Relations entre identité sociale et identité individuelle dans une

Relations entre identité sociale et identité individuelle dans une situation
de catégorisations croisées
Résumé
Le modèle des groupes collections et agrégats postule une relation positive entre
identité sociale et identité individuelle chez les groupes de statut supérieur et une
relation négative chez les groupes de statut inférieur (Lorenzi-Cioldi, 1988). Ainsi,
les hommes perçoivent l’exogroupe comme plus homogène que l’endogroupe et
les femmes perçoivent l’endogroupe comme plus homogène que l’exogroupe.
Nous avons étudié les effets des catégorisations croisées (Deschamps & Doise,
1979) sur la différenciation intergroupe et sur la variabilité intragroupe. Suivant le
paradigme « Who said what », nous avons déterminé deux conditions
expérimentales : catégorisation simple (appartenance sexuelle) et catégorisation
croisée (appartenance sexuelle et établissement scolaire). Les participants (n =
116) répondaient à une tâche de reconnaissance. Les résultats montrent que la
différenciation intergroupes est plus faible en condition de catégorisation croisée
qu’en condition de catégorisation simple. Les participants de sexe masculin
perçoivent l’exogroupe comme plus homogène que l’endogroupe,
indépendamment de la condition de catégorisation.
Mots clés: identité, homogénéisation de l’exogroupe, différenciation
intergroupe, variabilité intragroupe, statut, catégorisations croisées
Abstract
The model on mental representation of high-status and low-status groups,
postulates a positive relationship between social and individual identity for high
status groups and a negative one for low status groups (Lorenzi-Cioldi, 1988). As
a consequence, men perceive the outgroup as more homogeneous than the ingroup
and women perceive the ingroup as more homogeneous than the outgroup. We
studied the effect of cross-categorization (Deschamps & Doise, 1979) on
intergroup differentiation and on intragroup variability. Using the "Who said
what " paradigm, we created two conditions: simple categorization (sexual
category) and cross-categorization (sexual category and name of school).
Participants (n = 116) answered a recall task. Results show that intergroup
differentiation is reduced in the cross-categorization condition compared to the
simple categorization condition. Moreover, male participants perceive the
outgroup as more homogeneous than the ingroup, independently of the
categorization condition.
Key words: identity, out-group homogeneity effect, intergroup differentiation,
intragroup variability, status, cross-categorization
Sciences-Croisées
Numéro 2-3 : L’Identité
Relations entre identité sociale et identité individuelle dans une
situation de catégorisations croisées
Chiara Storari & Ingrid Gilles
Université de Lausanne
Chiara.Storari@unil.ch
ChiaraStorari & Ingrid Gilles
Relations entre identité sociale et identité individuelle
dans une situation de catégorisations croisées
1
e travail étudie les relations entre identité sociale et identité
individuelle sous l’angle de la différenciation intergroupe et de la
variabilité intragroupe (Tajfel, 1972). Notre but est d’étudier les
effets de l’introduction d’une situation de catégorisation croisée sur les
relations entre identité sociale et identité individuelle lorsqu’il est question
de groupes de statut asymétrique. Ainsi, nous prenons en compte une
situation de catégorisation simple, dans laquelle les individus sont
confrontés à une claire dichotomie entre leur propre groupe et l’exogroupe
(par exemple lorsqu’il est question d’hommes et de femmes), et une
situation de catégorisation croisée, dans laquelle chaque individu est
catégorisé simultanément selon deux dimensions de catégorisation (par
exemple, lorsqu’il est question d’hommes et de femmes qui font leurs
études dans deux écoles différente ; voir Deschamps & Doise, 1979).
La thématique des relations entre identité sociale et identité
individuelle est centrale en psychologie sociale (cf. Deschamps & Devos,
1999 ; Doise, 1978). En fait, celle-ci fait référence à la thématique de la
relation entre collectif et individuel, relation présente dès ses débuts dans la
psychosociologie moderne (voir par exemple James, 1921 ; Mead, 1934).
La théorie de l'identité sociale (Tajfel & Turner, 1979 ; Tajfel & Turner,
1985) aborde cette question du point de vue de la catégorisation sociale.
1. Catégorisation sociale et identi
À travers le processus de catégorisation, les individus ordonnent
l’environnement physique et social en catégories selon le degré de
similitude des éléments (Tajfel, 1972). Ce processus est un mécanisme
mental à travers lequel les éléments singuliers de notre environnement sont
classés dans des catégories plus générales. Par exemple, la catégorie des
chaises qui inclut des éléments à l’apparence différente, mais qui ont la
même fonction. La catégorisation des stimuli physiques augmente les
différences intercatégorielles et les similitudes intracatégorielles (Tajfel &
Wilkes, 1963). C’est-à-dire que les chaises se ressemblent entre elles
davantage qu’elles ne ressemblent aux canapés. En transposant ces effets à
la catégorisation des stimuli sociaux, la théorie de l’identité sociale postule
que lorsque les individus organisent leur environnement social en groupes
dichotomiques, ils augmentent la différenciation intergroupe et la similitude
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intragroupe. Le paradigme des groupes minimaux a montré que la
catégorisation des individus en deux groupes dichotomiques suffit pour
évoquer des processus d’identification sociale, qui mènent les individus à
différencier les groupes en favorisant l’endogroupe (Tajfel, Billig, Bundy,
& Flament, 1979).
