Usage de la contention en psychiatrie : vécu soignant et

L’Encéphale
(2013)
39,
237—243
Disponible
en
ligne
sur
www.sciencedirect.com
journal
homepage:
www.em-consulte.com/produit/ENCEP
MÉMOIRE
ORIGINAL
Usage
de
la
contention
en
psychiatrie
:
vécu
soignant
et
perspectives
éthiques
Use
of
restraint
in
psychiatry:
Feelings
of
caregivers
and
ethical
perspectives
J.
Guivarcha,,
N.
Canob
aPôle
Psychiatrie
centre,
hôpital
de
la
Conception,
147,
boulevard
Baille,
13385
Marseille
cedex
5,
France
bUMR
7268,
ADES,
Aix-Marseille
université,
13385
Marseille
cedex
5,
France
Rec¸u
le
21
septembre
2012
;
accepté
le
7
d´
ecembre
2012
Disponible
sur
Internet
le
6
juin
2013
MOTS
CLÉS
Contention
;
Psychiatrie
;
Vécu
des
soignants
;
Recherche
qualitative
;
Perspectives
éthiques
Résumé
Le
retour
de
l’usage
des
contentions
en
psychiatrie
pose
de
nombreux
problèmes
éthiques
aux
soignants.
Pourtant
leur
vécu
est
peu
exploré
dans
la
littérature.
Notre
objectif
était
d’étudier
le
vécu
des
soignants
confrontés
à
cette
pratique
au
regard
d’une
perspec-
tive
éthique
et
de
dégager
des
pistes
d’amélioration.
Entre
novembre
2011
et
février
2012
a
été
réalisée
une
étude
épidémiologique
descriptive
transversale
dans
deux
services
d’urgences
psychiatriques
et
deux
unités
fermées
dans
lesquels
les
médecins
et
les
infirmiers
étaient
inter-
rogés
à
l’aide
de
questionnaires
semi-dirigés
au
cours
d’entretiens
individuels.
Vingt
infirmiers
et
neuf
psychiatres,
en
majorité
de
sexe
féminin,
ont
été
recrutés.
Ils
avaient
tous
participé
à
des
expériences
de
mise
sous
contention.
Leur
vécu
était
riche,
intense
et
majoritairement
négatif
à
type
de
frustration
(35
%
des
infirmiers
;
66,7
%
des
médecins),
de
colère
(30
et
33,3
%)
et
d’absence
de
ressenti
(35
et
44,4
%).
Il
s’agissait
pour
eux
d’une
expérience
difficile
mais
nécessaire
(82,75
%),
d’un
acte
de
soin
et
de
sécurité
(68,9
%).
La
frustration
pouvait
concerner
le
manque
de
moyens
mais
aussi
être
dirigée
envers
un
patient
ou
un
soignant.
Nous
avons
dégagé
trois
perspectives
pour
réduire
l’utilisation
de
la
contention
et
modifier
le
vécu
des
soignants.
©
L’Encéphale,
Paris,
2013.
KEYWORDS
Restraint;
Psychiatry;
Feelings
of
caregivers;
Qualitative
research;
Ethical
review
Summary
Introduction.
The
return
of
restraint
in
psychiatry
raises
many
ethical
issues
for
caregivers.
However
their
experience
is
little
explored
in
literature.
Objectives.
Our
objective
was
to
study
the
feelings
of
caregivers
facing
restraint
with
regard
to
an
ethical
perspective
and
to
identify
areas
for
improvement.
Method.
Between
November
2011
and
February
2012
a
descriptive
cross-sectional
epidemio-
logical
study
was
performed
in
two
psychiatric
emergency
services
and
two
closed
units
in
which
doctors
and
nurses
were
individually
interviewed
using
semi-structured
questionnaires.
Auteur
correspondant.
Adresse
e-mail
:
(J.
Guivarch).
