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I. Introduction
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est nécessaire d’expliciter différentes notions
telles que la notion de « groupe », de « relations intergroupes » et enfin de « discrimination ».
Qu’est-ce qu’un « groupe » ?
D’après Sherif et Sherif (1969), « ce qui distingue les groupes est leur caractère
structurel : les groupes sont des structures sociales, implicites ou formelles, c’est-à-dire que
les relations entre les personnes qui les composent sont organisées en rôles et en hiérarchies
de pouvoir et de statut ». Dans cette perspective, un très bon exemple est celui de la famille.
Un autre type de définition a été proposé par Tajfel (1981) et Turner et al. (1987).
Selon eux, « un groupe existe s’il y a des personnes conscientes d’en être membres ;
la présence de personnes conscientes d’appartenir à un groupe est donc la seule condition
nécessaire et la seule condition suffisante de la réalité d’un groupe ». Cette seconde
définition apparaît beaucoup plus simple et inclusive dans le sens où elle peut être prise en
compte pour des groupes de divers types.
A présent, que peut-on dire des « relations intergroupes » ?
Les relations sont fréquemment de type conflictuel et elles représentent donc un
problème du point de vue social, problème contre lequel il faudrait agir.
Les relations intergroupes sont soit des relations harmoniques, soit des relations
conflictuelles, et l’attention des chercheurs est portée sur le fait de trouver et de comprendre
les facteurs déterminant la qualité de ces relations.
A la suite de cette notion, plusieurs approches se sont développées, dans lesquelles
on peut retrouver la « Théorie des conflits réels » ainsi que la « Théorie de l’identité sociale ».
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Enfin, qu’est-ce que signifie le terme « discrimination » ?
« La discrimination est un comportement négatif envers des individus membres
d’un
exogroupe envers lequel nous entretenons des préjugés » (Dovidio et Gaertner, 1986).
Ou encore, la discrimination intergroupe correspond à « tout comportement qui dénie
à des individus ou à des groupes l’égalité de traitement qu’ils souhaiteraient »
(Allport, 1954).
Après avoir explicité ces quelques notions, il me reste à situer les théories qui
nous intéressent ici, à savoir la
« Théorie des conflits réels » ainsi que la
« Théorie de l’identité sociale ».
C’est au début des années 1960 que les notions de « préjugés », et surtout, dans le cas
qui nous intéresse ici, de « discrimination » ont été expliquées au niveau intergroupe.
Cette approche que l’on pourrait qualifier de sociale et psychologique, s’est notamment
retrouvée
dans
les
recherches
de
Sherif.
C’est
ce
dernier,
qui
a
fondé
la « Théorie des conflits réels » (Sherif et al., 1961 ; Sherif, 1966).
Tajfel, quant à lui, a proposé la « Théorie de l’identité sociale », en Europe durant
les années 1970. En fait, cette théorie explique la discrimination et la différenciation sociale
par l’intermédiaire de facteurs motivationnels et cognitifs (Tajfel et Turner, 1979, 1986)
2
II. Théorie des conflits réels
En
portant
simplement
notre
attention
sur
les
actualités
internationales,
on peut remarquer qu’une grande partie des conflits intergroupes sont alimentés par
la distribution des ressources telles que l’eau, le pétrole, le territoire, le pouvoir aussi bien
politique que militaire… .
D’une manière générale, selon la théorie des conflits réels de Sherif : « Les individus
et les groupes sociaux organisés sont des agents rationnels qui sont à la poursuite
de la maximisation de leurs bénéfices et de la minimisation de leurs coûts. S’ils acceptent
de participer à une action collective conflictuelle, la cause déterminante ne se situerait pas
dans leurs stéréotypes et leurs préjugés, mais dans leur conviction que les intérêts
de leur groupe sont menacés et qu’ils doivent agir en commun pour les protéger ».
En effet, selon cette théorie, « c’est la compétition produite par les conflits d’intérêts
qui engendre la stéréotypisation, et non l’inverse » (Sherif, 1966).
Sherif estime qu’il n’y aurait pas de conflit s’il n’y avait pas de compétition.
Par contre quand il y a compétition, elle peut engendrer certaines conséquences
psychologiques ayant même une durée importante dans le temps.
