La Lettre du Rhumatologue • No 362 - mai 2010 | 5
ÉDITORIAL
plus difficile l’adaptation de la situation professionnelle pour
le patient. Dans les deux cas, les employeurs peuvent être
tentés de rompre le contrat de travail.
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Cependant, le coût réel de patients incapables de travailler
est supporté par la société, qui perd la contribution productive
de ces individus (coûts indirects) à court ou à long terme.
Cette contribution est perdue, indépendamment du fait que
le salarié puisse être remplacé ou non, et représente ainsi un
réel coût pour la société. En analyse économique, cette perte
est estimée au moyen d’une méthode appelée “la méthode du
capital humain”, dans laquelle la valeur de la production d’une
personne est représentée par son prix sur le marché, c’est-à-
dire le salaire brut plus les contributions de l’employeur (coût
de l’emploi). Le plus souvent, les calculs des coûts indirects
incluent le congé maladie et la préretraite, mais la producti-
vité réduite au travail peut aussi être estimée (bien qu’il soit
difficile de la mesurer).
À partir de là, il devient évident que – sans diminuer l’impact
psychologique de l’inaptitude au travail – l’enjeu est essentielle-
ment économique. Pourtant, à travers le monde, peu d’autorités
de santé publique prennent ce facteur en considération dans
leurs prises de décision sur le remboursement de nouveaux
traitements et la valorisation de l’innovation médicale. La raison
en est que ces conséquences économiques se situent en dehors
de la juridiction de ces décideurs. Autrement dit, les coûts n’in-
combent pas au système de soins, mais à la société en général.
Un seul pays européen utilise officiellement la perspective
société pour évaluer la valeur des traitements, c’est-à-dire en
incluant tous les coûts, indépendamment de leur provenance
et de qui les assume. Les pertes de production (aussi bien que
ce que les patients doivent sortir de leur poche) sont incluses
dans des analyses de coût-efficacité. Cette attitude est d’une
logique incontestable, particulièrement dans les maladies
invalidantes, et surtout lorsque des traitements de fond qui
changent le cours de la maladie sont disponibles.
Ignorer les bénéfices et les coûts relatifs à l’aptitude des patients
à travailler mènera à une allocation inefficace des ressources,
tant à court terme qu’à long terme (6). Les décisions réglemen-
taires (autorisation de mise sur le marché pour de nouveaux
traitements) sont fondées sur une évaluation des bénéfices et
des risques selon une perspective société. Les études d’évalua-
tion des technologies de santé (Health Technology Assessment,
HTA), qui estiment l’équilibre entre les coûts potentiels et les
avantages dans un contexte plus large, devraient ainsi suivre
la même perspective de société, puisque les objectifs sont les
mêmes, c’est-à-dire la promotion de l’accès aux technologies
avec un bénéfice net potentiellement élevé. C’est l’approche
standard dans l’évaluation de programmes affectant la sécurité,
l’environnement ou les transports qui ont un effet sur la santé
de la population. Il n’y a aucune raison pour les programmes
de santé de dévier de cette norme, et l’adoption d’une pers-
pective “payeur de soins médicaux” créera un biais en défaveur
de l’amélioration de la santé.
L’évaluation économique fondée sur un budget fixe et sur une
période budgétaire fixe conduit à des décisions sous-optimales
pour l’allocation des ressources, à la fois à court et à long
termes. Ce qui est compris dans un budget donné ou non est
une décision politique, mais, en fin de compte, c’est la société
qui supporte tous les coûts. Un bon exemple est la récente
campagne de vaccination contre la grippe porcine, dont la
conséquence majeure est l’absentéisme au travail. Ne pas
inclure ce coût dans l’évaluation du bénéfice/risque rendrait
non rentable l’investissement dans la vaccination. Ainsi, évaluer
des technologies uniquement sur une période budgétaire rend
peu attrayants des investissements avec un bénéfice à long
terme, mais un coût de départ fixe et élevé.
On peut en dire autant pour des maladies chroniques où le
bénéfice majeur de l’innovation, en termes de gains de produc-
tivité et de réduction des coûts de soins informels, surviendra
à long terme. Ne pas inclure ces bénéfices dans l’équation
mènera à l’utilisation sous-optimale des traitements et réduira
la motivation à innover.
En conclusion, la prise en compte de toutes les conséquences
en termes de coûts et de bénéfices pour allouer les ressources
dans le système de santé mènera à une discussion publique
plus pertinente. C’est la population dans son ensemble qui
à la fois paie et reçoit les bénéfices de technologies exis-
tantes ou nouvelles. Les bénéfices (incluant les économies)
de traitements dans des domaines autres que cliniques sont
importants pour les patients – qui font partie de la popula-
tion – et devraient être discutés et inclus dans l’équation. Cela
s’ applique en particulier au maintien de la capacité profession-
nelle, mais aussi aux initiatives facilitant le maintien au travail
des patients à travers des mesures sur le lieu de travail. ■
Références bibliographiques
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