L’ Retentissement professionnel du rhumatisme inflammatoire : un nouvel enjeu ? ÉDITORIAL

4 | La Lettre du Rhumatologue No 362 - mai 2010
ÉDITORIAL
Retentissement professionnel
du rhumatisme inflammatoire : un nouvel enjeu ?
The impact of inflammatory rheumatic diseases on work capacity: an issue to consider?
G. Kobelt*
* Université de Lund (Suède) et European Health Economics (France).
L
économie est la science qui a pour objet l’allocation
optimale de ressources. Léconomie de la santé a pour
mission de tirer d’une somme forcément limitée (le
budget de la santé) le maximum de “santé”. Elle nécessite
de ce fait de mettre en balance des dépenses (coûts) et des
bénéfices potentiels relatifs à la santé. Le retentissement
professionnel en fait-il partie ?
Ces dernières années, nous avons été témoins d’un intérêt
croissant vis-à-vis de l’aptitude de patients atteints de mala-
dies chroniques à rester dans la population active. Cette
question a été soulignée le plus souvent pour des maladies
aux conséquences invalidantes, telles que les rhumatismes
inflammatoires, en particulier la polyarthrite rhumatoïde
(PR) ou la spondylarthrite ankylosante (SA), mais aussi la
sclérose en plaques et d’autres pathologies. Et en effet, il
y a un certain nombre de bonnes raisons pour en discuter.
Ces maladies sont présentes dans une population en âge de
travailler, avec un fort taux d’activité, et souvent dans les
années les plus productives de la vie active. Actuellement, en
Europe occidentale, environ 73 % de la population âgée de 15
à 64 ans font partie de la population active (Eurostat 2008).
En ce qui concerne la tranche d’âge 25-54 ans, la situation
n’est pas différente en France (94 % d’hommes et 83 % de
femmes travaillent), mais entre 55 et 64 ans les proportions
sont considérablement plus faibles (43 % et 38 %, comparés
à 59 % et 41 % en Europe occidentale), en raison du départ à
la retraite à un âge moins avancé.
En principe, nous travaillons par besoin économique ou par
choix, généralement les deux à la fois. Dans les deux cas,
nimporte quel changement dans la situation professionnelle
en raison d’une maladie – une réduction du nombre d’heures
travaillées, un changement dans le type de travail exécuté, un
départ à la retraite anticipé – a des conséquences négatives
sur la satisfaction financière et psychologique engende par
l activité professionnelle, tant pour l’individu que pour la société.
Nous tirons également fierté d’un travail bien fait et de la
reconnaissance qui, normalement, en coule. La maladie peut
constituer un obstacle à ce type d’accomplissement personnel.
La PR s’est révélée avoir des conséquences négatives parti-
culièrement importantes sur l’aptitude à travailler. Dans
ECO-PR (1) – une étude auprès de 1 487 patients atteints de
PR avec une anciennede la maladie de 18 ans en moyenne ,
13 % des patients de moins de 60 ans étaient en invalidité.
Par ailleurs, 10 % avaient réduit leur temps de travail ou
avaient changé d’activité, avec dans les deux cas une baisse
de revenus. En moyenne, la perte de revenus pour les patients
participant à l’étude était de l’ordre de 30 à 40 %. Dans une
enquête plus récente incluant seulement des patients en
âge de travailler (2), on estime que 4 % des patients avec
une PR peu sévère, 10 % avec une PR modérée et 30 % avec
une PR sévère ont dû prendre des congés maladie. De plus,
les patients estimaient eux-mêmes être moins productifs au
travail (respectivement 15 %, 30 % et 47 % pour les PR peu
sévères, modérées ou sévères).
Des données similaires sont disponibles pour la SA. Dans une
série d’études internationales, les pertes de production en
raison de la SA repsentaient 35 % du coût total de la maladie
en Espagne, 38 % au Canada et 60 % au Royaume-Uni (cette
dernière proportion, élevée, s’expliquant par des coûts directs
peu élevés) [3-5].
L’impact de la réduction de la capacité de travail est différent
selon les acteurs.
Avant tout, le patient. En plus des conséquences finan-
cières négatives mentionnées ci-dessus, les patients peuvent
se sentir rejetés dans une société où la participation à la vie
active est habituelle. Plus important, le stress au travail peut
être considérable. Les patients peuvent craindre de perdre
toute considération, ou même de perdre leur travail, en raison
d’une incapacité à accomplir leurs tâches selon les attentes
(par exemple, en raison de la fatigue ou du handicap fonc-
tionnel) ou de l’obligation de prendre des congés maladie
fréquents et/ou prolongés.
Les employeurs, particulièrement en période de forte acti-
vité économique, peuvent estimer que l’organisation est sous-
optimale ou que le flux est perturen raison d’un salarié à la
productivité réduite ou fréquemment absent. Par ailleurs, et
particulièrement en temps de ralentissement de l’économie, le
coût d’un salarié malade ajoute au fardeau financier, rendant
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plus difficile l’adaptation de la situation professionnelle pour
le patient. Dans les deux cas, les employeurs peuvent être
tentés de rompre le contrat de travail.
