les ovins, comme nous le faisons maintenant : chaque
année, nous donnons des brebis et des agneaux. Nous nous rendons par
bateau à Venise, à Ravenne, en Dalmatie et [nous voyageons] sur les fleuves,
ce que nous ne faisions jamais auparavant. Nous faisons cela non seulement pour Jean, mais pour ses fils, ses filles et son gendre.
Quand il vient faire une tournée au service du seigneur empereur ou
bien commander à ses hommes, il prend nos chevaux et emporte de force
nos fils avec lui, et il leur fait tirer pour son compte des bêtes de somme
sur près de 30 milles, et même plus ; il leur prend tout ce qu’ils ont ; il les
laisse à eux-mêmes pour rentrer chez eux à pied. Nos chevaux, il les envoie
en Francia ou bien il les donne à ses hommes.
Il dit au peuple : “Rassemblons des cadeaux (exenia) pour le seigneur
empereur, comme nous le faisions du temps des Grecs, et qu’un envoyé
(missus) issu du peuple m’accompagne, et qu’il offre ces cadeaux au seigneur
empereur”. Quant à nous, nous les rassemblons avec une grande joie. [Mais]
quand il vient pour se mettre en route, il dit : “Il n’y a pas lieu que vous
veniez ; je serai votre intercesseur auprès du seigneur empereur.” Et ainsi,
il s’en va auprès du seigneur empereur avec nos dons, il négocie un honor
pour lui ou pour ses fils, et nous, nous souffrons grande oppression et douleur (et nos sumus in grandi oppressione et dolore) !
Du temps des Grecs, nous rassemblions [une contribution] une fois
chaque année, si cela s’avérait nécessaire (à cause des missi impériaux) : pour
cent têtes de bétail ovin, celui qui en avait [autant en fournissait] une ; or
actuellement, il prend un [mouton] à celui qui en a plus de trois – nous ne
pouvons pas voir cela tout au long de l’année ! Ses agents (actores) se servent en conséquence.
Tout cela, notre duc Jean l’a pour son œuvre, ce que le magister militum des Grecs n’eut jamais, car c’était toujours le tribun qui traitait avec
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les missi impériaux et les légats qui allaient et venaient. Or nous faisons ces
collectes ; tout au long de l’année, nolens volens, nous faisons des collectes
quotidiennement. Durant trois années, nous donnâmes les dîmes, que nous
devions donner à la sainte église, aux Slaves (sclavi) païens, lorsqu’il les
envoya sur nos terres, [celles] des églises et du peuple, pour ses péchés et
pour notre perte.
Toutes ces corvées de charroi et ces charges [qu’on nous impose], telles
qu’elles sont exposées ci-dessus, nous les assumons sous la contrainte (violenter), ce que nos parents ne firent jamais. Il s’ensuit que nous sommes
réduits à la pauvreté ; nous sommes la risée de nos parents et de tous nos
voisins de Vénétie et de Dalmatie, et même des Grecs, sous le pouvoir de
qui nous étions auparavant. Si le seigneur empereur Charles nous apporte
secours, nous pouvons nous en sortir ; si ce n’est pas le cas, mieux vaut pour
nous mourir que vivre. »
Alors, le duc Jean dit : « Ces forêts et pâturages, que vous dites être les
vôtres, je croyais qu’ils devaient être dans le domaine public, pour le compte
du seigneur empereur. Mais à présent si vous le dites sous serment (si vos
iurati hoc dicitis), je ne vous contredirai pas.
Au sujet des collectes des moutons, je n’en ferai dorénavant plus, si ce
n’est comme le fut autrefois votre coutume (consuetudo) ; de même en ce
qui concerne le don destiné au seigneur empereur. Au sujet du travail et de
la navigation ou des nombreuses corvées de charroi, si cela vous semble
dur, on n’en fera plus.
Je vous rendrai vos affranchis selon la loi de vos parents ; je vous permettrai d’avoir des hommes libres, pour qu’ils aient votre protection (commendatio) comme on le fait dans tout le territoire (potestas) de notre seigneur. Que les hommes étrangers qui résident sur vos [terres] soient en
votre pouvoir.
Quant aux Slaves (sclavi), à ce que vous dites, rendons-nous sur les terres
où ils demeurent et voyons : qu’ils restent là où ils peuvent le faire sans vous
nuire ; que là où ils vous nuisent en ce qui concerne les champs, les forêts,
les essarts ou en quelque autre endroit, nous les expulsions. Si cela vous
convient (placet), envoyons-les dans des lieux si déserts qu’ils puissent y
demeurer sans vous nuire, et qu’ils œuvrent au profit de l’État (faciant utilitatem in publico), comme les autres peuples. »
Alors nous avons fait en sorte, nous, missi du seigneur empereur, que le
duc Jean donne des gages (vadia), pour que toutes les charges mentionnées
soient amendées (la glandée, le pâturage, les travaux et les collectes, au sujet
des Slaves [sclavi], des corvées de charroi et de la navigation) ; Damien,
Honorat et Grégoire reçurent ces gages. Quant au peuple, il renonça aux
poursuites à cette condition que qu’il ne commettrait plus de telles choses.