En termes de relations entre identité sociale et identité individuelle,
la théorie de l’identité sociale oppose des comportements interpersonnels à
des comportements intergroupes (Brown & Turner, 1981 ; Tajfel & Turner,
1979). Les comportements interpersonnels concernent : « [...] les
interactions entre deux individus ou plus, individus qui sont totalement
définis par leurs relations interpersonnelles et leurs caractéristiques
individuelles et nullement affectés par leurs divers groupes ou catégories
sociales d’appartenance » ; alors que les comportements intergroupes sont :
« [...] des interactions entre au moins deux individus (ou groupes
d’individus) qui sont totalement déterminés par leurs appartenances
respectives à différents groupes ou catégories sociales et nullement affectés
par les relations interindividuelles entre les personnes concernées » (Tajfel
& Turner, 1979 ; p. 34). Ainsi, un individu peut se définir en termes de son
identité sociale (par exemple en tant que femme) ou en termes d’individu
singulier (par exemple en tant que « Barbara »).
En revenant aux effets de la catégorisation sociale, les
comportements intergroupes font référence à la différenciation entre
« nous » et « eux », et représentent le pôle de l’identité sociale. Les
comportements interpersonnels font référence à la différenciation entre
« soi » et « autrui », et représentent le pôle de l’identité individuelle
(Turner, Hogg, Oakes, Reicher, & Wetherell, 1987). Ainsi, lorsqu’il y a
activation des processus d’identification sociale, les membres de chaque
groupe sont perçus comme interchangeables. De cette manière,
l’augmentation de la saillance de la catégorisation endogroupe versus
exogroupe, amène les individus à assimiler davantage le soi aux membres
de l’endogroupe (Turner et al., 1987). La conséquence est que le groupe est
perçu comme homogène, puisque ses membres sont définis par la même
appartenance groupale. Cela signifie qu’il existe une relation
d’interdépendance négative entre l’identification au groupe (identité
sociale) et l’individualisation (identité individuelle.
Cependant, l’effet d’homogénéisation de l’exogroupe (voir Jones,
Wood, & Quattrone, 1981 ; Judd & Park, 1988 ; Linville, Fischer, &
Salovey, 1989 ; Park & Rothbart, 1982) remet en question le principe de
l’interdépendance négative entre identité sociale et identité individuelle de
la théorie de l’identité sociale.
L’effet d’homogénéisation de l’exogroupe concerne la tendance des
individus à percevoir les membres de l’exogroupe comme plus homogènes
(davantage semblables entre eux) que les membres de l’endogroupe. Cet
effet n’est pas un phénomène universel et il dépend du contexte intergroupe
(Simons, 1992), mais son existence ne fait pas de doute (voir pour une
revue Messick & Mackie, 1989 ; Park, Judd, & Ryan, 1991 ; Quattrone,
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1986 ; Mullen & Hu, 1989). L’effet d’homogénéisation de l’exogroupe
laisse supposer que, dans certaines conditions, la différenciation intergroupe
est associée à la différenciation intragroupe. C’est-à-dire que dans le cas des
membres de l’endogroupe, ceux-ci peuvent être définis en termes
d’appartenance groupale (identité sociale) et d’individualité (identité
individuelle). Par exemple, des hommes peuvent bien reconnaître qu’ils
appartiennent à la catégorie des hommes (identité sociale), mais considérer
que chacun est différent de l’autre par rapport à sa personnalité (identité
individuelle). Par contre, les mêmes hommes peuvent considérer que les
femmes appartiennent à la catégorie des femmes et qu’elles ont une
personnalité très semblable. De plus, dans certaines conditions, les
individus peuvent percevoir l’endogroupe comme plus homogène que
l’exogroupe, ce qui a été appelé l’effet d’homogénéisation de l’endogroupe
(Ackerman et al., 2006 ; Simons, 1992 ; Simons & Mummendey, 1990).
Ces effets ne remettent pas forcément en cause les principes de la
théorie de l’identité sociale (Haslam & Oakes, 1995), mais laissent
supposer que l’identité sociale et l’identité individuelle peuvent entretenir
des relations différentes de la simple interdépendance négative. En effet, la
différenciation intergroupe n’est pas toujours associée à l’assimilation
intragroupe. Par exemple, lorsque le contexte favorise la différenciation
individuelle, la catégorisation des individus dans deux groupes
dichotomiques augmente la différenciation entre « soi » et « autrui ». Par
contre, lorsque le contexte favorise la fusion, la catégorisation des individus
dans deux groupes dichotomiques augmente la similitude entre « soi » et
« autrui » (Deschamps & Volpato, 1984).
