Evaluation et traitement préopératoires du risque pulmonaire

CABINET Forum Med Suisse No12 20 mars 2002 276
L’examen pré-opératoire du patient a pour but
la détermination du risque péri-opératoire et la
planification détaillée de la procédure anesthé-
sique. C’est un moyen généralement reconnu
de réduction de la morbidité et mortalité péri-
opératoires. Les complications pulmonaires
contribuent de manière décisive au risque péri-
opératoire et sont fréquemment cause de pro-
longation du séjour hospitalier. Mais l’évalua-
tion du risque pulmonaire se heurte à de nom-
breuses questions non résolues. En particulier,
la place de l’examen pré-opératoire de routine
de la fonction pulmonaire est controversée [1]
et son utilité n’est pas démontrée. On a analysé
d’innombrables facteurs pulmonaires chez un
grand nombre de patients, dans le but d’établir
des corrélations avec le risque péri-opératoire.
Malheureusement il n’est encore pas possible
de véritablement prédire systématiquement le
risque spécifique pour les patients individuels.
Trop de variables différentes s’influencent
mutuellement. Les données provenant de re-
cherches remontant à plusieurs années de-
vraient en outre être interprétées avec pru-
dence: le développement rapide des procédures
et techniques en anesthésie, chirurgie et méde-
cine intensive, y compris le monitorage, ne de-
vrait pas rester sans effet sur la morbidité et la
mortalité. Avant tout, les paramètres de fonc-
tion pulmonaire soit-disant «prohibitifs» tou-
jours mis en avant depuis des décennies [2]
pourraient eux-mêmes être aujourd’hui consi-
dérés comme pratiquement sans valeur compte
tenu des résections pulmonaires exécutées de
nos jours chez des patients atteints de carci-
nome pulmonaire ou d’emphysème pulmo-
naire terminal [3]. Les résultats de la chirurgie
de réduction du volume pulmonaire [4, 5] est
une illustration impressionnante des change-
ments dans ce domaine. On peut sans aucun
doute confirmer l’inadéquation de la transposi-
tion de ces valeurs limites prohibitives du do-
maine de la chirurgie thoracique à des inter-
ventions non thoraciques. Les risques pulmo-
naires et cardiaques sont de plus souvent quasi
inséparables, notamment par le fait que les ma-
ladies coronariennes consécutives au tabac
vont fréquemment de paire avec des maladies
pulmonaires chroniques. La définition d’une
marche à suivre pour les investigations pré-
opératoires, la détermination d’un risque péri-
opératoire global et l’indication à d’éventuels
traitements pré-opératoires absolument néces-
saires pour des patients individuels impliquent
une très grande expérience clinique.
Investigations pulmonaires
L’évaluation clinique du patient constitue la
partie la plus importante de l’évaluation pré-
opératoire. Elle inclut l’anamnèse spécifique
dont fait partie la gradation d’une éventuelle
dyspnée à l’aide d’une échelle d’appréciation
par le patient lui-même (score de dyspnée),
ainsi que l’examen physique. Les examens
d’imagerie médicale (radiographie du thorax et
éventuellement tomographies computérisées)
doivent être spécifiquement indiqués.
La mesure de la fonction pulmonaire com-
prend au moins la détermination de la capacité
vitale forcée (CVF) et du volume expiratoire
forcé en 1 seconde (FEV1). Les autres volumes
pulmonaires, le MMV, le flux expiratoire de
pointe (PEF) et la capacité de diffusion du mo-
noxyde de carbone doivent être déterminés de
manière individuelle. Pour l’évaluation des
réserves cardio-pulmonaires, on dispose de
divers tests plus ou moins exigeants: escaliers,
test de marche de 6 ou 8 minutes, tapis roulant
ou bien la spiro-ergométrie sur vélo avec dé-
termination de la consommation maximale
d’oxygène. Ce dernier test permet une bonne
différentiation entre cause cardiaque primaire
ou pulmonaire d’une sévère limitation de la
performance. L’analyse des gaz artériels four-
nit d’importantes indications sur les échanges
gazeux chez un patient à l’air ambiant ou sous
apport supplémentaire d’oxygène. Les exa-
mens de répartition de la perfusion pulmo-
naire, de la pression artérielle pulmonaire, de
la résistance vasculaire pulmonaire et des gaz
sanguins artériels pulmonaires ne sont indi-
qués que dans des cas exceptionnels. L’écho-
cardiographie trans-thoracique non invasive
constitue une alternative pour l’évaluation de
l’hémodynamique pulmonaire et de la fonction
cardiaque droite des patients à risque.
