Le tramadol - Pharmacie Interhospitalière de la Côte

LE TRAMADOL:
UN ANALGESIQUE ATYPIQUE
Extraits de la liste des médicaments de la PIC
Édition juin 2015
6 Le tramadol : un analgésique atypique
par Nicolas Schaad
Le tramadol est un analgésique appartenant au palier 2 de l’échelle du
traitement de la douleur proposé par l’Organisation Mondiale de la Santé
(OMS). Un traitement au tramadol devrait donc être instauré après l'absence
de résultats avec des analgésiques tels que le paracétamol ou des anti-
inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et avant de débuter la morphine ou un
autre opiacé. Le tramadol (Tramal
®
, Tramadol-Mépha
®
) présente-t-il des
avantages par rapport à d’autres analgésiques du palier 2 tel que la codéine,
la buprénorphine (Temgésic
®
) ou le dextropropoxyphène (Dépronal
®
) ? Cet
article tente de faire le point à ce sujet.
Modes d’action du tramadol
Le tramadol n’a qu’une affinité modérée pour le récepteur aux opiacés de
type µ. Par contre, parmi les 5 métabolites du tramadol, le O-déméthyl-
tramadol (métabolite M
1
) a une affinité 700 fois supérieure pour ce sous-type
de récepteur
1
. L’affinité de ce métabolite est toutefois plus faible que celle de
la morphine
2
. Le tramadol commercialisé est en fait un mélange racémique
de 2 stéréoisomères, le (+)- et le (-)-tramadol, qui génèrent différents
métabolites après métabolisation hépatique. Un effet agoniste au niveau du
récepteur µ n’est observé qu’avec un seul isomère, le (+)-O-deméthyl –
tramadol
3
.
La formation du métabolite M
1
, est assurée par le cytochrome P450 2D6
4
,
dont il existe un polymorphisme génétique de son expression dans la
population. Environ 8 % de la population caucasienne présente un déficit
d’expression de ce cytochrome, ce qui se traduit par un taux plus bas du
métabolite M
1
et une plus faible réponse à l’effet antalgique du tramadol
5
,
tout au moins lorsque cet analgésique est administré per os. L’effet
analgésique de la codéine, qui est dépendant de sa transformation en
morphine, est lui totalement absent chez les métaboliseurs lents
6
.
Chez l’animal de laboratoire, l’effet analgésique du tramadol est
essentiellement à un effet agoniste au niveau des récepteurs aux opiacés,
car il est aboli par des antagonistes tels que la naloxone
7
, alors que chez
l’humain, l’effet de 100 mg de tramadol n’est que partiellement réduit par cet
antagoniste
8
. Un mécanisme additionnel, non opioïde, dépendant des
monoamines a très tôt été évoqué
9
.
Le tramadol inhibe le recaptage de la noradrénaline et de la sérotonine
9
. Il
possède donc un mécanisme d’action similaire à celui des antidépresseurs
tricycliques ou de la venlafaxine (Efexor®), plus récemment mis sur le
marché. Des propriétés antidépressives du tramadol ont d’ailleurs été mises
en évidence chez l’animal de laboratoire
10
. Cette propriété particulière semble
participer à l’effet antalgique, puisque des antagonistes des récepteurs α
2
-
adrénergiques, tels que la yohimbine, réduisent l’effet analgésique du
tramadol dans un modèle expérimental de douleur chez l’homme
11
. L’effet du
tramadol sur le recaptage de la sérotonine est essentiellement à l'un des
isomères de la molécule mère, le (+)-tramadol, et marginalement au
métabolite M
112
. Le (-)-tramadol inhibe pour sa part le recaptage de la
noradrénaline
13
.
En complément de l’effet du tramadol sur le recaptage des monoamines, cette
substance stimule la libération de la noradrénaline et de sérotonine
12,13
.
D’autres propriétés pharmacologiques ont été mises en évidence, comme par
exemple un effet anti-inflammatoire
14
, mais il n’est pas établi que cet effet
soit important chez l’humain.
Pharmacocinétique
La biodisponibilité orale du tramadol est de 70 % lorsqu'il est présenté en
gouttes
15
ou en comprimés
16
. Le pic plasmatique n’est atteint qu’après
environ 70 min
15
, ce qui suggère que le tramadol oral n’est certainement pas
le médicament de choix lorsqu’il s’agit de combattre rapidement un état
douloureux. Le pic plasmatique est retardé chez les patients âgée de plus de
75 ans
17
. La demi-vie d’élimination du tramadol est de l’ordre de 6 h, alors
que celle du métabolite M
1
est d’environ 7.5 h; elle est prolongée chez les
patients présentant une insuffisance hépatique, chez qui la demi-vie peut
atteindre 13 h pour le tramadol, et 19 h pour le métabolite M
1
. La littérature à
notre disposition ne relève que toutefois que peu d’expérience clinique avec
le tramadol lors d’insuffisance hépatique. Chez les patient âgés, l’élimination
du tramadol est retardée et sa biodisponibilité est accrue
17
. L’élimination des
métabolites et du tramadol inchangé (30 % de la dose) est principalement
effectuée par voie rénale. Un cas de dépression respiratoire a été décrit chez
un patient traité par du tramadol et présentant une insuffisance rénale
18
. La
durée de l’effet analgésique est de 3 à 7 h lors d’administration itérative.