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Mais si lui-même, ses héritiers ou ses agents se livraient à de nouvelles
oppressions, ils payeraient ce que nous avons établi (nostra statuta).
Au sujet des autres causes, il fut établi entre Fortunat, le vénérable
patriarche, les évêques susmentionnés, le duc Jean, les autres primates et le
peuple, que tout ce dont ceux qui ont prêté serment (jurati) se souviendraient et [tout ce qu’ils] diraient conformément à leur serment et aux
« brefs », tout cela serait accompli, et quiconque ne voudrait pas l’accomplir serait contraint de leur part de payer au sacré Palais la composition de
9 livres de mancosi d’or.
Ceci fut jugé et cet accord (convenientia) fut conclu en présence des
missi du seigneur empereur, Iz[z]o, prêtre, Cadola et Aio ; et souscrivirent
de leur propre main en notre présence :
[†] Fortunat, par la miséricorde de Dieu, patriarche, sur cette charte de
promesse établie au préalable j’ai souscrit de ma main.
† Jean, duc, sur cette charte de promesse j’ai souscrit de ma main.
† Stauratius, évêque, sur cette charte de promesse j’ai souscrit de ma main.
† Théodore, évêque, j’ai souscrit.
† Étienne, évêque, j’ai souscrit.
† Léon, évêque, j’ai souscrit.
† Laurent, évêque, j’ai souscrit.
Pierre, pécheur, diacre de la sainte église métropolitaine d’Aquilée, j’ai
écrit cette promesse sur l’ordre de mon seigneur Fortunat, très saint
patriarche, de Jean, glorieux duc, des évêques susnommés et des primates
du peuple de la province d’Istrie, et après la corroboration des témoins, j’ai
corroboré [cette] charte.
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Table des matières
Abréviations
Avant-propos
.........................................................................
7
.........................................................................
9
Introduction
Les sociétés en Europe durant le haut Moyen Âge
............................
11
.................................
15
..................................................
Tendances historiographiques : l’exemple des institutions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Aux environs de 700, une ligne de partage des eaux ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Chapitre I
Appréhender les sociétés du haut Moyen Âge
L’originalité du haut Moyen Âge
Le Christianisme comme facteur structurant la société
.............................
Triomphe du catholicisme romain et christianisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La mission . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les limites de l’orthodoxie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La christianisation en profondeur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Une communauté de foi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Christianisation et structures sociales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le cadre de la vie sociale
..........................................................
De la famille à la communauté du royaume . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La conscience d’appartenir à un même royaume . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les niveaux de lecture des sources : du témoignage au miroir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Typologie des sources . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Méthodes d’analyse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Chapitre II
Les conditions de vie
............................................................
L’homme et le milieu
63
63
64
66
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Les fléaux de la vengeance divine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70
La maladie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70
La famine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
Le peuplement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74
Les défrichements : l’expression d’un essor démographique ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
Peuples et territoires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77
L’installation en terre étrangère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80
Contacts et zones d’influence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82
La frontière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86
Les formes d’occupation du sol . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90
Autour de la maison . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
L’habitat rural et le village . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92
Des centres urbains . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
De l’exclusion des défunts à la communauté des vivants et des morts . . . . . . . . . . . . . . . 99
Soulagement des morts ou consolation des vivants ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
La tombe comme testament . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101
.............................................................
Un univers hostile ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Domestiquer la nature . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La forêt . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Le rythme de la vie sociale
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Le calendrier liturgique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103
Les heures du jour . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104
Chapitre III
Guerriers et paysans
............................................................
105
À la recherche du paysan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106
La communauté d’exploitation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108
La participation à l’ost . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110
Chapitre IV
Des groupes sociaux privilégiés
................................................
115
........................................................................
Les critères de la noblesse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Tradition et sang neuf . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’aristocratie « d’Empire » aux temps carolingiens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les maîtres du pouvoir local . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Résidences aristocratiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Les élites
L’entourage royal
................................................................
La famille royale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La cour . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les communautés religieuses
.....................................................
Le monastère, lieu de pouvoir aristocratique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La règle de la vie commune . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Réseaux de prière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Autour du monastère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les bénéficiaires d’une protection spéciale
........................................
Les « pauvres » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Étrangers et marchands . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Voyageurs et pèlerins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Chapitre V
L’individu dans le groupe
......................................................
149
L’onomastique du haut Moyen Âge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 150
Conscience de soi et engagement personnel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153
L’individu et la perception des sentiments . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153
L’engagement personnel au cœur des rapports sociaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
Les rapports hiérarchiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157
La polysémie du terme de « seigneur » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157
La fidélité des hommes d’armes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158
Recommandation et vassalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 160
Le statut des personnes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162
Hommes et femmes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163
Clercs et laïcs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 166
Liberté et servitude . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 168
L’exercice de « métiers » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169
Des fonctions prestigieuses ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170
Des artisans . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171
L’exploitation de la mer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 172
Les âges de la vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 174
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TABLE DES MATIÈRES
L’espérance de vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’enfance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’entrée dans l’âge adulte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le retrait du monde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’être hors norme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’exclusion sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’excommunication . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La pénitence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le bannissement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’emprisonnement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’habit, expression du rang social . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Chapitre VI
Alliances et solidarités
..........................................................
