La crise : un révélateur des impasses de la France

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Finance
La logique financière a pris le pas sur l’approche économique. A tel point que
les économistes liés à la finance de marché ont une influence déterminante sur
la formation des croyances et des opinions des chefs d’entreprise comme des
pouvoirs publics ou encore du grand public. Une ligne de pensée qui a conduit à
l’impasse dans laquelle se trouve aujourd’hui la France.
Pourtant, ni les délocalisations, ni les pertes d’emplois qualifiés, ni la baisse de
l’investissement productif en France ne sont une fatalité. Il est indispensable
d’imaginer des stratégies alternatives, avec de nouvelles incitations pour relocaliser la croissance mais aussi encourager la finance et l’épargne à mieux soutenir
le développement de l’activité sur le territoire national.
Tel était l’objectif du colloque « La finance face à l’emploi, logique des marchés et
relocalisation des activités » qui s’est tenu en juin 2010 à Paris. Pour stimuler la
réflexion, Xerfi a réuni des industriels, des banquiers, des experts, mais aussi ses
équipes d’économistes et de spécialistes sectoriels, tous préoccupés par la nécessité impérieuse d’une mobilisation afin de relancer une dynamique d’activité en
France et remettre prioritairement la finance au service du développement des
entreprises sur le territoire.
Le colloque a été organisé par Xerfi,
premier institut d’études économiques
privé en France et totalement indépendant.
Avec des centaines d’études publiées
chaque année sur l’évolution des secteurs
d’activités en France et dans le monde,
Septembre 2010 –
isbn 978-2-8190-0190-4
Prix 22 e
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il dispose d’une expertise exceptionnelle.
Xerfi organise régulièrement des colloques
et des conférences pour apporter
sa contribution citoyenne au débat
économique.
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Finance, emploi, relocalisations
emploi
relocalisations
Sous la direction de Laurent Faibis
Sous la direction de Laurent Faibis
Previsis
avec la collaboration de Jean-Michel Quatrepoint
Finance
emploi
relocalisations
Actes du Colloque Xerfi
Michel Aglietta
Eric Bourdais de Charbonnière
Jérôme Cazes
Louis Gallois
Jean-Hervé Lorenzi
Gilles Michel
Etienne Pflimlin
François Rachline
Yazid Sabeg
Avec les contributions de Jean-Baptiste Bellon,
Alexander Law et Alexandre Mirlicourtois.
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Extrait des Actes du colloque Xerfi Finance, emploi, relocalisations
Sous la direction de Laurent Faibis En collaboration avec Jean‐Michel Quatrepoint Septrembre 2010 Groupe Xerfi
La crise : un révélateur
des impasses de la France
par Laurent Faibis
L
a crise financière a déclenché la récession en France. Mais
elle n’est pas la cause profonde de la crise économique qui
se prolonge depuis. Cette déflagration a servi de révélateur à la multiplicité des déséquilibres accumulés depuis
20 ans. Des difficultés longtemps masquées qu’il faut désormais affronter à chaud. Si la récession est désormais derrière
nous, nous ne sommes pas pour autant sortis de la crise. Un
rythme de croissance léthargique s’est installé, avec son cortège de défaillances d’entreprises et de destructions d’emplois.
La crise a mis en relief les impasses d’une France confrontée
au choc d’une globalisation débridée et à la dissolution de
la dynamique européenne, aujourd’hui synonyme du chacun
pour soi. L’épidémie des plans d’austérité au sein de l’Union
a levé le voile non seulement sur la soumission de nos pays
aux forces des marchés financiers mais aussi sur leur impuissance à définir une politique coopérative face aux difficultés
et une stratégie offensive face aux ambitions des nouvelles
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puissances. Plus encore, la crise a mis à nu les illusions d’un
pays ayant sacrifié des pans entiers d’activités manufacturières sur l’autel de la société post-industrielle, au nom d’une
idéologie qui voulait faire croire que la libéralisation totale
des échanges, la dérégulation de la finance et l’autorégulation
des marchés nous conduisaient d’une main invisible vers un
monde meilleur.
La France est aujourd’hui confrontée à un nouveau décrochage industriel brutal, qui affaiblit davantage encore son tissu
manufacturier. Depuis 1990, près de 1,3 million de postes
ont été supprimés dans l’industrie, soit 28 % des effectifs. Ces
pertes d’emplois se sont intensifiées dans les années 2000 avec
la montée de la globalisation, la concurrence des pays émergents et les délocalisations.
