La psychiatrie est une des seules spéciali- tés

1. INTRODUCTION
La psychiatrie est une des seules spéciali-
tés médicales pour laquelle existent des
mesures légales de restriction de liberté en
vue de soins. Par cette loi d’exception, le
politique a placé des garde-fous obligeant
deux champs différents à se rencontrer: celui
de la psychiatrie en raison des soins à prodi-
guer aux malades mentaux et celui de la jus-
tice puisqu’il s’agit de garantir les droits des
malades (en ce compris la liberté) et l’ordre
social (1). Si la loi belge du 26 juin 1990, rela-
tive à la protection de la personne des
malades mentaux, protège de manière for-
melle d’un arbitraire, nous dispense-t-elle
d’une réflexion éthique permanente quant à
son application et son fondement même? Par
ailleurs, malgré une mise en route il y a bien-
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LOI DE PROTECTION DE LA PERSONNE DES MALADES MENTAUX
DU 26 JUIN 1990 (1re PARTIE): DESCRIPTIF COMMENTÉ
P. LACHAPELLE1et P. SCHEPENS2
Mots clefs: loi du 26 juin 1990, maladie mentale, dangerosité, mise en observation psychiatrique,
maintien, postcure, soins en milieu familial
1Assistant en Psychiatrie, Service de Psychopathologie
(Pr J.-P. Roussaux), Cliniques Universitaires St-Luc
UCL-10/2160, Avenue Hippocrate 10, 1200 Bruxelles.
2Psychiatre, Chef de Service, Service de Psychiatrie, Clinique
St-Pierre, 1340 Ottignies.
RÉSUMÉ
Afin de se mettre en règle avec la jurisprudence européenne et de respecter la Convention
de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Rome 1950) le
législateur belge a remplacé l’ancienne loi de collocation du 18 juin 1850 (loi sur le régime
des aliénés) par la loi de protection de la personne des malades mentaux du 26 juin 1990.
Il nous paraît important de détailler les principes directeurs, les procédures, les modalités
et les types de mesures existantes afin de donner une information claire, au plus près des
termes de la loi. Cela afin d’en permettre un meilleur usage, plus respectueux de l’esprit
positif qui l’anime, à savoir le rétablissement du malade mental comme sujet de droit.
Tout d’abord, la loi pose pour principe que toute restriction de la liberté individuelle dans
le diagnostic et le traitement des troubles psychiatriques est illégale. Pour qu’une mesure de
protection soit prise, il faut qu’il y ait maladie mentale, péril grave pour sa santé et sa sécurité
ou menace grave pour la vie ou l’intégrité d’autrui, et tout cela à défaut de tout autre
traitement approprié. La loi fait la distinction entre le traitement en milieu hospitalier et les
soins en milieu familial. Le traitement hospitalier comporte deux phases: 1. la mise en
observation d’une durée maximale de 40 jours et 2. le maintien, qui peut lui faire suite, par
durées maximales de deux ans. Dans le cadre du maintien existe la postcure, d’une durée
maximale d’un an. Enfin, la loi fait la distinction entre deux types de procédures: l’une
ordinaire via le juge de paix et l’autre en urgence via le procureur du Roi.
tôt dix ans, elle nous semble relativement
méconnue des acteurs de la santé. C’est
pourquoi nous tenterons de décrire et de
commenter au plus près du texte cette loi, ses
critères d’application et le mode de déroule-
ment de la procédure. Cela afin d’en per-
mettre un meilleur usage, plus respectueux
de l’esprit positif qui l’anime, à savoir le réta-
blissement du malade mental comme sujet de
droit. Ensuite, dans un article ultérieur, nous
susciterons un questionnement éthique au
regard de l’application pratique qui en est
faite. Nous espérons ainsi que tout praticien,
confronté à ces questions difficiles, pourra
trouver dans ces deux publications quelques
éléments susceptibles de l’éclairer dans ses
réflexions.
