LES EFFETS DU FINANCEMENT ÉTATIQUE SUR LES ORGANISMES COMMUNAUTAIRES : LE CAS DU FONDS DE LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ Yvan COMEAU, Daniel TURCOTTE, André BEAUDOIN, Jean-Pierrre VIILLENEUVE, Marie J. BOUCHARD, Benoît LÉVESQUE, Sylvie RONDON et Marguerite MENDELL (2002) Compte rendu Sillery, Québec, Éditions Sylvain Harvey 225 pages, ISBN 2-921703-40-8 C e livre aborde les effets du financement étatique sur les organismes communautaires en analysant le cas particulier du Fonds de lutte en Gaspésie et dans certains quartiers de Montréal. Plus spécifiquement, l’équipe de recherche répond aux trois questions suivantes : « Quels changements ont connus les organismes appuyés par le Fonds de lutte contre la pauvreté ? Quels mécanismes expliquent ces changements ? En quoi le Fonds de lutte contre la pauvreté a-t-il constitué un événement marquant dans la trajectoire de ces organismes ? » (p. 147-149). ERNESTO MOLINA Sociologue, chargé de cours et professionnel de recherche Université de Sherbrooke Ernesto.Molina @USherbrooke.ca Le premier chapitre présente le cadre conceptuel de la recherche qui privilégie la perspective de l’institutionnalisme selon laquelle « les changements dans les organismes résultent d’une dynamique interactive complexe entre les contraintes structurelles et les effets plus ou moins prévisibles des actions menées par les acteurs » (p. 11). Les auteurs dégagent deux grandes composantes de cette perspective : la composante institutionnelle et la composante organisationnelle. La première concerne la structure du pouvoir, le système politique, les règles juridiques et les coutumes particulières guidant les rapports entre les acteurs. Pour sa part, la composante organisationnelle concerne les moyens mis en œuvre par l’organisme pour atteindre ses objectifs. Ensuite, les auteurs nous présentent l’opérationnalisation de ces composantes pour enchaîner avec le deuxième chapitre qui est consacré à la méthodologie et aux deux phases de la recherche : l’identification et la description. À partir de l’analyse de 15 entrevues semi-dirigées, la phase d’identification a permis aux auteurs d’enrichir le cadre conceptuel ainsi que les catégories du questionnaire élaboré pour la phase de description. 179 © 2003 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.uquebec.ca Tiré de : Économie et Solidarités, vol. 34, no 1, Marguerite Mendell et Benoît Lévesque, responsables Les données ainsi recueillies servent à mesurer les changements qu’ont connus les organismes à la suite de leur financement par le Fonds. Ces données feront l’objet d’analyses descriptives, d’analyses de variance et de mesures d’association dans deux situations de comparaison : la première compare la situation des organismes avant le début des projets financés par le Fonds à leur situation après la fin de ces projets. La deuxième situation compare le profil des organismes avant le financement du projet et durant la période en cours. Le tout est complété par des données qualitatives issues des entrevues semi-dirigées. Le chapitre 3 traite des caractéristiques des organismes et des projets financés par le Fonds ainsi que des changements dans les services offerts et les populations desservies par les organismes à la suite de la réalisation des projets. Quoique les populations ciblées par les projets soient sensiblement les mêmes que celles desservies par les organismes, les auteurs constatent que les projets financés par le Fonds ont entraîné des changements dans la nature des services offerts. Ainsi, « les différentes formes de regroupement, la sensibilisation aux droits, le logement et la réadaptation ont pris davantage d’importance dans les organismes et le soutien dans la communauté s’est étendu » (p. 58). Le chapitre 4 porte sur les variables choisies pour l’analyse de la composante institutionnelle : la mission, le membership, les instances décisionnelles, le contrat de travail et les réseaux. Les auteurs montrent qu’à cet égard les changements sont peu nombreux et que l’association entre ceux-ci et la présence du Fonds semble plutôt marginale. Le chapitre 5 révèle que, contrairement aux changements institutionnels, les changements organisationnels ont été relativement nombreux en ce qui a trait aux trois variables choisies : la coordination, les