Certes, la crise financière actuelle n’est responsable ni du
décrochage industriel de l’Hexagone ni de la délocalisation de
ses emplois. Le déclin des 20 dernières années s’est effectué
en trois temps. Les années 1990 ont été celles de l’effondrement des secteurs de biens de consommation comme le textile, l’habillement, le cuir et l’électroménager. La deuxième
étape est survenue dans les années 2000 avec les plus fortes
pertes de production jamais enregistrées par la métallurgie, les biens intermédiaires et l’automobile. Dans le même
temps, tous les secteurs liés à l’habillement, l’équipement du
foyer, l’électronique grand public continuaient de s’affaiblir.
La balance commerciale, redevenue positive au tournant des
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années 2000, a plongé à nouveau en 2004. Le solde de notre
commerce extérieur n’a cessé de se dégrader depuis. En 2008,
nous sommes entrés dans la troisième étape. La crise déclenchée par l’éclatement de la bulle financière a entraîné une
chute de 16 % de la production industrielle ! Ne nous y trompons pas. Il ne s’agit pas d’une grosse secousse conjoncturelle
mais bien d’une rupture majeure.
Un modèle de croissance fondé sur la consommation
Au cours des 20 dernières années, la France s’est progressivement désintéressée de son industrie. Les regards étaient
davantage braqués vers le soutien de la consommation des
ménages que vers l’investissement, surtout dirigés vers le développement des activités de services plutôt que vers la défense
de la compétitivité industrielle. Considéré sous cet angle,
l’Hexagone a de facto présenté une certaine similitude de comportement avec les pays anglo-saxons. Le paysage économique
français se distingue en effet de ses voisins d’Europe continentale par une surpondération des multinationales, notamment
dans les services, la distribution et la finance.
Les groupes d’origine nationale se sont tournés vers le
grand large, développant peu à peu leur activité là où la maind’œuvre est moins chère, là où se trouvent les marchés en forte
croissance. Le recul du prix des biens manufacturés importés,
une devise forte et l’endettement des ménages ont stimulé la
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consommation. Comme aux États-Unis et au Royaume-Uni,
l’effet richesse lié à la bulle immobilière a favorisé les dépenses
dans les biens d’équipement du foyer, pour l’essentiel importés. Avec pour principales conséquences, une dégradation
progressive de la balance du commerce extérieur et l’endettement de la France. Chez Xerfi, nous qualifions de « globalofinancière » cette stratégie où la croissance du PIB repose
avant tout sur la consommation des ménages, où le système
financier draine une part sensible de la valeur ajoutée, où les
principales filières sont dominées par des multinationales qui
délocalisent leur production. En résumé, il s’agit d’une stratégie économique qui cherche d’abord à tirer parti des effets
positifs de la globalisation et de la financiarisation, en sousestimant les conséquences à terme.
Rappelons combien les chiffres ont masqué bien des problèmes. Entre 2002 et 2007, la croissance de la consommation des ménages en volume a varié dans une fourchette de
2,1 % à 2,6 % par an. La consommation a ainsi représenté
– de très loin – le premier moteur de la croissance. Excédentaire jusqu’au tournant des années 2000, la balance commerciale s’est ensuite rapidement dégradée. Elle est passée
nettement dans le rouge en 2004. Le déficit avait atteint
55 milliards d’euros en 2008 – année du déclenchement de la
crise – quand la croissance du PIB s’est effondrée.
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Le dérèglement du système globalo-financier
La crise financière qui éclate en 2008 va dérégler la mécanique globalo-financière et accentuer dix ans de déséquilibres.
Elle va jouer un rôle de révélateur des artifices financiers qui
ont soutenu la croissance. Le cataclysme qui s’abat sur le système financier occidental va imposer l’intervention massive
des États pour organiser son sauvetage. La finance se retrouve
alors sur le banc des accusés. Mais une fois sortie d’affaire,
la logique financière va vite reprendre le dessus. Les États,
venus à la rescousse des banques et de la finance, déchantent
à leur tour. Les politiques économiques mises en place dans la
tourmente financière, avec pour corollaire un alourdissement
de la dette publique, se retrouvent en effet dans le collimateur des opérateurs des marchés financiers qu’ils ont pourtant
secourus. La crise va donc également être un terrible révélateur de la pression des marchés sur la régulation du système
économique et faire peser une contrainte déterminante sur les
marges de manœuvre des politiques publiques.
Les politiques de relance sous haute surveillance
Nous sommes ainsi passés brutalement de l’apologie de la
dette et de l’effet de levier à l’idéologie de la purge financière,
présentée comme le passage obligé, voire la seule solution, à
tous nos maux. Après les entreprises et les ménages, les États
se plient aux exigences des marchés. Des opérateurs finan-
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ciers, au comportement paradoxal, voire schizophrénique,
réclament des cures d’austérité en toute connaissance de cause
sur les effets négatifs de celles-ci sur la croissance. Les pays
endettés, soit la grande majorité des nations occidentales, s’exposent ainsi à une double sanction. Pour sauver le système
financier du naufrage, et les économies occidentales de l’effondrement, les États ont dû accepter de s’endetter lourdement. Une première peine risque donc d’être infligée pour
cette dette qui déplaît aux marchés. Mais une seconde punition peut ensuite être infligée parce que les thérapies de choc
administrées pour réduire la dette publique provoquent un
ralentissement de la croissance. Et par conséquent, freinent
les rentrées fiscales et donc le remboursement de la dette souveraine. Incohérence des marchés financiers !
