Traitement curatif de la maladie thrombo-embolique

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NOUVEAUTES THERAPEUTIQUES EN REA ET SOINS POSTOPERATOIRES
TRAITEMENT CURATIF DE LA MALADIE
THROMBOEMBOLIQUE VEINEUSE:
DE L’HEPARINE NON FRACTIONNEE AUX HBPM
G. Simonneau. Service de Pneumologie et de Maladies Vasculaires Pulmonaires. Hôpital Antoine Béclère, Clamart, Université Paris-Sud
INTRODUCTION
Le traitement anticoagulant demeure actuellement le traitement de base des embolies pulmonaires permettant de réduire de façon significative l’incidence des récidives
thrombo-emboliques et la mortalité, comparé à l’absence de traitement, comme l’a bien
montré l’étude historique publiée en 1960 par Barritt et Jordan [1] (Tableau I).
Tableau I
Efficacité du traitement par héparine standard dans l’embolie pulmonaire [1]
Hé parine
Pas d'hé parine
Dé cè s
0/16
5/19 (20 %)
Ré cidives mortelles
0/16
5/19 (26 %)
Dé cè s + ré cidive
0/16
10/19 (52 %)
Contrairement au traitement thrombolytique, le traitement anticoagulant n’accélère
pas la lyse des caillots, il permet seulement d’éviter l’extension du processus thrombotique et les récidives emboliques, facilitant ainsi la lyse physiologique des caillots. La
thrombolyse physiologique est particulièrement efficace, ce qui explique que la majorité des patients traités par anticoagulation seule, guérissent sans séquelles pulmonaires ;
l’hypertension artérielle pulmonaire post-embolique étant une complication rare des
embolies pulmonaires (moins de 1 % des cas). Ainsi, à l’exception d’une minorité de
patients présentant une défaillance circulatoire et pouvant bénéficier d’un traitement
thrombolytique susceptible de lyser rapidement les caillots, la majorité des cas d’em-
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562 MAPAR 1999
bolies pulmonaires peut être traitée de façon satisfaisante par le seul traitement anticoagulant. Dans la majorité des pays, le traitement anticoagulant initial des embolies
pulmonaires au cours des 5 à 10 premiers jours, repose actuellement sur l’association
de l’héparine standard non fractionnée, administrée en perfusion intraveineuse continue à l’aide d’une seringue électrique et d’antivitamine K oraux commencés
simultanément. Les modalités pratiques de ce traitement sont actuellement bien codifiées et ont été largement diffusées par plusieurs conférences dont les recommandations
sont basées en majorité sur les résultats de larges essais randomisés [2]. Les héparines
de bas poids moléculaire sont utilisées depuis plusieurs années en Europe dans le traitement curatif des thromboses veineuses constituées. Les premiers résultats dans
l’embolie pulmonaire sont encourageants et il est probable que dans un avenir proche
cette nouvelle classe d’antithrombotique remplacera l’héparine standard dans le traitement initial des embolies pulmonaires non graves. Au cours d’une suspicion clinique
d’embolie pulmonaire, la poursuite du traitement anticoagulant ne peut se concevoir
sans avoir obtenu la confirmation du diagnostic par un test objectif, vu le risque hémorragique non négligeable de tout traitement anticoagulant ; l’époque du traitement
anticoagulant d’épreuve est définitivement révolue. Cependant, lorsque la probabilité
clinique est forte ou intermédiaire, et qu’il n’existe pas de contre-indications au traitement anticoagulant, l’héparinothérapie doit être instituée immédiatement dès la suspicion
clinique et prolongée pendant la période de temps nécessaire à la réalisation des tests
diagnostiques objectifs (qui ne doit pas excéder 24 heures).