Parmi ces conséquences, on peut rencontrer le fait que les membres du groupe ressentent
une menace persistante vis-à-vis des intérêts de l’endogroupe, que ceux-ci ressentent aussi
une certaine agressivité ou opposition envers l’exogroupe. Ou encore, le fait que les membres
d’un groupe soient encore plus solidaires, et qu’ils renforcent les frontières intergroupes
tout en étendant les stéréotypes négatifs envers l’exogroupe.
Apparemment, la seule façon de résoudre ce conflit et de faire cesser ces conséquences
psychologiques, serait de créer ce que l’on appelle des « buts supraordonnés » c’est-à-dire qui
nécessitent que les deux groupes agissent ensemble pour les atteindre.
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La théorie des conflits réels a été confirmée par Sherif et ses collaborateurs grâce à une
étude longitudinale, menée sur le terrain et comportant trois expériences.
Pour ce faire, ils ont organisé des camps de vacances d’été dans le domaine
de la Grotte aux valeurs avec une vingtaine d’enfants sélectionnés de façon très délicate.
Tout cela pour éviter toute inférence due aux caractéristiques personnelles (de personnalité) et
également afin d’éviter que les enfants ne se connaissent avant de se retrouver aux camps de
vacances pour l’expérience.
Les critères de sélection étaient donc les suivants : les enfants devaient être âgés entre
11 et 12 ans, être de race blanche, provenir de familles protestantes de classe moyenne et
ils devaient également avoir un bon équilibre psychologique.
A quelques variantes prés, le déroulement des camps était le même à chaque fois et
comportait quatre phases principales.
La première phase consistait en la formation de liens interpersonnels de connaissance
et d’amitié entre les jeunes adolescents. A ce moment, les jeunes interagissaient librement
entre eux. Cette phase n’était présente que dans les deux premières expériences.
Pendant la deuxième phase, on assistait en la constitution de deux groupes aux
activités indépendantes. Ici, les jeunes adolescents étaient donc divisés en deux groupes
distincts. De plus, cette division a été effectuée en veillant bien à ce que les couples d’amis
qui s’étaient déjà constitués lors de la première phase soient séparés. Il n’y a que dans les
deux premières expériences que les enfants connaissaient l’existence de l’autre groupe, ce
simple renseignement a suffit pour engendrer un climat d’hostilité vis-à-vis de l’autre groupe.
Les activités organisées lors de cette phase ont fait qu’une structure interne hiérarchiquement
organisée et réglée par une série de normes comportementales s’est développée dans les deux
groupes.
Ensuite, la troisième phase consistait en un conflit objectif d’intérêts entre les groupes.
En fait, on invitait les deux groupes à se comparer à travers des jeux compétitifs qui menaient
à un groupe gagnant et à un groupe perdant. C’est alors à partir de cette phase que commence
une période d’interdépendance négative, c’est-à-dire le fait que les gains d’un groupe
représentent les pertes de l’autre groupe. Ceci a engendré une série de comportements hostiles
envers l’exogroupe avec la manifestation de biais pro-endogroupe. De plus, les
expérimentateurs ont remarqué une augmentation de la cohésion à l’intérieur des groupes et
un changement au point de vue du leadership, à savoir que celui-ci était assuré par les jeunes
adolescents les plus décidés et les plus agressifs.
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Enfin, la quatrième phase consistait en l’introduction de « buts supraordonnés » ,
c’est-à-dire de problèmes ne pouvant être résolus qu’à travers un effort commun des deux
groupes et donc qui ne pouvaient être atteints que par la collaboration de tous les jeunes. Un
exemple de « but supraordonné » peut être le fait que le camion qui amène l’eau au camp s’est
embourbé et qu’il faut les bras de tout le monde pour pouvoir le sortir de là. Le fait d’avoir
introduit ce genre de buts, à fait réapparaître les amitiés qui s’étaient fondées lors de la
première phase. De plus, les expérimentateurs ont pu constater une diminution de l’agressivité
envers l’exogroupe ainsi qu’une diminution du biais pro-endogroupe.
Les résultats de cette étude longitudinale sur le terrain montrent vraiment l’impact de
la compétition et de la coopération intergroupe sur la formation des préjugés, et surtout, dans
le cas qui nous intéresse ici, des comportements discriminatoires.
Comme l’indique l’énoncé, la théorie des conflits réels explique la discrimination
intergroupe par la structure d’interdépendance. Ce dernier terme nous amène alors à parler de
la « théorie des jeux », dans laquelle l’interdépendance est le concept central.
