STUDIA UBB. PHILOLOGIA, LVI, 1, 2011
GESTION MÉMORIELLE CHEZ L’INTERPRÈTE
DE CONFÉRENCE. APPROCHE COGNITIVISTE (1)
ZOHRA HADJ AISSA
ABSTRACT. Memory management in conference interpreting, a cognitive approach.
The following article is the first part of a synthesis of a course for 4th year interpreting
students and is meant as a contribution to the pedagogy of interpretation. While
reviewing the structure and classification of memory and the physiology of the brain,
we underline the specific needs of interpreters and the relevance of such cognitive
theory for the profession.
Keywords: memory management, mnemonic act, metacognitive strategies, meta-
memory, metamnesis, cognitive style
« Nous ne travaillons qu’à remplir la mémoire, et laissons la
conscience et lentendement vide. » (Montaigne, Les Essais)
1) Introduction : Quelle gestion morielle pour un interprète efficace ?
Exercer comme interprète sans comprendre le fonctionnement de son
propre cerveau est une immense lacune. Il est fondamental de découvrir cet univers
mystérieux de connexions, de réseaux, de synapses et de neurones.
Notre cerveau orchestre notre corps, nos sens, et notre connaissance du
monde. Il est à l’origine aussi de notre relation aux autres et au monde, ainsi que de
notre représentation de tout ce qui nous entoure. Dans ce qui suit nous allons
explorer surtout la mémoire, car elle nous permet: 1) d’acquérir des connaissances;
2) de les retenir; 3) de les rappeler ou solliciter pour les utiliser à bon escient et de
façon pertinente.
Zohra HADJ-AISSA est Maître de Conrences au partement d’Interprétariat et de Traduction de
l’Université d’Alger. Titulaire d’une Licence de Philologie hispanique et d’un Doctorat en Sciences du
Langage de l’Université Autonome de Madrid en Espagne, elle exerce également comme interpte
auprès d’instances nationales et internationales depuis plus de 30 ans. Elle enseigne la traductologie et la
thodologie de la traduction dans la double combinaison espagnol/français et français /espagnol, elle
donne aussi des cours magistraux de traduction en Master et Doctorat. Actuellement elle dirige une
équipe de recherche pour la préparation d’un Glossaire explicatif des termes évolutifs de
l’Environnement et de l’Écologie dans une approche systémique. Cette étude est la première partie d’une
synthèse d’un Cours Magistral en Traductologie pour des étudiants de IVe année, option interprètes, la
seconde étant à suivre. E-mail : zohra_cherief@yahoo.fr
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Si l’on se réfère aux mécanismes intimes de la mémoire, on peut dire que
celle-ci est une des manifestations de la plasticité synoptique, car chaque stimulation y
laisse des traces.
Elle présente trois propriétés :
- la fixation sous la forme d’une trace,
- le rappel par une nouvelle stimulation,
- l’oubli ou l’amnésie (ou panne amnésique).
Pour les cognitivistes, le cerveau ne fonctionne pas à partir d’uneali
objective, mais à partir de représentations personnelles. Le système nerveux traite des
informations symboliques; les représentations sont en fait des reconstructions de
l’environnement sur la base des informations sensorielles. Par conséquent,
l’apprentissage et la mémorisation s’appuient également sur des (re)constructions
personnelles de la réalité.
Les connaissances antérieures – et leur mode d’acquisition jouent un rôle
très important dans ce processus chez l’interprète de conférences étant donné la
masse incessante d’informations qu’il devra mémoriser sans arrêt.
On peut parler aussi aujourd’hui d’une mémoire multiforme, mais on ne
saurait l’aborder sans évoquer les recherches faites sur l’apprentissage,
l’intelligence et les facultés cognitives.
Ces questionnements remontent déjà à l’Antiquité puisque le mot
«mémoire» vient de Mnémosyne, déesse de la Mémoire et mère des neuf Muses
qui président à la connaissance. Mais cette recherche a évolué avec le temps et les
différents centres d’intérêts. D’où notre thème sur la gestion mémorielle qui
appelle non seulement à une mémoire qui se travaille et se cultive constamment,
voire qui se signe si nécessaire, mais aussi et surtout à une méthodologie ou
méthode de gestion mémorielle. Il s’agit pour l’interprète de gérer sa mémoire afin
d’éloigner le superflu en faveur de l’essentiel; il s’agit également pour lui
d’atteindre la quintessence même du sens qu’il lui faut rendre de façon fidèle et
pertinente, sans trahir le message.