0013-7006/$
see
front
matter
©
L’Encéphale,
Paris,
2013.
http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2013.02.004
238
J.
Guivarch,
N.
Cano
Five
topics
were
explored:
indications
and
contexts,
impact
on
the
patient,
caregiver—patient
relationship,
perspective
on
the
practice
and
feelings
of
caregivers
on
which
we
insist
parti-
cularly.
Results
were
presented
in
tables
with
percentages
and
possibly
diagrams.
The
notable
responses
of
caregivers
were
also
cited.
Results.
Twenty
nurses
and
nine
psychiatrists,
mostly
female,
were
recruited.
They
all
had
participated
in
experiments
of
restraint.
The
self-aggressiveness,
the
aggressiveness
against
other
persons
and
agitation
were
the
most
frequent
indications.
In
the
patients,
caregivers
identified
misunderstanding
(79.3%)
and
anger
(75.9%).
The
majority
of
nurses
(75%)
felt
that
there
was
an
improvement
in
the
caregiver—patient
relationship
after
the
episode
of
restraint
compared
to
what
it
had
been
in
the
moments
preceding
this
measure.
The
emotional
expe-
rience
of
caregivers
was
rich,
intense
and
predominantly
negative
type
of
frustration
(35%
of
nurses;
66.7%
of
doctors),
anger
(30
and
33.3%)
and
lack
of
feeling
(35
and
44.4%).
The
feelings
of
doctors
and
nurses
were
not
completely
similar.
For
caregivers
it
was
‘‘a
difficult
but
neces-
sary
experience’’
(82.75%),
‘‘an
act
of
care
and
safety’’
(68.9%).
All
psychiatrists
and
almost
half
of
the
nurses
(45%)
said
they
did
not
feel
the
same
when
they
used
seclusion.
In
their
opi-
nion,
seclusion
entailed
a
less
painful
experience
because
of
its
therapeutic
properties.
More
than
half
of
the
caregivers
thought
that
there
were
alternatives
to
restraint:
the
strengthening
of
containing
function
in
the
hours
before
the
use
of
restraint;
the
use
of
seclusion
at
the
time
of
the
decision
to
restrain.
They
identified
contexts
(80%)
encouraging
the
use
of
restraints,
not
only
related
to
the
patient,
the
lack
of
resources
but
also
institutional
contexts,
in
particular
conflicts
or
divisions
in
the
health
care
team.
Discussion.
The
misunderstanding
of
the
patient
led
us
to
wonder
about
the
quality
of
the
information
he/she
received:
it
was
sometimes
too
formal
and
did
not
take
into
account
the
uniqueness
of
the
patient.
The
frustration
of
caregivers
could
concern
the
lack
of
resources
but
also
be
directed
towards
a
patient
or
caregiver.
In
addition,
there
were
often
cleavages
between
doctors
and
nurses
that
stemmed
from
a
misunderstanding,
also
with
rivalries
and
power
struggles.
From
the
literature
and
caregivers’
reflections
we
identified
three
prospects
to
reduce
the
use
of
restraint
and
modify
feelings
of
caregivers:
1)
develop
better
crisis
management
ups-
tream
through
increasing
resources
and
improving
training;
2)
promote
patients
support
in
using
ethical
principles
of
autonomy
and
beneficence
by
showing
them
solicitude,
inviting
them
to
tell
themselves
and
helping
them
to
regain
their
own
experience;
3)
develop
an
afterthought
in
setting
up
institutional
reflection
time
by
restoring
a
central
role
in
clinical
team
meetings
in
psychiatry,
possibly
supplemented
by
supervision,
but
also
through
regional
ethical
spaces.
Conclusion.
In
our
investigation,
we
found
that
caregivers
had
a
predominantly
negative
experience
with
frustration,
anger
and
a
lack
of
feeling.
Among
caregivers
we
also
identified
awareness
of
ethical
issues
that
may
be
for
the
first
time
for
a
change.
