DIMITRI CHOSTAKOVITCH (Saint-Petersbourg 1906, Moscou 1975)
La pensée de Chostakovitch est foncièrement polyphonique. Il utilise plus volontiers des motifs
que des thèmes ou mélodies. Admirateur de Mahler, il est comme lui attiré par les grandes
fresques et volumes sonores, influencé par toutes sortes de tendances musicales, allant du jazz à
la musique traditionnelle russe. Voici un homme qui a foi en l’homme, navigant entre optimisme
pétillant et pessimisme grinçant. Malgré le stalinisme, il exprime dans sa musique le malheur des
peuples victimes de la barbarie totalitaire. Acclamé par le public, harcelé par le parti, forcé de
faire son autocritique et menacé de déportation, Chostakovitch doit se plier aux rigueurs de son
temps tout en conservant son style et sa personnalité musicale. Pour gagner du répit, il compose
des œuvres de commandes, en faveur de la propagande soviétique, qui lui servent de couverture
pour toutes les « autres ». Malgré les menaces, la dictature russe ne parviendra jamais à briser
totalement cet homme.
Suite à la mort de son meilleur ami (le musicologue Ivan Sollertinski), il compose en 1944 le trio
opus 67, utilisant des mélodies folkloriques juives, cherchant ainsi à contrer l’antisémitisme
stalinien. Voici une œuvre cyclique, totalement élégiaque, une véritable danse des morts. Nous
vous présentons ici les deux derniers mouvements :
- Le Largo, funèbre, avec des accords énoncés d’emblée au piano, à figer les sangs. Les cordes
semblent prier et pleurer pour ces détenus en camp de concentration.
- L’Allegretto, danse macabre et sarcastique, où la tension croît jusqu’à atteindre un triple forte,
nuance rarement atteinte en musique de chambre. Le trio s’achève sur le motif juif initial qui
disparaît dans le néant.
« C’était un acte courageux de la part d’un artiste qui voulait dire la vérité et qui, à cause de cela,
allait être condamné au silence quatre ans plus tard. » (Rostislav Dubinski, violoniste)
ASTOR PIAZZOLLA (Mar del Plata 1921, Buenos Aires 1992)
Connu dans son pays comme « el gran Astor », le compositeur argentin révolutionne le tango
traditionnel en un nouveau style appelé « tango nuevo ». Ce tango se distingue par la richesse de
son écriture, héritée de la musique classique, associée à la liberté d’expression du jazz. Il ose
s’écarter des règles établies du tango et le public réagit fortement. Les harmonies et mélodies sont
plus osées, il utilise des dissonances prolongées et change même le rythme traditionnel du tango.
Après avoir été destiné avant tout à être dansé, et par la suite chanté, le tango fait désormais son
entrée dans le domaine de la musique de concert.
Piazzolla passe son enfance à New-York, où il apprend le bandonéon, puis rentre en Argentine et
étudie avec le compositeur Alberto Ginastera. Au début des années 50, Piazzolla veut se lancer
dans la musique classique. Il part alors pour Paris étudier avec Nadia Boulanger, professeur de
composition au conservatoire. Elle le persuade néanmoins de développer son art à partir de son
fondement : le tango et le bandonéon. Ses études auprès de Ginastera et Nadia Boulanger ont
donné à Piazzolla des outils d’écriture qui, jusque là, n’avaient pas pénétré le monde du tango.
Tout en empruntant certaines harmonies à des compositeurs comme Bartok ou Stravinski, on
trouve dans nombre de ses œuvres des références directes au style baroque (comme par exemple
la liberté de l’interprète pour enrichir la partition d’ornementations).
Initialement écrites pour quintette (bandonéon, violon, guitare électrique, piano et contrebasse),
les quatre saisons de Piazzolla sont un clin d’œil à Vivaldi, mais il préfère décrire les saisons au
travers d’atmosphères plutôt que d’en faire une description précise comme l’avait fait le
compositeur italien. Tantôt mélancoliques, tantôt pétillantes, ou même mystérieuses, ces
atmosphères nous emmènent à Buenos Aires, en faisant un petit détour par le monde baroque ; il
lui rend en effet hommage en ayant recours au fugato (Printemps) et en construisant la coda de
l’Hiver sur un enchaînement harmonique qui est celui du canon de Pachelbel. Il réussit ainsi à
faire émerger les deux références les plus célèbres du monde baroque.