Les contextes de la solidarité
.....................................................
Le poids du groupe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Faide et Wergeld . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le mariage
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Les formes de l’union . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Une éthique des rapports amoureux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La famille nucléaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La parenté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les liens du sang : la famille élargie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’adoption et la parenté spirituelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’amitié . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’association jurée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Boire et manger ensemble . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Chapitre VII
Culture et communication
.....................................................
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Fêtes et spectacles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201
Niveaux de culture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203
Culture savante et culture populaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 204
Culture chrétienne et culture profane . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 207
Culture pratique : la connaissance du droit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208
Les langues . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 210
Les communautés linguistiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 210
Le latin : d’une langue vernaculaire à un langage savant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211
Le recours à la traduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 212
Conscience identitaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 213
Les principes d’ethnogénèse : l’exemple lombard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214
La loi, critère de distinction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 216
Faire mémoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217
Lieux de mémoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217
Généalogie et ré-appropriation du passé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 218
Liturgie du souvenir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219
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TM-Depreux
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LES SOCIÉTÉS OCCIDENTALES DU MILIEU DU VIE À LA FIN DU IXE SIÈCLE
Chapitre VIII
Pouvoir et autorité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221
Le plaid de Rižana (804) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221
Le pouvoir royal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 224
Le roi guerrier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225
Le principe dynastique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 226
Le ministère royal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 227
Plaids généraux et conciles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 229
Le droit des armes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 230
La justification de la guerre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 230
Soumission et intégration de la Saxe au monde franc . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231
L’encadrement des hommes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 232
Territoires et circonscriptions administratives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 232
Les pouvoirs publics locaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 234
L’autorité de l’évêque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 236
La paroisse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 238
Droits sur les hommes et droits sur les biens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 240
L’immunité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241
Propriété et possession . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 242
Le règlement des conflits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243
Jugement, arbitrage, compromis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 244
Les assemblées judiciaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245
Faire preuve de son droit : une épreuve . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245
Chapitre IX
Ordre et désordre
...............................................................
247
...............................................................
Mise en scène politique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La chasse royale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’investiture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Signes et symboles
Un espace ordonné
..............................................................
La délimitation de l’espace . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Conscience de l’espace, connaissance du territoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les lieux centraux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Révolte et opposition
............................................................
La conjuration . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Des meneurs exaltés ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’insécurité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les divisions théoriques de la société . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 267
Bibliographie
....................................................................
Annexe : Document traduit
....................................................
Accord conclu lors d’une assemblée judiciaire à Rižana (Risano) en 804,
sous la présidence de missi de Charlemagne alors envoyés en Istrie
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Dépôt légal: 2e semestre 2002
ISBN 2-86847-715-1
ISSN 1255-2364
H
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S
T
O
I
R
E
L
Philippe Depreux
Les Sociétés occidentales
du milieu du VIe à la fin du IXe siècle
M
et ouvrage porte sur la nature et les formes des relations sociales dans l’Occident
chrétien, du milieu du VIe à la fin du IXe siècle. Il propose une réflexion sur les principes constitutifs des sociétés du haut Moyen Âge et les diverses échelles auxquelles on peut les observer. Les premiers chapitres sont consacrés à la présentation des
méthodes d’analyse des sources, aux conditions de vie et aux divers groupes sociaux (le
cadre de la vie sociale, la société rurale, les élites, la place de l’individu dans le groupe) ;
ensuite, les rapports sociaux sont envisagés selon plusieurs thèmes : alliances et solidarités, culture et communication, pouvoir et autorité, ordre et désordre.
Les questions liées à la parenté, aux formes d’association, au règlement des conflits,
aux échanges, à la constitution des identités ou aux niveaux de culture ont fait l’objet
d’un profond renouvellement dans les dernières années, grâce notamment à une
approche interdisciplinaire. Ce livre propose une synthèse des principales publications
internationales sur le sujet.
C
Philippe Depreux est maître de conférences à l’Université François-Rabelais, Tours. Il
est membre de l’UMR 6575 « Archéologie et Territoires » (Tours) et membre associé du
Centre d’Études Supérieures de Civilisation Médiévale (Poitiers). Ses publications portent
sur l’histoire politique, institutionnelle et culturelle du haut Moyen Âge occidental.
En couverture :
Psautier de Stuttgart (scriptorium de Saint-Germain-des-Prés, vers 820-830) : illustration du Psaume
78 représentant le peuple d’Israël (Stuttgart, Württembergische Landesbiblklothek, Bibl. Fol. 23, fol. 93v).
Université Rennes 2
Haute Bretagne
ISBN 2-86847-715-1
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