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L’Encéphale, 2007 ; 33 : Octobre, cahier 2
Symptômes résiduels et risques de récidives dépressives
S. BISMUTH (1)
(1) Médecin généraliste, Maître de Conférence, 31500 Toulouse.
Un patient de 28 ans, consulte en novembre 2005
pour une réactivation de troubles phobiques, après un
arrêt brutal de son traitement antidépresseur au mois
de septembre 2005.
Son histoire commence une dizaine de mois aupa-
ravant par des crises d’angoisse : la veille de la pre-
mière consultation, il a dû quitter son lieu de travail.
Il y avait déjà eu des consultations et des tentatives
de traitement, mais avec une mauvaise observance,
et son état s’était dégradé. Son amie l’accompagne,
c’est elle qui l’a décidé à consulter.
Sur le plan sémiologique, il décrit des troubles du
sommeil, une fatigue, une anxiété majeure avec des cri-
ses de panique, et une dévalorisation de lui-même avec
une certaine culpabilisation. Il est impatient, ne tient pas
en place sur sa chaise, a mal supporté l’attente dans
la salle d’attente. Il n’a aucun antécédent somatique.
La symptomatologie semble remonter au décès de sa
mère, avec laquelle il vivait, d’un cancer du côlon en
1997. D’après l’interrogatoire, les parents se sont sépa-
rés quand il était jeune, et il était donc très proche de sa
mère. La relation avec le père s’est améliorée au cours
du traitement, mais elle n’est pas très bonne.
La prescription initiale comporte des anxiolytiques
à la demande, et la mise en route d’un traitement an-
tidépresseur. Le patient est préparé à l’idée qu’il fau-
dra sans doute recourir à un psychiatre, et un nouveau
rendez-vous est donné 15 jours plus tard pour évaluer
le traitement. Lors de ce rendez-vous, la posologie de
l’antidépresseur est augmentée. Le rendez-vous spé-
cialisé est programmé, avec un psychiatre choisi par le
patient. Celui-ci reprend le travail après un mois, avec
une prise quotidienne d’antidépresseur, et un anxio-
lytique à la demande qu’il ne prend que trois à quatre
fois par mois.
Trois mois plus tard, en juin 2005, il revient en
consultation de médecine générale, avec quelques
symptômes de type phobique et une asthénie mati-
nale, mais il se sent bien. Après avoir repris son ancien
travail, il avait été licencié en mai, et a retrouvé depuis
un nouveau travail. Il ne prend quasiment plus d’anxio-
lytique, même s’il a toujours la boîte dans sa poche. Il
voit le psychiatre tous les mois.
En octobre, il revient en consultation et explique
qu’il n’a pas eu envie de poursuivre le traitement et
n’est donc pas allé chercher le dernier renouvellement
d’ordonnance ; il explique que la prise occasionnelle
de benzodiazépines lui permettait de « tenir le coup ».
Malgré un certain déni de sa maladie, il reconnaît qu’il
était un peu anxieux, un peu surexcité, qu’il était irrita-
ble, mettant cela sur le compte du nouveau travail qu’il
avait débuté peu de temps auparavant. Il n’avait pas
signalé au psychiatre qu’il avait arrêté l’antidépresseur.
Cependant, par la suite, il s’est rendu à la pharmacie
se faire avancer l’antidépresseur, et est venu consul-
ter « en catastrophe » le généraliste, parce qu’il sentait
qu’il n’allait pas bien, et se souvenait qu’il avait été
amélioré par le traitement.
Malgré la permanence de signes résiduels à type d’ir-
ritabilité et de tension psychique, ce patient a donc ces-
sé brutalement son traitement antidépresseur, espérant
que les anxiolytiques seraient suffi sants pour « passer le
cap » du début de son nouveau travail. On peut penser
que s’il en avait parlé à un médecin, celui-ci lui aurait
déconseillé d’arrêter les antidépresseurs, en mettant en
évidence les petits symptômes qu’il ressentait. Ainsi, l’ar-
rêt des antidépresseurs dans le cadre d’une dépression
avec symptômes résiduels est à éviter et mérite une éva-
luation clinique préalable ainsi qu’un accompagnement
spécifi que (1).