ressources humaines et les ressources financières. Bien qu’elle n’autorise pas à attribuer directement ces changements au financement du Fonds de lutte, l’analyse statistique permet aux auteurs d’affirmer que les organismes dont une forte part du budget provient du Fonds connaissent des changements particuliers. Par exemple, les sommes consacrées à la formation des ressources humaines ont considérablement augmenté (hausse de 16,5 %) au cours de la période de référence de même que le nombre de salariés formés (augmentation de 60,5 %). Le chapitre 6 expose les stratégies des organismes et leurs effets sur les dimensions institutionnelles et organisationnelles. À ce sujet, les auteurs affirment, par exemple, que les stratégies des organismes à l’égard des difficultés de financement ont peu d’influence sur les changements institutionnels alors qu’au contraire les capacités stratégiques des personnes en poste de coordination ont des effets prépondérants sur les changements organisationnels. La conclusion reprend les questions de recherche, synthétise les résultats de l’étude et les reporte au cadre théorique. Les auteurs mentionnent que quatre mécanismes sont susceptibles d’expliquer les changements qu’ont connus les 180 Économie et Solidarités, volume 34, numéro 1, 2003 © 2003 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.uquebec.ca Tiré de : Économie et Solidarités, vol. 34, no 1, Marguerite Mendell et Benoît Lévesque, responsables organismes appuyés par le Fonds. Le premier concerne les mouvements sociaux et leur ancrage territorial ; le deuxième, le degré d’institutionnalisation des organismes ; le troisième, la capacité des acteurs à conduire des actions collectives ; le dernier mécanisme concerne le lien qui unit les usagers à l’activité particulière de l’organisme. En ce qui a trait aux mécanismes d’explication des changements, les auteurs remarquent que le territoire est étroitement lié aux caractéristiques institutionnelles et organisationnelles des organismes même s’il intervient peu dans les changements. Pour la troisième question de recherche, les auteurs sont d’avis que le caractère peu normé du Fonds de lutte contre la pauvreté ainsi que son caractère temporaire peuvent expliquer le peu d’effets qu’a ce Fonds sur la dimension institutionnelle des organismes appuyés. Les auteurs avancent en outre une troisième raison qui demeure cependant à l’état d’hypothèse : « tout se passe comme si l’introduction d’une nouvelle activité pouvait changer la mission d’organismes et que divers mécanismes feraient en sorte que des changements organisationnels peuvent induire des changements institutionnels » (p. 149). Le Fonds incite davantage à des changements organisationnels et « il a pu constituer un tremplin pour accéder à de nouvelles ressources. Il a permis dans certains cas d’accroître les immobilisations et a incité des organismes à ouvrir un nouveau poste » (p. 150). Tout au long de l’ouvrage, les auteurs restent fidèles à la volonté de rendre observables et mesurables les effets du Fonds sur les organismes qu’il appuie. Dans cette perspective, une explicitation détaillée de la problématique et de la méthodologie de la recherche, comme celle que nous livrent les auteurs dans les deux premiers chapitres, permet au lecteur de se faire une idée de la confiance qu’il peut accorder aux résultats de la recherche. Elle montre aussi la rigueur méthodologique dont les auteurs font preuve dans l’analyse des données. Toutefois, sans nécessairement constituer le prix à payer pour cette rigueur, la présentation des résultats dans les chapitres qui suivent souffre d’une certaine « monotonie statistique », laquelle n’est pas complètement brisée par la synthèse et la discussion des résultats à la fin de chacun des chapitres. Enfin, cet ouvrage apporte une contribution intéressante à l’analyse de la relation établie entre l’État et les organismes communautaires par l’entremise du financement public et permet aux organismes d’envisager, à cet égard, des stratégies nouvelles pour conserver leur spécificité et leur identité. Économie et Solidarités, volume 34, numéro 1, 2003 181 © 2003 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.uquebec.ca Tiré de : Économie et Solidarités, vol. 34, no 1, Marguerite Mendell et Benoît Lévesque, responsables