Pharmacologie des agents de la sédation et de l`analgésie en

Pharmacologie des agents
de la sédation et de l’analgésie
en réanimation
M. Biais, F. Lagneau et F. Sztark
La sédation-analgésie en réanimation fait appel à diérents moyens médica-
menteux ou non. Les moyens médicamenteux correspondent aux agents déjà
utilisés en anesthésie et reposent sur l’association classique d’un hypnotique et
d’un morphinique.
Les objectifs de sédation et d’anxiolyse sont assurés par les agents hypno-
tiques intraveineux. L’antinociception repose sur l’utilisation des analgé-
siques (opiacés). Les principaux agents utilisés en Europe sont le midazolam
et le propofol pour les hypnotiques, la morphine, le fentanyl et le sufentanil
pour les analgésiques (1). Le rémifentanil a obtenu une autorisation de mise
sur le marché (AMM) pour son utilisation en réanimation, ce qui a per-
mis de développer le concept de sédation fondée sur l’analgésie. Enn, les
anesthésiques volatils, comme le sévourane, commencent à être évalués en
réanimation, grâce au développement de systèmes d’administration adaptés
à ce contexte.
Les moyens de la sédation-analgésie en réanimation et les propriétés pharma-
cologiques des diérents agents ont fait l’objet de «Recommandations pour la
pratique clinique» en 1999 et de l’élaboration d’une conférence de consensus
(SFAR-SRLF) en 2007 (2-4). Les nouveautés concernant les modes d’admi-
nistration et le choix des médicaments de la sédation et de l’analgésie seront
abordées dans ce chapitre.
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Quels agents hypnotiques pour la sédation
en réanimation?
Propofol et midazolam
En France, les agents hypnotiques les plus utilisés pour la sédation en réanima-
tion sont le midazolam (65-70%) et le propofol (20%) (5).
Deux méta-analyses ont fait le point concernant les propriétés du propofol et
du midazolam en réanimation (6, 7). Ces deux agents procurent une sédation
de qualité comparable, avec un bénéce en faveur du propofol en termes de
réduction de durée de VM. Cet avantage reste limité (diérence de quelques
heures seulement) dans le cadre d’une sédation de courte durée (< 48h), mais
devient cliniquement signicatif pour des sédations prolongées. Dans l’étude de
Hall et al. (8), la diérence de délais entre l’arrêt de la sédation et l’extubation
était de plus de 30 heures en faveur du groupe de patients recevant du propofol.
Cela peut notamment s’expliquer par une accumulation importante de mida-
zolam après plusieurs jours de perfusion. Ces résultats doivent cependant être
nuancés, car des protocoles d’administration optimisée peuvent réduire voire
supprimer les diérences observées entre ces deux agents. Ainsi, dans l’étude de
Kress et al. (9), l’utilisation d’un algorithme d’interruption quotidienne de la
sédation avec un objectif de score de Ramsay à 3-4 supprimait toute diérence
de durée de VM entre les deux agents. La mise en place d’algorithmes de séda-
tion dans un service de réanimation doit permettre d’éviter les surdosages et les
accumulations de ces agents, ce qui limite les avantages cinétiques du propofol
en administration prolongée.
La modélisation pharmacocinétique conrme que la décroissance des concen-
trations à l’arrêt de la perfusion et donc du délai de réveil varie en fonction des
conditions d’administration du propofol ou du midazolam: plus la durée de
perfusion est longue et plus les concentrations plasmatiques sont élevées, plus
le délai de réveil augmente (10, 11). La sédation à objectif de concentration
(SIVOC) est encore très peu étudiée en réanimation; elle pourrait permettre,
comme en anesthésie, de réaliser plus facilement une titration individuelle en
adaptant plus précisément les concentrations d’hypnotiques au niveau de séda-
tion désiré et d’anticiper l’arrêt de la sédation par le calcul continu du temps
de décroissance, qui est fonction de la demi-vie contextuelle de la molécule.
Une étude conrme la faisabilité de cette méthode avec le propofol (12); les
concentrations plasmatiques cibles de propofol variaient entre 0,2 et 2μg/ml.
Cependant, la principale limite vient de l’absence de modèles pharmacociné-
tiques adaptés à la perfusion prolongée en réanimation, car les conditions phy-
siologiques du patient sont rarement stables (variations du débit cardiaque, de
la volémie, de la fonction rénale…).
