Correspondance entre les élèves de D’Arsonval à Brive et l’auteure Sabine Tamisier pour l’œuvre « Sad Lisa » Premier entretien Tout d’abord, pourquoi avez-vous écrit une pièce de théâtre sur le silence, la tension ? Parce qu’en observant des familles, des amis, la vie en général, je me suis rendue compte que tout ne passait pas par les mots, bien au contraire. Qu’il y a souvent des choses difficiles à dire, à digérer et qu’alors, au lieu de parler, bien souvent nous nous enfermons dans le silence espérant qu’il résoudra les choses, avec le temps. Peut-être que j’ai voulu montrer ça, pour que ça provoque une réaction inverse ? Pour qu’en voyant ça on se dise : il faut parler. Rien ne sert de taire les choses. Mais c’est après coup que je réalise ça, pas au moment de l’écriture. Au tout début, je voulais simplement raconter la lente déconstruction d’un couple, suite à un drame. Il y a quelque chose également qui m’a interpellé, pourquoi les tableaux de cette pièce sont baptisés les « DEBRIS » ? Et c’est pour cette raison que les tableaux sont appelés « Débris ». Pour moi, c’est comme si j’avais pris les vies de Lisa, Franck, Lucie, Josse et du bébé dans ma main : je les secoue, les lâche au sol sur les carreaux, ça fait des débris. Et ensuite, je raconte ces débris, comme des petits moments de leurs vies, et non pas toute leur vie. Ce qu’il y a d’original dans votre pièce, c’est la façon dont les personnages s’expriment ! On ne voit pas ça tous les jours dans des textes de théâtre. Et d’ailleurs, pourquoi avez-vous choisi un vocabulaire si rude et, parfois, vulgaire ? J’ai voulu faire entendre les voix de personnes qui n’ont pas l’habitude de parler et dont le vocabulaire se réduit à l’essentiel. Ils n’ont pas eu de culture littéraire, mais un apprentissage de la vie auprès de personnes mal à l’aise avec les mots. Quant à la vulgarité, elle est-il me semble toujours présente, même chez des gens qui ont une culture littéraire plus élevée. Mais là, elle vise à montrer la pauvreté du langage. Ils n’ont pas les mots pour dire. Par contre, les émotions qui les traversent sont bien sûr toutes aussi importantes que celles d’une personne qui parle beaucoup, voire plus exacerbées justement parce qu’ils gardent trop de choses en eux, non dites. Le personnage qui m’a beaucoup touché c’est Lucie, la fille. Je la trouve très courageuse. Vivre dans un milieu comme cela, ça ne doit pas être facile tous les jours. A ce sujet, est-ceque vous vous intéressez aux sentiments que les adolescents pourraient ressentir s’ils vivaient une situation semblable à celle que vous montrez dans votre pièce ? Bien sûr que je m’intéresse aux sentiments des adolescents qui pourraient être dans le cas de Lucie. Et je pense qu’il y a malheureusement beaucoup d’ados dans de telles situations familiales. C’est peut-être ma façon à moi de leur rendre hommage, de montrer leur force et leur courage et pourquoi pas de réveiller les parents (encore faudrait-ils qu’ils puissent venir au théâtre) sur ce qu’ils font vivre à leurs enfants. J’ai lu trois fois votre œuvre. Et, à chaque lecture, je me suis aperçu d’une chose : c’est la présence de la mère, Lisa. Alors qu’elle ne parle presque pas. Je sais pas, on sent qu’elle est là, comme si elle surveillait la pièce, les personnages, le public. C’est pourtant le personnage principal de la pièce. Et je me demandais pourquoi avoir choisi la mère comme personnage principal ? Est-ce-que cela symbolise quelque chose ? Lisa est le personnage principal parce que le livre porte son nom mais en même temps, les autres personnages sont pour moi tout aussi importants qu’elle. Lisa, et la chanson de Cat Stevens, sont le point de départ de l’écriture. C’est en écoutant la chanson, en essayant de comprendre les paroles, que j’ai voulu écrire ce texte. Cat Stevens parle d’une femme qui a dû être blessée moralement et qui s’est recroquevillée contre un mur. Pour moi, cette image était très évocatrice. J’ai voulu imaginer sa vie. Et Lisa ne parle