Gouvernance et gestion de l`entreprise collective d`usagers

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DOSSIER
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RÉSUMÉ • L’évolution de l’entreprise collective peut
être conceptualisée en trois phases mettant en relief
cinq stratégies de création de valeur. La première
correspond à l’émergence d’une entreprise collective,
en soit une innovation. La deuxième, la diffusion de
l’innovation par essaimage, correspond à la fédéra-
lisation et à un début de standardisation. La tension
entre innovation et standardisation commence à jouer
dès la phase de diffusion mais devient plus critique
par la suite. Elle oblige l’entreprise collective à choisir
non pas la standardisation pure et dure, une option
dépassée, mais une des deux stratégies de création de
valeur cohérentes avec son identité et avec la nouvelle
approche stratégique centrée sur les compétences de
l’entreprise et en particulier sur sa compétence à satis-
faire les usagers. L’entreprise collective d’usagers peut
cheminer par focalisation, c’est-à-dire par une innova-
tion encore plus grande dans l’offre visant un groupe
de membres ciblé. L’entreprise collective peut aussi
cheminer par hybridation, c’est-à-dire en combinant
davantage et mieux l’innovation et la standardisation
requise pour répondre avec efficacité et efficience à un
sociétariat non seulement très large mais aussi très
diversifié. Pour chaque pattern type de création de
valeur, les auteurs décrivent la configuration organisa-
tionnelle en faisant ressortir les modes de gouvernance
et de gestion.
ABSTRACT The evolution of collective, member-
based enterprises can be conceptualised in three
distinct phases which feature five different strategies
of value creation. The first phase corresponds to the
actual emergence of the collective enterprise, in itself
an innovation. The next phase is expansion, that is, the
spread of the innovation through federalisation and
the beginning of standardisation. However, the tension
between innovation and standardisation, present from
Gouvernance et gestion de
l’entreprise collective d’usagers :
stratégies de création de valeur et
configurations organisationnelles1
MARIE-CLAIRE MALO
Professeure
HEC Montréal
marie-claire.m[email protected]
MARTINE VÉZINA
Professeure
HEC Montréal
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Économie et Solidarités, volume 35, numéros 1-2, 2004 101
the very beginning of the expansion phase, becomes more critical and eventually
ushers in the third phase. The collective enterprise must forego indiscriminate
standardisation and choose one of two strategies for the creation of value : focus-
ing or hybridising. Both of these strategies are coherent with the distinctive social
economy identity of collective enterprises and with newer approaches that focus
on enterprises’ core competences, in particular their ability to meet members’
needs. Focusing involves further innovation in order to supply a target group of
members. Hybridising, on the other hand, entails combining in a novel way inno-
vation and standardization in order to respond quickly and efficiently to a large
and diversified membership. The authors identify the organizational configura-
tion for each strategy of value-creation by highlighting management methods and
modes of governance.
RESUMENLa evolución de la empresa colectiva puede ser conceptualizada en
tres fases, que ponen de manifiesto cinco estrategias de creación de valor. La pri-
mera corresponde a la emergencia de una empresa colectiva, en sí una innovación.
La segunda, la difusión de la innovación en otras empresas, correspondería a la
federalización y a un comienzo de estandardización. La tensión entre innovación
y estandardización comienza a jugar desde la fase de difusión, aunque luego llega
a ser más crítica. Obliga a la empresa colectiva a elegir no la estandardización
estricta, una opción superada, sino una de las dos estrategias de creación de valor,
coherentes con su identidad y con el nuevo enfoque estratégico, centrado sobre las
competencias de la empresa y en particular sobre su competencia para satisfacer
a los usuarios.
La empresa colectiva de usuarios puede avanzar por focalización, por
ejemplo por una innovación aún mayor en la oferta que se destina a un grupo
de miembros específico. La empresa colectiva puede también avanzar mejor por
hibridación es decir, combinando aún más y mejor la innovación y la estandar-
dización requerida para responder con eficacia y eficiencia a una base societaria
muy amplia y también muy diversificada. Para cada patrón típico de creación de
valor, los autores identifican la configuración organizacional haciendo resultar los
modos de gobernanza y de gestión.
