1 Liberté de conscience, clause de conscience. Lossignol DA, Chef

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Liberté de conscience, clause de conscience.
Lossignol DA,
Chef de clinique, Service des soins supportifs et palliatifs
Institut Jules Bordet, ULB
1000 Bruxelles, Belgique
02/541 33 32
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Introduction
Dans ce qui va suivre, nous nous proposons d’aborder la question de la clause de
conscience dans le cadre de la loi belge dépénalisant l’euthanasie sous conditions.
Seront considérées successivement son expression au niveau individuel ainsi que
son application possible dans un cadre institutionnel. Les implications sur le terrain
seront également abordées. En particulier, nous essaierons de montrer que
l’application d’une clause de conscience institutionnelle ne peut s’inscrire dans le
cadre d’un état de droit.
Les prémisses
L’Avis N° 1 rendu par le Comité Consultatif de Bioéthique de Belgique (CCBB) a
démontré qu’il était possible d’adopter différentes positions concernant un sujet
éthique sensible comme la pratique de l’euthanasie, tout en préservant les
conceptions philosophiques de chacun en matière de fin de vie et qui, cela ne fait
aucun doute, sont fondamentalement divergentes. Cela étant, il n’y avait évidemment
pas de position définitivement tranchée de la part du CCBB (et ce n’est pas ce qui
lui était demandé) et la décision finale incombait au législateur. Il est intéressant de
relever que c’est la deuxième proposition qui a été retenue et qui évoquait une
régulation « procédurale » a posteriori de l’euthanasie décidée au préalable en
colloque singulier. Cette volonté de régulation a posteriori évacue le risque d’une
« tribunalisation » de la demande étant donné qu’en fin de compte, c’est la décision
prise par le patient et son médecin qui est et restera souveraine. Elle n’impose pas
d’associer une tierce personne dans le processus, si ce n’est que le patient peut
informer les personnes de son choix de sa décision. Cela n’évacue pas non plus le
fait que le médecin informera l’équipe soignante de la procédure, mais celle-ci n’est
pas en principe partie prenante de la décision et ne peut pas aller à l’encontre des
volontés du patient1. Notons que la proposition N° 3 faisait état d’une régulation
« procédurale » a priori nécessitant l’avis préalable de tierces personnes et aurait
évité, selon ses défenseurs, « l’arbitraire médical » (nous soulignons) et « objectivé
l’état de nécessité ». Pour les partisans de la proposition N°2, celle-ci préservait les
valeurs d’autonomie et de dialogue, garanties par le colloque singulier de la relation
1Notons que s’il n’y a pas de controle juridique a priori, le “contrôle” éthique, social et moral est effectif de par
le fait même de la transparence de la procédure en amont.
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médecin-malade. Tout comme la proposition N° 3, elle maintient l’interdit de meurtre.
Il n’est cependant pas inutile de rappeler qu’avant toute législation en la matière, le
geste euthanasique était juridiquement qualifié d’assassinat (meurtre avec
préméditation2) et le médecin passible des assises, ce qui ne pouvait que museler
tout débat ou du moins réfréner les prises de position publiques favorables à
l’euthanasie. Nous pouvons dire que la proposition N°2 impose un « contrôle moral »
a priori et un contrôle juridique a posteriori.
Au-delà des conditions légales requises qui précisent que « Le médecin qui pratique
une euthanasie ne commet pas d’infraction s’il s’est assuré que (suivent toutes les
conditions requises) :… » (Chapitre II, Art 3, §1er), ce texte est on ne peut plus clair
en ce qui concerne l’intervention éventuelle de tiers, en dehors de l’avis d’un second,
voire d’un troisième médecin selon que le décès est attendu ou non à brève
échéance : « Aucun médecin n’est tenu de pratiquer une euthanasie » et « Aucune
personne n’est tenue de participer à une euthanasie. Si le médecin consulté refuse
de pratiquer une euthanasie, il est tenu d'en informer en temps utile le patient ou la
personne de confiance éventuelle, en en précisant les raisons. Dans le cas où son
refus est justifié par une raison médicale, celle-ci est consignée dans le dossier
médical du patient» (Chapitre VI, Art 14).
Le médecin peut donc refuser de poser un geste médical (soins ou intervention) pour
diverses raisons mais doit en informer le patient. C’est en particulier le cas de
l’expression de la clause de conscience que peut faire valoir un praticien face à une
demande qui va à l’encontre de ses convictions, mais cela ne doit pas être un
obstacle infranchissable pour le patient, d’où l’importance de la procédure visant à
trouver un autre médecin, notamment en communiquant le dossier. Il y a donc un
droit à demander l’euthanasie mais sans que cela ne constitue un droit à (nous
soulignons) l’euthanasie de façon absolue. Les conditions requises sont
suffisamment claires.