©
L’Encéphale,
Paris,
2013.
Introduction
Objectif
L’utilisation
des
contentions
en
psychiatrie
n’est
pas
nou-
velle
[1,2].
La
contention
existait
dès
l’Antiquité
avec
deux
conceptions
bien
différentes
[1]
:
exercer
un
contrôle
phy-
sique
sur
les
personnes
agitées
sans
leur
faire
de
mal
pour
les
uns,
et
essayer
de
faire
sortir
le
malade
de
sa
maladie
en
générant
de
la
peur
par
une
utilisation
beaucoup
plus
brutale
pour
les
autres.
Cette
pratique,
dont
l’utilisation
est
variable
selon
les
périodes,
fait
un
retour
dans
nos
hôpi-
taux
autour
des
années
1995
à
2000,
dans
une
psychiatrie
en
pleine
mutation,
caractérisée
par
une
triple
orienta-
tion
[3]
:
neuroscientifique
et
médicotechnique,
sécuritaire,
mais
aussi
citoyenne
associée
au
concept
de
Santé
Men-
tale
qui
tend
à
étendre
de
manière
illimitée
le
champ
de
la
psychiatrie.
On
peut
se
demander
quel
est
le
sens
de
ce
retour
[1]
d’autant
qu’il
s’agit
d’une
pratique
qui
n’est
pas
sans
danger
[2]
et
qui
reste
l’objet
d’incertitudes
et
controverses,
tant
sur
le
plan
thérapeutique
qu’éthique
[2,4—8].
Des
auteurs
s’interrogent
sur
la
signification
de
cette
pratique
:
certains
y
voient
«
un
acte
à
valeur
de
rite
sacrificiel
»
[6],
d’autres
se
demandent
s’il
s’agit
d’un
acte
à
dimension
thérapeutique
ou
sécuritaire
[1,2,5,9,10]
et
de
quelle
manière
on
peut
en
faire
un
temps
soignant
[4],
quand
les
derniers
pointent
des
confusions
sémantiques
et
théoriques
entourant
le
terme
de
«
contention
»
[11].
Les
soignants
sont
également
exposés
à
des
dilemmes
[4,5,8]
entre,
d’une
part,
le
devoir
de
préserver
la
dignité
et
d’assurer
un
environnement
sûr
pour
le
patient
et,
d’autre
part,
de
maintenir
la
sécurité
des
autres
patients
et
de
l’environnement.
Face
à
ce
contexte
d’exigences
contra-
dictoires,
nous
nous
sommes
donc
proposés
d’étudier
le
ressenti
et
le
point
de
vue
des
soignants
confrontés
à
une
telle
expérience.
Parmi
les
travaux
publiés
sur
le
sujet
[2,4—6,12—14],
Chanoit
[12]
identifiait
«
de
la
culpabilité,
une
identification
au
patient
avec
un
vécu
d’exclusion,
un
vécu
projectif,
de
l’impuissance
ou
un
sentiment
d’échec,
un
vécu
d’omnipotence,
une
jouissance
sadique
avec
le
Contention
mécanique
en
psychaitrie
:
vécu
soignant
et
perspectives
éthiques
239
risque
d’un
sentiment
de
toute-puissance
de
type
pervers
».
D’autres
auteurs
insistaient
davantage
sur
l’opinion
des
soignants,
tentant
d’individualiser
des
profils
sociodémogra-
phique
[13,14].
À
notre
connaissance,
il
existe
peu
d’informations
spé-
cifiques
concernant
le
vécu
des
soignants,
alors
que
ces
données
pourraient
favoriser
une
réflexion
sur
l’usage
de
cette
mesure
qui
est
de
plus
en
plus
fréquente
et
suscite
des
réactions
émotionnelles
intenses.