1. HEPARINE STANDARD NON FRACTIONNEE (HNF)
1.1. MECANISME D’ACTION ET PHARMACOLOGIE
L’héparine standard ou non fractionnée est un glycosamineglycane constitué d’un
mélange de chaînes polysaccharidiques d’un poids moléculaire compris entre 5 000 et
30 000 daltons et d’un poids moléculaire moyen d’environ 15 000 daltons. L’héparine
standard exerce son action anticoagulante en catalysant l’activité inhibitrice de l’antithrombine (anciennement antithrombine III) vis-à-vis des facteurs IIa (thrombine) et
Xa ; la fixation des chaînes polysasaccharidiques d’héparine standard à l’antithrombine s’effectue grâce à une séquence pentasaccacharidique unique des chaînes
d’héparine ; seulement 1/3 des chaînes polysaccharidiques de l’héparine non fractionnée contient cette séquence pentacacharridique et peut se fixer à l’antithrombine. La
fixation du pentasaccharide à l’antithrombine entraîne une modification de sa configuration qui accélère approximativement par 1000 l’inactivation de la thrombine et du
facteur Xa. L’héparine entraîne également une inhibition de l’activation des facteurs V
et VIII par la thrombine. L’héparine a également d’autres propriétés comme sa fixation
à différentes protéines plasmatiques ou plaquettaires, une fixation aux cellules endothéliales, aux leucocytes et macrophages. L’héparine entraîne également une
augmentation de la perméabilité vasculaire. L’héparine non fractionnée est obtenue à
partir de poumons ou d’intestins de bœuf ou de porc ; elle est disponible sous forme de
sels de sodium ou de calcium ; aux doses thérapeutiques, la 1/2 vie de l’héparine est
d’environ 60 minutes ; sa clairance d’élimination n’est pas modifiée de façon significative en cas d’insuffisance rénale ou hépatique.
1.2. ADMINISTRATION DE L’HEPARINE STANDARD : SCHEMA ACTUEL
Actuellement, dans la majorité des pays, l’héparine standard sous forme intraveineuse demeure le traitement de choix des embolies pulmonaires à la phase aiguë. Après
un bolus immédiat de 5 000 UI intraveineux, une perfusion intraveineuse continue à
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l’aide d’une seringue électrique est débutée à la dose initiale de 1 300 UI.heure-1. La
posologie d’héparine standard doit être ensuite adaptée en fonction des résultats du
Temps de Céphaline Active (TCA) qui doit être maintenu entre 1,5 et 2,5 fois les valeurs contrôles. Le premier TCA doit être effectué 4 à 6 heures après le début du
traitement et répété 6 heures après chaque changement de doses. Par la suite, il doit être
mesuré au moins 1 fois par jour. Cette fourchette thérapeutique du TCA comprise entre
1,5 et 2,5 fois les valeurs contrôles est basée sur le fait que les patients avec un TCA
inférieur à 1,5 ont un risque de récidive thrombo-embolique significativement augmenté [3] alors que le risque hémorragique est significativement diminué [4] lorsque le
TCA reste inférieur à 2,5. La sensibilité des différents réactifs utilisés pour effectuer la
mesure du TCA varie cependant de façon importante d’un laboratoire à un autre [5], de
sorte que des niveaux très différents d’héparinémie peuvent correspondre à une même
valeur de TCA comprise entre 1,5 et 2,5 ; ainsi, il est recommandé que dans chaque
laboratoire soit déterminé, avec le réactif utilisé en routine, la fourchette thérapeutique
du TCA correspondant à des valeurs d’héparinémie considérées comme efficaces. Des
études animales et humaines ont montré que les valeurs d’héparinémie plasmatique
capables d’inhiber efficacement la propagation du thrombus se situent entre 0,2 et
0,4 U.ml-1 (mesurée par titration avec le sulfate de Protamine) ou entre 0,4 et 0,7 U.ml-1
(mesure de l’inhibition du facteur Xa) [6]. Les patients traités par héparine standard,
sauf cas particulier, ne sont pas surveillés en pratique courante par la mesure directe de
l’héparinémie.
Le traitement avec l’héparine standard doit être poursuivi pendant 5 à 10 jours.
L’anticoagulation orale avec les antivitamines K est commencée dès le premier jour.
Les 2 traitements doivent être utilisés ensemble pendant au moins 4 jours. Le traitement héparinique peut être arrêté quand les antivitamines K sont efficaces, c’est-à-dire
quand l’INR est supérieure à 2 pendant 2 jours consécutifs [2].
1.3. AUTRES MODALITES D’ADMINISTRATION DE L’HEPARINE STANDARD
Contrairement au schéma standard proposé par la dernière conférence de consensus
de l’ACCP où l’héparine non fractionnée est donnée initialement à une dose fixe [2],
certains cliniciens préfèrent actuellement débuter le traitement par une dose initiale
d’héparine standard adaptée au poids des patients avec un bolus initial intraveineux de
80 UI.kg-1 suivi d’une perfusion continue à la dose initiale de 18 UI.kg-1.heure-1 [7],
(Tableau II).
