Jean-Luc Nothias - le 30/09/2013
Une substance mise au point dans les années 1970 par l'industrie pharmaceutique dans un médicament de
synthèse, le tramadol, vient d'être retrouvée à l'état naturel en Afrique sub-saharienne.
C'est l'une de ces belles histoires qui réunit tous les ingrédients du succès: recherche de pointe, médecine
traditionnelle africaine, rencontres humaines et, à la clé, une découverte scientifique surprenante.
Tout commence lorsqu'un jeune étudiant camerounais prend contact avec Michel De Waard, neurobiologiste au
sein de l'Institut des neurosciences à Grenoble (Inserm, Université Joseph-Fourier, CNRS). Il attire son attention
sur les vertus d'un petit arbuste sarmenteux d'Afrique sub-saharienne, appelé pêcher africain, qui peut
atteindre de 4 à 6 mètres de hauteur. En médecine traditionnelle, notamment au Cameroun, cette plante est
utilisée dans le traitement de différentes pathologies incluant l'épilepsie, la fièvre, le paludisme et la douleur.
On soupçonne l'arbuste d'être riche en alcaloïdes. Mais lesquels? En collaboration avec le département de
pharmacochimie moléculaire (CNRS/Université de Grenoble) et l'université de Buea, capitale de la région sud-
ouest du Cameroun, Michel De Waard et son équipe décident d'en avoir le cœur net. Leurs résultats ont été
publiés dans la revue Angewandte Chemie.
Extrait d'écorce de racine
Ils ont ainsi testé toutes les parties de la plante, feuilles, tronc et racines. Et là, bingo. Ils réussissent à isoler
le composant responsable des effets antidouleur présumés de l'arbre à partir d'un extrait d'écorce de racine.
«Le plus surprenant pour nous a été de constater que cette molécule ne nous était pas inconnue. Elle était
identique au tramadol, un médicament de synthèse mis au point dans les années 1970 et utilisé couramment
dans le traitement de la douleur, explique Michel De Waard. Ce traitement est utilisé dans le monde entier car
ses effets secondaires, notamment de dépendance, sont moins prononcés que ceux de la morphine dont il est
dérivé.» Le tramadol est en effet une forme synthétique simplifiée de la morphine.
D'après les chercheurs, c'est la première fois qu'un médicament de synthèse issu de l'industrie pharmaceutique
est découvert à forte concentration dans une source naturelle. En effet, d'un point de vue quantitatif, la
concentration de tramadol dans les extraits d'écorce séchée est très élevée en principe actif (entre 0,4 % et
3,9 %). «Avec 20 grammes de la plante, on a une pilule de tramadol», s'extasie Michel De Waard.
La suite des opérations scientifiques est toute tracée: étudier les autres espèces de cette plante, elles sont une
dizaine, pour tester la présence de tramadol. Et avant même de penser en termes d'exploitation, les
chercheurs estiment que cette découverte ouvre des possibilités aux populations locales d'accéder à une source
de traitement bon marché, les décoctions d'écorces de racines, qui valide certaines «recettes» de la médecine
traditionnelle. En revanche, l'étude n'a détecté aucune trace de cette molécule dans la partie aérienne de
l'arbuste, feuilles, branches et troncs.
Enfin, ces travaux permettent également de tirer une sonnette d'alarme: il y a bien un risque de
pharmacodépendance lié à la surconsommation des racines de cet arbuste puisqu'elle produit un opiacé au
même titre que la morphine. À consommer donc avec modération.