L’objectif
de
notre
étude
est
double
:
étudier
le
vécu
des
soignants
confrontés
à
la
contention
et
dégager
ensuite
d’éventuelles
pistes
d’amélioration
au
regard
d’une
pers-
pective
éthique.
Méthodes
Schéma
et
population
Nous
avons
réalisé
entre
novembre
2011
et
février
2012
une
étude
épidémiologique
descriptive
transversale
dans
quatre
services
de
psychiatrie
de
Toulon
et
de
Marseille
dont
deux
appartenant
au
CHU.
Il
s’agissait
de
deux
unités
fermées
intersectorielles
et
de
deux
services
d’urgences
psychiatriques
spécifiquement
choisis
en
raison
de
leur
diversité,
tant
en
ce
qui
concerne
leur
situation
géogra-
phique
au
sein
de
l’hôpital
que
leur
équipement,
leur
fonctionnement
institutionnel,
leur
orientation
théorique
et
thérapeutique,
espérant
ainsi
explorer
une
diversité
de
pra-
tiques
concernant
la
contention
telle
qu’on
peut
l’observer
en
psychiatrie.
Les
infirmiers
et
les
médecins
étaient
interrogés
à
l’aide
de
questionnaires
semi-dirigés,
élabo-
rés
à
partir
des
données
de
la
littérature
[1,2,12,15,16].
Le
recueil
de
données
s’est
fait
sur
un
ou
plusieurs
jours
(et
nuits)
au
cours
d’entretiens
individuels,
durant
en
moyenne
20
à
30
minutes,
pendant
lesquels
l’objectif
de
l’étude
et
le
caractère
anonyme
étaient
précisés.
L’ensemble
des
réponses
et
remarques
était
pris
en
note.
Analyse
Nous
avons
déterminé
cinq
rubriques
thématiques
pour
l’analyse
des
réponses
:
indication
et
contexte
;
impact
sur
le
patient
;
relation
soignant/soigné
;
vécu
soignant
;
point
de
vue
sur
la
pratique.
Le
cadre
d’analyse
se
référait
aux
principes
éthiques
fon-
damentaux
selon
la
typologie
de
Beauchamp
et
Childress
[17].
Les
résultats
sont
présentés
sous
forme
de
tableaux
avec
des
pourcentages
et
parfois
des
diagrammes
pour
les
résul-
tats
les
plus
importants.
Figure
1
Vécu
de
la
contention
par
le
patient.
Résultats
Population
de
l’étude
Nous
avons
recruté
une
population
de
29
personnes
(20
infirmiers,
neuf
psychiatres)
en
majorité
de
sexe
fémi-
nin
avec
une
expérience
moyenne
en
psychiatrie
de
neuf
années.
Cette
population
correspondait
à
l’ensemble
des
soignants
présents
lors
de
notre
venue,
à
l’exception
d’un
médecin
et
d’un
infirmier
qui
n’avaient
pas
pu
répondre
à
nos
questions
en
raison
d’une
surcharge
de
travail
dans
le
service
au
moment
de
l’enquête.
Tous
avaient
déjà
parti-
cipé
à
des
expériences
de
mise
sous
contention,
la
majorité
d’entre
eux
entre
cinq
et
20
fois.
Indication
et
contexte
Les
risques
autoagressif
(90
%
des
infirmiers
et
66,7
%
des
médecins),
hétéroagressif
(85
%
et
88,9
%)
ainsi
que
l’agitation
(80
et
88,9
%)
étaient
les
indications
les
plus
retrouvées.
Les
soignants
précisaient
qu’une
autre
indi-
cation
était
en
augmentation,
la
contention
par
défaut
de
chambre
d’isolement
(85
et
66,7
%).
Les
soignants
uni-
quement
infirmiers
(55
%
des
infirmiers,
zéro
médecin)
ajoutaient
que
dans
de
rares
cas,
la
contention
pouvait
être
appliquée
à
la
demande
du
patient.