Une logique absurde à laquelle les États-Unis, dont l’endettement total est pourtant stratosphérique, refusent obstinément d’adhérer. La somme de l’endettement des ménages,
de la dette fédérale, des dettes des États et de la dette du système financier hisse les États-Unis au rang de plus grand débiteur face au reste du monde. Et même en pourcentage du
PIB, ils figurent dans le top 10 des grandes nations endettées.
Mais au pays de Milton Friedman et de Robert Lucas, on sait
combien l’orthodoxie financière est une marchandise réservée
à l’exportation idéologique. Les États-Unis, le cœur du capitalisme mondial, réfutent ainsi l’idée même de la rigueur.
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De ce côté de l’Atlantique, un véritable concours d’austérité est en revanche engagé. Les États se sont mis au défi
suicidaire du mieux-disant des politiques restrictives. L’Allemagne a donné le ton, et tout le monde s’est senti obligé de
lui emboîter le pas. Si les termes d’« austérité » et de « rigueur » restent tabous en France, une diète budgétaire se dessine
pourtant. Le Royaume-Uni n’a pas ces pudeurs sémantiques :
hausse d’impôts et contraction des dépenses publiques vont
atteindre des niveaux records. Et peu importe la situation
des entreprises, la consommation ou l’emploi. La posture de
la rigueur et l’esprit de repentance gouvernent les esprits et
dictent les décisions. Les grands pays européens semblent être
frappés d’amnésie, oubliant qu’ils sont mutuellement leurs
principaux débouchés. Même l’Allemagne feint de méconnaître ses propres statistiques qui s’imposent pourtant comme
une évidence : ses voisins sont ses principaux clients, très loin
devant les pays émergents. L’austérité qu’elle érige en parangon de vertu ne peut avoir qu’un effet boomerang. L’Europe
est devenue masochiste et sacrifie son avenir sur l’autel des
marchés.
Les marchés ont pris le pas
sur les économies territoriales.
Dans ce concours de frugalité, l’État risque en effet de se
priver des derniers outils pour stimuler l’économie et mener
une véritable stratégie économique nationale. Quant à l’ambi-
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tion européenne, elle se réduit désormais à jouer les pompiers
du système financier et se laisse tenter par le rôle de gendarme
des budgets publics. La purge comme médecine archaïque
face à la crise en somme.
Une croissance molle, un euro toujours surévalué, un climat de guerre économique : autant d’éléments de nature à renforcer le cercle vicieux des délocalisations et des destructions
d’emplois sur le Vieux Continent mais aussi de l’exportation
de la croissance et des capitaux vers les pays émergents.
Déjà, la crise a amputé les pays européens d’une part
sensible de leur croissance potentielle. L’effet systémique
des plans d’austérité va encore raboter le reste. Une devise
toujours trop forte alors que pour se relancer, l’Europe a
désormais besoin d’utiliser l’arme monétaire avec un euro
proche de la parité avec le dollar. C’est nécessaire pour renforcer la concurrence prix. C’est indispensable pour disposer du temps nécessaire à la ré-industrialisation. Un climat
de guerre économique : le temps du monde global et du
commerce international gagnant-gagnant est derrière nous.
Lorsque la demande fléchit, chacun s’évertue à s’emparer des
parts de marchés du voisin. Cela se vérifie en particulier au
sein de la zone euro. À cet égard, le comportement de l’Allemagne s’est révélé notoirement peu coopératif. À l’évidence,
son principal objectif est d’accroître encore sa domination
sur l’industrie européenne.
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Ce climat de guerre économique intestine s’inscrit dans un
contexte plus vaste de surcapacité mondiale des moyens de
production. Le boom des pays émergents a suscité des investissements inconsidérés dans de nombreux secteurs. Dans les
pays avancés, le degré d’utilisation des capacités de production est au plus bas. Dans l’industrie comme dans les services, la pression sur les prix est terrible et se propage d’un
secteur à l’autre. Une véritable spirale déflationniste qui réduit
les marges, détruit les emplois et les unités de fabrication. Un
cercle vicieux qui condamne les entreprises à contracter en
permanence leurs coûts et à réduire leur masse salariale. Dans
le contexte d’évolution atone de la demande, le redéploiement
des grandes entreprises vers un « ailleurs meilleur » s’accélère.