2. LOI DU 26 JUIN 1990
LOI RELATIVE
À LA PROTECTION DE LA PERSONNE
DES MALADES MENTAUX
2.1. HISTORIQUE
La loi de protection de la personne des
malades mentaux du 26 juin 1990 (2), entrée
en vigueur le 27 juillet 1991, abroge l’ancien-
ne loi de collocation du 18 juin 1850 (loi sur
le régime des aliénés). Elle renvoie aux
oubliettes les termes de «collocation» et
d’«aliénés» et ne réglemente plus la gestion
des biens qui fait l’objet d’une nouvelle loi,
datée du 18 juillet 1991, relative à la protec-
tion des biens des personnes totalement ou
partiellement incapables d’en assumer la ges-
tion en raison de leur état physique ou men-
tal (3, 4).
L’ancienne loi de 1850 était en contradic-
tion avec les principes de la Convention de
sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales (Rome, 4 novembre
1950), ce qui fut mis en lumière par l’arrêt
Winterwerp du 24 octobre 1979 de la Cour
européenne des droits de l’homme (5). Cet
arrêt fut suivi en 1983 par la recommanda-
tion R(83)2 du Comité des ministres du
Conseil de l’Europe sur la protection juri-
dique des personnes atteintes de troubles
mentaux et placées comme patients involon-
taires. La prise en compte de ces textes néces-
sitait une réforme de la loi qui n’aboutit
qu’après une gestation longue et difficile de
près de vingt ans (6).
Nous allons passer en revue les éléments
essentiels de cette loi dont une représentation
schématique du déroulement est proposée au
tableau I.
2.2. PRINCIPES DIRECTEURS
D’UN PLACEMENT INVOLONTAIRE
D’emblée, la loi pose dans son Art. 1 le
principe de l’exclusivité (la liberté est la règle
et l’enfermement l’exception – 3, 4, 7): en
dehors du cadre des lois de défense sociale à
l’égard des anormaux et délinquants d’habi-
tude (loi du 1er juillet 1964) et de protection
de la personne des malades mentaux, le dia-
gnostic et le traitement des troubles psy-
chiques ne peuvent donner lieu à aucune
restriction de la liberté individuelle avec
comme corollaire que «La personne qui se
fait librement admettre dans un service psy-
chiatrique peut le quitter à tout moment»
(Art. 3).
«Les mesures de protection ne peuvent être
prises, à défaut de tout autre traitement
approprié, à l’égard d’un malade mental, que
si son état le requiert, soit qu’il mette grave-
ment en péril sa santé et sa sécurité, soit qu’il
constitue une menace grave pour la vie ou
l’intégrité d’autrui.» (Art. 2).
Donc, l’Art. 2 définit trois conditions
cumulatives pour qu’une mesure privative
de liberté soit prise:
1) Etre malade mental
Le législateur s’est volontairement bien
gardé de définir ce que recouvre cette notion
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de «maladie mentale» jugée comme ayant
un caractère éminemment évolutif, dont la
doctrine et la jurisprudence auront à préciser,
au fil du temps, le contenu (8).
Les travaux préparatoires se bornent à
titre d’exemples, à préciser qu’elle doit être
grave (et non un trouble mental quel-
conque), qu’elle ne concerne pas la simple
sénilité (avec, par exemple, le refus d’aller
dans un home) mais qu’elle peut s’appliquer
aux états post-traumatiques et aux handica-
pés mentaux. Il serait cependant dangereux
de confondre handicap mental et maladie
mentale! Enfin, une maladie somatique,
y compris une maladie sexuellement trans-
missible ou contagieuse ne peut, comme
telle, donner lieu à un placement involon-
taire (7).