Cependant, le coût el de patients incapables de travailler
est supporpar la société, qui perd la contribution productive
de ces individus (coûts indirects) à court ou à long terme.
Cette contribution est perdue, indépendamment du fait que
le salarié puisse être remplacé ou non, et représente ainsi un
réel coût pour la société. En analyse économique, cette perte
est estimée au moyen d’une thode appelée “la méthode du
capital humain”, dans laquelle la valeur de la production d’une
personne est représentée par son prix sur le marché, c’est-à-
dire le salaire brut plus les contributions de lemployeur (coût
de l’emploi). Le plus souvent, les calculs des coûts indirects
incluent le congé maladie et la préretraite, mais la producti-
vité réduite au travail peut aussi être estimée (bien qu’il soit
difficile de la mesurer).
À partir de là, il devient évident que – sans diminuer l’impact
psychologique de l’inaptitude au travail l’enjeu est essentielle-
ment économique. Pourtant, à travers le monde, peu d’autoris
de santé publique prennent ce facteur en considération dans
leurs prises de décision sur le remboursement de nouveaux
traitements et la valorisation de l’innovation dicale. La raison
en est que ces conséquences économiques se situent en dehors
de la juridiction de ces cideurs. Autrement dit, les coûts n’in-
combent pas au système de soins, mais à la soc en ral.
Un seul pays européen utilise officiellement la perspective
société pour évaluer la valeur des traitements, c’est-à-dire en
incluant tous les coûts, indépendamment de leur provenance
et de qui les assume. Les pertes de production (aussi bien que
ce que les patients doivent sortir de leur poche) sont incluses
dans des analyses de coût-efficacité. Cette attitude est d’une
logique incontestable, particulièrement dans les maladies
invalidantes, et surtout lorsque des traitements de fond qui
changent le cours de la maladie sont disponibles.
Ignorer les bénéfices et les coûts relatifs à l’aptitude des patients
à travailler mènera à une allocation inefficace des ressources,
tant à court terme qu’à long terme (6). Les décisions réglemen-
taires (autorisation de mise sur le marché pour de nouveaux
traitements) sont fondées sur une évaluation des bénéfices et
des risques selon une perspective socté. Les études d’évalua-
tion des technologies de santé (Health Technology Assessment,
HTA), qui estiment l’équilibre entre les coûts potentiels et les
avantages dans un contexte plus large, devraient ainsi suivre
la me perspective de société, puisque les objectifs sont les
mêmes, c’est-à-dire la promotion de l’accès aux technologies
avec un bénéfice net potentiellement élevé. C’est l’approche
standard dans lévaluation de programmes affectant la curi,
l’environnement ou les transports qui ont un effet sur la santé
de la population. Il n’y a aucune raison pour les programmes
de santé de dévier de cette norme, et l’adoption d’une pers-
pective “payeur de soins médicaux” créera un biais en faveur
de l’amélioration de la santé.
Lévaluation économique fondée sur un budget fixe et sur une
riode budgétaire fixe conduit à des décisions sous-optimales
pour l’allocation des ressources, à la fois à court et à long
termes. Ce qui est compris dans un budget donné ou non est
une décision politique, mais, en fin de compte, c’est la société
qui supporte tous les coûts. Un bon exemple est la récente
campagne de vaccination contre la grippe porcine, dont la
conséquence majeure est l’absentéisme au travail. Ne pas
inclure ce coût dans l’évaluation du bénéfice/risque rendrait
non rentable l’investissement dans la vaccination. Ainsi, évaluer
des technologies uniquement sur une période budgétaire rend
peu attrayants des investissements avec un bénéfice à long
terme, mais un coût de départ fixe et élevé.
On peut en dire autant pour des maladies chroniques où le
bénéfice majeur de l’innovation, en termes de gains de produc-
tivité et de réduction des coûts de soins informels, surviendra
à long terme. Ne pas inclure ces bénéfices dans l’équation
mènera à l’utilisation sous-optimale des traitements et réduira
la motivation à innover.
En conclusion, la prise en compte de toutes les conséquences
en termes de coûts et de bénéfices pour allouer les ressources
dans le système de santé mènera à une discussion publique
plus pertinente. C’est la population dans son ensemble qui
à la fois paie et reçoit les bénéfices de technologies exis-
tantes ou nouvelles. Les bénéfices (incluant les économies)
de traitements dans des domaines autres que cliniques sont
importants pour les patients qui font partie de la popula-
tion et devraient être discutés et inclus dans l’équation. Cela
s’ applique en particulier au maintien de la capacité profession-
nelle, mais aussi aux initiatives facilitant le maintien au travail
des patients à travers des mesures sur le lieu de travail.
Références bibliographiques
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2. Fautrel B, Maravic M, Maurel F et al. Rheumatoid
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Costs and quality of life of patients with ankylosing
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5. Kobelt G, Sobocki P, Mulero J, Gratacos J,
Pocovi A, Collantes-Estevez E. The burden of anky-
losing spondylitis in Spain. Value Health 2008;
11(3):408-15.
6. Jönsson B. Ten arguments for a societal pers-
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innovations. Eur J Health Econ 2009;10(4):
357-9.
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