http://www.pheno.ulg.ac.be/perso/seron/ 4
l’interprétation phénoménologique de Kant, dans la voie tracée par les cours de Jean
Wahl, a très tôt et durablement focalisé l’attention des commentateurs, et pourquoi la
problématique de l’imagination transcendantale représente aujourd’hui encore l’une des
filières les plus fécondes et les plus prometteuses qui s’offrent au lecteur de Heidegger.
Fait très remarquable à cet égard, les rares critiques émises avec quelque pertinence à
l’encontre de Heidegger l’ont d’ailleurs été, nous semble-t-il, du seul point de vue de
Kant, — ce qui laisse supposer que le débat avec Kant doit jouer un rôle central dans le
dépassement de la perspective simplement doxographique et dans la réappropriation
authentiquement philosophique de l’ontologie heideggerienne. Quoi qu’il en soit, il
restait encore à aborder la troisième des “sources” de Heidegger sur le problème du
logos ; il restait à évaluer et à clarifier la part qui revient, sur ce problème et dans le
contexte des cours de Marburg, à la doctrine platonico-aristotélicienne du logos. Sur ce
point, c’est Franco Volpi qui a fait figure d’initiateur, tant il est vrai que son ouvrage
remarquable sur Heidegger et Aristote, outre qu’il comblait une importante lacune,
ouvrait aussi de vastes perspectives dont les commentateurs actuels sont encore
fortement redevables1. Parmi ces dernières, la réappropriation heideggerienne de la
philosophie pratique d’Aristote et de son enseignement sur les questions de la vérité et
de la temporalité constitue un axe interprétatif majeur qui, malgré les importants
travaux de Jacques Taminiaux et de Volpi lui-même, est encore loin d’être épuisé. Bien
que l’importance en ait été très tôt reconnue — on songe aux nombreux travaux de H.
G. Gadamer, ou encore à la critique élevée par Friedländer contre l’interprétation
heideggerienne de l’alètheia —, la question du rapport à Platon a sans doute été moins
prolifique2. Souvent restreinte par les commentateurs à la seule critique de la
“métaphysique”, d’un “platonisme” incarnant la prédominance onto-théologique
inconditionnelle de l’ijdeva, cette question n’a pu jouir que très récemment, à la faveur
de ce qu’on appellerait volontiers un événement, d’une base textuelle de nature à
donner sur ce point un éclairage suffisamment explicite. Cet “événement” a été la
parution, en 1992, du cours de Marburg sur le Sophiste de Platon (GA 19)3. C’est lui
qui rend aujourd’hui possible — et nécessaire — une vision d’ensemble plus exacte et
1 Aristotele e Heidegger, Padova, 1984. A notre connaissance, le rapport à Aristote n’a depuis lors fait
l’objet d’aucune monographie. Sur la question du logos, de nombreux articles y ont néanmoins été
consacrés, notamment par F. Volpi et Th. Sheehan, sans compter l’excellente contribution de P. Rodrigo,
dans Aristote, l’éidétique et la phénoménologie, Grenoble, 1995, pp. 167-202. Par ailleurs, on tirera
encore un bénéfice appréciable des travaux, d’inspiration très nettement heideggerienne, qu’ont
consacrés à Aristote des interprètes comme R. Boehm, E. Tugendhat, P. Aubenque.
2 V. principalement A. Boutot, Heidegger et Platon. Le problème du nihilisme, Paris, 1987, et M. Brach,
Heidegger — Platon. Vom Neukantianismus zur existentiellen Interpretation des “Sophistes”, Würzburg,
1996, dont il sera question plus loin.
3 Pour une vue d’ensemble, v. I. Schüssler, “Le Sophiste de Platon dans l’interprétation de Heidegger” in
J.-F. Courtine éd., Heidegger 1919-1929. De l’herméneutique de la facticité à la métaphysique du
Dasein, Paris, 1996, pp. 91-111.