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La dépression : des pratiques aux théories 10
Cas clinique
J. Amic
94250 Gentilly
Madame B est vue pour la première
fois en consultation de psychiatrie
adressée par son généraliste pour
avis et prise en charge à la suite
d’une mammectomie droite pour
carcinome canalaire infiltrant.
Elle est âgée de cinquante ans, aînée
d’une fratrie de deux ; elle a une
bonne entente avec sa sœur âgée de
quarante-huit ans qui vit en province.
Elle est mariée, son mari ingénieur
informaticien dans une société pétrochimique voyage régulièrement ; il
existe une très bonne relation conjugale. Elle a deux filles de vingt-trois
et dix-neuf ans qui font des études
supérieures. Les parents retraités
âgés de quatre-vingts ans vivent autonomes en province et entretiennent avec elle de très bons rapports.
l’oblige à quitter la province pour Paris ; elle dit elle-même avoir bien surmonté cette période d’adaptation
malgré l’éloignement de ses proches
et les absences de plus en plus fréquentes de son mari pour causes professionnelles ; elle s’investit alors
dans différentes associations (parents
d’élèves, artisanat, sports). À trenteneuf ans elle reprend un travail de secrétariat médical à l’Assistance publique ; elle est en médecine avec une
charge de travail importante au sein
d’une équipe qu’elle apprécie.
ATCD médicaux personnels
Elle est ménopausée sans traitement
substitutif du fait du cancer du sein.
ATCD psychiatriques personnels
BIOGRAPHIE
Elle naît en province. Après le baccalauréat, comme elle le désirait, elle
passe un concours pour être secrétaire médicale à l’hôpital public,
concours qu’elle réussit et commence à travailler ; elle se marie à vingtcinq ans, a deux enfants ; à la naissance du second elle a alors trente et
un ans, elle arrête de travailler ; la situation professionnelle de son mari
Conflit d’intérêt : aucun.
© L’Encéphale, Paris, 2008. Tous droits réservés.
On ne retrouve aucun antécédent ni
de trait de personnalité pathologique.
ATCD familiaux
Néant.
HISTOIRE DE LA MALADIE
À cinquante ans suite à un écoulement mammaire droit un bilan est
fait qui conclut à un carcinome canalaire infiltrant.
Un mois après elle subit une mammectomie droite avec curage
axillaire ; l’analyse anatomopathologique ganglionnaire ne retrouvant
pas de cellules cancéreuses, il n’y a
pas d’indication de traitement chimiothérapique ni radiothérapique ;
une surveillance est prévue tous les
six mois ; une reprise de travail à mitemps thérapeutique, avec son accord, est envisagé deux mois après
l’intervention.
C’est alors, sur l’insistance de son
généraliste, que la patiente consulte
en psychiatrie ; elle a un discours banalisant concernant une asthénie,
une fatigabilité, le fait qu’elle n’a pas
repris comme prévu ses loisirs habituels (peinture sur soie, encadrement, sports), des obsessions idéatives sur la véracité du bon pronostic
de son cancer du sein et les idées
noires qu’elles engendrent ; les trois
milligrammes de bromazépam au
coucher prescrits par le généraliste
corrigent des réveils nocturnes fréquents ; tout l’entretien est marqué
par l’incompréhension qu’elle exprime à plusieurs reprises quand à la
survenue de ces symptômes alors
qu’elle ne doute pas en réalité du bon
pronostic de la maladie cancéreuse.
La dépression : des pratiques aux théories 10
J. Amic
Sur l’examen clinique et le courrier
du généraliste on peut évoquer des
troubles psychiques mineurs d’un
trouble dépressif. Devant la réticence
de la patiente à prendre un traitement antidépresseur on convient
d’un suivi et de la poursuite des trois
milligrammes de bromazépam.
La reprise de travail à mi-temps thérapeutique met, alors, à jour une
symptomatologie plus franche dépressive avec tristesse, pleurs, souffrance psychique, fatigue généralisée, irritabilité, anxiété exacerbée
avec cancérophobie. Avec l’aide du
médecin du travail la patiente accepte une mise sous traitement antidépresseur (vingt milligrammes de citalopram) et une prolongation du
mi-temps thérapeutique refusant
tout arrêt de travail complet.
Dans les délais habituels, la symptomatologie s’amende ; six mois après
le début du traitement antidépresseur on peut parler de guérison de
S 46
L’Encéphale (2008) Hors-série 3, S45-S46
l’épisode dépressif ; la patiente reconnaît les troubles dont elle a souffert tout en restant perplexe quant à
leur survenue ; elle reprend alors son
travail à temps plein.
Elle va subir un problème de travail
grave (harcèlement par un supérieur
hiérarchique), la disparition d’une
amie d’un cancer pulmonaire, sans
aucun problème. Sur le plan organique, le bilan de son cancer est bon ;
il lui est demandé de réfléchir à une
reconstruction mammaire. Le traitement antidépresseur est conservé le
temps que soient réglés les problèmes
de travail pour être arrêté un an et
demi après l’institution ; on convient
alors d’un suivi tous les deux mois.
Trois ans après ce premier épisode
dépressif, elle consulte pour des douleurs dorsales dont le bilan organique
s’avère négatif ; ces douleurs s’accompagnent d’asthénie, de fatigabilité, d’anxiété, d’irritabilité ; lorsqu’on
évoque une rechute dépressive, la
patiente s’indigne, refuse d’y croire
tout en affirmant sa confiance au
thérapeute, puis accepte de reprendre un traitement antidépresseur ; au bout de six semaines de dix
milligrammes d’escitalopram elle est
rétablie ; le traitement est interrompu au bout de neuf mois ; au niveau
cancéreux elle est considérée en rémission.
Huit ans après le premier épisode et
cinq ans après le second la patiente
consulte à nouveau pour céphalées,
trouble du caractère avec irritabilité,
exacerbation de l’émotivité, trouble
du sommeil touchant l’endormissement avec réveil précoce, pessimisme de l’avenir, anorexie avec perte
de poids de six kilos. Elle est remise
sous antidépresseur ; les troubles
s’amendent dans un délai plus long
que les deux premiers épisodes, cet
allongement du délai renforçant son
doute et sa perplexité quant à la réalité de la maladie dépressive.
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