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Autres agents de sédation
D’autres agents hypnotiques ou sédatifs peuvent être utilisés; c’est le cas du
pentobarbital, de la kétamine, de l’halopéridol ou des alpha2-agonistes (5).
Le pentobarbital a des indications spéciques en neuroréanimation, en particu-
lier dans les cas d’HTIC réfractaire.
La kétamine peut être utilisée comme agent hypnotique et analgésique en réa-
nimation. Son utilisation serait associée à une réduction des posologies néces-
saires en opiacés (13).
Les neuroleptiques comme l’halopéridol sont les agents habituellement utilisés
pour le traitement des états confusionnels aigus en réanimation ou delirium. La
prévention et le traitement rapide de ces états sont des objectifs thérapeutiques
importants, car l’apparition d’un syndrome confusionnel aigu est un facteur de
risque indépendant d’allongement de la durée d’hospitalisation et de mortalité
en réanimation (14).
Parmi les agonistes alpha2-adrénergiques, la dexmédétomidine semble être
un agent prometteur (15-17). Son anité est huit fois plus élevée pour les
récepteurs alpha2-adrénergiques que celle de la clonidine. Elle présente des
propriétés sédatives et analgésiques permettant de réduire les consommations
d’hypnotiques et d’opiacés; elle pourrait être intéressante dans la prévention ou
le traitement des états confusionnels aigus ou de sevrage en réanimation. Ce-
pendant, des travaux complémentaires sont encore nécessaires pour préciser son
intérêt et ses indications en réanimation (18). Aux États-Unis, la Food and Drug
Administration (FDA) a autorisé son utilisation pour des sédations inférieures à
24 heures; en Europe, ce produit n’a pas d’AMM.
Les agents halogénés sont également potentiellement intéressants en réanimation
compte tenu de leur prol pharmacocinétique qui doit permettre d’assurer un ré-
veil rapide même après des sédations prolongées. La mise à disposition de dispo-
sitifs d’administration directe d’halogénés tels que l’AnaConDa permet l’utilisa-
tion d’agents anesthésiques halogénés tels que l’isourane ou le sévourane pour
la sédation en réanimation (19, 20). Cependant, les conditions d’utilisation de tels
dispositifs doivent être encore précisées (21). Des études de tolérance après admi-
nistration prolongée d’halogénés et de comparaison avec les agents intraveineux
sont nécessaires pour préciser la place éventuelle des agents volatils en réanimation.
Effets indésirables des hypnotiques
en réanimation
Les épisodes d’hypotension artérielle associés à la perfusion d’un hypno-
tique sont fréquents, mais sont en règle générale facilement contrôlables par
l’adaptation progressive du débit de perfusion, le contrôle de la volémie et
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l’utilisation d’agents vaso-actifs. Cette instabilité hémodynamique est plus
fréquemment observée avec le propofol qu’avec le midazolam (7). Les eets
indésirables du midazolam sont limités et correspondent essentiellement au
retard de réveil en cas de perfusion prolongée à forte concentration ou en cas
d’insusance rénale par défaut d’élimination du principal métabolite actif, le
1-hydroxymidazolam (22).
En revanche, plusieurs eets indésirables spéciques au propofol ont été dé-
crits. Ils peuvent être liés soit à la molécule de propofol elle-même et c’est pro-
bablement le cas du PRIS, soit au solvant lipidique qui véhicule le propofol
pour les cas d’hypertriglycéridémie ou le risque infectieux.
Le propofol infusion syndrome
Le PRIS est une complication rare, mais souvent fatale décrite au cours de
sédation prolongée avec le propofol (23). Le PRIS a été initialement observé
chez des enfants en réanimation recevant une perfusion de propofol à des
doses élevées (> 4 mg/kg/h) pendant plus de 48 heures (24). Ce syndrome
associe une défaillance cardiaque avec des troubles du rythme, une acidose
métabolique, une rhabdomyolyse et une insusance rénale aiguë. L’accumu-
lation extracellulaire d’acides gras libres favoriserait la survenue d’arythmie,
et l’altération du métabolisme énergétique mitochondrial contribuerait à la
défaillance cardiaque et à la rhabdomyolyse responsables d’acidose et d’insuf-
sance rénale (25).