Tableau II
Principaux schémas posologiques avec l’héparine standard IV
Bolus
Dose initiale*
Ré gime standard
5 000 UI
1 300 UI.Heure-1
Ré gime adapté au poids
80 UI.kg-1
18 UI.heure-1
*La dose d'hé parine est ensuite adapté e afin d'obtenir un TCA entre
1,5 et 2,5 fois les valeurs contrô les.
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564 MAPAR 1999
Ce schéma d’administration semble en effet plus efficace : dans une étude randomisée [8], il a été montré que 97 % des patients avaient un TCA situé dans la fourchette
thérapeutique, dès la 24ème heure, lorsque la prescription initiale d’héparine standard
était adaptée au poids des patients contre 77 % des patients traités avec le régime habituel ; au 3ème mois, le risque de récidive thromboembolique était significativement
augmenté dans le groupe recevant la posologie initiale fixe. Différents nomogrammes [8, 9] d’adaptation des doses d’héparine standard en fonction du TCA obtenu ont
été publiés, (Tableaux III et IV). L’administration d’héparine non fractionnée en injection intraveineuse discontinue est actuellement abandonnée vu le risque de complications
hémorragiques graves significativement augmenté par rapport à la perfusion continue [10].
Tableau III
Nomogramme d’adaptation des doses d’héparine en fonction du TCA obtenu. Schéma
posologique utilisant une posologie d’héparine adaptée au poids : 80 UI.kg-1 en bolus
suivi d’une perfusion continue initiale de 18 UI.kg-1.heure-1 [8]
Valeur du TCA en secondes
(par rapport aux controles)
Changement de dose
< 35
(< 1,2)
Rajouter un bolus de 80 UI.kg-1
puis augmenter de 4 U.kg-1.h-1
35 à 45
(1,2 à1,5)
Rajouter un bolus de 40 UI.kg-1
puis augmenter de 2 UI.kg-1.h-1
Si 46 à 70
pas de changement
Si 71 à 90
(2,3 à 3)
Diminuer la perfusion de 2 UI.kg-1
Si > 90
(> 3)
Perfusion stopé e pendant 1 heure
et diminuer la dose de 3 UI.kg-1.h-1
Tableau IV
Nomogramme d’adaptation des doses d’héparine en fonction du TCA obtenu. Schéma
posologique utilisant des doses initiales fixes d’héparine : bolus de 5 000 UI suivi
d’une perfusion continue entre 30 000 et 40 000 U.24 h-1 en fonction du risque hémorragique [9].
Valeurs du TCA en secondes
Changement de dose
< 45
Augmenter de 5 760 UI.24 h-1
46 à 54
Augmenter de 2 880 UI.24 h-1
55 à 85
pas de changement
86 à 110
Perfusion stopé e pendant 1 heure
puis diminuer de 2 880 UI.24 h-1
> 110
Perfusion stopé e pendant 1 heure
et diminuer de 5 760 UI.24 h-1
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L’administration d’héparine en injection sous cutanée discontinue toutes les 12 heures
a été largement utilisée dans le traitement curatif des thromboses veineuses profondes
avec dans une méta-analyse regroupant 6 essais randomisés, une efficacité et une tolérance identiques voire supérieures à l’héparine IV en perfusion continue [11]. Ce mode
d’administration est cependant peu utilisé en pratique courante dans le traitement curatif des embolies pulmonaires.