Alors que les indicateurs de marge opérationnelle et de trésorerie des principales firmes occidentales se sont redressés, cellesci investissent et recrutent désormais en priorité dans les pays
émergents. Cette fuite du territoire est d’autant plus forte
pour les entreprises cotées en Bourse, soumises à des niveaux
déraisonnables de rentabilité exigés par les marchés. Dans
ces conditions, leur leitmotiv est accroissement des marges
– en abaissant le coût du travail – et renforcement de la rentabilité – en économisant le capital à coup d’effets de leviers.
Bien pire, les comportements court-termistes découragent
les stratégies à long terme et l’innovation. Comme en effet
prendre des risques sur 3, 5 voire 10 ans lorsqu’il faut rendre
des comptes tous les 3 mois ?
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Un fatalisme inacceptable
Cette logique des marchés financiers semble nous conduire
droit au fatalisme. Cette résignation et cette soumission sont
inacceptables. Les délocalisations, la désindustrialisation et la
destruction des emplois qualifiés ne sont pas une fatalité. Des
stratégies autres que la déflation salariale sont possibles. Nous
voulons croire qu’il n’y a pas de fatalité à la tyrannie des marchés financiers.
Malgré les enseignements de ces trois dernières années, les
doctrines économiques dominantes depuis un quart de siècle
et responsables de l’impasse actuelle regagnent peu à peu la
bataille des idées. Il faut sortir de cette pensée unique, rechercher des stratégies alternatives. Nous avons trop longtemps
accepté l’idéologie de l’autorégulation des marchés, où la
politique économique n’avait plus grand rôle à jouer. Certes,
il faut prendre garde à respecter les règles du jeu de la libre
entreprise et ne pas brider les initiatives individuelles. Mais il
n’y a pas de marché possible sans règles, il n’y a pas de règles
sans instances pour les définir et les faire respecter. De même,
les risques doivent être assumés par ceux qui les prennent. Il
importe aussi que les marchés soient translucides, toute l’information disponible. Les échanges opaques et les contrats
de gré à gré, qui ont envahi la finance, ne sont pas le marché.
Opposer la régulation et la libre entreprise est un contresens.
Même si les grands prédateurs financiers s’y emploient depuis
plusieurs décennies. En réalité, l’idéologie de l’autorégulation
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et les forces qui la soutiennent ne portent pas seulement une
lourde responsabilité dans la crise financière et sa transmission
au reste de l’économie. Elles sont aussi à l’origine des dysfonctionnements accumulés depuis une décennie et du désengagement industriel de la France.
Des cassures irrémédiables
dans le tissu industriel français
Entre 2000 et 2008, la France a perdu chaque année 2 %
de ses emplois industriels. Le déclin des secteurs de biens de
consommation, déjà largement engagé dans les années 1990,
s’est accéléré dans les années 2000. La France ne peut plus
s’enorgueillir d’un quelconque champion national dans la
fabrication de textile et habillement, chaussure, meuble, produits de bricolage, électroménager, électronique de loisirs, etc.
Bref, l’essentiel de ce que les Français consomment (hors alimentaire) doit être importé.
Le déclin de la production industrielle s’est également
accentué ces dix dernières années dans les biens intermédiaires et les équipements. Bien que l’Hexagone compte le
siège de deux grands constructeurs, la production automobile est désormais largement délocalisée, entraînant dans son
sillage les équipementiers et les sous-traitants. La presse se
réjouit du rebond des immatriculations alors même que la
production de véhicules sur le territoire avait déjà fléchi avant
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la crise et que la plupart des petites et moyennes cylindrées de
marques françaises sont importées.
La propagation de la crise financière à l’industrie tricolore va entraîner une onde de choc terrible au second semestre 2008. La production automobile va ainsi fléchir de 13 %
en 2008 puis de 21 % en 2009. Cette grande panne atteindra en 2009 la métallurgie (-28 %), la fabrication de machines (-27 %), la construction navale (-25 %) et les équipements
électriques (-20 %). Arrêtons là cette énumération lugubre porteuse du germe des drames sociaux et autres dépôts de bilans.
En 2008 et 2009, la quasi-totalité des bastions de résistance
de la production manufacturière a été sinistrée. Pour certains
d’entre eux, cette véritable destruction de capacités de production signifie un décrochage irrémédiable pour la France. Rien
qu’en 2009, la baisse des effectifs salariés de l’industrie a atteint
4 %, sans compter le recul du travail intérimaire.
Certes, la crise financière a allumé l’étincelle qui a fait
exploser la croissance et entraîné l’effondrement industriel
de 2008 et 2009. Mais, sans nier la part de responsabilité
des marchés financiers, ceux-ci font un bouc émissaire trop
commode pour expliquer une érosion industrielle qui vient
de loin. La finance n’est pas seule responsable. La vérité, c’est
que nous avons été aveugles.
