Concert Elégiaque Piazzola, Rachmaninov, Chostakovitch UN CONCERT ELEGIAQUE … L’élégie est un terme qui apparaît dans la littérature grecque avant la fin du 5ème siècle ; il s’agit d’un poème lyrique écrit sur l’alternance de vers de cinq et six pieds, s’attachant à des thèmes mélancoliques (on pense que le mot « élégie » vient du nom de l’instrument de musique qui accompagnait ces poèmes). L’époque moderne en a retenu le caractère mélancolique et en a fait le genre privilégié de l’expression des plaintes funèbres ou amoureuses. Rachmaninov et Chostakovitch nous sensibilisent ainsi à leurs plus grandes souffrances alors que Piazzolla nous fait partager une mélancolie douce-amère. Notons également que tous trois ont vécu un contexte politique particulièrement difficile dans leur pays. INTERPRETE PAR … Katalin Péronno Darabont, violoncelliste Diplômée de l’Académie de Musique Franz Liszt de Budapest en violoncelle et musique de chambre avec les mentions excellentes. Elle étudie également à l’Académie de Musique de Vienne dans la classe d’Angelica May. Elle participe aux tournées des plus grands orchestres hongrois (Opéra National, Orchestre National, Orchestre de chambre Failoni, Orchestre Philharmonique de Budapest) en France, Espagne, Croatie, Allemagne, Autriche… Violoncelliste solo de l’Ensemble Marcato (répertoire moderne), elle enregistre avec celui-ci des concerts sur Radio Bartok (« France Musique » hongrois). En France depuis 2003, elle enseigne actuellement le violoncelle et la musique de chambre à l’Ecole Municipale de Musique de Croissy sur Seine. Hélène Hazebrouck, pianiste Médaille d’or de piano (classe de Julien Ridoret) à l’ENM de Ville-d’Avray, 1er prix à l’unanimité de la ville de Paris en musique de chambre (classe de Pascale Jeandroz), diplômée de l’Ecole Normale de Musique de Paris en piano (classe de Jeannine Bonjean) et en musique de chambre (Diplôme Supérieur dans la classe de Marie-Pierre Soma). Elle étudie parallèlement l’écriture dans les classes de Michel Capelier, Narcis Bonnet et Michel Merlet et suit une formation de direction de chœur avec Philippe Caillard. Elle se produit en musique de chambre à Paris avec le festival de l’église de Bercy et l’Association Musicale Scriabine, ainsi qu’en banlieue et province. Professeur titulaire à l’Ecole Municipale de Musique Croissy sur Seine, elle y enseigne le piano, la musique de chambre et le chant choral. Delphine Bertaux, violoniste Prix d’Excellence de violon à l’unanimité à l’Ucem 92, elle obtient le Diplôme d’Etudes Musicales au CNR d’Aubervilliers-La Courneuve dans les classes de Véronique Bohn (violon), de Jacques Saint-Yves et Isabelle Grandet (musique de chambre), de Jean-François Boukobza (culture musicale), et suit des cours de perfectionnement (violon et musique de chambre) auprès de Geneviève Simonot à l’ENM de Pantin et de Guy Commentale au CNR de RueilMalmaison. Elle participe régulièrement aux concerts de l’Orchestre de l’Oise sous la direction de Thierry Pélicant et joue en musique de chambre à Paris et en province, notamment au sein du sextuor à cordes Amabile. Titulaire du Diplôme d’Etat de violon, elle enseigne le violon, la musique de chambre et l’ensemble à cordes au Conservatoire Municipal agréé de musique et de danse de Houilles et à l’Ecole Municipale de Musique de Croissy sur Seine. PROGRAMME ASTOR PIAZZOLLA Les quatre saisons de Buenos Aires l'hiver / le printemps SERGEÏ RACHMANINOV Trio élégiaque en Sol Mineur * * * DIMITRI CHOSTAKOVITCH Trio op. 67 (3ème et 4ème mouvements) Largo / Allegretto ASTOR PIAZZOLLA Les quatre saisons de Buenos Aires l'été / l'automne SERGEI RACHMANINOV (Novgorod 1873, Beverly Hills 1943) “Tous les grands maîtres, déclarait Rachmaninov, se sont attachés au culte de la mélodie en soi, considérée comme l’élément primordial de la musique. En effet, la mélodie constitue pour moi le germe de la création musicale, puisqu’elle contient et suggère sa propre réalisation harmonique. » Rachmaninov considère la musique comme « une sœur de la poésie et une fille de la tristesse ». Il s’associe ainsi à la fois à Tchaïkovski (son maître) et à certains poètes symbolistes russes de son temps (Tchekov) en utilisant l’émotion à l’état pur détachée de son prétexte, ainsi que le pathétisme et une nostalgie de l’irréversible. Il est également hanté par la mort et tout ce qui touche à « l’irrémédiable ». A la suite de la révolution de février 1917, il quitte la Russie, prétextant une tournée et ne reverra jamais sa « bien-aimée » patrie ; c’est pourquoi il compose peu durant son exil, se consacrant davantage à sa carrière de pianiste et de chef d’orchestre. On ne lui pardonne pas son indifférence face aux tendances musicales du 20ème siècle. Dans une Russie révolutionnaire, il est qualifié de « compositeur démodé ». « Il n’était pas apprécié à sa juste valeur car les sentiments