L’interdépendance est « un échange dans lequel nos résultats ne sont pas simplement
le produit de nos actions. Ils sont produits conjointement par nos actions et les actions de nos
partenaires. Nous entendons par résultats les bénéfices (résultats positifs) ou pertes (résultats
négatifs) associés à une interaction sociale. Ces résultats peuvent être définis matériellement
ou symboliquement (reconnaissance, statut) » (Deutsch, 1949 ; Thibaut et Kelley, 1959).
Les idées principales de la « théorie des jeux » ainsi que celles de la « théorie des
conflits réels » sont similaires. Ces deux théories avancent le postulat d’une motivation
rationnelle poussant les individus et les groupes non seulement à maximiser leurs intérêts
mais aussi à minimiser leurs coûts. Elles sont en accord sur le fait que la compétition est
inévitable quand l’interdépendance prend la forme d’un « jeu à somme nulle », ce qui signifie
qu’un groupe ne peut gagner qu’aux dépens de l’autre groupe. Un bon exemple de ce type de
situation peut être illustré par les compétitions sportives.
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Cependant, une remarque peut être émise sur le fait que la « théorie des jeux » postule,
en plus que la « théorie des conflits réels », l’idée de l’interdépendance à « motivations
mixtes ». Cette forme d’interdépendance laisse le choix, aux individus et aux groupes, soit de
la coopération, soit de la compétition.
On constate que le choix de la coopération n’est favorable que s’il est adopté par les deux
groupes. Tandis que le choix de la compétition n’est favorable que s’il est adopté uniquement
par un des deux groupes d’individus.
En général, selon la « théorie des jeux », les différentes parties choisissent le
comportement de compétition, car la communication est mauvaise entre les groupes et donc
chacun reste sur ses gardes et se prépare à une attaque éventuelle de la part de l’autre partie.
Donc, pour la « théorie des jeux », la résolution du conflit serait une histoire de
communication.
Après avoir développé la « théorie des conflits réels », il me paraît intéressant
d’énoncer les critiques élaborées à l’égard de Sherif.
En général, elles sont les suivantes :
-
D’après certains auteurs, dans les conflits entre groupes réels, la possibilité de faire
un compromis serait toujours là.
-
Dans la vie courante, on ne peut pas être sûr que les membres d’un groupe soient
automatiquement en accord sur certains objectifs.
-
Une autre critique suppose que les « buts supraordonnés » ne sont pas suffisants
pour réduire le conflit et les conséquences psychologiques qui en découlent, car ils
ne toucheraient pas le conflit d’intérêt original.
-
La poursuite des intérêts personnels n’est même pas émise dans la théorie de
Sherif, il ne spécifie aucunement les liens entre les intérêts personnels et les
intérêts du groupe.
-
Et enfin, on reproche à Sherif la généralisation des résultats sur la résolution du
conflit. Sherif n’a étudié ce propos que sur des groupes artificiels, dont les
caractéristiques sont différentes des groupes en situation concrète de conflit.
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III. Théorie de l’identité sociale
La « théorie de l’identité sociale » repose sur trois notions fondamentales, à savoir :
la catégorisation, l’identité et la comparaison.
Par leur théorie de l’identité sociale, Henri Tajfel et John Turner voulaient essayer
d’expliciter la nature des relations intergroupes qui influencent le comportement individuel.
C’est-à-dire de montrer que notre identité sociale est caractérisée, en dehors de notre
expérience ou histoire personnelle, par notre appartenance à des groupes sociaux.
D’après Tajfel et Turner, l’identité sociale est « la partie de soi qui provient de
la conscience qu’à l’individu d’appartenir à un groupe social (ou à des groupes sociaux),
ainsi que la valeur et la signification émotionnelle qu’il attache à cette appartenance ».
Tajfel et Turner vont également insister sur une autre notion, ils définissent un groupe
comme « un ensemble d’individus qui se perçoivent comme membres de la même catégorie
sociale, qui attachent une valeur émotionnelle à cette appartenance et qui sont parvenus à
un certain accord quant à l’évaluation du groupe et de l’appartenance à ce groupe ».
En fait, Tajfel revoit le problème porté sur le rapport groupe – individu pour lui
fournir une nouvelle solution. Pour lui, l’identité sociale représente la structure psychologique
faisant le lien individu – groupe et permettant la catégorisation.
Ce postulat permet de surmonter les insuffisances des interprétations individualistes.