Depuis 20 ans, et davantage encore depuis les années 2000,
nous avons laissé faire et été frappés de cécité. L’Union européenne s’est élargie trop rapidement, sans les précautions
indispensables et chaque pays s’est mis à faire cavalier seul.
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Nous avons mis en place l’euro, sans harmoniser nos politiques économiques, avec une BCE plus soucieuse de lutte
contre l’inflation – pourtant disparue – que de compétitivité.
Dans ce contexte, le couple franco-allemand, qui cultivait
autrefois la passion de l’Union, risque le divorce. Plus largement, nous avons sauté à pieds joints dans la globalisation,
sans nous préoccuper de ses conséquences négatives et, surtout, avec une arrogance qui nous a fait sous-estimer le potentiel de rattrapage de grands pays émergents, au premier rang
desquels la Chine.
Les difficultés d’une Europe trop vite élargie
L’Union européenne s’est élargie jusqu’à devenir ingérable. Il suffit de penser au feuilleton à rebondissement de la
constitution européenne. La crise a servi de révélateur, avec la
cacophonie des stratégies de ripostes, l’incapacité à définir une
politique économique coopérative, la lenteur des décisions
dans les cas urgents (telle que l’attaque des marchés contre la
Grèce). Plus personne ne songe à de nouveaux traités permettant de renforcer l’Union ou d’en harmoniser les dimensions
budgétaires, fiscales, sociales, commerciales, écologiques pour
affronter au mieux les défis de la globalisation.
En réalité, chacun des grands pays joue sa partition.
L’Allemagne veut continuer de croire en son modèle exportateur et à l’intégration de son économie de bazar grâce
aux implantations industrielles dans l’est de l’Europe. Le
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Royaume-Uni regarde plus que jamais vers toutes ces régions
émergentes avec lesquelles il entretient des liens historiques.
Pour faire face au cataclysme qui a ravagé la City, les Britanniques disposent d’un atout : la ré-industrialisation, grâce à
l’appui des grandes puissances émergentes, et en premier lieu
l’Inde et la Chine. Pourquoi ne pas endosser l’habit de leur
cheval de Troie dans l’Union européenne ? La France risque
d’être prise en tenaille entre la puissante industrie allemande,
ses grands groupes et son mittlestand compétitif, et un rebond
industriel de la Grande-Bretagne, galvanisée par la dynamique
des multinationales des pays émergents prêts à s’y implanter.
Un euro surévalué
La crise a également révélé que l’euro n’est pas seulement notre monnaie mais aussi notre principal problème.
Le désastre économique espagnol montre trop bien certains
effets pervers d’une zone monétaire sous-optimale. Grâce à la
force de l’euro et à des taux d’intérêt bas, Madrid a pu laisser jouer au « passager clandestin », laissant filer l’inflation et
les déficits extérieurs, gonfler la bulle immobilière et dégrader la compétitivité industrielle. Le rideau est tombé sur un
modèle espagnol qui a conduit son économie au désastre, et
dans l’impasse.
Plus profondément, un euro surévalué a mis tous les secteurs soumis à la compétitivité prix à rude épreuve. Difficile
dans ces conditions d’affronter la concurrence des pays qui
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disposent non seulement de faibles coûts salariaux, mais aussi
des moyens pour maintenir leur taux de change artificiellement bas, malgré leurs excédents commerciaux. Une fois
n’est pas coutume, les marchés ont rendu service aux pays de
la zone euro au printemps 2010 en dévalorisant la monnaie
commune. Mais pas suffisamment pour redonner des marges
de manœuvres réellement satisfaisantes à nos exportateurs et
les protéger des pays qui associent coût du travail et taux de
change sous-évalués. La Banque centrale européenne, si attentive au niveau d’inflation et si prompte à secourir le système
financier, n’est guère diligente en matière de croissance et de
compétitivité. Il est vrai que telle n’est pas la mission qui lui a
été confiée par les traités.
Mais ni une Europe trop vite élargie, ni même un euro
déconnecté de toute stratégie économique cohérente n’auraient
eu des conséquences aussi fâcheuses si le couple francoallemand était resté suffisamment uni pour conserver son rôle
de moteur de l’Europe. Las, Berlin et Paris tirent à hue et
à dia. La nouvelle génération des dirigeants allemands lorgne désormais davantage vers l’Est et l’Extrême-Orient que
vers son voisin occidental. Ni la hantise de la mémoire, ni les
séquelles de la Seconde Guerre mondiale, ni la crainte du bloc
soviétique ne viennent plus souder les deux rives du Rhin.