plus, parce que la perte de son enfant a brisé quelque chose en elle, et que c’est sa façon aussi d’accuser Frank, de le faire payer. Enfin, après je ne vous fait pas perdre plus de temps, comment pourrait-on mettre en scène cette pièce ? (Oui, je me posais cette question, tout simplement parce que je pratique le théâtre depuis dix ans et que je trouvais intéressant de savoir jouer le silence). Et bien, le plus sobrement possible à mon goût, en essayant justement de respecter les temps de silence indiqués qui font ressentir les tensions entre les personnages. La pièce a été mise en scène par Francis Freyburger à Strasbourg cet hiver, et j’étais très heureuse de son travail et de celui des acteurs. Ils étaient au plus près du texte, avec un décor minimaliste, un musicien contrebassiste en direct sur le plateau, c’était très beau. Deuxième entretien Est-ce-que vous pensez que le silence est une solution pour résoudre certains soucis ? Je ne pense pas que le silence soit une solution pour résoudre les soucis, quels qu’ils soient, petits ou grands. Il me semble que parler vaut toujours mieux, même si c’est difficile parfois de le faire, d’oser dire ce qui nous tracasse. Quelquefois nous restons silencieux quand la charge émotionnelle de l’autre en face est trop forte, par exemple face à une grosse colère, il est parfois difficile de savoir dire, au bon moment, des mots qui calmeront la personne, surtout si, à priori, nous ne sommes pas d’accord avec la personne. Pour ma part, dans ces cas-là, je préfère me taire, laisser passer l’orage, ou essayer de le calmer en douceur, et quand la personne est calmée, en parler ensemble calmement. Je sais que « le silence est le plus grand des mépris » mais est-ce-que vous pensez que le silence de Lisa est une solution pour le drame qu’elle a subi ? Le silence de Lisa est en effet une sorte de mépris envers Franck, qu’elle a pourtant aimé et qu’elle aime probablement encore. Mais son silence n’est en aucun cas une solution. Lisa est juste une femme, avec ses faiblesses. Et ne pas savoir pardonner à Franck, ou bien encore ne pas savoir partir si elle n’est plus heureuse, est sa faiblesse. Comme je ne sais pas très bien comment prendre ce silence, pourquoi ne parle-t-elle presque pas à sa fille, qui se bat pour gérer tous ces ennuis ? C’est comme si Lisa s’était prise à son propre jeu. Qu’elle en soit venu à aimer cet état de silence, et qu’elle ait peu à peu de plus en plus de mal à parler. Lisa ne veut pas que Franck comprenne son silence, elle veut juste ainsi le culpabiliser et donc peut-être aussi lui laisser penser que son silence n’est pas volontaire, qu’il est lié à un vrai choc physique suite au drame de la perte du bébé. Et pour ça, il ne faut pas non plus qu’elle parle à Lucie, même si, là aussi, elle l’aime comme une mère aime sa fille et elle le lui montre malgré tout, en silence. Mais c’est vrai que ce silence est très injuste pour Lucie. Elle ne devrait pas avoir à le subir. Mais là aussi, Lisa n’arrive pas à dépasser sa faiblesse, faire la part des choses. Du coup, Lucie trinque autant que Franck. Vous dites que vos personnages n’ont pas les mots pour dire, mais est-ce-que cela se traduit par une émotion de mal être ou simplement que leur culture littéraire n’est pas élevée ? Pour moi, ils n’éprouvent pas forcément de mal être avec ce manque de mots, tant qu’il n’y a pas de drame qui aggrave justement ce sentiment de ne pas savoir dire. Ils ont évolué dans ce milieu, en effet peu élevé en culture littéraire, mais c’est leur vie, et ça ne veut pas dire qu’elle est pauvre et dénué de sens. Leur valeur se situe ailleurs de tout ce qu’on peut apprendre dans les livres et qui est pourtant formidable. Ils sont certainement un peu complexés de ce manque de savoir mais en même temps, ils savent d’autres choses, que la vie leur a apprises. Mais pour moi Lisa lit, écoute de la musique, elle ne parle plus, mais les mots la font rêver, ce sont ses portes pour rêver, son évasion. Et pour Lucie aussi.