En effet, premièrement la différenciation entre la perception de soi comme étant un individu
singulier ou comme étant un exemplaire de la catégorie peut montrer que le fonctionnement
psychologique est différent, selon que l’on soit au niveau individuel ou au niveau du groupe.
Deuxièmement, le postulat d’après lequel l’individu se définit comme étant membre du
groupe, que le groupe fait partie du « moi » et que l’identité sociale est partagée, peut
démontrer l’homogénéité qui caractérise les perceptions et les comportements de
catégorisation.
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Il est nécessaire de remarquer que la « théorie de l’identité sociale » porte surtout son
attention sur de vastes catégories, telles que les professions, les groupes nationaux ou
religieux. Et que dans le cadre de groupes réels, le fait que l’identité soit partagée signifierait
qu’il y ait connaissance des normes et des valeurs, que celle-ci soient partagées, qu’il y ait une
interprétation partagée du statut de l’endogroupe et de ceux des exogroupes, et qu’il y ait
également une perception partagée au point de vue des changements sociaux en cours et de
leurs causes.
Dans leur théorie, Tajfel et Turner ont distingué deux pôles pour définir les différentes
modalités d’interactions sociales.
Le premier pôle correspond à l’interaction interpersonnelle, où se situent les
interactions entre individus uniquement déterminées par les caractéristiques personnelles ou
individuelles de ceux-ci. Un exemple d’interaction au niveau de ce pôle peut être la relation
que partagent deux amis intimes.
En ce qui concerne le deuxième pôle, pôle intergroupe, on y trouvera les interactions
exclusivement influencées par les caractéristiques des groupes auxquels appartiennent
les protagonistes.
Il va de soi que le choix d’un pôle dépendra de manière assez importante du contexte.
Mais les interactions que l’on rencontre dans la vie courante sont souvent représentées par les
points intermédiaires, car elles sont autant modulées par les attributs personnels que par les
attributs catégoriels. Comme exemple de ce type d’interaction, on peut imaginer une
rencontre entre deux amis de nationalité différente.
Un autre continuum plutôt idéologique, en relation avec l’axe individuel – intergroupe,
a également été développé. Il est caractérisé par deux types de croyance.
Premièrement la croyance en la mobilité sociale, signifiant qu’il est possible de passer
individuellement d’un groupe à un autre dans la société. Ce qui veut dire que la société est
perçue comme perméable par l’individu.
Et deuxièmement la croyance dans le changement social, correspondant à l’opposé
de la première et signifiant qu’il est impossible de passer d’un groupe à un autre. Donc, dans
cette situation, ce serait le groupe dans son ensemble qui devrait lutter pour modifier les
relations intergroupes.
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On peut alors supposer que si un individu croit plus en la mobilité individuelle, il se
situera plus facilement au niveau du pôle individuel. Tandis que s’il croit plus au changement
social, alors il aura plus tendance à se situer au niveau du pôle intergroupe. Mais comme on
l’a déjà souligné, l’adoption d’un pôle dépend fortement du contexte et de la structuration
objective de la société.
Selon Tajfel et Turner, chaque individu voudrait jouir d’une estime de soi favorable.
Selon eux, les catégories sociales peuvent être évaluées soit positivement, soit négativement
et cette évaluation affecterait l’identité sociale. On pourrait donc avoir soit une identité sociale
positive, soit négative. Cette évaluation serait déterminée par la comparaison aux membres
d’autres groupes sur des dimensions valorisées. Le critère de valeur est relatif, l’endogroupe
sera considéré comme valorisant si il est perçu comme supérieur à l’exogroupe. Comme
l’identité sociale est une partie du soi, et vu ce que l’on vient de dire, on peut conclure que
chacun va chercher à développer une identité sociale positive pour ainsi augmenter l’estime
de soi, et ceci essentiellement quand on se situe pratiquement au niveau du pôle intergroupe.
Cependant, l’appartenance à des groupes non appréciés ou moins appréciés que
d’autres groupes provoque un malaise, voire une souffrance. On va donc essayer de modifier
la situation existante afin d’obtenir une image positive de soi. L’individu qui se trouve dans
cette situation va pouvoir recourir à différents types de stratégies, qui sont soit individuelles,
et dont la seule finalité est de valoriser l’estime de soi individuelle, soit collectives, et dont la
finalité est de valoriser l’image du groupe et donc l’identité sociale.