Vue de loin, l’Allemagne est désormais LA grande puissance
européenne. Une Allemagne décomplexée qui, comme le
Royaume-Uni, se méfie de tout pas supplémentaire vers l’intégration et préfère désormais limiter l’ambition européenne
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à une vaste zone de libre-échange. Une Allemagne qui aspire
à sortir de la crise en captant des parts de marchés au détriment de ses partenaires européens. Une Allemagne qui entend
s’assurer le leadership industriel dans tous les secteurs d’excellence technologiques, y compris ceux où la France a conservé
ses bastions. À ce petit jeu, les rivalités ne risquent-elles pas de
l’emporter sur les impératifs de coopération ?
Les méprises d’une globalisation
irresponsable et naïve
Le rêve européen s’est évanoui dans un monde qui se
reconfigure à toute allure avec des pays émergents en Asie
mais aussi en Amérique latine, avec de nouvelles règles du
jeu et de nouveaux rapports de forces économiques et financiers. Les théories du commerce international nous enseignaient toutes les vertus supposées du libre-échange. Un jeu
gagnant-gagnant où chacun se spécialiserait dans ses domaines d’excellence, profitant d’avantages comparatifs. Les pays
avancés devaient bénéficier d’une plus grande qualification
de leur population, de leur avance technologique, de firmes
puissantes pour exporter vers les pays émergents des biens et
équipements sophistiqués. En retour, la globalisation devait
nous permettre d’importer à bas prix les biens de consommation et ainsi bénéficier au pouvoir d’achat des ménages.
Las, la globalisation s’est soldée par des délocalisations
massives dans tous les secteurs, y compris ceux dans lesquels
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l’Occident entendait exceller. La pression à la baisse du prix
du travail dans les pays avancés a entraîné un ralentissement
du pouvoir d’achat réel, compensé dans de nombreux pays
par la dette et les effets richesse liés à la bulle immobilière. Pris
dans leur ensemble, les pays avancés ont vu leur tissu économique se désindustrialiser, leur demande intérieure s’éroder.
Dans le même temps, les investissements massifs réalisés par
les pays émergents, souvent avec l’incitation voire l’investissement direct des puissantes multinationales, ont conduit à des
surcapacités de production mondiales durables, responsables
de la chute des prix.
L’aveuglement a été général
Comment une telle erreur a-t-elle pu se produire ? La
réponse est simple. Les théories du commerce international,
qui ne s’appliquaient pas au nouveau contexte de la globalisation, nous ont en fait aveuglés. Les évolutions du marché du
travail et des salaires dans le monde, tout comme le rééquilibrage des parités monétaires, ne fonctionnent pas selon les prédictions de la théorie. Principalement parce qu’une immense
puissance comme la Chine refuse de se conformer aux lois du
marché lorsqu’elle doit défendre sa stratégie. C’est en particulier le cas en matière monétaire avec le maintien artificiel d’un
yuan sous-évalué pour favoriser ses exportations, là où la théorie promet une valorisation progressive de la devise de nature
à rééquilibrer le commerce extérieur. Mais aussi parce que,
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dans cet atelier du monde, les obstacles non réglementaires à
la pénétration des entreprises occidentales sont légion tandis
que la propriété industrielle n’est pas respectée.
Mais surtout, nous avons été aveuglés par un complexe de
supériorité vis-à-vis des pays émergents, nous avons méprisé
leur savoir-faire ainsi que leur capacité d’adaptation et d’intégration des technologies occidentales. Nous avons sous-estimé
leur aptitude à mettre en œuvre leurs propres méthodes d’organisation, à conduire une stratégie offensive et coordonnée
pour rattraper leur retard, voire à prendre leur revanche, sur
des décennies d’humiliation occidentale.
Nous avons aussi laissé faire parce que nous avons vécu
dans le mythe d’une société post-industrielle, où les emplois
dans les services allaient remplacer avantageusement les postes
manufacturiers. Un monde où les pays avancés se concentreraient sur les tâches de recherche et développement mais aussi
de conception, sur le pilotage logistique ou encore la finance.
En bref, sur un ensemble d’activités dématérialisées qui nous
permettrait de capter la valeur sur le marché mondial, une spécialisation par les avantages comparatifs qui devait permettre
de créer chez nous des emplois à plus forte valeur ajoutée.
Mais ce mythe s’est effondré comme un château de cartes.
Même dans les services informatiques, la dynamique de l’emploi s’essouffle au profit de pays émergents comme l’Inde.
Certes, la finance a créé près de 180 000 emplois en France
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en l’espace de 20 ans. Mais ces créations ne représentent pas
plus de 3 années de pertes d’emplois dans l’industrie. Des
efforts ont été réalisés pour stimuler les emplois de services
aux ménages où les besoins sont effectivement immenses.
Mais notre ambition ne peut se résumer à la création de postes d’aides ménagères, serveurs de restaurants et pompistes !
La descente aux enfers de l’Espagne nous rappelle à l’envi les
dangers d’une économie de la faible valeur ajoutée.