L’effet d’homogénéisation de l’exogroupe est souvent expliqué par
l’hypothèse de la familiarité, selon laquelle l’individu est plus familier avec
les membres de l’endogroupe qu’avec les membres de l’exogroupe. Ainsi, il
dispose davantage d’informations sur les premiers que sur les seconds, ce
qui le porte à individualiser davantage les membres de son propre groupe
(Linville, Salovey, & Fischer, 1986 ; Pryor & Ostrom, 1987). En effet, il est
possible de supposer qu’un employé connaît davantage d’employés que de
managers. D’autres explications postulent que les individus traitent de
manière différentielle les informations qui concernent l’endogroupe et
l’exogroupe (Park & Rothbart 1982), qu’ils organisent différemment en
mémoire l’information qui concerne les deux groupes (Ostrom, Carpenter,
Sedikides, & Li, 1993) ou qu’ils ont recours au contexte comparatif
interpersonnel pour juger les membres de l’endogroupe (Oakes, Haslam, &
Turner, 1994). Toutes ces explications ne permettent pas de justifier le fait
que l’homogénéisation de l’exogroupe ne se manifeste pas de manière
systématique. Pour dépasser ce problème et pour expliquer l’effet
d’homogénéisation de l’endogroupe également, certains auteurs se sont
intéressés aux variables structurelles des relations intergroupes. Une de ces
variables est la position que les groupes sont considérés occuper dans la
structure sociale, identifiée par leur statut perçu (Boldry, Gaertner, &
Quinn, 2007).
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2. Le rôle du statut perçu dans les relations entre
identité sociale et identité individuelle
Selon certains auteurs, lorsque les individus sont catégorisés dans
des groupes dichotomiques de statut asymétrique, les membres des groupes
de statut supérieur ont tendance à percevoir l’exogroupe comme plus
homogène que l’endogroupe, alors que les membres des groupes de statut
inférieur ont tendance à percevoir l’endogroupe comme plus homogène que
l’exogroupe (Deschamps, 1982 ; Deschamps & Devos, 1999 ; Lorenzi-
Cioldi, 1988 ; 1998; Lorenzi-Cioldi & Doise, 1994).
Plusieurs études ont confirmé que les membres des groupes de statut
supérieur (par exemple des managers) perçoivent l’exogroupe comme plus
homogène que l’endogroupe et que les membres du groupe de statut
inférieur (par exemple des ouvriers) perçoivent l’endogroupe comme plus
homogène que l’exogroupe (Guinote, Judd, & Brauer, 2002 ; Lorenzi-
Cioldi, Deaux, & Dafflon, 1998 ; Lorenzi-Cioldi, 1993 ; Lorenzi-Cioldi,
Eagly, & Stewart, 1995 ; Young, van Knippenberg, Ellemers, & de Vries,
1999). D’autres travaux ont mis en évidence l’effet attendu uniquement
dans le cas des membres des groupes de statut supérieur (Boldry & Kashy,
1999 ; Hewstone, Islam, & Judd, 1993). Dans d’autres cas,
l’homogénéisation de l’exogroupe se manifeste indépendamment du statut
des groupes en présence (Brauer, 2001). Malgré cette relative inconsistance,
plusieurs revues de la littérature ont confirmé le rôle du statut comme
modérateur de la perception de la variabilité intergroupes (Rubin,
Hewstone, Crisp, Voci, & Richards, 2004 ; Sedikides & Ostrom, 1993 ;
Voci, 2000). Une récente méta-analyse a mis en évidence les effets attendus
du statut sur la perception de la variabilité intragroupe, bien que ces effets
varient selon les mesures utilisées par les études (Boldry et al., 2007).
Pour organiser ces effets dans un cadre théorique unique, Lorenzi-
Cioldi (1988 ; 1998 ; 2002a) propose que les représentations mentales des
groupes de statut supérieur et des groupes de statut inférieur sont différentes
entre elles. Les sociétés occidentales valorisent l’autonomie, la liberté et
l’indépendance des individus (voir par exemple Markus & Kitayama, 1994 ;
Sampson, 1977) et l’accent sur l’indépendance individuelle y est devenue
une référence culturelle (Apfelbaum, 1979 ; Deschamps, 1982 ; Guillaumin,
1972). Puisque les membres de groupes de statut supérieur détiennent le
contrôle des ressources et des institutions de la société, ils définissent et
incarnent la référence culturelle, représenté par l’individu indépendant. Les
membres des groupes de statut inférieur, par contre, sont éloignés de la
référence culturelle (Lorenzi-Cioldi & Dafflon, 1998).
La distance différentielle entre le groupe d’appartenance et la
référence culturelle de l’individu indépendant sont intégrés dans l’image de
soi de l’individu et cette distance intervient dans le traitement de
l’information qui concerne les membres des groupes (voir par exemple
Breakwell, 1983 ; Lau, 1989 ; Rabbie & Horwitz, 1969 ; Sherif, 1966).
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