Généralement, on opte pour les stratégies individuelles quand la situation intergroupe
est perçue comme stable et légitime. Ces stratégies consistent à quitter le groupe
d’appartenance contribuant négativement à l’identité sociale, pour s’identifier à un groupe
plus prestigieux. Mais cette stratégie individuelle n’est possible que si le groupe supérieur
accepte cette nouvelle personne. Malheureusement, dans certains cas, comme par exemple
quand la stratification sociale est extrêmement marquée ou pour de multiples autres raisons,
il est impossible de changer de groupe.
Une autre stratégie individuelle consiste à améliorer son estime de soi en se comparant
à d’autres individus moins avantagés sur certains points de comparaison. Cette stratégie
permet à l’individu de rehausser son identité personnelle sans pour autant rendre
les caractéristiques de l’endogroupe plus positives.
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Il est nécessaire de noter que l’option de ces stratégies individuelles ne remet
aucunement en cause les caractéristiques de la relation intergroupe et permet au groupe
« supérieur » de le rester.
Par contre, quand le changement de groupe est impossible, on va adopter des stratégies
collectives qui sont de deux types. En général, on adopte ce type de stratégie quand la relation
intergroupe est perçue comme étant plus ou moins instable et illégitime.
La première stratégie collective que l’on peut développer est celle de la créativité
sociale, permettant aux individus de réinterpréter positivement les caractéristiques de
l’endogroupe, ou encore de créer une nouvelle dimension de comparaison qui soit plus
favorable à l’endogroupe.
La seconde stratégie collective est celle de la compétition sociale, qui permet de
différencier positivement l’endogroupe par rapport à l’exogroupe. Une bonne illustration de
cette stratégie serait présente dans le paradigme des groupes minimaux.
Selon Tajfel, la simple catégorisation, différenciation en « eux » et « nous » suffit pour
voir apparaître la création de groupes. Il va alors chercher les conditions les plus minimales
qui susciteraient la discrimination. Pour ce faire, Tajfel et ses collaborateurs ont développé le
« paradigme des groupes minimaux » qui consiste en une situation expérimentale dans
laquelle on divise les sujets en deux groupes sur base de caractéristiques totalement
arbitraires. Ces sujets sont amenés à répartir des ressources pécuniaires entre des individus
membres de l’endogroupe et membres de l’exogroupe. On peut résumer la situation
expérimentale de ce paradigme de la manière suivante :
1. On crée deux groupes à partir d’une répartition arbitraire.
2. Il n’existe aucune histoire de conflits d’intérêts ou de compétition intergroupe
entre les deux groupes. Ils n’ont été formés que pour les besoins de l’expérience.
3. L’anonymat des sujets est complet, que ce soit sur le plan individuel ou au niveau
de l’appartenance à un groupe. Ceci permet d’éliminer les effets possibles
d’affinités interpersonnelles ou de conflits de personnalités préalables.
4. Il n’y a eu aucune interaction sociale entre les participants, ni entre les membres
de l’endogroupe, ni avec les membres de l’exogroupe. Ceci afin d’éliminer le
développement d’incompatibilités interpersonnelles ou intergroupes.
5. Il n’y a aucun lien instrumental entre les réponses des sujets et leur intérêt propre,
car le sujet ne se réparti jamais de ressources personnellement.
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Les résultats de cette situation expérimentale montrent que même dans une situation
aussi artificielle, les sujets ont tendance à donner plus de récompenses aux membres de leur
groupe qu’à ceux de l’exogroupe, alors qu’ils ne retirent aucun intérêt personnel à agir de la
sorte.
Tajfel et ses collègues ont donc pu constater que la simple représentation d’un
environnement social composé uniquement de deux catégories, « eux » et « nous », est
suffisante pour engendrer des comportements discriminatoires. Et que généralement cette
situation provoque également un biais pro-endogroupe, car les sujets distribuent plus de
ressources aux membres de l’endogroupe qu’aux membres de l’exogroupe.
La théorie de l’identité sociale explique la discrimination intergroupe par l’action
combinée de dynamiques cognitives et motivationnelles.
Tout d’abord, les mécanismes cognitifs de la catégorisation sociale permettent
d’organiser, de classifier la réalité de l’environnement social des individus entre ceux
appartenant à l’endogroupe et ceux appartenant à l’exogroupe. Selon Tajfel, la catégorisation
renvoie « aux processus psychologiques qui tendent à ordonner l’environnement en terme de
catégories : groupe de personnes, d’objets, d’évènements en tant qu’ils sont soit semblables
soit équivalent les uns aux autres pour l’action, les intentions ou les attitudes d’un sujet ».