1.4. COMPLICATIONS DE L’HEPARINE NON FRACTIONNEE
Les princiales complications du traitement par l’héparine non fractionnée sont les
récidives, les complications hémorragiques graves et les thrombopénies. Dans les essais randomisés récents [12, 13] où l’héparine non fractionnée en perfusion IV continue
a été évaluée dans le traitement des embolies pulmonaires, l’incidence des événements
critiques graves : décès, récidives ou hémorragies, au cours des 10 premiers jours de
traitement est rare. Le pourcentage de décès est inférieur à 1 %, le taux de récidives est
compris entre 1 % et 3 %, enfin, l’incidence des hémorragies graves est comprise entre
1 et 2 % ; ce taux plus faible d’événements critiques que celui antérieurement observé
est probablement en partie expliqué par le fait que les patients les plus graves (état de
choc, terrain débilité, haut risque hémorragique) ont été exclus de ces essais. Cependant, dans un registre issu de l’étude PIOPED, regroupant 400 patients porteurs
d’embolie pulmonaire traités par héparinothérapie intraveineuse [12], ce taux, malgré
une sélection probablement moins importante des patients, reste faible avec un taux de
décès et de récidive inférieur à 5 % au cours des 10 premiers jours. L’incidence des
décès est clairement corrélée au terrain sous jacent ; la présence d’un cancer, d’une
insuffisance cardiaque congestive ou d’une broncho-pneumopathie chronique obstructive étant les facteurs prédictifs de décès les plus significatifs [14].
L’incidence des récidives précoces est bien corrélée avec l’absence d’obtention rapide d’une anticoagulation efficace définie par l’existence d’un TCA < 1,5. De façon
moins claire, l’incidence des récidives tardives à 2 et 3 mois semble également corrélée
avec cette insuffisance d’anticoagulation initiale [15].
Quant aux complications hémorragiques graves précoces, elles sont probablement
favorisées dans certains cas par un surdosage en héparine, cependant dans la majorité
des cas, elles sont liées au terrain sous-jacent ; les patients à haut risque hémorragique [16] sont ceux venant de subir une intervention chirurgicale, un accouchement
ou un traumatisme vasculaire récent ; les autres facteurs de risque sont les antécédents
d’ulcère gastrique, de saignement gastro-intestinal ou urinaire, d’insuffisance hépatique, de thrombopénie sévère ou de traitement antiagrégant plaquettaire concomitant.
Approximativement 1 à 3 % des patients recevant de l’héparine non fractionnée
développent une thrombopénie immunologique IgG dépendante ; le diagnostic de certitude est difficile vu l’absence de sensibilité et de spécificité des tests biologiques. Il
doit être suspecté quand le chiffre des plaquettes tombent en-dessous de 100 000.mm-3
ou baissent de plus de 50 % entre 3 et 15 jours après le début du traitement ; le délai
d’apparition est parfois plus précoce quand le patient a bénéficié antérieurement d’un
traitement héparinique. Le chiffre des plaquettes commence à remonter dès la 24ème
heure après l’arrêt de l’héparine pour retourner à la normale en 4 jours. Parfois ces
thrombopénies immunologiques peuvent s’accompagner d’extension de la thrombose
veineuse, de récidive embolique ou d’apparition de thrombose artérielle. Il existe fréquemment une réaction croisée avec les héparines de bas poids moléculaire, qui peuvent
entretenir le phénomène, de sorte que l’utilisation de ces molécules en remplacement
de l’héparine standard ne peut être recommandée. Le traitement repose généralement
sur l’utilisation de l’orgaran ou de l’hirudine [17].
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566 MAPAR 1999
Certains patients présentant une maladie thrombo-embolique veineuse nécessitent
une dose importante d’héparine supérieure à 40 000 UI/24 heures en particulier au cours
des premiers jours de traitement. Ces patients présentant un certain degré de «résistance à l’héparine» ont le plus souvent une augmentation du facteur VIII et de certains
facteurs plasmatiques en rapport avec un syndrome inflammatoire. Dans ces cas, il peut
exister une dissociation entre les valeurs d’héparinémie qui sont dans des zones thérapeutiques et les valeurs de TCA situées dans des zones subthérapeutiques. Il est alors
conseillé chez ces patients de surveiller le traitement par la mesure directe de l’héparinémie afin de ne pas augmenter de façon inutile et dangereuse les doses d’héparine [17].
Enfin, l’un des problèmes majeurs du traitement par l’héparine standard par voie
intraveineuse est la difficulté rencontrée en pratique courante à utiliser ce traitement de
façon correcte. A titre d’exemple, un audit effectué dans trois hôpitaux universitaires
nord-américains [18] a montré que 60 % des patients traités par héparine standard
n’avaient pas un TCA correct > 1,5 au cours des 24 premières heures de traitement.