Notons
que
dans
l’un
des
services
d’urgences
interrogés,
il
existait
un
protocole
tacite
qui
impliquait
que
tout
patient
admis
en
soins
sans
consentement
devait
être
mis
sous
contention
quel
que
soit
son
état
clinique
pour
éviter
un
risque
de
fugue.
Impact
sur
le
patient
après
la
mise
sous
contention
C’est
seulement
sur
le
paramètre
«
agitation
»
que
les
réponses
des
infirmiers
et
des
médecins
convergeaient.
Ainsi
l’agressivité
était
réduite
pour
70
%
des
infirmiers
et
66,7
%
des
médecins.
L’anxiété,
elle,
était
réduite
selon
les
infir-
miers
tandis
qu’elle
était
augmentée
selon
les
médecins.
Quand
on
interrogeait
les
soignants
sur
le
vécu
qu’avait
eu
selon
eux
le
patient
(Fig.
1),
ils
identifiaient
surtout
de
l’incompréhension
(23
soignants,
79,3
%)
et
de
la
colère
(22
soignants,
75,9
%)
;
incompréhension
car
«
le
patient
pen-
sait
qu’il
pouvait
y
avoir
des
alternatives
»,
et
qu’on
lui
disait
«
c’est
la
procédure
».
Les
infirmiers,
à
la
différence
des
240
J.
Guivarch,
N.
Cano
Tableau
1
Vécu
soignant
de
la
contention.
Vécu
soignant
Infirmiers.
Effectifs
(%)
Médecins.
Effectifs
(%)
Culpabilité
5
(25)
6
(66,7)
Frustration
7
(35)
6
(66,7)
Colère
6
(30)
3
(33,3)
Peur/crainte
6
(30)
2
(22,2)
Tristesse
8
(40)
2
(22,2)
Satisfaction
6
(30)
1
(11,1)
Pas
de
ressenti 7
(35)
4
(44,4)
Autre
:
sentiment
d’échec 2
(10) 1
(11,1)
Autre
:
rassuré 1
(5) 0
(0)
Autre
:
incompréhension/
sentiment
de
facilité
1
(5) 0
(0)
Autre
:
insatisfaction
0
(0)
1
(11,1)
médecins,
étaient
nombreux
à
identifier
un
vécu
sécurisant
pour
le
patient.
Les
soignants
n’abordaient
avec
le
patient
le
vécu
qu’il
avait
de
cette
expérience
que
dans
la
moi-
tié
des
cas.
Le
patient
était
informé
des
raisons
de
la
mise
sous
contention
pour
85
%
des
infirmiers
et
88,9
%
des
méde-
cins,
parfois
pour
des
raisons
réglementaires,
mais
il
l’était
moins
concernant
les
horaires
de
passage
infirmier
(55,2
%
des
soignants).
Impact
sur
la
relation
soignants—soignés
La
mise
sous
contention
entraînait
selon
les
soignants
une
majoration
de
la
disponibilité
et
du
temps
passé
auprès
du
patient
(60
%
des
infirmiers
et
66,7
%
des
médecins),
le
plus
souvent
car
un
protocole
les
y
contraignait.
Quant
à
la
qua-
lité
de
la
relation
thérapeutique
à
distance
de
la
contention
par
rapport
à
ce
qu’elle
avait
pu
être
avant
la
mise
sous
contention,
la
vision
des
médecins
et
des
infirmiers
était
bien
différente.
Alors
que
les
médecins
ne
voyaient
pas
de
changement
(55,5
%)
ou
disaient
ne
pas
le
savoir
(33,3
%),
la
majorité
des
infirmiers
(75
%)
identifiait
une
amélioration
de
la
relation,
même
s’ils
nuanc¸aient
leurs
propos,
préci-
sant
que
parfois
il
s’agissait
«
d’une
fausse
amélioration
par
peur
d’être
à
nouveau
attaché
»
et
que
d’autres
facteurs
entraient
en
jeu.
