LA DYSFONCTION VÉSICALE POSTOPÉRATOIRE
Laurent Lamonerie (1), Emmanuel Marret (2)
(1) Groupe des Anesthésiologistes-Réanimateurs de l’HPA (GARHPA), Hôpital
Privé d’Antony, Avenue de la Providence, 92160 Antony.
(2) Département d’Anesthésie-Réanimation, Hôpital Tenon, 4 rue de la Chine,
75020 Paris
INTRODUCTION
La prise en charge de la période postopératoire a été pendant longtemps
résumée à celle de la douleur et à la gestion des détresses vitales. Cependant,
ces événements graves comme les complications cardiaques ou respiratoires
sont devenues au cours du temps de plus en plus rares notamment grâce à
l’amélioration des techniques d’anesthésie mais aussi grâce à une meilleure
prise en charge péri-opératoire des patients. À titre d’exemple, la mortalité liée
à l’anesthésie a été divisée par un facteur 10 en 20 ans, et ce malgré une aug-
mentation considérable du nombre d’actes d’anesthésie et de la prise en charge
de patients de plus en plus âgés. Toutefois, à côté de ces accidents, il persiste
un nombre important d’incidents souvent responsable d’un véritable inconfort
pour le patient. De plus, dans un univers de plus en plus sûr avec un contexte
de dédramatisation de l’acte chirurgical et anesthésique mais aussi d’un désir
de rentabilité économique de la santé, ces « petits problèmes » deviennent
de moins en moins tolérables pour le patient mais également pour le praticien
par l’incommodité et le surcoût qu’ils engendrent. Ces effets secondaires
« mineurs » de l’anesthésie comme les nausées, les vomissements ou les maux
de gorge sont ainsi fréquemment rencontrés pendant la période postopératoire
si, tout du moins, le personnel soignant prend la peine de les rechercher [1].
Les troubles mictionnels comme la dysfonction vésicale ou la rétention aiguë
d’urine (RU) ont été peu étudiés durant la période postopératoire. Cependant,
leur incidence est loin d’être négligeable. Au décours d’un épisode de rétention
aigue d’urine postopératoire (RUPO), des lésions musculaires du détrusor peu-
vent provoquer des difficultés mictionnelles précoces ou peuvent influencer la
survenue de troubles mictionnelles à distance. Ces troubles mictionnels pendant
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la période postopératoire peuvent avoir ainsi des conséquences à court terme
et moyen terme [2-4].
1. RAPPELS ANATOMIQUES
La vessie est un organe sous-péritonéal situé dans la partie antérieure du
pelvis chez l’adulte lorsqu’elle est vide. Chez l’adulte, sa forme est triangulaire
lorsqu’elle est en réplétion puis ovoïde en cas de remplissage. Son diamètre
atteint 6-8 cm quand son contenu est de 300 ml. Elle se projette dans la région
abdominale chez l’enfant ou lorsqu’elle est pleine chez l’adulte. La vessie permet
le recueil continu des urines provenant des uretères et assure leur évacuation
de manière discontinue via l’urètre. Elle comprend une partie fixe (le trigone
situé entre les deux méats urétéraux et dont le col fait partie) et une partie dis-
tensible et mobile (le détrusor) constituée de trois couches musculaires lisses
(externe longitudinale, moyenne circulaire et interne longitudinale). Le sphincter
interne du col est constitué de fibres musculaires lisses qui se relâchent lors de
la contraction du détrusor et le sphincter externe de fibres musculaires striées
répondant au contrôle volontaire.
2. PHYSIOLOGIE DE LA MICTION (FIGURE 1)
Les réflexes vésico-sphinctériens de la miction mettent en jeu de nombreu-
ses voies nerveuses dont les métamères sont très étendus et soumis à des
contrôles volontaires supraspinaux. L’innervation motrice et sensitive est sous
la dépendance du système sympathique dorso-lombaire (D10-L2) via les nerfs
hypogastriques et le système parasympathique sacré (S2-S4) via les nerfs
pelviens. Le système sympathique assure la contraction du col vésical (via des
récepteurs α-1 adrénergiques) et le relâchement musculaire des fibres lisses du
détrusor (via des récepteurs β adrénergiques) ce qui permet le remplissage et la
continence vésicale. Le parasympathique provoque la contraction du détrusor ce
qui permet l’ouverture de l’angle vésico-urétral par traction des fibres musculai-
res lisses du sphincter interne du col vésical. Les réflexes vésico-sphinctériens
participant au cycle continence-miction sont sous un contrôle supraspinal qui
chemine par les voies pyramidales. La commande volontaire du sphincter strié
part du centre protubérantiel de la miction pour aller jusqu’au plexus pelvien
dont le centre se situe au niveau de la corne antérieure sacrée S2-S4 via les
nerfs pudendaux [5].