Le PRIS pourrait expliquer 70% des décès en pédiatrie et au moins 30% des
décès chez l’adulte en rapport avec l’utilisation de propofol pour une sédation
de longue durée (26).
Il n’existe aucun traitement spécique de ce syndrome. L’hémoltration conti-
nue débutée précocement semble être ecace; un système d’oxygénation extra-
corporelle (ECMO) a été utilisé avec succès au cours du PRIS chez un enfant
en état de choc cardiogénique (27). La grande fréquence de ce syndrome chez
les patients cérébrolésés a conseillé à limiter son utilisation et à en réduire la
posologie.
Il en est de même pour les patients présentant un syndrome inammatoire avec
réponse systémique (SIRS) à ou une défaillance multiviscérale. Dans les cas où
l’administration de propofol est nécessaire, il convient de surveiller régulière-
ment le statut acidobasique, la troponine I, la créatine kinase et la myoglobine
(25). Chez l’enfant, quel que soit le tableau clinique, la perfusion de propofol
pour la sédation au long cours en réanimation n’est pas recommandée. Il en
est de même pour les sujets à risque comme les patients présentant un décit
acquis en carnitine (28).
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Complications liées au solvant du propofol
Hypertriglycéridémie
Le propofol est un composé phénolique très liposoluble. Il est présenté en so-
lution dans une émulsion lipidique à 10% (triglycérides à longue chaîne du
type huile de soja pour le Diprivan). Un millilitre (1 ml) de propofol contient
0,1 g de lipides.
La sédation en réanimation, pour une durée inférieure à 72 heures avec du
propofol, n’est pas corrélée à une augmentation signicative de la triglycé-
ridémie (29, 30). En revanche, au-delà de 72 heures, on observe fréquem-
ment une hypertriglycéridémie (31, 32). Pour une durée de sédation de plus
de 7 jours, l’élévation de la concentration plasmatique de triglycérides
serait d’environ quatre fois la normale (32, 33). Barrientos-Vega et al., dans
une étude prospective randomisée comparant midazolam et propofol 1%,
relèvent 20% d’hypertriglycéridémie (> 500mg/dl) dans le groupe traité
par propofol pour une durée moyenne de sédation de 140heures (6 jours
environ) (31). La normalisation de la triglycéridémie était obtenue dans les
72heures après l’arrêt du traitement.
L’hypertriglycéridémie est habituellement expliquée par la surcharge en lipides.
Cependant, la quantité de lipides perfusée avec le propofol est habituellement
inférieure aux doses recommandées en nutrition parentérale (34). De même,
si l’hypertriglycéridémie est observée le plus souvent pour des doses élevées
de propofol, elle n’est pas directement corrélée à la quantité totale de lipides
perfusés (31, 35). D’autres mécanismes pourraient expliquer les anomalies
lipidiques observées : eets du propofol sur le métabolisme des acides gras,
rôles des protéines inammatoires, altérations métaboliques chez le patient de
réanimation (30). Les conséquences cliniques de l’hypertriglycéridémie sont
discutées: pancréatite aiguë (36, 37), retard de réveil, coagulopathie (30, 32)
ou insusance respiratoire (38).
L’utilisation du propofol 2% permet de limiter l’élévation des triglycérides. Ainsi
McLeod et al. ont montré que l’augmentation de la concentration de triglycérides
reste modérée après une perfusion de propofol 2% pendant 50 heures chez le
patient polytraumatisé (30). En réanimation polyvalente, Barrientos-Vega et al.
ont observé une augmentation de la triglycéridémie chez 4% des patients dans
le groupe propofol 2% vs 20% dans le groupe propofol 1% après une durée
moyenne de sédation de 122 heures (39). Après une sédation de 48 heures, San-
diumenge et al. ont rapporté une élévation signicative de la triglycéridémie dans
le groupe propofol 2% par rapport au groupe midazolam, mais cette élévation
était moins importante que celle observée avec le propofol 1% (40).
De nouvelles formulations de propofol ont été proposées pour réduire le risque
d’hypertriglycéridémie. En particulier, une émulsion contenant non seulement
des triglycérides à longue chaîne, mais des triglycérides à chaîne moyenne
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