La France en panne de modèle économique
Les plaques tectoniques de l’économie mondiale se sont
déplacées sans que nous mesurions suffisamment les enjeux
et les conséquences du nouvel ordre international. La crise
a provoqué une secousse qui a accentué la modification des
rapports de forces. La France s’est distinguée par son absence
de stratégie cohérente, contrairement aux États-Unis, à l’Allemagne, et bien sûr à la Chine. Gouvernement après gouvernement, le modèle de croissance français s’est construit sur la
consommation des ménages et le soutien aux grands groupes,
quitte à sacrifier le commerce extérieur et les entreprises indépendantes.
Malgré son tissu industriel important, l’Hexagone n’a
jamais consenti les efforts de l’Allemagne pour en faire le cœur
de son économie. Nous avons de grands groupes, mais davantage implantés dans les services que dans l’industrie. Surtout,
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leur puissance ne suffit pas à compenser la faible densité de
notre tissu de PME comparativement à nos voisins allemands
et italiens. Aux yeux de nos élites (et des grandes écoles qui les
produisent), point de salut en dehors des postes les plus élevés
dans les grandes entreprises. L’expression de « petit patron »
conserve en France une connotation péjorative, là où l’esprit
d’entreprise, le goût du risque et de l’indépendance forcent
le respect, quelle que soit la taille de la société, dans d’autres
pays occidentaux. De fait, la France manque de vrais entrepreneurs dont l’objectif est de créer, développer, et pérenniser
une entreprise. Les succès se terminent trop souvent par la
vente à un grand groupe, de préférence étranger. Notre pays
ne dispose en conséquence que d’un nombre réduit de ces
entreprises très spécialisées qui, par leur excellence, exercent
un leadership mondial sur une niche de marché.
D’ailleurs, la plupart des grandes entreprises tricolores d’aujourd’hui existaient déjà à la fin des années 1950. Si
une génération d’entrepreneurs a émergé à partir de l’aprèsguerre, aucune grande vague ne lui a succédé depuis les années
1970. Le plus grand nombre de groupes apparus depuis sont
d’abord des meccanos financiers sophistiqués. L’exemple du
secteur du luxe, hautement symbolique pour la France, est à
cet égard significatif. La plupart des grandes maisons vieilles
de plusieurs décennies sont désormais dans le giron de grands
groupes comme LVMH, ou PPR. Dans ces conditions, la
stratégie de développement de ces firmes repose sur l’acquisition de nouvelles griffes, notamment en Italie qui conserve
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une réelle capacité à générer de nouvelles vocations dans ce
domaine. Où trouver en France l’équivalent d’un Giorgio
Armani, bâtisseur d’un empire mondial indépendant ?
Les dangers d’une spirale déflationniste
Après la suppression de la planification à la française, cette
« ardente nécessité » de l’époque gaulliste, toute idée de stratégie coordonnée a été abandonnée. Il n’est plus question de
se doter d’une ambition nationale, alors qu’aucun grand pays
ne se prive de définir ouvertement ses priorités et de mobiliser abondamment les ressources publiques pour soutenir des
activités jugées stratégiques. À cet égard, les États-Unis demeurent, contrairement à une idée reçue, l’un des pays les plus
interventionnistes, en particulier dans le domaine des hautes
technologies.
À la recherche d’un modèle miracle, la France a puisé son
inspiration à l’étranger. Après le fordisme américain, le modèle
rhénan, le toyotisme japonais, le modèle Wall Street de capture de la valeur par la finance nous a séduit. Mais la tentation
aujourd’hui pour l’économie française est grande de troquer le
modèle Wall Street contre le modèle Wal-Mart, qui s’impose
peu à peu dans les pays avancés. Or, avec le modèle Wal-Mart,
la logique de la financiarisation et de la globalisation est poussée à son comble. Sous prétexte d’améliorer le pouvoir d’achat
des ménages par la baisse permanente des prix, ces stratégies
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low cost et hard discount se traduisent par la délocalisation
massive de la production dans les pays à bas salaires pour s’approvisionner moins cher. Par effet de dominos, cela entraîne
dans nos pays la déqualification des emplois et le recul des
salaires afin de réduire les coûts de distribution. In fine, cela
implique une contraction de la part des rémunérations dans la
valeur ajoutée et donc une érosion de la demande. Ce modèle
Wal-Mart est celui de la déflation permanente des prix et des
salaires.
La solution à la crise du pouvoir d’achat ne réside donc
pas dans la production low cost et la distribution hard discount, synonymes d’emplois perdus, de postes moins qualifiés
et d’une valeur ajoutée moindre sur le territoire.