il existe actuellement un débat au sein du CCBB à propos de la possibilité de
défendre une clause de conscience dite « institutionnelle », ce qui constituerait une
réappropriation de la « proposition N° 3 » par certaines institutions, à savoir le
déplacement du colloque singulier vers une décision collégiale, préalable et
indispensable à tout acte d’euthanasie. Certains faits rapportés dans la presse
2 Le terme « euthanasie » n’apparaît pas tel quel dans le Code Pénal.
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indiquent que cette tendance n’est pas seulement théorique puisque dans certains
hôpitaux, un «délai de réflexion» est demandé par l’équipe soignante avant de
pouvoir éventuellement répondre à la demande d’un patient, quand ce n’est pas le
fait d’exiger des conditions non requises par la loi3. Ces « nouvelles » conditions ont
pour effet de postposer à l’envi la concrétisation de la demande ou même de
l’évacuer purement et simplement, pour des motifs discutables (« souffrance pas
suffisamment importante ou exagérée, patient non en phase terminale »). Ces
éléments sont la démonstration que même au sein d’un état de droit, une loi
démocratique peut être contournée sans trop de scrupules, et la tendance est plus
marquée qu’il n’y paraît.
La question première est de définir ce que l’on entend par clause de conscience et
de comprendre comment elle peut s’articuler au sein du colloque singulier. Il
conviendra ensuite de mesurer la portée effective de celle-ci et de déterminer si elle
peut interférer avec la liberté d’autrui, si elle met dans la balance des valeurs
personnelles intangibles et des valeurs universelles. Ensuite, cette clause de
conscience porte-t-elle atteinte à l’identité sinon du citoyen en tant que tel, du moins
à l’identité du citoyen ayant le statut de malade, donc de personne vulnérable4.
Autrement dit, n’est elle pas une autre forme de jugement exercée par le médecin à
l’égard du patient, à propos d’une certaine façon de concevoir la vie « bonne » et de
lui imposer ses valeurs. Il serait intéressant de comprendre les motivations profondes
qui empêchent un médecin de répondre à la détresse d’un malade en lui renvoyant
des raisons, et en invoquant des principes, auxquels ce dernier n’adhère pas
forcément.
En pratique, invoquer cette clause d’entrée de jeu au sein d’une institution, c’est
afficher publiquement le refus de respecter la loi. Il sera intéressant de montrer à
quel point cette attitude est hypocrite dès lors qu’elle évacue une pratique qui n’est
pas tolérée ni acceptée par l’institution pour ensuite en nier l’existence. Il est en effet
aisé de démontrer que des soins palliatifs « de qualité » évacuent toute demande
d’euthanasie dès lors que les demandes sont refusées.
3 Voir à ce propos le cas de Mr Jean Marie Tesmoingt, dont la demande d’euthanasie a été « entendue » mais
reportée, ce qui l’a obligé à être transféré vers une autre institution moins procédurière. Voir Le Soir 24 -25
mars 2012, p 8
4 La question de savoir si ce statut crée une nouvelle identité mériterait davantage de développement
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Clause de conscience- Liberté de conscience
La clause de conscience individuelle doit être considérée comme une des
manifestations de la liberté de conscience, garantie par ailleurs par la Constitution
belge même si cette dernière est le fruit d’un compromis historique entre libéraux et
catholiques. Toutefois, cette liberté peut déjà poser question quant à ce qu’elle
signifie vraiment, notamment si on s’en réfère au mot « conscience ». Pour un
catholique, la liberté de conscience représente essentiellement la véri de la foi, ce
qui en d’autres termes signifie que la croyance l’emporte sur la connaissance. Il en
va de même pour d’autres religions révélées dont certains discours radicaux vont à
l’encontre de la notion même de liberté individuelle et d’égalité. Pour autant, il
importe de respecter la liberté de conscience d’autrui quand bien même ses
croyances ou valeurs pourraient « heurter, choquer ou inquiéter ». Ce respect se doit
bien entendu d’être réciproque et en citant à nouveau J. Baubérot, on peut dire que
la reconnaissance de la liberté de conscience dans des sociétés pluriculturelles
induit la séparation, théorisée notamment par John Rawls, entre ce qui est «juste»,
et que le politique doit promouvoir, et les diverses conceptions du «bien» qui se
confrontent dans la société civile.
C’est ce qu’on retrouve dans l’éthique procédurale de la discussion telle que Jürgen
Habermas l’a définie. Ce qui est important dans sa pensée, c’est qu’à aucun moment
il ne suppose que des normes communes ont été données. S’il y a bien un universel,
celui-ci n’est pas donné à priori mais ce construit de manière dialogique. Il faut veiller
à maintenir la diversité des intérêts et des valeurs dans la société
communicationnelle et à ce qu’effectivement l’espace public apparaisse comme
éthique mais tout en maintenant de la divergence. Les individus peuvent agir de
manière divergente et trouver des points d’accord commun, ou l’inverse. C’est donc
un phénomène de coordination, de convergence, de reconnaissance mutuelle de la
différence, les consensus et les accords qui se nouent à ce niveau définissent
l’espace public. Nous pouvons dire que cet espace public est un des éléments
majeurs qui garantit la liberté d’expression et permet de sortir un sujet de la
clandestinité. A l’instar de ce que dit Noam Chomski, comment serait-il possible de
discuter d’un problème si on ne peut l’évoquer, et c’est effectivement grâce à un
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