La difficulté réside dans l’interprétation des pa-
ramètres mesurés, surtout en ce qui concerne
leur valeur pour l’appréciation de l’opérabilité
du patient individuel. Cependant, ces investi-
gations peuvent indéniablement fournir des in-
dications importantes sur des particularités et
difficultés péri-opératoires spécifiques aux-
quelles on peut s’attendre, sur des mesures
thérapeutiques qu’il serait possible d’entre
Evaluation et traitement
préopératoires du risque pulmonaire
A. Zollinger, T. Pasch
Correspondance:
PD Dr Andreas Zollinger
Institut für Anästhesie und
Reanimation
Stadtspital Triemli Zürich
Birmensdorferstrasse 497
CH-8063 Zürich
CABINET Forum Med Suisse No12 20 mars 2002 277
prendre et peuvent éventuellement aussi in-
fluencer le mode et l’intensité du traitement
péri-opératoire [6, 7]. Cependant, les valeurs
mesurées ne peuvent pas être utilisées une à
une de manière isolée pour prédire le risque
péri-opératoire, respectivement l’«outcome».
Surtout, chez un patient, il ne faut pas renon-
cer à une intervention chirurgicale sur la base
de la seule détermination pré-opératoire de la
fonction pulmonaire [1, 8].
Facteurs de risque pulmonaire
L’identification et la pondération pré-opéra-
toires des facteurs de risque pulmonaires iso-
lés chez le patient individuel seraient très utiles.
Les nombreux travaux de recherche consacrés
à ces facteurs de risque portent malheureuse-
ment sur des collectifs de patients et des inter-
ventions très divers. De plus, les divers auteurs
ont défini de manière différente «complication
intra- et postopératoire». Etant donné que bon
nombre de ces complications dépendent les
unes des autres et ne sont individuellement
guère équivalentes quant à leur signification,
elles ne peuvent pas être simplement compa-
rées entre elles dans une seule analyse [9]. Les
méta-analyses de ces études ne sont pas non
plus très pertinentes. Il n’est donc actuellement
pas possible d’en tirer des conclusions nettes.
Chirurgie thoracique
On s’obstine encore aujourd’hui à citer et utili-
ser en clinique les paramètres de fonction pul-
monaire dits «prohibitifs» qui ont vu le jour et
ont été développés (en raison de données peu
convaincantes) entre le début des années 50
[10] et les années 80 [2, 11, 12]. Ceci est d’au-
tant plus étonnant que depuis des années, di-
vers auteurs conseillent au contraire fortement
d’oublier ces valeurs limites: «The previous
concept of minimal predicted postoperative
FEV1of 0,8 L may no longer be applicable with
new anesthetic and critical care techniques. We
were unable to identify any specific preopera-
tive pulmonary function test as a predictor of
postoperative morbidity» [3].
En fait, les bons résultats de la chirurgie de ré-
duction de volume pulmonaire – résection bila-
térale non-anatomique du tissu pulmonaire for-
tement emphysémateux chez des patients em-
physémateux présentant des valeurs préopé-
ratoires de FEV1 <0,8 L [4, 5] – contribuent à
considérer maintenant ces paramètres de fonc-
tion pulmonaire prohibitifs de manière cri-
tique. La conception de l’opération et de l’anes-
thésie chez ces patients atteints d’un emphy-
sème au stade terminal – à savoir abord bilaté-
ral, le plus souvent thoracoscopique sous ven-
tilation pulmonaire unilatérale et extubation
immédiatement postopératoire [13] – semble
contredire toutes les idées reçues et règles ap-
pliquées jusqu’ici. Les résultats sont bien là
pour montrer les progrès réalisés ces dernières
années. Reste à espérer qu’ils puissent servir
de base pour le développement d’autres para-
mètres plus différenciés et finalement plus per-
tinents pour l’appréciation du risque pulmonaire.
Chirurgie non thoracique
Au cours des quatre dernières années, on a pu-
blié de nombreuses études sur les facteurs de
risque pulmonaires dans le cadre des interven-
tions chirurgicales non thoraciques. Là aussi,
on n’a pourtant pas réussi à identifier un ou
plusieurs paramètres de mesure de la fonction
pulmonaire pré-opératoire qui puissent être
considérés comme des facteurs de risque indé-
pendants pour les complications pulmonaires
post-opératoires [8]. Ce sont bien plutôt les
scores plus complexes rendant compte de l’état
général du patient et des dysfonctions orga-
niques multiples, avant tout aussi cardiaques –
tels que la classification ASA, le «cardiac risk
index» de Goldman, le «comorbidity index» de
Charlson ou le score de Shapiro – qui parais-
sent constituer de bons prédicteurs pour les
complications pulmonaires [8]. Lawrence et al.
ont observé une combinaison de complications
pulmonaires et cardiaques dans 33% de tous
les cas [14]. Il est aussi apparu qu’avant tout le
tabagisme, les expectorations et des signes
cliniques ou radiologiques de bronchite chro-
nique étaient bien corrélés avec des compli-
cations pulmonaires postopératoires [15, 18].