La vessie se remplit de façon continue et insensible. La sensation de besoin
d’uriner est liée à la distension vésicale progressive qui stimule des tensio-ré-
cepteurs de la paroi vésicale (médiée par les nerfs splanchniques). La capacité
vésicale de l’adulte est d’environ 500 ml et le besoin d’uriner pour une vessie
normalement distensible apparaît pour un volume urinaire de l’ordre de 150 à
250 ml (respectivement pour la femme et pour l’homme). A partir de ces valeurs,
le besoin d’uriner se fait sentir pour devenir difficilement supportable lorsque
le volume urinaire atteint la capacité vésicale [6]. L’augmentation du volume in-
travésical provoque une augmentation de la pression vésicale dont la variation
dépend de la compliance de la vessie. La miction est alors possible lorsque la
pression vésicale devient supérieure à la pression urétrale. La distension de la
vessie provoque une traction sur les fibres musculaires du col et l’ouverture de
l’angle cervico-urétral. La pression urétrale maximale joue ainsi un rôle impor-
tant dans la capacité à uriner. Le contrôle prédominant de la pression urétrale
Question pour un champion en anesthésie 297
reste exercé par le sphincter musculaire lisse et la participation volontaire par
le sphincter strié ne représente que 30 à 40 % de la valeur de cette pression
de clôture [5, 7-8].
3. LA RETENTION AIGUE D’URINE POSTOPERATOIRE (RUPO)
3.1. DÉFINITION
La rétention aigue d’urine se définit comme une impossibilité d’uriner malgré
une distension vésicale. Cette distension vésicale se traduit le plus souvent par
une pesanteur puis une douleur sus-pubienne pouvant irradier jusque dans les
fosses lombaires. L’inspection peut identifier une voussure hypogastrique ; la
Figure 1 : Innervation de la vessie. Le système sympathique dont les centres
se situent au niveau de la substance grise des segments T11-L2 diminuent la con-
traction du détrusor et augmentent le tonus du col de la vessie et du sphincter. Le
système parasympathique dont les centres se situent au niveau de la substance
grise des segments S2-S4 augmente la contraction du détrusor et diminue le
tonus du col de la vessie et du sphincter. Il existe un contrôle supraspinal de la
miction situé notamment au niveau de l’aire préoptique de l’hypothalamus.
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palpation retrouve une masse tendue, sensible et mate lors de la percussion.
Cependant, le diagnostic clinique peut s’avérer difficile ou d’interprétation délicate
lors d’une chirurgie abdomino-pelvienne. De plus, la douleur est parfois absente
en raison d’un traitement antalgique. La rétention d’urine peut également s’ex-
primer par des signes non spécifiques d’agitation ou de syndrome confusionnel
notamment chez les sujets âgés. Les signes cliniques habituels de la rétention
d’urine deviennent ainsi peu sensibles. De plus, lors de RUPO prolongée, une
miction par regorgement peut exister et se présenter comme un piège diagnos-
tic. Le diagnostic est alors confirmé par un cathétérisme vésical ou une mesure
échographique du volume vésical [9-11].
3.2. DIAGNOSTIC
Le problème posé par la RUPO est l’absence de définition précise. Dans la
littérature, certains la définissent par la durée pendant laquelle le patient est in-
capable d’uriner alors que d’autres retiennent le volume urinaire. La durée de la
période sans miction définissant la rétention urinaire retrouvée dans des études
varie de 6 à 12 heures après la chirurgie [12-15]. Pour d’autres auteurs, la rétention
d’urines est définie par un volume d’urine recueilli après cathétérisation variant de
400 ml à 600 ml [9-11,16]. Récemment, l’utilisation de l’échographie sus-pubienne
(BladderscanTM) a permis de répondre sur la présence d’une distension vésicale
pour les patients ayant ou non un besoin d’uriner. La fiabilité de cette méthode
appliquée à des volumes vésicaux élevés a été validée notamment par Rosseland
[9]. L’évaluation par échographie (Bladderscan BVI 2500TM) comparée au volume
urinaire recueilli par cathétérisation présentait un biais de sous-estimation de 21
ml [IC 95% ; - 147 ml, + 104 ml]. Brouwer et al ont confirmé un faible biais de
sous-estimation de 7% pour un intervalle de volume vésical compris entre 17 ml
et 970 ml en utilisant le même modèle de BladderscanTM [17]. La différence entre
l’évaluation échographique et la mesure du volume des urines par cathétérisme
vésical était de ± 20 % pour un volume vésical inférieur à 700 ml et ± 25 %
pour un volume vésical supérieur à 700 ml lors d’évaluation par un modèle plus
ancien de Bladderscan (Bladder Manager PCI 5000TM). Cette méthode simple par
appareil portable et reproductible estime automatiquement en fonction du sexe
du patient présélectionné le volume vésical grâce à un balayage tridimensionnel
effectué au moyen de douze scannérisations planaires. Le bladderscanTM permet
un diagnostic non invasif et fiable de la distension vésicale qui peut alors se
définir par un volume urinaire supérieur à 500 ml (capacité vésicale définie par
cystomanométrie et à partir de laquelle la distension devient douloureuse) [6].