Vécu
du
soignant
Concernant
le
vécu
de
cette
expérience
de
contention
par
le
soignant,
il
s’agissait
d’une
expérience
émotionnelle
riche
et
intense.
Les
vécus
étaient
multiples
d’une
situation
à
l’autre
et
parfois
dans
une
même
situation.
Aucun
soignant
n’identifiait
un
ressenti
unique.
L’intensité
se
mesurait
aussi
au
fait
que
65
%
des
infirmiers
et
44,4
%
des
médecins
disaient
y
avoir
repensé
après
le
travail,
parfois
longtemps.
Le
vécu
de
cette
expérience
était
majoritairement
néga-
tif.
Les
trois
vécus
les
plus
retrouvés
(Tableau
1
et
Fig.
2)
étaient
ceux
de
frustration
(35
%
des
infirmiers
et
66,7
%
des
médecins),
de
colère
(30
%
et
33,3
%)
et
d’absence
de
ressenti
(35
%
et
44,4
%).
Les
vécus
des
médecins
et
des
infirmiers
n’étaient
pas
complètement
superposables
:
les
médecins
exprimaient
davantage
de
culpabilité
et
les
Figure
2
Vécu
par
le
soignant
de
la
contention.
infirmiers
davantage
de
tristesse.
Dans
les
réponses
des
soi-
gnants,
la
culpabilité,
la
frustration
et
la
colère
étaient
souvent
liées
:
«
j’éprouvais
de
la
frustration
de
ne
pas
avoir
pu
faire
autrement
»
;
«
de
la
colère
car
je
n’avais
pas
de
moyens
de
mieux
les
accueillir
par
manque
de
chambre
d’isolement
».
Souvent
y
était
mêlé
un
sentiment
d’échec,
de
culpabilité,
«
d’avoir
mal
fait
quelque
chose
».
Parfois,
cependant,
ces
vécus
avaient
une
autre
signification.
Ainsi
un
soignant
disait
parfois
ressentir
de
«
la
colère
à
l’encontre
d’un
patient
qui
s’était
montré
agressif
envers
un
patient
fragile
»
;
un
autre
de
la
frustration
lorsqu’il
n’était
pas
d’accord
avec
la
décision,
étant
convaincu
de
l’existence
d’alternatives.
La
tristesse,
davantage
exprimée
par
les
infirmiers,
se
rapportait
surtout
aux
adolescents
qui
étaient
placés
sous
contention
pour
éviter
les
fugues.
La
peur/crainte
renvoyait
à
la
fois
à
la
peur
pour
le
patient
mais
aussi
du
patient
:
«
j’avais
peur
pour
moi
et
pour
le
patient
car
on
risque
de
se
faire
mal
en
mettant
en
place
des
contentions
et
on
pense
au
vécu
que
va
avoir
le
patient
».
Des
soignants
(davantage
les
médecins
que
les
infirmiers)
disaient
n’avoir
eu
aucun
ressenti
dans
certains
mises
sous
contention,
expliquant
que
c’était
«
parce
que
c’était
la
seule
solution
»,
parce
que
«
c’était
un
acte
thérapeutique
»,
«
professionnel
»,
tout
en
reconnaissant
pour
au
moins
deux
d’entre
eux
que
«
ne
pas
avoir
de
ressenti,
c’est
un
problème
car
on
finit
par
banaliser
et
avoir
l’attache
facile
».
La
satisfaction
retrouvée
chez
sept
agents,
davantage
chez
les
infirmiers,
correspondait
au
sentiment
d’avoir
fait
un
bon
travail,
«
de
voir
le
patient
en
sécurité
»,
ou
encore
au
soulagement
«
de
ne
pas
avoir
à
répondre
à
l’agressivité
du
patient
».
