Taux d’intérêt nominaux négatifs :
« Terra incognita »
Catherine LEBOUGRE
catherine.lebougre@credit-agricole-sa.fr
N° 15/135 – 23 avril 2015
devient extrêmement difficile (et même périlleux,
mais c'est pourtant le choix de certains acteurs) de
tabler sur une baisse supplémentaire des taux.
Dès lors, à moins de se situer dans une optique
buy and hold, se pose le risque de perte en capital.
Cependant, dans un monde globalisé où les inves-
tisseurs sont mondiaux, les achats de titres à
rendements négatifs peuvent se justifier dès lors
que les perspectives d’appréciation de la devise, si
elles se concrétisent, peuvent se solder par des
gains en capital à la revente une fois convertie
dans la monnaie dépréciée de l’acheteur. La
Suisse a ainsi continué à bénéficier de flux
acheteurs en dépit de taux fortement négatifs en
raison d’espoirs de nouvelle hausse du franc
suisse, après la décision de la Banque centrale de
stopper toute intervention sur le marché des chan-
ges. La recherche « désespérée » de rendements
a évidemment incité les investisseurs à se
déplacer sur la partie longue de la courbe des taux
d’intérêt des pays-cœur. L’exercice est proche de
son terme car les courbes sont quasiment plates.
Par ailleurs, plus la maturité d’une obligation est
longue, plus sa sensibilité (baisse de son prix en
cas de hausse nouvelle des taux de marché) est
élevée, tout comme l’est le risque de perte en
capital. La stratégie d’allongement des maturités a
donc largement atteint ses limites (selon nous, elle
les a même déjà touchées).
Les investisseurs ont élargi leur recherche de
rendements aux pays non core de la zone euro et
aux obligations corporate (voire émergentes). Les
rendements sont certes plus attractifs. Néanmoins,
les primes des obligations corporate se sont déjà
resserrées. Les surplus de rendements offerts par
le marché du crédit sont à niveau historiquement
faibles et la discrimination entre les risques peu
marquée. Le coût du crédit Investment Grade et
High Yield se situe désormais autour de 1% et 4%
respectivement. Le potentiel de resserrement des
spreads permettant d’espérer un gain en capital
est donc limité (et ce, toutes choses égales par
ailleurs, c’est-à-dire sans remontée des taux sans
risques).
Il reste donc, essentiellement, aux investisseurs le
pari sur la poursuite de la hausse des marchés
actions. Un pari fondé sur la croissance, sa vitalité,
sa pérennité.
Quid des taux d’intérêt réels ?
L’inflation est à un niveau historiquement (dange-
reusement) bas que justifie naturellement l’anémie
de la croissance européenne. L’Europe envoie
depuis peu des signes de reprise. Mais, elle est
convalescente et les pressions déflationnistes
commencent seulement à s’y dissiper.
La faiblesse de l’inflation tient également au recul
impressionnant du prix de l’énergie. La chute du
prix du pétrole est quasi vertigineuse : le prix du
baril (Brent) est passé de 115 USD/baril mi-juin
2014 à 47 USD/baril mi-mars (soit une baisse de
près de 60%) Une correction à la hausse est
attendue. Le prix moyen a atteint 54 USD/baril au
premier trimestre 2015. Nous tablons sur une
remontée progressive à 65 USD/baril, puis
80 USD/baril (derniers trimestres 2015 et 2016,
respectivement).
Ce facteur de reflux de l’inflation ne peut donc être
considéré comme durable. Ainsi, les taux d’intérêt
nominaux ont baissé plus sensiblement que l’infla-
tion courante : cela se traduit par des taux d’intérêt
réels négatifs. Ceux-ci devraient théoriquement
promouvoir l’appétit pour le crédit. Ils contribuent
surtout à alléger le coût de refinancement des
dettes gouvernementales en zone euro et rendent
les trajectoires de dette plus soutenables.
Cependant, à cet égard, la situation de la zone
euro est paradoxale, voire inquiétante. Dans un
contexte où la croissance (courante et anticipée) y
demeure modeste et l’inflation (également cou-
rante et anticipée) très basse, il existe bien un
plancher à la baisse des taux réels. Dès lors, en
cas de remontée des taux nominaux, les taux
longs réels peuvent excéder la croissance réelle.
In fine, cela alourdit mécaniquement le poids des
dettes, dégrade la solvabilité, renchérit le coût de
l’assainissement bilanciel et finit par alimenter une
croissance et une inflation durablement faibles.
L’existence de taux d’intérêt nominaux négatifs
peut être expliquée théoriquement. Si la littéra-
ture académique sur les taux d’intérêt réels
négatifs est abondante, elle est en revanche
encore très rare sur les taux nominaux
négatifs…
On peut également trouver des justifications
« concrètes », mais bien peu réjouissantes, à
l’apparition de rendements obligataires néga-
tifs. Leur existence soulève d’épineuses ques-
tions. Et risque, si elle se prolonge, de générer
des distorsions de prix d’actifs et de perturber
la bonne allocation du capital. Il faut donc
espérer que ces rendements se retrouvent
rapidement en territoire positif.