Plus grave encore, 30 à 40 % des patients ont des doses d’héparine standard infrathérapeutiques au cours des 3 à 4 premiers jours. Les cliniciens hésitent souvent à utiliser
des doses initiales suffisantes d’héparine standard du fait de leur crainte des complications hémorragiques.
2. HEPARINES DE BAS POIDS MOLECULAIRE
Les héparines de bas poids moléculaire (HBPM) constituent une nouvelle classe
importante de médicaments antithrombotiques dont les premiers essais cliniques dans
la maladie thrombo-embolique veineuse remontent à plus de 20 ans déjà [19]. Dans la
plupart des pays, ces molécules ont déjà remplacé en totalité l’héparine standard dans
le traitement préventif des thromboses veineuses postopératoires. Dans le traitement
curatif des thromboses veineuses profondes, elles sont également en passe de supplanter l’héparine standard. Dans le traitement curatif de l’embolie pulmonaire, les premiers
résultats sont encourageants et dans un avenir proche, il est probable que ces molécules
seront également utilisées dans cette indication.
2.1. PRINCIPALES DIFFERENCES PHARMACOLOGIQUES AVEC L’HNF
Comme l’héparine non fractionnée, les HBPM sont des glycosamineglycanes constitués de chaînes polysaccharidiques ; celles-ci sont plus courtes, d’un poids moyen
d’environ 5 000 daltons, obtenues par fragmentation chimique ou enzymatique des longues chaînes d’héparine standard. Comme l’héparine standard, les HBPM se fixent à
l’antithrombine par l’intermédiaire du pentasaccharide. Seulement 15 à 25 % des chaînes d’HBPM contiennent cette séquence pentasaccharidique. Par l’intermédiaire de
l’antithrombine, les chaînes d’héparine de bas poids moléculaire ont une action inhibitrice prédominante du facteur Xa alors que leur action inhibitrice vis-à-vis de la thrombine
est plus faible d’où un rapport activité anti Xa/activité anti IIa supérieure à 1 (entre 2 et
4 suivant les molécules) alors qu’il est égal à 1 pour l’héparine standard [19, 20].
D’un point de vue pharmacologique, la principale différence avec l’héparine standard est que les HBPM ont une fixation moindre à certaines protéines plasmatiques,
aux cellules endothéliales et aux macrophages. Ces propriétés expliquent que les HBPM
ont par comparaison à l’héparine standard une meilleure biodisponibilité, une 1/2 vie
plus longue (3 à 6 heures après injection sous cutanée) et un effet anticoagulant plus
prévisible après l’administration d’une dose fixe. Ces molécules sont éliminées essentiellement par voie rénale indépendamment de la dose utilisée. Dans les modèles
expérimentaux, les HBPM ont un effet hémorragique moindre que l’héparine standard ;
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en effet, elles inhibent moins la fonction plaquettaire et augmentent moins la perméabilité vasculaire que l’héparine non fractionnée [19, 20].
2.2. TRAITEMENT DES THROMBOSES VEINEUSES PROFONDES : ESSAIS
CLINIQUES
Les héparines de bas poids moléculaire ont été comparées, dans de nombreux essais
randomisés à l’héparine, non fractionnée dans le traitement initial des thromboses veineuses profondes constituées. Une méta-analyse [21], regroupant 2 045 patients
randomisés, a montré que les HBPM préviennent de façon significativement plus efficace que l’héparine standard, l’extension des caillots après 10 jours de traitement
(diminution du risque de 49 % ; P = 0,006). En termes de récidives thromboemboliques, de décès et de complications hémorragiques, les résultats sont également
en faveur des HBPM, mais cette différence n’atteint pas le seuil de significativité statistique ; ainsi, il est maintenant clairement établi que les HBPM sont au moins aussi
efficaces et sûrs que l’héparine non fractionnée dans le traitement curatif initial des
thromboses veineuses profondes constituées. Un des progrès majeurs apporté par l’utilisation des HBPM est la simplification du traitement anticoagulant avec deux, voire
même une seule injection sous cutanée par jour, sans contrôle biologique (à l’exception
du contrôle des plaquettes 2 fois pendant la première semaine).