qu’il exprime dans sa musique sont justes et troublants, les auditeurs n’acceptant cela que difficilement. » (Wladimir Askenazy, pianiste) Il n’a que 19 ans lorsqu’il compose, en quatre jours, le trio en sol mineur. Ce trio est conçu en un seul mouvement, mouvement classique de forme sonate, dont l’exposition est construite sur douze épisodes. Le thème élégiaque est présenté dans la première partie « lento lugubre » par le piano, puis repris par le violoncelle et le violon. Le rythme évolue sans cesse (piu vivo, con anima, appassionato, tempo rubato, risoluto) ainsi que les changements d’atmosphère, jusqu’au mouvement final, murmuré et funèbre. DIMITRI CHOSTAKOVITCH (Saint-Petersbourg 1906, Moscou 1975) La pensée de Chostakovitch est foncièrement polyphonique. Il utilise plus volontiers des motifs que des thèmes ou mélodies. Admirateur de Mahler, il est comme lui attiré par les grandes fresques et volumes sonores, influencé par toutes sortes de tendances musicales, allant du jazz à la musique traditionnelle russe. Voici un homme qui a foi en l’homme, navigant entre optimisme pétillant et pessimisme grinçant. Malgré le stalinisme, il exprime dans sa musique le malheur des peuples victimes de la barbarie totalitaire. Acclamé par le public, harcelé par le parti, forcé de faire son autocritique et menacé de déportation, Chostakovitch doit se plier aux rigueurs de son temps tout en conservant son style et sa personnalité musicale. Pour gagner du répit, il compose des œuvres de commandes, en faveur de la propagande soviétique, qui lui servent de couverture pour toutes les « autres ». Malgré les menaces, la dictature russe ne parviendra jamais à briser totalement cet homme. Suite à la mort de son meilleur ami (le musicologue Ivan Sollertinski), il compose en 1944 le trio opus 67, utilisant des mélodies folkloriques juives, cherchant ainsi à contrer l’antisémitisme stalinien. Voici une œuvre cyclique, totalement élégiaque, une véritable danse des morts. Nous vous présentons ici les deux derniers mouvements : - Le Largo, funèbre, avec des accords énoncés d’emblée au piano, à figer les sangs. Les cordes semblent prier et pleurer pour ces détenus en camp de concentration. - L’Allegretto, danse macabre et sarcastique, où la tension croît jusqu’à atteindre un triple forte, nuance rarement atteinte en musique de chambre. Le trio s’achève sur le motif juif initial qui disparaît dans le néant. « C’était un acte courageux de la part d’un artiste qui voulait dire la vérité et qui, à cause de cela, allait être condamné au silence quatre ans plus tard. » (Rostislav Dubinski, violoniste) ASTOR PIAZZOLLA (Mar del Plata 1921, Buenos Aires 1992) Connu dans son pays comme « el gran Astor », le compositeur argentin révolutionne le tango traditionnel en un nouveau style appelé « tango nuevo ». Ce tango se distingue par la richesse de son écriture, héritée de la musique classique, associée à la liberté d’expression du jazz. Il ose s’écarter des règles établies du tango et le public réagit fortement. Les harmonies et mélodies sont plus osées, il utilise des dissonances prolongées et change même le rythme traditionnel du tango. Après avoir été destiné avant tout à être dansé, et par la suite chanté, le tango fait désormais son entrée dans le domaine de la musique de concert. Piazzolla passe son enfance à New-York, où il apprend le bandonéon, puis rentre en Argentine et étudie avec le compositeur Alberto Ginastera. Au début des années 50, Piazzolla veut se lancer dans la musique classique. Il part alors pour Paris étudier avec Nadia Boulanger, professeur de composition au conservatoire. Elle le persuade néanmoins de développer son art à partir de son fondement : le tango et le bandonéon. Ses études auprès de Ginastera et Nadia Boulanger ont donné à Piazzolla des outils d’écriture qui, jusque là, n’avaient pas pénétré le monde du tango. Tout en empruntant certaines harmonies à des compositeurs comme Bartok ou Stravinski, on trouve dans nombre de ses œuvres des références directes au style baroque (comme par exemple la liberté de l’interprète pour enrichir la partition d’ornementations). Initialement écrites pour quintette (bandonéon, violon, guitare électrique, piano et contrebasse), les quatre saisons de Piazzolla sont un clin d’œil à Vivaldi, mais il préfère décrire les saisons au travers d’atmosphères plutôt que d’en faire une description précise comme l’avait fait le compositeur italien. Tantôt mélancoliques, tantôt pétillantes, ou même mystérieuses, ces atmosphères nous emmènent à Buenos Aires, en faisant un petit détour par le monde baroque ; il lui rend en effet hommage en ayant recours au fugato (Printemps) et en construisant la coda de l’Hiver sur un enchaînement harmonique qui est celui du canon de Pachelbel. Il réussit ainsi à faire émerger les deux références les plus célèbres du monde baroque.