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le phénomène des délocalisations. Mais face à cette théorie, une conception hété-
rodoxe montre qu’au contraire, la protection sociale est facteur de croissance réelle
de l’économie, de l’emploi et de la productivité du travail.
3. Historiquement, deux conceptions de politique économique se sont opposées
dès la crise économique des années trente. La conception néoclassique avec Arthur
Cecil Pigou en Grande-Bretagne (Pigou, 1933) et Jacques Rueff en France (Rueff,
1932) conseillait de réduire les salaires et les charges sociales, puisqu’elle consi-
dérait que c’était un coût du travail trop élevé qui était cause du chômage. Elle
préconisait également de diminuer les dépenses publiques et sociales. Mais la
politique économique menée selon ces principes a aggravé la crise en limitant plus
encore la demande effective. L’autre conception de la politique économique, liée à
l’analyse keynésienne, a tendu alors à s’imposer (Keynes, 1936). Dès cette époque,
des politiques économiques ont essayé de relancer le pouvoir d’achat, le New Deal
de Roosevelt en 1933, le Front populaire en France en 1936. L’objectif de ranimer
la demande effective est au cœur de cette politique économique.
4. Dans les débats théoriques, le clivage subsiste entre la théorie néoclassique et
ce qu’on a appelé la révolution keynésienne. Selon les néoclassiques, il ne peut
y avoir de crise durable : un équilibre économique général doit s’instituer si les
conditions d’une fl exibilité parfaite des prix et des salaires sont préservées. Pour
ces auteurs, si les salariés n’acceptent pas une baisse suffi sante de leur salaire, des
rigidités entretenues par les syndicats et par l’État empêchent la fl exibilité à la
baisse des salaires. Celle-ci permettrait, selon cette théorie, d’atteindre l’équilibre,
impliquant forcément l’équilibre sur le marché du travail, c’est-à-dire un équilibre
de plein emploi. Le chômage est donc considéré comme chômage volontaire lié
aux « rigidités » sur le marché du travail.
5. Selon Keynes, c’est l’insuffi sance de la demande effective qui bloque l’incitation
à investir et qui est à l’origine d’un chômage involontaire (Mills, 2004). Keynes
critiquait trois des dogmes essentiels de la théorie néoclassique. En premier lieu,
la fl exibilité des salaires à la baisse ne résorbait pas le chômage mais l’aggravait,
aussi proposait-il des politiques économiques alternatives capables d’augmenter
la demande effective. En second lieu, dans l’analyse keynésienne, le taux d’intérêt
monétaire reste du domaine de la sphère de la monnaie, tandis que l’épargne et
l’investissement sont déterminés dans la sphère réelle. Ce n’est pas l’épargne qui
détermine l’investissement, mais ce sont les décisions d’investissement qui, à travers
la demande effective, tendent à déterminer le niveau de l’épargne. Dans ces condi-
tions, la réduction des dépenses publiques et sociales comme la réduction des prélè-
vements fi scaux et sociaux conduisent à déprimer la demande effective, y compris
l’investissement productif. En troisième lieu, les politiques tendant à relever les taux
d’intérêt mettent en cause l’incitation à investir des entreprises, puisque seuls sont
retenus les investissements dont l’effi cacité marginale du capital est supérieure au
taux d’intérêt. Dans ce cas, une politique monétariste des banques centrales à partir
du relèvement des taux d’intérêt freine l’investissement, la demande effective et
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