La France dispose encore de nombreux atouts
Le pays conserve pourtant son rang de grande puissance
économique et dispose encore de nombreux atouts. En dépit
des pertes de positions recensées ces vingt dernières années,
la France garde des bastions solides dans plusieurs secteurs
industriels d’excellence. Elle est bien implantée dans les services à forte valeur ajoutée, en particulier dans les services
collectifs. Elle peut se prévaloir d’un système bancaire et
financier puissant qui a d’ailleurs plutôt bien résisté à la crise.
Sans oublier un territoire attractif pour le tourisme et une
agriculture exportatrice.
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Le niveau d’endettement des ménages français est resté raisonnable. L’épargne nationale est d’ailleurs abondante. Avec plus
de 12 % du revenu disponible des ménages depuis des décennies, l’Hexagone affiche le niveau le plus élevé des pays avancés !
Selon l’Insee, le patrimoine net des ménages français a atteint
9 275 milliards d’euros en 2009. L’essentiel de cet actif est bien
entendu investi dans le foncier et l’immobilier, mais 3 800 milliards d’euros sont placés en actifs financiers. Une conclusion
s’impose : les ménages français pris dans leur ensemble disposent de l’un des tout premiers patrimoines au monde. Le problème est de mieux canaliser l’épargne vers les besoins de notre
économie et de l’investissement productif.
Bien plus important encore, la France peut revendiquer l’un
des plus forts taux de natalité en Europe. Elle peut éviter de
basculer dans le camp des pays de retraités, dominés par des
préoccupations de rentiers, à l’image de certains de nos voisins.
De plus, les multinationales tricolores constituent un atout
majeur mal exploité. À tel point que la France fait la course en
tête des pays européens les mieux dotés en puissantes entreprises internationales, devant le Royaume-Uni et même l’Allemagne !
La croissance de ces grands groupes a largement reposé sur
les opérations de fusions et acquisitions. L’exemple du déve-
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loppement d’un géant comme Sanofi-Aventis, aujourd’hui
parmi les leaders mondiaux de l’industrie pharmaceutique, est
significatif. Le tissu sectoriel français était extrêmement fragmenté voilà 30 ans. Il était donc peu probable d’y voir surgir
une entreprise d’envergure mondiale. C’est pourtant ce qui
s’est produit via des absorptions et fusions successives (avec
notamment des leaders allemands et américains).
Il est vrai que le succès des grands groupes n’induit pas
mécaniquement le succès du pays. Ne perdons pas de vue que
les performances exceptionnelles de l’Allemagne à l’export se
conjuguent à l’intérieur du pays avec croissance molle, déflation salariale et faible natalité. Ces multinationales doivent
devenir les porte-avions de la croissance, dont la mission est
d’aller chercher les marchés hors de leurs frontières. Mais il faut
inciter ces entreprises internationales à conserver des liens forts
avec le territoire national. Nos porte-avions doivent entraîner
les filières et les PME dans leur sillage. Les grandes entreprises
doivent également davantage contribuer à l’équilibre des finances publiques. Le territoire doit rester leur port d’attache.
D’ailleurs, il faut veiller à ne pas perdre les centres de décisions. La perte du contrôle de sociétés comme Pechiney ou
Arcelor se traduit toujours par des effets en chaîne dramatiques pour l’ensemble de la filière, l’investissement et l’emploi. Cela devrait être une mission prioritaire de la finance :
mieux mobiliser l’épargne nationale au service des activités et
de l’emploi sur le territoire.
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Mettre l’épargne au service de la croissance
Une grande purge ne peut pas faire office de stratégie économique. Un pays a besoin d’un grand projet mobilisateur qui
donne du sens à l’action et aux sacrifices qui peuvent s’avérer
indispensables. Notre première ligne d’horizon est indéniablement constituée par nos partenaires européens. Mais la dure
réalité nous interdit de rêver à de chimériques nouveaux traités
susceptibles d’harmoniser d’un coup de baguette magique la
désunion européenne. Il faut analyser les alternatives possibles
pour la France, compte tenu du cadre existant et des nouveaux
rapports de force.
Il convient de définir une stratégie pour la France en s’appuyant résolument sur ses atouts. Notre territoire est attractif.
L’industrie ne doit pas être abandonnée, le déficit d’investissement doit être comblé. Son épargne abondante doit être mobilisée au service de la croissance. C’est aussi le rôle d’une nouvelle
finance.
Tirer à boulets rouges sur la finance et stigmatiser les marchés
n’est pas LA solution. Cela revient à utiliser un bouc-émissaire
sans rien résoudre. Au contraire, les innovations de la finance
moderne peuvent représenter des outils fantastiques pour favoriser les initiatives. À condition de remettre la finance en ordre
de marche, au service des entreprises, au service du pays, au service du développement de notre potentiel économique. Face à
une finance du court terme à contre-emploi, il faut redéfinir les
contours d’une finance du long terme pour l’emploi.
Extrait des Actes du colloque du Groupe Xerfi :
" LA FINANCE FACE A L'EMPLOI "
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