Cette simplification de la prise en charge des thromboses veineuses profondes a de
nombreux avantages : amélioration du confort des patients, gain de temps pour le personnel infirmier et les biologistes, et surtout il est maintenant possible d’envisager un
traitement à domicile avec un gain économique considérable, vu le coût de la journée
d’hospitalisation. Deux études récentes [22, 23] ont comparé, dans le traitement curatif
des thromboses veineuses profondes, les résultats d’un traitement par HBPM effectué
en partie ou en totalité à domicile à ceux d’un traitement avec l’héparine standard par
voie intraveineuse à l’hôpital. Ces 2 études n’ont pas montré de différence significative
en termes de récidive embolique, de décès ou d’hémorragies graves entre les 2 schémas
thérapeutiques, (Tableau V).
Tableau V
Traitement curatif des TVP à domicile avec les héparines de Bas Poids Moléculaire
Levine et al. [22]
Ré cidives %
Hé morragies %
Mortalité %
Patients exclus
Ré duction de la duré e
d'hospitalisation
Koopman et al [23]
Enoxaparine
(n = 247)
Hé parine St.
(n = 253)
Fraxiparine
(n = 202)
Hé parine St.
(n = 198)
5,3
2,0
4,5
6,7
1,2
6,9
6,9
0,5
6,9
8,6
2,0
8,1
67 %
40 %
31 %
67 %
Par contre, la durée d’hospitalisation a été raccourcie de 40 et 67 % respectivement
chez les patients traités par HBPM. Les incertitudes concernant la transposition de ces
résultats dans la pratique courante proviennent du fait que 2/3 et 1/3 des patients éligibles de ces 2 études ont été exclus principalement à cause d’un terrain débilité, de
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568 MAPAR 1999
difficultés de suivi, de la présence d’une embolie pulmonaire associée ou d’un risque
hémorragique élevé. D’autres éléments entrent également en ligne de compte pour la
réalisation en pratique courante de ce traitement à domicile, en particulier la capacité
d’autonomie des patients et l’organisation du système de soins (possibilité de recourir à
une infirmière à domicile, collaboration avec un médecin généraliste formé à ce problème et disponible). Par ailleurs, il faut insister sur le fait que traiter les phlébites à
domicile ne doit pas être un obstacle à la confirmation du diagnostic par un test objectif
et à la pratique d’un bilan étiologique approprié. Actuellement, 4 préparations différentes d’héparine de bas poids moléculaire ont une autorisation de mise sur le marché, en
France et dans de nombreux pays d’Europe pour le traitement curatif des thromboses
veineuses profondes. Ces différentes molécules ont des procédés de fabrication spécifiques et des propriétés pharmacologiques différentes (Tableau VI) ; cependant, aucune
étude comparative directe n’a été effectuée jusqu’à ce jour permettant de démontrer la
supériorité clinique d’une molécule par rapport à une autre. Dans cette indication, les
HBPM sont utilisées en 2 injections sous cutanées par jour excepté avec la Tinzaparine
qui est administrée en 1 seule injection par jour ; une étude récente effectuée avec la
Nadroparine a démontré l’équivalence d’un schéma posologique en 1 injection par jour
par rapport à 2 injections par jour [24].
Tableau VI
Traitement curatif des des Thromboses Veineuses Profondes
Caractéristiques des principales HBPM
Fabrication
PM
Anti-Xa
Anti-IIa
1/2 vie sc
(minutes)
Dose sc
(24 h)
Dalté parine
(Fragmine )
Dé polymé risation
(acide nitrique)
6 000
2,7
130
200 UI.kg-1
(2 inj.)
Nadroparine
(Fraxiparine )
Dé polymé risation
(acide nitrique)
4 500
3,6
150
180 UI.kg-1
(2 inj.)
Enoxaparine
(Lovenox )
Dé polymé risation
(acide nitrique)
4 200
3,8
160
200 UI.kg-1
(2 inj.)
Tinzaparine
(Innohep )
Digestion
(Hé parinase)
4 500
1,9
110
175 UI.kg-1
(1 inj.)