Selon le modèle de la différenciation catégorielle, l’accentuation des similitudes
intragroupes et des différenciations intergroupes, à partir de la catégorisation, fait que les
sujets se perçoivent comme étant semblables aux membres de l’endogroupe et différents de
ceux de l’exogroupe. Cette différenciation entre les groupes provoquerait des différenciations
correspondantes au point de vue des évaluations intergroupes et des comportements
discriminatoires. C’est pourquoi, dans le paradigme des groupes minimaux, les sujets
répartissaient
plus de ressources aux membres de l’endogroupe, pour le rendre le plus
différent possible de l’exogroupe.
Selon la théorie de l’identité sociale, l’activation ou la saillance de la catégorisation
sociale a des effets motivationnels.
Ces effets viendraient du fait que la catégorisation sociale implique le concept de soi, et donc
l’identité du catégorisateur.
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En fait, cette motivation identitaire fait que l’on a tendance à différencier les deux groupes, en
ce sens que l’endogroupe soit favoriser par rapport à l’exogroupe, c’est ce que l’on appelle le
phénomène du biais pro-endogroupe.
Le désir de différencier positivement l’endogroupe par rapport à l’exogroupe est à
l’origine des préjugés et de la discrimination que ce soit dans la situation des groupes
minimaux ou dans les relations intergroupes de la vie quotidienne.
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IV. Différences entre les deux théories
Ces deux approches théoriques partent de postulats différents à propos
des mécanismes qui précèdent au conflit intergroupe.
En ce qui concerne la théorie des conflits réels de Sherif, elle propose que les conflits
sont généralement déterminés par des facteurs rationnels, comme par exemple la poursuite
d’intérêts matériels ou de ressources limitées. Donc pour Sherif, la catégorisation sociale
n’apparaîtrait qu’à partir du moment où l’on a des intérêts au niveau des ressources (limitées)
partagées entre les groupes.
Par contre, la théorie de l’identité sociale met plus en évidence la primauté des besoins
affectifs, émotionnels ou symboliques se manifestant alors dans des sentiments d’attachement
et d’identification. Et donc, Tajfel et Turner avancent l’idée que la catégorisation sociale
« eux » - « nous » est suffisante pour entraîner les préjugés et la discrimination, même s’il n’y
a pas de conflits réels entre les groupes.
Une autre différenciation entre ces théories peut être faite au point de vue de la
résolution du problème de discrimination.
Pour Sherif, l’introduction de buts communs, « buts supraordonnés », suffit pour
résoudre le conflit et faire cesser les effets des conséquences psychologiques provoquées par
ce conflit.
Pour la théorie de l’identité sociale, c’est la décatégorisation qui serait nécessaire pour
l’élimination du biais pro-endogroupe (du à la catégorisation). Et toujours pour Tajfel et
Turner, la résolution du conflit serait possible grâce à la reconnaissance des distinctions au
point de vue de l’identité.
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V.
L’intégration des deux théories
En effet, on peut dire qu’il est possible d’intégrer ces deux théories.
La théorie de Sherif et celle de Tajfel sont très importantes et en plus elles sont
complémentaires. Car les conflits intergroupes peuvent soit être déterminés par des facteurs
matériels, réels, soit par des facteurs psychologiques.
Donc, l’intégration serait représentée par le fait que les ressources matérielles, réelles
constitueraient une valeur et que par le mécanisme de comparaisons intergroupes
elles influenceraient l’identité sociale.
Les ressources matérielles ne seraient considérées comme déterminantes du conflit
uniquement si elles permettent à l’endogroupe de ce sentir valoriser par rapport à l’exogroupe,
donc dans le cas où elles seraient bénéfiques pour l’identité sociale de chaque membre du
groupe.
Les ressources limitées ou les biens matériels de Sherif constitueraient les sources,
l’origine du conflit intergroupe, et quant à lui, le mécanisme de comparaison de Tajfel
et Turner correspondrait au mécanisme principal, au « déroulement » du conflit intergroupe.
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VI. Bibliographie
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intergroupes. (Ed. Dunod), Paris.
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relations intergroupes. Bruxelles, Mardaga.
3.
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L’identité sociale. PUG.
4.
Leyens, J.-P. et Yzerbyt, V. (1997). Psychologie sociale. Sprimont,
Mardaga.
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