Doses
Les doses de tramadol ayant fait l’objet d’études sont de l’ordre de 50-100
mg toutes les 4-6 h, avec une dose maximale quotidienne de 400 mg. Chez
les patients âgés de plus de 75 ans, la dose maximale est de 300 mg par jour.
En cas d’insuffisance rénale (ClCr< 30 mL/min), l’intervalle posologique
doit être porté à 12 h. Si la clearance est < 10 mL/mL, le tramadol est contre-
indiqué
17
.
Utilisation clinique
Douleurs aiguës
Dans des douleurs post-opératoires, le tramadol (suppositoires à 100 mg) a
été comparé à une association paracétamol (1000 mg) et codéine (20 mg),
administrés toutes les 6 h. Bien que l’efficacité antalgique des 2 thérapies soit
identique au cours des 42 h qui ont suivi l’opération, la fréquence de nausées
est particulièrement élevée dans le groupe tramadol (84%), nécessitant une
médication antiémétique chez 42 % des patients, alors que seuls 31 % des
patients traités par l’association paracétamol/codéine ont présenté des
nausées, traitées dans 16 % des cas
19
. Chez des patients devant subir une
craniotomie, l’administration de tramadol (50-75 mg i.m.) a également été
moins bien tolérée que la codéine (60 mg im), tout en étant moins efficace
20
.
Une étude menée chez des patients ayant subi une intervention chirurgicale
abdominale et dont l’antalgie par pompe PCA (patient-controlled analgesia)
était réalisée soit par de la morphine, soit par du tramadol a montré une
efficacité antalgique similaire, mais la fréquence de nausées a été plus élevée
dans le groupe tramadol
21
. L’utilisation du tramadol en péri- et post-
opératoire a récemment fait l’objet d’une revue très complète
17
.
Une mêta-analyse regroupant 3453 patients et évaluant l’efficacité du
tramadol en postopératoire a montré globalement une fréquence dose-
dépendante de nausées chez les patients traités avec le tramadol, et une
efficacité comparable à celle de substances de référence
22
.
En chirurgie orthopédique, le tramadol a donné des résultats contradictoires.
Certains travaux démontrent que le tramadol est bien moins efficace que
l’association paracétamol/codéine, alors que d’autres ne trouvent pas de
différence entre traitement de référence et tramadol
17
.
En résumé, le tramadol est efficace pour le traitement des douleurs post-
opératoires et peut représenter une alternative intéressante pour les patients
chez qui une dépression respiratoire est à redouter (voir plus bas).
Douleurs chroniques
Douleurs cancéreuses
Le tramadol est parfois utilisé pour le traitement de douleurs cancéreuses
d’intensité faible à moyenne. Dans une étude non randomisée et qui n’a pas
été conduite en double aveugle, le tramadol (dose moyenne quotidienne de
428 mg) a été comparé à la morphine (dose moyenne quotidienne de 42 mg).
La réduction des symptômes douloureux a été équivalente dans les 2 groupes,
mais la fréquence de constipation, de symptômes neuropsychologiques et de
prurit a été plus élevée chez les patients recevant de la morphine (p<0.05)
23
.
Cette étude, limitée du point de vue méthodologique, montre également que
la dose maximale de tramadol est rapidement atteinte chez les patients
oncologiques.
Neuropathies
L’efficacité du tramadol dans les neuropathies diabétiques a été évaluée
récemment
24
. Soixante-six patients ont reçu un placebo et un nombre
équivalent de patients du tramadol 4 fois par jour (dose moyenne quotidienne
210 mg). Un effet statistiquement significatif sur les phénomènes douloureux
a été observé après 2 semaines et a été maintenu durant 6 semaines. Ce travail
a néanmoins été critiqué, car la fréquence élevée de nausées rapportées chez
les patients traités avec le tramadol (23 % versus 3 % sous placebo) rendait
discutable la notion de « double-aveugle »
25
. L’efficacité du tramadol semble
être maintenue lorsque le traitement est poursuivi à long terme
26
. Dans un
article, évaluant l’efficacité de différents médicaments pour le traitement des
douleurs neurogènes, le tramadol apparaît comme étant moins efficace que
les antidépresseurs tricycliques
27
.