L’évaluation du volume vésical par BladderscanTM est indépendante de l’âge, de
la taille et du poids, du volume de la prostate et de l’utérus ainsi que de l’expé-
rience de l’utilisateur [18].
La méthode échographique présente l’intérêt de surveiller dans le temps
le volume vésical comme tout autre constante en salle de surveillance post-
interventionnelle (SSPI) ou en hospitalisation. Nous avons évalué la prévalence
de la RUPO en SSPI pour les patients bénéficiant de chirurgie programmée non
ambulatoire. Près d’un patient sur cinq était selon ces critères en RUPO juste
avant la sortie de SSPI pour une durée de séjour de 135 ± 74 min. La distension
vésicale était de 44 % et près de la moitié d’entre eux présentait une surdis-
tension avec des volumes dépassant 750 ml. Parmi les patients en distension
vésicale, il est à noter que plus d’un patient sur deux ne ressentait pas le besoin
Question pour un champion en anesthésie 299
d’uriner [10]. Des études précédentes ont également retrouvé une fréquence
de RUPO sans besoin d’uriner dans 50 à 60 % des cas [19, 20].
4. INCIDENCE DE LA RETENTION URINAIRE POSTOPERATOIRE
L’incidence de la RUPO dépend bien évidemment des critères servant à la
définir. En l’absence de définition précise (durée de la période sans miction
allant de 6 à 12 heures et volume vésical de 400 à 600 ml), il n’est pas étonnant
de constater dans les études une très grande variation de la prévalence de la
RUPO pour un même type de chirurgie. La prévalence varie de 0,5 % à 60 % en
fonction de la chirurgie et du type d’anesthésie et bien évidemment des critères
retenus pour définir la RUPO [8, 10-16]. En utilisant la méthode échographique
d’évaluation du volume vésical (distension vésicale supérieure à 500 ml) à la sortie
de SSPI pour la chirurgie ORL, thoracique, vasculaire, digestive et orthopédique
programmée, près de la moitié des patients présente une distension vésicale
et un patient sur deux est dans l’incapacité d’uriner nécessitant un sondage
évacuateur [10]. Des facteurs de risque liés au patient et à la chirurgie peuvent
aider à définir des populations à risque de RUPO en chirurgie programmée et
ambulatoire [8, 10, 11, 14, 16, 19, 21-26].
5.
FACTEURS DE RISQUE DE RETENTION URINAIRE POSTOPERATOIRE
Même si la prévalence de la RUPO est très variable selon les études consi-
dérées pour un même type de chirurgie, de nombreux facteurs de risque ont
pu être identifiés. Leur contribution à la survenue d’une RUPO est différente
d’une étude à l’autre, mais on peut néanmoins décrire les facteurs de risque
les plus fréquents.
5.1. FACTEURS DE RISQUE LIES AU PATIENT
5.1.1. ÂGE
L’âge est un facteur de risque fréquemment associé à la RUPO. Au-delà
de 60 ans, le risque de rétention urinaire est multiplié par deux [10]. La dégé-
nérescence des neurones de l’innervation de l’appareil urinaire, la diminution
de la force musculaire et de la compliance vésicale ainsi que du débit sanguin
vésical peuvent participer à cette plus grande fréquence de rétention d’urine.
Chez le rat, Pagala et al. ont démontré que l’âge est associé à une réduction du
nombre de récepteurs muscariniques de la musculature longitudinale et d’une
augmentation de la trame collagène qui diminue la compliance vésicale [27]. La
distension vésicale postopératoire peut alors causer des troubles de la miction
par déséquilibre entre les forces d’expulsion diminuées par l’âge et par l’isché-
mie de la paroi vésicale et les forces de rétention. Un seul épisode de RUPO
peut favoriser la récidive de la rétention et augmenter le volume résiduel post-
mictionnel [28].
5.1.2. ANTÉCÉDENTS DE TROUBLES MICTIONNELS
La participation des troubles mictionnels pré-existants (pollakiurie, dysurie et
miction hésitante, mictions nocturnes et miction incomplète) n’est pas connue.
La recherche de ces symptômes est rarement effectuée en préopératoire lors de
la consultation d’anesthésie. L’anamnèse peut retrouver une grande fréquence
de ces problèmes mictionnels en préopératoire, mais aucune étude n’en a
évalué le retentissement urodynamique peropératoire. Stallard et al. soulignent
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