Un
dernier
soignant
nous
disait
:
«
face
à
un
patient
alcoolique
qui
agressait
volontairement,
j’étais
satisfait
d’avoir
protégé
l’équipe
car
personne
n’accepte
de
travailler
dans
le
danger
».
Par
rapport
à
l’expérience
de
mise
en
chambre
d’isolement,
l’ensemble
des
médecins
et
45
%
des
infirmiers
interrogés
avait
un
vécu
différent.
Parmi
ces
derniers,
la
très
grande
majorité
(17/18)
disait
que
l’expérience
de
mise
en
isolement
entraînait
un
vécu
pour
eux
moins
douloureux
que
la
contention
;
ils
mettaient
en
avant
les
vertus
thérapeu-
tiques
de
la
chambre
d’isolement
(«
la
chambre
d’isolement
est
beaucoup
moins
agressive,
violente
et
déshumanisante
pour
le
patient
»,
«
c’est
un
lieu
et
non
un
acte
qui
peut
s’avérer
sécurisant
»,
«
qui
donne
des
limites
au
patient
»)
et
Contention
mécanique
en
psychaitrie
:
vécu
soignant
et
perspectives
éthiques
241
Figure
3
Bilan
de
l’expérience
de
contention
par
les
méde-
cins
et
les
infirmiers.
les
«
images
dégradantes
du
passé
psychiatrique
»
auxquelles
les
renvoyait
l’usage
des
contentions.
Enfin,
cette
expérience
était
décrite
majoritairement
(24
soignants
sur
29,
soit
82,75
%)
comme
«
difficile
mais
nécessaire
»
(Fig.
3),
nécessaire
du
fait
de
la
carence
de
moyens
et
notamment
de
chambres
d’isolement.
Point
de
vue
sur
la
pratique
de
la
contention
La
plupart
des
soignants
(20/29
soit
68,9
%
:
75
%
des
infir-
miers
et
55,5
%
des
médecins)
considérait
qu’il
s’agissait
d’un
acte
de
soin
et
de
sécurité
(Fig.
4).
Six
soignants
considéraient
qu’il
pouvait
s’agir
de
«
maltraitance
selon
l’utilisation
qui
en
était
faite
»
et
insistaient
sur
la
néces-
saire
vigilance
:
«
c¸a
devient
de
la
maltraitance
quand
il
est
plus
facile
d’entraver
que
de
surveiller,
car
la
conten-
tion
devient
une
dérive
aux
urgences
pour
éviter
les
risques
de
fugues
».
Plus
de
la
moitié
des
soignants
pensaient
qu’il
y
avait
des
solutions
alternatives
à
la
contention
avec
le
recours
à
la
chambre
d’isolement
au
moment
de
la
mise
sous
contention
et
le
renforcement
de
la
contenance
dans
les
heures
précédant
la
contention.
Près
de
80
%
des
soignants
évoquaient
des
contextes
favorisant
la
mise
sous
conten-
tion
:
des
facteurs
individuels
liés
à
la
pathologie
du
patient,
des
facteurs
liés
au
manque
de
moyens
(sous
effectifs
mas-
culins,
diminution
des
lits
en
psychiatrie,
locaux
inadaptés,
manque
de
chambre
d’isolement)
mais
surtout
des
facteurs
institutionnels
:
la
peur
de
la
fugue,
la
moins
grande
tolé-
rance
des
urgences,
l’absence
de
disponibilité
du
personnel,
l’atmosphère
de
tension
dans
le
service
avec
des
conflits
voire
des
clivages
dans
l’équipe,
notamment
entre
médecins
Figure
4
Point
de
vue
des
soignants
sur
la
contention.
et
infirmiers
qui
s’attribuaient
réciproquement
la
responsa-
bilité
du
recours
à
la
contention.
Discussion
Discussion
des
principaux
résultats
Les
indications
de
contention
étaient
conformes
à
celles
retrouvées
dans
la
littérature
[2,16],
à
l’exception
de
celle
liée
au
statut
administratif
du
patient
conduisant
à
un
protocole
de
contention
systématique.