Cette gestion mémorielle en appelle aussi à l’étude des mécanismes de
mémorisation sur lesquels, dans l’état actuel de la recherche, nous savons encore
peu. De fait, la mémoire requise aujourd’hui, a fortiori pour un interprète de
conférences, ne se limite plus à emmagasiner des connaissances; ce qui nous inresse
c’est de voir comment elle est peue et mise en œuvre en tant que phénomène
complexe de connexions neurologiques et biologiques certes –, tout en faisant
appel à des facultés cognitives très affinées.
Elle révèle aussi chez l’interprète une perception et une vision du monde
toujours adaptée et actualisée, cependant qu’elle lui permet de garder son
comportement présent et futur dans un monde professionnel en mutation permanente
et profonde.
Nos propos ne visent pas tant les modalités d’augmenter sa mémoire par
des procédés mnémotechniques ou autres, mais essaient plutôt de mieux faire
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comprendre ce qu’est la mémoire ou les différentes mémoires afin d’obtenir un
rappel sans faille des connaissances, une acquisition aisée des nouveautés, et
surtout une gestion efficace de l’activité mémorielle.
Ce questionnement, qui comme nous le verrons doit être personnalisé,
devrait permettre à chaque interprète de trouver son style, un comportement
adéquat, et aussi un moyen d’améliorer et d’entretenir son potentiel dans une
perspective évolutive.
Partant du fait que l’acte mnémonique se fait en trois temps: enregistrement,
fixation-rétention, puis rappel, on ne peut concevoir la mémoire comme une simple
mécanique du cerveau; bien au contraire, ce fonctionnement fabuleux recèle des
secrets que bien de philosophes, humanistes et scientifiques, ont essayé de
comprendre. Cet acte magique, qui est à la fois loyal et traître (Bergson affirmait
que « la mémoire est aussi l’acte d’oubli »), qui permet de se rappeler mais aussi
d’oublier, a intrigué plus d’un chercheur.
Au Moyen Âge, mémoire et magie allaient de pair. Saint Augustin dans ses
Confessions sera l’un des premiers à évoquer la mémoire des sens et des mots, ce
que nous appelons aujourd’hui la mémoire sémantique. Mais il faudra attendre
réellement le XIXe siècle pour que ce phénomène soit soumis à l’étude et à des
démarches scientifiques.
C’est avec Hermann Ebbinghaus (1850-1909) que les premières procédures
d’examen de l’acte mnémonique sont élaborées, et elles sont toujours d’actualité,
même si les méthodes d’investigation vont bien sûr évoluer, se diversifier et se
complexifier.
Parallèlement, les études sur les mécanismes cérébraux se développent et
l’espace crânien s’organise schématiquement en trois niveaux, comme dans les
travaux de Paul D. Maclean:
A/ Le reptilien ou la partie la plus ancienne du cerveau, la gardienne des
instincts primitifs, qui agit selon des schémas rigides et stéréotypés (routine, gestes
automatiques).
B/ Le limbique, fruit d’une évolution plus tardive que le reptilien, est le
siège de l’affectivité et des émotions et joue un le essentiel dans la mémoire à
long terme, car il stocke tous les souvenirs (en leur donnant une tonalité affective).
C/ Le cortical (ou cortex) est la partie la plus récente du cerveau, le siège
de la pensée et de la parole.
Les informations qui arrivent par les cinq sens transitent par le reptilien,
puis sont filtrées par le limbique. Toutes n’arrivent pas au cortex.
On découvrira, par la suite, avec Rupert Sheldrake, l’origine biochimique
de la mémoire, cependant que d’autres approches mettent l’accent sur les liens
indéfectibles entre perception et mémoire, mémoire et intelligence, puis grâce aux
progrès en imagerie cérébrale: scanner, RMN (Résonance Magnétique Nucléaire)
tomographie par émission de positrons ou scintigraphie cérébrale, on peut enfin
pénétrer en partie le mystère du cerveau, en l’étudiant de près en pleine activité.
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C’est pourquoi cette révolution scientifique nous permet aujourd’hui de
parler de mémoires, au pluriel, et d’un système les actions s’enchaînent les unes
aux autres.
2) Données actuelles de la neurobiologie: organisation du cerveau et
fonctionnalité de l’acte mnésique
On peut affirmer aujourd’hui que l’enregistrement d’une information laisse
dans le cerveau une trace de nature neurophysiologique et biochimique: celle-ci
suit un parcours qui la traite à différents niveaux. L’étude de ce parcours n’est pas
aisée, voire encore parfois inaccessible, car il est impossible dans l’état actuel de la
recherche d’aller voir ce qui se passe dans le neurone humain, à la différence des
expériences pratiquées sur les animaux (singe ou rat) qui ont permis de détecter
certaines zones de mémoires dans le cerveau.
