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© 2002 – Presses de l’Université du Québec
Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.uquebec.ca
Tiré de :
Économie et Solidarités
, vol. 33, no 1, Benoît Lévesque, Omer Chouinard et Brett Fairbairn,
responsables
En mettant l’accent sur la «sociologie économique» fran-
cophone, ce livre complète celui de Richard Swedberg
paru dans la même collection et consacré avant tout au
domaine anglo-saxon. Ses trois premiers chapitres sont en
effet consacrés à des écoles d’origine française ou québécoise:
le mouvement anti-utilitariste (avec le MAUSS en France et
le Groupe d’étude de la post-modernité au Québec), le courant
de l’économie sociale et solidaire, l’école de la régulation et
l’économie des conventions (ces deux courants regroupés dans
un chapitre sur les «institutionnalistes français»). Les deux
derniers chapitres de ce livre sont consacrés, l’un, à la New
Economic Sociology étatsunienne, l’autre à différentes écoles
d’économie critique aux États-Unis: les «nouveaux institu-
tionnalistes» (héritiers de Veblen ou Commons, et distincts
voire opposés au néo-institutionnalisme de Williamson), les
«néo-schumpétériens», les «néocorporatistes», et le mouve-
ment fédérateur et plus international de la «socioéconomie».
Chaque école est présentée à travers l’histoire de sa création,
son programme de recherche, sa problématique et ses objets
d’étude. Une fiche pratique résume ces points, donne une
bibliographie minimale et les coordonnées des centres de
recherche et de leurs animateurs.
On le voit à l’énoncé même de ces différents courants,
la «sociologie économique», à ce stade de son développement,
est un domaine passablement hétéroclite, fait d’écoles nom-
breuses qui n’ont parfois en commun que de proposer une
analyse des phénomènes économiques différente de celle de
l’économie néoclassique. Un tour d’horizon plus international
aurait accru encore ce sentiment. Pourtant, malgré cette diver-
sité, les auteurs voient des conditions communes d’émergence
aux différentes écoles qu’ils décrivent ainsi que les possibilités
d’une convergence entre elles.
LA NOUVELLE SOCIOLOGIE ÉCONOMIQUE
Benoît LÉVESQUE, Gilles L. BOURQUE
et Eric FORGUES (2001)
Paris, Desclée de Brouwer
268 pages, ISBN 2-22004-799-7
BERNARD CONVERT
Chargé de recherches
Centre national de la
recherche scientifique
Université de Lille I
France
Bernard.Convert
@ifresi.univ-lille1.fr
Compte
rendu
164 Économie et Solidarités, volume 33, numéro 1, 2002
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, vol. 33, no 1, Benoît Lévesque, Omer Chouinard et Brett Fairbairn,
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S’agissant de décrire les conditions économiques et politiques dans
lesquelles (ré)apparaît ce nouveau champ disciplinaire, les auteurs parlent
(p. 23) d’un contexte «de lente et difficile gestation d’une Grande Transformation»
(Polanyi est souvent évoqué dans ce livre comme héros tutélaire), qui relancerait
la nécessité d’une approche rendant compte de l’économie comme totalité
sociale. Parallèlement, sur le plan épistomologique, ils inscrivent très explici-
tement la « nouvelle sociologie économique », en opposition tant à l’économie
néoclassique qu’à «l’ancien paradigme structuraliste », dans un mouvement
plus général de «basculement paradigmatique», qui se serait « opéré dans l’en-
semble des sciences sociales» (p. 186), basculement marqué par une «douce
revanche des acteurs sur les structures» (p. 23). Ils désignent par là le tournant
interprétatif et historiciste pris par certains secteurs des sciences sociales en
France dans les années 1980. S’agissant des possibilités d’une convergence, les
auteurs, dans leur conclusion, militent pour l’intégration de trois niveaux d’ana-
lyse inspirés chacun par une des grandes traditions sociologiques : la tradition
marxiste, renouvelée, pour l’analyse de la dynamique des rapports sociaux, la
tradition wébérienne pour l’analyse des formes institutionnelles assurant la
distribution des pouvoirs et les mécanismes de résolution des conflits, la tra-
dition de l’École française de sociologie pour l’analyse de l’organisation et des
questions de coordination, d’apprentissages collectifs, de routines… Reprenant
à leur compte la critique de ce qu’ils appellent le «paradigme critique» en socio-
logie, les auteurs plaident pour une sociologie économique qui ne soit pas une
simple analyse, une simple déconstruction, mais également un outil pour l’action,
un des enjeux, écrivent-ils, étant d’«offrir aux décideurs une vision plurielle, mais
cohérente des enjeux actuels» (p. 207).