Cette
conduite
contrevient
à
la
loi
du
5
juillet
2011
[18]
stipulant
que
«
les
restrictions
apportées
à
l’exercice
des
libertés
doivent
être
adaptées,
nécessaires
et
proportionnées
à
l’état
men-
tal
et
à
la
mise
en
œuvre
du
traitement
»
mais
également
à
l’impératif
de
justice,
base
des
principes
éthiques
[19],
car
la
décision
n’est
pas
adaptée
à
l’état
clinique
et
à
la
singularité
du
patient.
Les
soignants
identifiaient
un
vécu
d’incompréhension
chez
les
patients,
une
difficulté
à
s’approprier
ce
qui
leur
arrivait,
en
lien
peut-être
avec
le
sentiment
d’impuissance
[16]
que
peut
faire
naître
la
contention,
mais
qui
nous
amène
aussi
à
nous
interroger
sur
la
qualité
de
l’information
rec¸ue.
Il
s’agissait
parfois
d’une
information
formelle,
dépersonnalisante,
froide
(«
c’est
le
protocole
»),
non
adap-
tée
à
chaque
individu,
ne
respectant
pas
ainsi
le
principe
d’autonomie.
Il
ressortait
de
l’enquête
que
la
relation
soignants—
soignés
était
améliorée
après
la
mise
sous
contention.
Il
ne
fallait
pas,
selon
nous,
y
voir
l’effet
de
la
seule
conten-
tion
mais
d’un
ensemble
de
facteurs
liés
à
la
contention
:
augmentation
du
traitement
médicamenteux
mais
aussi
dis-
ponibilité
accrue
des
soignants
auprès
du
patient.
En
effet,
«
c’est
la
proximité
attentive
des
soignants
qui
donne
à
la
contrainte
sa
dimension
de
soins
»
[20]
;
la
contention
en
soi
n’est
pas
un
soin
mais
tout
ce
qui
est
fait
autour
pour
aider
ou
accompagner
le
patient
peut
être
un
soin
[4].
Concernant
le
vécu
soignant,
la
frustration
et
la
colère
étaient
le
plus
souvent
rapportées
au
manque
de
moyens
mais
pouvaient
aussi
être
dirigées
envers
un
patient
ou
un
autre
soignant,
avec
d’éventuels
effets
délétères
pour
le
patient
et
pour
l’équipe,
nécessitant
la
mise
en
place
de
temps
institutionnels.
La
tristesse
semblait
répondre
souvent
à
une
identification
au
patient,
comme
l’avait
évo-
qué
Chanoit
[12].
La
satisfaction
exprimée
correspondait
le
plus
souvent
au
sentiment
d’avoir
bien
fait
son
tra-
vail,
en
accueillant
et
soulageant
la
souffrance
du
patient
selon
le
principe
de
bienfaisance.
Mais
parfois
des
senti-
ments
ambigus
rapportés
par
les
soignants,
faisant
écho
à
l’agressivité
du
patient,
évoquaient
un
acte
à
dimension
sécuritaire,
les
soignants
se
voulant
alors
«
garant
de
l’ordre
établi
»
[12].
Ces
réactions
émotionnelles
parfois
doulou-
reuses
semblent
révéler
des
tensions
éthiques
reflétant
un
conflit
de
valeurs
[19].
Les
principes
de
bienfaisance
et
d’autonomie
ne
sont
a
priori
pas
respectés
car
la
mesure
de
contention
n’est
pas
un
bien
tel
que
l’estime
le
patient
qui
de
surcroît
ne
participe
pas
à
la
décision
[17].
C’est
le
principe
de
non-malfaisance
qui
prime
dans
cette
situation
car
la
contention
protège
le
patient
d’effets
délétères
en
lien
avec
son
auto-
ou
hétéroagressivité
;
certains
soignants
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