Douleurs rhumatismales
Le tramadol a été comparé au dextropropoxyphène chez des patients atteints
d’arthrose de la hanche et du genou. L’efficacité antalgique a été similaire
avec les 2 types de traitement, mais la fréquence d’effets indésirables a été
plus élevée dans le groupe tramadol que dans le groupe
dextropropoxyphène
28
. Dans cette indication, le tramadol diminue le recours
à la consommation d’AINS
29
.
Effets indésirables du tramadol
Le profil d’effets indésirables du tramadol se rapproche de celui des opiacés.
Les effets les plus fréquemment décrits sont les nausées, le sentiment de
vertige, d’étourdissement, des transpirations, ainsi qu’une sécheresse
buccale
16
. La fréquence d’effets indésirables est extrêmement variable selon
les références mentionnées plus haut. D’une manière générale, la voie
parentérale semble être moins bien tolérée que la voie orale
17
.
Dépression respiratoire
A dose thérapeutique, le tramadol ne déprime que faiblement la respiration,
contrairement à des doses équianalgésiques d’opiacés purs
30
. De même, il ne
réduit pas la réponse ventilatoire à l’hypoxie
31
.
Nausées, vomissements
Des nausées et des vomissements apparaissent fréquemment chez les patients
traités avec le tramadol. Il est probable que la fréquence élevée de cet effet
indésirable soit consécutive à la pharmacologie particulière du tramadol,
décrite plus haut. En effet, en plus de ses propriétés agonistes sur les
récepteurs aux opioïdes, le tramadol inhibe le recaptage de la noradrénaline et
de la sérotonine, comme le fait, par exemple la venlafaxine, un antidépresseur
connu pour induire une fréquence élevée de nausées et vomissements
32
.
Certains schémas posologiques ont étés proposés pour réduire la survenue de
nausées
33
, comme par exemple une augmentation de 50 mg tous les 3 jours
34
.
Ces schémas sont naturellement difficiles à appliquer en milieu hospitalier,
l’on fera volontiers appel au métoclopramide (Primpéran
®
) pour réduire
l’incidence de cet effet indésirable.
Constipation
Les opiacés ralentissent le transit intestinal, sans développement tangible de
tolérance à cet effet indésirable. Dans ce contexte, le tramadol présente un
certain avantage par rapport aux autres opiacés. En effet, lorsqu'il est
administré suite à une hystérectomie, il ralentit moins le transit intestinal que
la morphine
35
. Ces résultats confirment les données obtenues avec des
volontaires sains, chez qui le tramadol ne modifie que peu la motilité
intestinale
36
.
Convulsions
On a observé des convulsions lors de traitement chronique à dose normale ou
élevée de tramadol, ainsi que suite à l'administration de la 1
ère
dose
37
. Le
risque est augmenté si le patient est traité par d’autres substances qui
abaissent le seuil épileptogène, telles que la plupart des antipsychotiques et
les antidépresseurs tricycliques.
Allergie
Des réactions de type anaphylactiques ont été décrites suite à l’administration
de la première dose de tramadol, ainsi que chez des patients allergiques à la
codéine
37
.
Risque de dépendance et d’abus
Le risque de dépendance au tramadol est plus bas que celui des opiacés. Les
études qui ont suivi la mise sur le marché du tramadol au Etats-Unis ont
montré une incidence de pharmacodépendance de l’ordre de 1.5 sur 100'000
patients exposés au tramadol
38
.
Interactions médicamenteuses
La prise simultanée d’antidépresseurs sérotoninergiques (ISRS) (fluoxétine,
Fluctine
®
; sertraline, Zoloft
®
, Gladem
®
; citalopram, Séropram
®
; venlafaxine,
Efexor
®
; fluvoxamine, Floxyfral
®
; paroxétine, roxat
®
) et de tramadol peut
s’accompagner d’un syndrome sérotoninergique
39,40,41,42
, qui est un état
pathologique résultant d’une trop grande stimulation sérotoninergique. En
particulier, les récepteurs 5-HT
1A
médullaires et du tronc cérébral seraient
impliqués. Etant donné la sévérité de cet effet indésirable (Voir Tableau 1),
potentiellement létal, il convient d’être particulièrement attentif à cette
association. D’autres antidépresseurs tels que la néfazodone (Néfadar
®
) ou la
trazodone (Trittico
®
) devraient également être évités en présence de tramadol.
Le syndrome sérotoninergique s’est généralement manifesté de 12 h à 3
semaines après l’introduction du tramadol.
La buspirone (Buspar®) est un anxiolytique agissant par stimulation des
récepteurs 5-HT
1A
. Sa prescription en présence de tramadol est
potentiellement dangereuse.
Parmi les 124 cas de crises épileptiques rapportées à la FDA sous tramadol,
20 patients prenaient en association un ISRS
43
. Le tramadol n’est donc pas un
analgésique de premier choix pour les patients traités par un antidépresseur.
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