Nous sommes donc en présence d’un ouvrage qui n’est ni un simple bilan,
ni une histoire sociale de l’émergence et du développement d’un sous-champ
des sciences sociales, mais qui, à partir d’une recension d’un certain nombre
de travaux et d’écoles, propose une certaine définition et certains objectifs à la
sociologie économique. C’est un peu, à mes yeux, l’ambiguïté de l’ouvrage. Il
se présente comme un inventaire, mais il milite aussi pour une conception,
parmi d’autres possibles, de la sociologie économique. Du coup, on pourrait
reprocher à l’inventaire de ne pas toujours refléter fidèlement la réalité et
l’importance effective des recherches.
Pour le domaine anglo-saxon, on pourrait reprocher à cette présentation
de ne pas avoir réservé la place qu’elle mérite à la New Economic Sociology
étatsunienne qui reste, à l’échelle mondiale, le principal foyer de la nouvelle
sociologie économique. Elle a pris naissance dans de tout autres circonstances
économiques et universitaires que celles que décrivent les auteurs lorsqu’ils
parlent de «basculement paradigmatique». Les différentes écoles qui la
constituent ont pris naissance dans les années 1970, pour certaines en écho
aux mouvements néomarxistes, féministes ou tiersmondistes, pour d’autres en
réaction à la crise de la sociologie parsonnienne, pour d’autres encore dans un
Économie et Solidarités, volume 33, numéro 1, 2002 165
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, vol. 33, no 1, Benoît Lévesque, Omer Chouinard et Brett Fairbairn,
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mouvement de protestation contre l’extension du marché. Mais surtout la
présentation qui en est donnée dans cet ouvrage ne rend pas bien compte, à mes
yeux, du foisonnement d’études, de méthodes et de concepts qu’ont développés
depuis une vingtaine d’années les sociologues de l’économie aux États-Unis et
qui sont aujourd’hui mis en œuvre partout dans le monde ou presque. Deux
auteurs y font l’objet d’une présentation complète: Mark Granovetter et Viviana
Zelizer. Or le premier a développé un usage de l’analyse de réseaux en socio-
logie économique qui, quelque important qu’il soit, n’est qu’une version parmi
d’autres de l’utilisation du concept et des méthodes (Mintz et Schwartz, Baker,
Burt, White l’emploient dans d’autres sens), et la seconde, malgré l’éminence
de ses travaux, occupe une position très isolée dans ce milieu (ce que montre
par exemple une analyse des intercitations entre auteurs). Une présentation des
meilleurs travaux empiriques (on peut penser aux belles études de Wayne Baker
sur le floor trading ou de Brian Uzzi sur les relations entre chefs d’entreprises et
banquiers) aurait sans doute eu sa place dans un livre de présentation générale
de la nouvelle sociologie économique, de même qu’une présentation vulgarisée
des modèles sociologiques des marchés, en particulier ceux de Harrison White,
dont rien n’est dit ici, alors qu’il est à l’origine même du renouveau de la
sociologie économique et qu’il reste l’un de ses principaux théoriciens, comme
le montre son récent livre Markets from Networks.
Pour le domaine francophone, on peut regretter également que rien ne
soit dit d’une certaine sociologie de l’économie animée par l’intention d’appuyer
la critique des modèles économiques sur un travail empirique proprement
sociologique, utilisant les concepts et méthodes de la sociologie (enquêtes sur
le terrain, observations in situ, exploitations secondaires de statistiques natio-
nales, etc.), à propos de faits ou de phénomènes centraux du monde économique
contemporain, en particulier les marchés, financiers ou autres. On pourrait
donner comme exemple de cette démarche les recherches, tout à fait contempo-
raines de celles inventoriées dans l’ouvrage, menées par Pierre Bourdieu et
ses collègues depuis les années 1980 (sur le marché de la maison individuelle,
notamment, et plus récemment sur le champ de l’édition), dont on peut regretter
que rien ne soit dit dans ce livre sinon, en note (p. 28), qu’il (Pierre Bourdieu)
«fonde à lui seul une véritable sociologie économique », ce qui n’est pourtant
pas peu de chose; on peut penser aussi, à l’autre extrémité de l’échelle des
générations, aux travaux de sociologie des marchés financiers menés actuellement
par un groupe très actif de jeunes chercheurs parisiens (voir comme illustra-
tion de ce courant le livre d’Olivier Godechot, Les traders, essai de sociologie des
marchés financiers, aux éditions La Découverte).
En résumé, il s’agit d’un ouvrage associant l’inventaire d’un certain
nombre d’écoles et le projet, à la fois théorique et politique, de refonder une
lecture de l’économie qui soit aussi un outil pour l’action. Avec les ambiguïtés
de ce genre d’exercice.
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