INTRODUCTION
Le dernier quart du siècle dernier a fourni des œuvres « c l assiques » en éco-
nomie sociale, principalement coopérative, comme celle des Angers (1976),
Desroche (1975, 1976) et Vienney (1980, 1994), qu’on peut relire sous l’angle
du rapport entre idéologie et utopie (Malo, 2000, 2003). Les approches écono-
miques et sociologiques, combinées à l’histoire, ont permis de développer
théorie ou traité d’économie sociale. Ces ouvrages synthèses restent cependant
rares, les chercheurs ayant surtout produit des études de cas d’organisations
ou de secteurs.
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102 Économie et Solidarités, volume 35, numéros 1-2, 2004
Toutefois, on observe des avancées significatives dans la compréhension
de la dynamique des coopératives, des mutuelles et des associations du tiers
secteur grâce aux travaux de chercheurs qui se sont intéressés à la spécifi-
cité de ces organisations sous divers angles : conditions de développement
(Lévesque, 1980), stratégie et structure (Desforges, 1980), gestion et prise
de décision (Tremblay, 1980), gestion de l’association (Malo, 1990 ; Vézina,
té et Carré, 1993), changement institutionnel (Giroux, 1993), management
stratégique et technologie (Lejeune, 1994), conditions d’offre et de demande
d organisations du tiers secteur (Anheier et Ben-Ner, 1997), ancienne et nou-
velle économie sociale (Lévesque, Malo et Girard, 1999), holdings coopératifs
(Côté, 2001) et plus particulièrement en termes de théorie du cycle de vie
(Schediwy, 2001), dynamiques et trajectoires (Chaves et Monzón, 2001), globa-
lisation et stratégie (Spear, 2001) et gouvernance et gestion des organisations
(Malo et Lejeune, 1998 ; Andion et Malo, 1998 ; Cornforth, 2002 ; Malo, 2003).
La présente étude, loin de proposer une synthèse de ces travaux, se veut
une simple contribution aux efforts de modélisation de l’évolution de l’entre-
prise collective. Sous forme d’essai rédigé à partir de nos connaissances empi-
riques des organisations de l’économie sociale ou tiers secteur, nous tentons
de modéliser les patterns ou cheminements types de l’entreprise collective
d’usagers, en combinant l’approche stratégique et celle des configurations
organisationnelles.
L’entreprise collective d’usagers se développe davantage autour d’une
préoccupation de satisfaction de ses membres-usagers que d’une recherche
d’une position dans le marché (Vézina et Legrand, 2003). Sous cet angle,
elle s’inscrit naturellement dans le paradigme émergent des ressources. Les
tenants de cette nouvelle approche en stratégie (Prahalad et Hamel, 1990 ;
Grant, 1991 ; Arrègle, 1996 ; Tywoniak, 1998) soutiennent que la croissance de
l’entreprise doit suivre une logique d’exploitation des ressources et compé-
tences uniques développées par celle-ci au cours de son évolution, plutôt
que d’abord chercher à exploiter des occasions d’affaires. Ce faisant, cette
a p proche se distingue de celle du positionnement (Porter, 1982). De plus, elle
amène à comprendre l’organisation dans sa dimension historique en révélant
son sentier de dépendance (path dependancy).
Ainsi, l’évolution de l’entreprise collective peut être conceptualisée en
trois phases (figure 1). La première, la création d’une entreprise collective,
se déroule sur le mode de l’expérience innovante. La deuxième, la diffusion
de l’innovation par essaimage, correspond à la fédéralisation et à un début
de standardisation. La troisième phase est critique. En effet, la tension entre
innovation et standardisation commence à jouer dès la phase d’essaimage
mais devient plus critique par la suite. La stratégie exclusivement centrée
sur la standardisation est risquée, car elle ouvre la voie à la sortie du champ
de l’économie sociale ; elle ouvre même la voie à la sortie du système, à la
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d i sparition de l’entreprise collective face à la concurrence d’autant plus que la
standardisation pure et dure n’est même plus la figure type du capitalisme. En
effet, la grande entreprise industrielle contemporaine parvient aujourd’hui à
maintenir sa logique dominante de standardisation en mettant à contribution
d’autres logiques favorisant l’autonomie au travail et la co-production avec
l’usager. Deux options s’offrent pourtant à l’entreprise collective, deux stra-
tégies de création de valeur cohérentes avec son identité et avec les nouvelles
approches en stratégies d’entreprise centrées sur les compétences de l’entre-
prise et la création de valeur pour l’usager. Certaines choisiront de cheminer
par focalisation, soit par une innovation encore plus grande dans l’offre visant
un groupe de membres ciblé. D’autres s’engageront dans un cheminement
par hybridation, c’est-à-dire en combinant davantage et mieux l’innovation
et la standardisation requise pour répondre avec efficacité et efficience à un
sociétariat non seulement très large mais aussi très diversifié.