Dé nomination
2.3. TRAITEMENT DES EMBOLIES PULMONAIRES : ESSAIS CLINIQUES
Bien que thromboses veineuses profondes et embolies pulmonaires soient considérées comme 2 expressions différentes d’une même maladie, dénommée maladie
thrombo-embolique veineuse, il n’existait pas jusqu’ici de données convaincantes sur
l’efficacité des HBPM dans le traitement curatif des embolies pulmonaires. Deux études pilotes [25, 26], avec la Nadroparine et la Dalteparine, portant sur des faibles effectifs
de patients, laissaient cependant penser que ces molécules étaient potentiellement efficaces dans le traitement curatif des embolies pulmonaires non graves. Par ailleurs, vu
que 50 % des thromboses veineuses proximales s’accompagnent d’une embolie pulmonaire asymptomatique, il était vraisemblable qu’un grand nombre d’embolies
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pulmonaires asymptomatiques avaient été déjà traitées par HBPM à la fois dans le
cadre d’essais cliniques et dans la pratique clinique courante. Une large étude multicentrique récente a comparé la Tinzaparine administrée en une seule injection sous
cutanée par jour sans contrôles biologiques à l’héparine non fractionnée par voie intraveineuse administrée à l’aide d’une seringue électrique dans le traitement des embolies
pulmonaires symptomatiques non graves. Parmi 1 482 patients consécutifs, répondant
aux critères d’inclusion (embolie pulmonaire symptomatique confirmée par un test
objectif : scintigraphie pulmonaire et/ou angiographie), 766 patients furent exclus de
cette étude pour les raisons suivantes : 232 patients avaient une embolie pulmonaire
massive nécessitant un traitement thrombolytique ou chirurgical, 80 avaient des contre-indications aux anticoagulants, 266 avaient reçu un traitement anticoagulant curatif
pendant plus de 24 heures avant l’inclusion, 51 avaient une espérance de vie trop courte
de moins de 3 mois, 101 avaient des difficultés de suivi prévisible, et 35 furent exclus
pour des raisons diverses. De plus, 104 patients refusèrent de signer le consentement
informé, ainsi un total de 612 patients furent randomisés.
Il n’y avait pas de différence significative entre les 2 groupes concernant l’âge, le
sexe et les principaux facteurs favorisant la maladie thrombo-embolique. A 90 jours, il
n’y avait pas de différence en termes de mortalité, de récidive ou d’hémorragie grave
entre les 2 traitements (Tableau VII), avec 7,1 % des patients présentant au moins 1
évènement critique grave (mort, hémorragie ou récidive) dans le groupe héparine standard contre 5,9 % dans le groupe Tinzaparine. En conclusion, la Tinzaparine semble au
moins aussi efficace et bien tolérée que l’héparine intraveineuse standard dans le traitement curatif des embolies pulmonaires non graves.
Ces résultats sont particulièrement démonstratifs vu le large effectif étudié, vu l’importance de l’obstruction vasculaire pulmonaire dans les 2 groupes à l’inclusion évaluée
par scintigraphie (46 ± 21 % dans le groupe héparine standard et 47 ± 20 % dans le
groupe Tinzaparine) et vu l’existence de signes cliniques de gravité à l’inclusion tels
que signes d’insuffisance cardiaque droite, cyanose, collapsus, observés chez 27 et 29 %
des patients respectivement.
Tableau VII
Principaux résultats de l’étude Thésée à 3 mois [13]
Hé parine standard
(n = 308)
Tinzaparine
(n = 304)
Dé cè s
14 (4,5 %)
12 (3,9 %)
Ré cidives thrombo-emboliques
6 (1,9 %)
5 (1,6 %)
Hé morragies majeures
8 (2,6 %)
6 (2,0 %)
Critè re principal
(nombre de patients ayant pré senté au
moins 1 é vè nement critique grave)
22 (7,1 %)
18 (5,9 %)
Evè nements critiques
569
570 MAPAR 1999
CONCLUSION
Le traitement anticoagulant demeure le traitement de base des embolies pulmonaires permettant de traiter à lui seul de façon satisfaisante la majorité des patients présentant
une embolie pulmonaire aiguë non grave.
Si le traitement repose encore sur l’héparine standard en perfusion continue à dose
adaptée sur le TCA, il est probable que dans un avenir proche, les héparines de bas
poids moléculaire remplaceront l’héparine standard dans la majorité des cas. A efficacité et tolérance au moins identiques, ces molécules apportent en effet l’avantage majeur
de simplifier considérablement le traitement avec la possibilité d’envisager un raccourcissement de la durée d’hospitalisation.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
[1] Barritt DW, Jordan SC. Anticoagulant drugs in the treatment of pulmonary embolism. Lancet
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