Cette façon d’identifier le risque au moyen de
l’anamnèse et de l’examen clinique soigneux du
patient ainsi que d’examens radiologiques
selon une indication différenciée n’est pas oné-
reuse et évite de surcroît de stresser le patient
avec des investigations plus techniques [19].
Information du patient
Avant une opération et une anesthésie compor-
tant un risque pulmonaire augmenté, il est im-
portant d’en informer le patient et de lui donner
toutes les indications nécessaires au sujet des
mesures péri-opératoires liées à la gestion de ce
risque. Si cela correspond au désir du patient,
on lui expliquera les indications et dangers spé-
cialement liés aux mesures péri-opératoires
telles que ponction ou cathétérisme artériel et
veineux central, cathétérisme artériel pulmo-
naire, procédés d’antalgie épidurale, sous-pleu-
rale, intercostale ou intraveineuse contrôlée par
le patient, échographie trans-œsophagienne etc.
On n’omettra pas non plus les informations sur
le traitement post-opératoire en salle de réveil
ou aux soins intensifs, y compris les mesures
thérapeutiques respiratoires avec la possibilité
et les conditions de la ventilation post-opératoire.
CABINET Forum Med Suisse No12 20 mars 2002 278
Traitement pré-opératoire
Le traitement pré-opératoire des patients pré-
sentant un risque pulmonaire augmenté doit
être indiqué et adapté individuellement. La
prescription de médicaments administrés au
long cours – tels que bronchodilatateurs, sé-
crétolytiques, corticoïdes topiques ou par voie
systémique ainsi que les substances utilisées
pour le traitement de l’insuffisance corona-
rienne – devrait être poursuivie sans change-
ment jusqu’à l’opération. Cependant les AINS
et avant tout l’acide acétylsalicylique ainsi que
les dérivés coumariniques devraient être stop-
pés à temps avant l’opération, si par exemple
on envisage une anesthésie régionale proche de
la moelle épinière. Il faut être rigoureux dans
l’établissement de l’indication à de nouveaux
traitements supplémentaires avant une opéra-
tion. Si un tel traitement devait entraîner un
report de l’intervention chirurgicale, l’utilité
potentielle pour le patient devrait en être claire-
ment établie compte tenu notamment du degré
d’urgence de l’opération, par exemple en cas de
suspicion de lésion maligne. Ceci vaut égale-
ment pour la recommandation d’abstinence
pré-opératoire de tabac. Cette exigence semble
pertinente et nécessaire avant quelques inter-
ventions – avant tout chirurgie de réduction de
volume pulmonaire chez les patients atteints
d’emphysème pulmonaire terminal sévère ou
transplantation pulmonaire – car il est ainsi
possible d’obtenir, outre une optimisation des
conditions péri-opératoires, la démonstration
de la part du patient d’une forte motivation
pour cette intervention chirurgicale spécialisée
et le traitement ultérieur. On n’a jusqu’ici pas
encore pu établir combien de temps avant
l’opération il faut arrêter de fumer pour en re-
tirer un bénéfice péri-opératoire. Une étude
portant sur des patients de chirurgie coronaire
a montré qu’on ne pouvait s’attendre à une di-
minution statistiquement significative des com-
plications pulmonaires péri-opératoires que si
l’arrêt de consommation du tabac avait précédé
l’opération d’au moins 8 semaines [20]. Cer-
tains centres soumettent les patients à des pro-
grammes d’entraînement pré-opératoires par-
ticuliers sous la dénomination de réhabilitation
pulmonaire pré-opératoire. L’utilité n’a ici
aussi pas été vraiment démontrée et ce sont
plutôt les patients inscrits sur une liste d’attente
(p.ex. pour une transplantation pulmonaire)
qui ont pu en profiter.
La prémédication elle-même – avant le début
de l’anesthésie – du patient présentant un
risque pulmonaire accru doit être adaptée. Les
benzodiazépines et les opiacés – administrés
d’habitude dans le service de soins généraux –
peuvent entraîner une péjoration fâcheuse de
la respiration, surtout chez les patients présen-
tant une maladie pulmonaire obstructive sévère.
Mais pourtant, ce sont souvent précisément ces
patients qui sont le plus anxieux et agités. En
cas de doute, il faut privilégier l’administration
intraveineuse de sédatifs et analgésiques direc-
tement par l’anesthésiste en salle d’opération
plutôt que la prémédication préalable per os
dans le service de soins généraux. Dans les cas
critiques, l’administration pré-opératoire d’oxy-
gène par voie nasale avant et pendant le trans-
port à la salle d’opération est très importante.
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