
Le rondeau
Ma foi, c'est fait de moi, car Isabeau
M'a commandé de lui faire un rondeau.
Cela me met en une peine extrême.
Quoi! treize vers, huit en eau, cinq en ême!
Je lui ferais aussi tôt un bateau.
En voilà cinq pourtant en un monceau.
Formons-en huit en invoquant Brodeau;
Et puis mettons, par quelque stratagème,
Ma foi, c'est fait.
Si je pouvais encor de mon cerveau
Tirer cinq vers, l'ouvrage serait beau.
Mais cependant me voilà dans l'onzième;
Et si je crois que je fais le douzième;
En voilà treize ajustés au niveau.
Ma foi, c'est fait.
Vincent Voiture (1594-1648)
Sonnet à Hélène
Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz, chantant mes vers et vous émerveillant :
« Ronsard me célébrait du temps que j'étais belle ! »
Lors, vous n'aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de Ronsard ne s'aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.
Je serai sous la terre, et, fantôme sans os,
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos ;
Vous serez au foyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain :
Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie.
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Le rondeau est caractérisé à la fin de ses strophes (2 ou 3
strophes généralement) par la reprise en refrain du premier
hémistiche du premier vers. Cette répétition d'un vers très
court renforce son rythme dansant, pris par les poètes du
Moyen Age (François Villon), de la Renaissance (Clément
Marot) et du XIXe siècle (Alfred de Musset). En plus du
refrain, le travail sur le rythme et les sonorités est aussi
très important: tout doit concourir à produire un objet qui
soit à la fois beau et ingénieux. Car le rondeau est avant
tout un divertissement : le poète qui pratique ce genre
littéraire cherche à plaire, à amuser, à distraire.
Un sonnet (de l'italien sonetto, lui-même venant de
l'ancien provençal sonet, « petite chanson, mélodie
chantée » — dont l'origine est le latin sonare,
« sonner ») est une forme de poème comportant
quatorze vers dont la répartition typographique
peut varier — deux quatrains et deux tercets ou un
seul sizain final par exemple — et dont le schéma
des rimes varie également, soit librement soit en
suivant des dispositions régulières. La longueur du
vers n'est pas fixe.
Les deux quatrains présentent le plus souvent, dans
la « norme » française, la même disposition des
rimes, soit croisées (ABAB), soit embrassées
(ABBA) soit plates (AABB) Cependant les deux
quatrains peuvent être sur deux schémas de rimes
différents. En outre, aux époques anciennes (XVIe
au XIXe), une alternance de rimes masculines et
féminines devait être respectée. Le sizain doit
respecter à son tour certaines normes sur la
succession de ses rimes : CCDEDE. Le sonnet de
type italien se termine lui selon le modèle
CCDEED.
Cette forme poétique dans sa variante originelle est
apparue en Italie au XIIIe siècle. Elle a ensuite été
très utilisée en Europe, d'abord dans les pays latins
(Italie, péninsule ibérique) puis en France lors de la
Renaissance, aux XVIe et XVIIe siècles, tout
particulièrement chez les poètes de La Pléiade
(Pierre de Ronsard et Joachim du Bellay). Le
sonnet français connut une grande vogue dans la
première moitié du XVIIe siècle, la rigueur de sa
forme lui conférant un caractère noble, avant d'être
délaissé au XVII e. Au fil des siècles, détourner la
forme contraignante du sonnet est devenu un jeu :
nombre des poètes modernes s'y sont adonnés.