La pratique semble faire ressortir progres-
sivement quelques principes quant à la
notion de «maladie mentale» pour les situa-
tions-limites. Il semble être acquis aujour-
d’hui que ni l’alcoolisme, ni les toxicomanies
ne sont en soi des maladies mentales et que
cette question ne peut être résolue par la
prise d’une position abstraite donnée a
priori et dans l’absolu. Toutefois, plus l’al-
coolique ou le toxicomane adoptera des
comportements incohérents et dangereux
pour lui-même ou à l’égard des tiers, plus il
existe d’autres symptômes psychiatriques
susceptibles de révéler une structure patho-
logique sous-jacente, plus il y aura de pré-
somptions graves et concordantes d’atteinte
de ses facultés mentales nécessitant une
mesure de protection forcée (8, 9). Enfin, les
situations de crise aiguë au sein des couples,
des familles et des institutions peuvent géné-
rer des symptômes psychiatriques aigus qui
sont souvent pris à tort en urgence pour de
réelles maladies mentales (10, 11). Une mala-
die suppose donc un concept de continuité,
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TABLEAU I
Représentation schématique du déroulement de la loi de protection
de la personne des malades mentaux du 26 juin 1990
Arrêt et
irrecevabilité
ou nullité
un état de fait, qui ne peut être confondu
avec le concept de «crise».
La présente loi nous dit cependant qu’elle
doit être décrite dans le rapport médical cir-
constancié et que «L’inadaptation aux
valeurs morales, sociales, religieuses, poli-
tiques ou autres, ne peut être en soi considérée
comme une maladie mentale.» (Art. 2). La
marginalité et le vagabondage ne peuvent
donc être confondus avec la maladie mentale
et il convient d’être attentif pour que cette loi
ne serve pas à combler les lacunes d’un sys-
tème d’organisation sociale insuffisant (8).
En imposant l’obligation de fournir un rap-
port médical circonstancié, le législateur
impose aux médecins de préciser la maladie
dont est atteinte la personne concernée ou du
moins d’en faire la preuve en décrivant quels
sont les symptômes ou troubles mentaux
pouvant être objectivables et soumis à la
contradiction (8).
2) La dangerosité
Il faut que l’état du malade requière une
telle mesure:
soit qu’il mette gravement en péril sa
santé et sa sécurité (conditions cumula-
tives),
soit qu’il constitue une menace grave
pour la vie ou l’intégrité d’autrui (condi-
tions distinctes).
Après avoir décrit les symptômes tradi-
tionnels de la maladie mentale, il convient en
outre de repérer dans chaque cas particulier
s’il existe dans le comportement de l’individu
une dangerosité à ce point grave pour lui-
même ou pour autrui qu’elle nécessite une
mesure de contrainte (8).
La loi exige que la santé et la sécurité
soient gravement mises en péril. L’adjonction
de la notion de «sécurité» apparaît comme
une mesure de protection supplémentaire
voulue par le législateur, la notion de «santé»
étant un terme très vague, pouvant recouvrir
à la fois une santé physique, psychique et
sociale. La notion de «sécurité» entraîne un
effet restrictif car, si de celui qui met en péril
sa santé physique, on pourrait admettre qu’il
compromet nécessairement sa sécurité, l’in-
verse est moins évident (7). La jurisprudence
nous apprend également que le péril grave
consiste en un comportement psychopatho-
logique exerçant une influence négative pro-
fonde sur la santé et la sécurité de l’intéressé,
pour lesquelles il constitue une menace
sérieuse de conséquences potentiellement
irréparables ou, à tout le moins, graves. Telle
menace excède une situation de danger tem-
poraire principalement matérielle ou même
une série d’incidents occasionnels (7). Cette
notion de «péril grave» va donc bien au-delà
du simple bien-être du malade.
Le législateur a préféré la notion plus res-
trictive d’«intégrité» à celle de «sécurité» ou
d’«ordre public». Dans la jurisprudence,
cette menace pour la vie ou l’intégrité
d’autrui doit être entendue au sens d’une
menace d’agressivité physique, morale, phy-
siologique ou psychologique à l’égard d’un
tiers (9), ce qui malheureusement a pour effet
d’élargir l’acception donnée à cette condi-
tion.
Nombreux sont ceux qui se sont déjà
inquiétés du caractère incertain des concep-
tions de l’état dangereux qui varieraient au
gré des modes scientifiques et qui ne sont pas
neutres du point de vue sociopolitique (8, 12,
13). Il faut bien admettre que toutes les
méthodes de prévision de la dangerosité,
qu’elles soient médicales (les experts ont ten-
dance à surévaluer la dangerosité) ou légales
aboutissent à un échec (8, 13, 14).