Pour chacune de ces stratégies, présentées comme des idéaux-types
ou structures de cheminement types, nous ferons ressortir la configuration
organisationnelle et plus particulièrement la structure de la gouvernance ainsi
que la place et le rôle des managers. En management et design organisa-
tionnel, l’approche des configurations a été popularisée par Mintzberg (1982,
1992). Les connaissances empiriques et théoriques sur les associations, les
coopératives et les mutuelles permettent toutefois de réinterpréter ces confi-
gurations (Malo, 2001a, 2001b, 2003). Ainsi, la configuration entrepreneuriale
correspond à la supervision directe exercée par un manager fort et à l’auto-
nomie de la gouvernance locale au sein d’un regroupement. La configuration
Figure 1
Les cheminements-types de l’entreprise collective d’usagers
-n
tt
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104 Économie et Solidarités, volume 35, numéros 1-2, 2004
adhocratique fonctionnant par ajustement mutuel implique une gouvernance
ou une gestion participative. La configuration professionnelle amène non
seulement l’autonomie au travail au niveau du centre opérationnel mais aussi
la co- production du service avec l’usager. La standardisation des procédés
peut être réalisée par la technostructure de l’organisation mécaniste et par
le transfert horizontal des savoirs au sein de l’organisation apprenante. Les
résultats standardisés dans la configuration divisionnalisée peuvent très bien
être socioéconomiques, tel le nombre d’emplois maintenus ou créés. La confi-
guration politique n’est plus vouée à l’échec ; elle correspond à une configu-
ration démocratique révélant les intérêts différents dans un espace commun
de délibération. Quant à la configuration missionnaire, elle devient moins
une question d’idéologie que d’utopie mobilisatrice. Enfin, comme pour les
logiques stratégiques, même si plusieurs logiques de coordination peuvent
cohabiter, généralement l’une sera dominante.
L’exercice de modélisation des cinq types de cheminements procède par
construction d’idéaux-types faisant ressortir la force dominante, tantôt plus
interne, tantôt externe, et obligeant à « h i érarchiser » différemment, redéployer
autrement, les logiques stratégiques et de coordination. Chaque type est for-
cément une interprétation de la réalité qui procède par dé-complexification,
comparativement à la riche diversité des études empiriques qui ont inspiré
leur caractérisation2. Le contexte, tantôt mouvement, tantôt secteur, est aussi
caractérisé à grands traits. Ainsi l’économie sociale jeune (phase 1 et 2) pourra
paraître idéalisée alors que toutes sortes de cas d’émergence et de regroupe-
ment sont possibles. Ainsi la grande coopérative au sein d’un secteur peut
provoquer la fusion de plus petites et se retirer alors que nous insistons sur
son rôle de pilier de la fédération. De même, la référence à l’entreprise capi-
taliste semblera se résumer à l’option de standardisation alors que le post-
fordisme a introduit plus de flexibilité et de variété dans les formes d’entre-
prise. Enfin, l’entreprise globale présentée dans le modèle d’hybridation est
plutôt un groupe contrôlée par une coopérative qu’un groupe contrôlé par
une fédération bien que les deux cas de figures se retrouvent dans la réalité.
Nous avons choisi le cas extrême : des forces de fusions poussant la fédération
vers la coopérative unique. Ainsi, le regroupement de la phase 2 représente
un regroupement monosectoriel typique des entreprises d’usagers alors
que des regroupements multisectoriels sont fréquents chez les coopératives
de travailleurs et vont même jusqu’à couvrir des coopératives d’usagers
(cf. Mondragon).
Pour rendre compte de la trajectoire modélisée de l’entreprise collective
d’usagers, la structure du texte comprend cinq parties. Les deux premières
portent en quelque sorte sur un « t r onc commun » : la création par expérimen-
tation et la diffusion par essaimage. La troisième est consacrée à la standar-
disation envisagée comme un risque de démutualisation. Les quatrième et
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