Cependant, avec l’avancement de la recherche en neurobiologie, il sera
possible d’observer bientôt, en temps réel, le processus de stockage d’une information
visuelle, sonore ou tactile. En fait, ce que l’interprète doit savoir c’est que tout se passe
dans l’ensemble du cerveau où des millions de neurones et des milliards de synapses –
qui servent à la conduite de l’influx nerveux – communiquent entre eux constamment.
L’enregistrement des connaissances et l’acte mnémonique ont lieu de cette
manière grâce:
- au thalamus: qui est le logiciel de la perception;
- aux corps striés: qui mettent en rapport tous les mouvements de
l’information avec le cervelet;
- à l’hypothalamus: la région qui se trouve à la base de la vie végétative.
Le cortex ou écorce cérébrale qui est la substance grise –communément
appelée « matière grise » recouvre l’ensemble de ces activités: on le trouve à la
surface des deux hémisphères et il est constitué par les corps cellulaires des
neurones, eux-mêmes fors de plusieurs couches qui limitent chacune une
fonction précise.
Dans le cas de la mémoire et de toutes les activitésbrales complémentaires
fondamentales, chacune des activités fait intervenir, selon les cas, l’un ou l’autre
des deux hémisphères cérébraux, voire les deux simultanément.
On pourra rappeler les fonctions de ceux-ci dans le tableau suivant:
Hémisphère GAUCHE
Verbal
utilisant les mots pour nommer,
décrire, définir.
Analytique
découvrant les choses étape par
étape et élément par élément.
Séquentiel
gardant la trace du temps,
organisant les choses séquentiellement et les
exécutant dans l’ordre.
Rationnel
tirant des conclusions fondées sur
Hémisphère DROIT
Non verbal
ayant conscience des choses, mais
une connexion minimale avec les mots (donne le
ton et les intonations de la voix).
Synthétique
plaçant les choses ensemble pour
former des touts.
Simultané
traitant simultanément la complexité.
Intuitif
procédant par bonds, à partir
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des faits et des raisonnements.
Abstrait, symbolique
extrayant une
information et s’en servant pour représenter le
tout, utilisant un symbole pour remplacer une
chose.
Logique tirant des
conclusions fondées sur
une organisation logique, déduisant les causes et
les effets.
Linéaire
allant d’un point à un autre et suivant
une démarche pas à pas.
Objectif recueillant l’information neutre.
Détaillé
réduisant les choses à un ensemble
d’éléments qu’il structure et clarifie.
Mode de fonctionnement
Raisonnement
Il travaille en se fatiguant et de façon
«consciente».
d’impressions, de sentiments, d’images vi
suelles,
d’éléments d’information.
Concret
s’attachant aux choses comme elles
sont au moment présent.
Analogique
voyant les liens entre les choses,
les ressemblances, comprenant les métaphores.
Spatial
voyant les choses sont en relation
avec d’
autres et comment les parties forment un
tout.
Subjectif recueillant les émotions.
Global
percevant les ensembles, les formes
globalement.
Mode de fonctionnement
Association d’idées
Il travaille sans se fatiguer et de façon
«inconsciente».
Selon les neurologues, l’enregistrement lexical se situe plutôt dans
l’hémisphère gauche tandis que l’enregistrement sémantique se répartit sur les deux
hémisphères.
3) Procédés classificatoires de la moire: pour une mémoire
multiforme, ou plusieurs mémoires à spécificité (s) fonctionnelle (s)?
La classification des différents types de mémoire peut se faire:
A. En fonction de la durée de fixation et de leur capacité de stockage:
A. 1. Mémoire à court terme
(instantanée, immédiate)
A. 2. Mémoire à moyen terme
Durée: 20 secondes
Stockage: 13 mots environ
Elle a pour rôle de permettre au lecteur/auditeur d’arriver au
bout d’une phrase ou d’un paragraphe en ayant retenu le début.
Elle permet de retenir tous les mots
de la portion de texte
lue/écoutée en 20 secondes; mais, si aucun transfert n’est fait
vers la mémoire à moyen terme, tout s’efface.
Également appelée mémoire de travail, celle-
ci permet de
conserver une information pendant plus o
u moins une minute et
sa capacité est également limitée en quantité permettant
d’enregistrer environ sept éléments. Elle permet de retenir la
phrase écoutée afin d’assurer une cohérence avec la suivante.
Transfert de l’information
Durée: 6 à 20 mn
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