Enfin, la dangerosité doit s’apprécier au
moment où le juge statue en fonction de tous
les éléments qui influencent le comporte-
ment du malade, notamment l’entourage
familial, et reste une condition tant pour la
mise en observation que pour le maintien.
Un danger potentiel n’est pas suffisant. C’est
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donc bien de la dangerosité actuelle et poten-
tielle qu’il s’agit.
3) La mesure de restriction de liberté ne
pourra être prise qu’à défaut de tout autre
traitement approprié, ce qui en fait l’ultime
recours et qui présuppose que les autres pos-
sibilités thérapeutiques aient été envisagées
(principe de subsidiarité – 7)! Il faut entendre
dans cet énoncé le défaut de traitement rai-
sonnablement applicable, c’est-à-dire un
traitement ne nécessitant pas de contrainte.
La formulation: «à défaut de tout autre
moyen d’administrer le traitement appro-
prié» reprise dans la recommandation R(83)2
du Comité des ministres du Conseil de
l’Europe aurait exprimé beaucoup plus clai-
rement l’objectif de cette condition. En effet,
H. Nys (7) rappelle qu’il ne faudrait pas pen-
ser que la mise en observation psychiatrique
constitue un traitement en soi. Le placement
involontaire en l’absence de mesures théra-
peutiques est contraire à l’article 5 de la
Convention européenne des droits de l’hom-
me. De fait, dans l’arrêt Ashingdane, la Cour
européenne des droits de l’homme a subor-
donné la privation licite de liberté d’un mala-
de mental à la condition qu’elle vise un
objectif thérapeutique. Donc, cette mesure
est dénuée de toute légitimité s’il n’y a pas ou
s’il ne peut y avoir de traitement du malade
mental (4) et, même s’il est vrai que le place-
ment involontaire puisse être, dans certains
cas, une mesure thérapeutique partielle,
c’est-à-dire que la contrainte puisse avoir un
impact thérapeutique, il ne peut être envisa-
gé que comme moyen de prodiguer des soins
efficaces et nécessaires et non comme mesu-
re thérapeutique à part entière (13, 15). Le
caractère subsidiaire de la mesure de protec-
tion signifie en outre que, si l’état du malade
le permet, il faut passer à un traitement où la
privation de liberté est moins sévère ou
prend fin.
Ces trois conditions cumulatives sont non
seulement nécessaires pour l’adoption de la
mesure mais doivent également l’être lors de
son application (4).
«Lorsque les circonstances prévues à
l’Art. 2 sont réunies, une mise en observation
dans un service psychiatrique peut être
ordonnée par décision judiciaire.» (Art. 4).
La loi fait la distinction entre deux sortes
de mesures: le traitement en milieu hospi-
talier et les soins en milieu familial. Le trai-
tement en milieu hospitalier comporte deux
phases: la mise en observation (40 jours
maximum) et le maintien (2 ans maximum).
La mise en observation est une étape obligée
avant toute décision de maintien. Dans le
cadre de la mesure de maintien existe la post-
cure (maximum 1 an). Enfin, la loi fait enco-
re la distinction entre deux types de procé-
dures: l’une ordinaire, l’autre en urgence.
2.3. PROCÉDURES
DE MISE EN OBSERVATION
2.3.1. Procédure ordinaire ou non-urgente
A. La requête et le rapport médical circons-
tancié (Art. 5)
Toute personne intéressée peut adresser
une requête écrite au juge de paix du lieu où
le malade se trouve (Art. 5 § 1).
Il s’agit donc de tout qui a intérêt à la mise
en observation dans la vocation d’aider le
patient, tel que: entourage familial ou autre
(conjoint, membres de la famille, amis,
connaissances, voisins,...), ministère public,
médecin ou psychiatre traitant (qui alors ne
peut établir le rapport médical circonstan-
cié), un CPAS, un service de santé mentale,...
Signalons que par rapport à l’ancienne loi,
l’autorité communale n’a plus rien à voir
avec les mesures de protection. On est passé
d’un régime administratif à une judiciarisa-
tion: c’est le juge de paix (et le procureur du
Roi en cas d’urgence) du lieu où le malade se
trouve qui est seul compétent pour prendre
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