MAGAZINE } santé Cette page Magazine santé est réalisée en collaboration avec l’Hôpital du Jura et le Service cantonal de la santé publique. Schizophrénie, les signes du mal qu’il ne faut pas manquer V TROUBLES Les personnes qui souffrent de schizophrénie sont victimes de nombreux préjugés. Il est donc primordial d’apprendre à reconnaître les signes précurseurs de la maladie, pour éviter l’ostracisation des malades. U ne personne sur cent souffre de schizophrénie en Suisse, et pourtant cette maladie est méconnue du grand public: on la confond avec le dédoublement de personnalité ou on l’associe aux épisodes violents et agressifs que connaîtraient les patients qui en souffrent. Une première erreur: le taux de violence parmi les personnes souffrant de schizophrénie n’est pas plus élevé que parmi des personnes vivant dans un environnement semblable. Cette méconnaissance de la maladie non seulement stigmatise les malades, affecte les proches, mais surtout empêche la détection précoce de la schizophrénie. Or, une maladie comme la schizophrénie affecte en premier lieu la capacité du malade à s’intégrer de manière satisfaisante dans la société, et plus l’attente est grande, plus l’isolement sera difficile à briser. D’où l’urgence d’informer la population. D’où, aussi, les journées francophones de la schizophrénie, qui ont eu lieu la semaine dernière, dans le Jura et ailleurs dans le monde, et qui, grâce à des stands d’information et des conférences, ont œuvré à changer l’image commune de cette maladie: «on a tous un proche schizophrène.» Les contours troubles d’une maladie Alors, c’est quoi au juste, la schizophrénie? C’est une psychose et comme telle, elle est caractérisée par une perte de contact avec la réalité. Elle se manifeste d’ordinaire au moment du passage à l’âge adulte. «C’est une maladie du cerveau qui a des symptômes positifs (hallucinations auditives, délires) et négatifs (troubles cognitifs et comportementaux) qui entraînent des difficultés à s’insérer dans la société», détaille le Dr Fernando Fiori, président d’A3, une association de familles et amis de personnes souffrant d’une maladie mentale, active lors des journées francophones de la schizophrénie. «Lors d’une crise par exemple, l’individu sera convaincu que tout le monde veut lui nuire ou qu’on essaie d’entrer dans sa tête pour lui voler ses idées, mais cela peut prendre de nombreuses autres formes.» Une seule crise ne compte pas Le trouble mental qu’est la schizophrénie est difficile à définir et son diagnostic est délicat à poser. La première complexité tient en ce qu’une seule crise, qu’elle prenne la forme d’hallucinations ou de délire de persécution, ne suffit pas pour parler de schizophrénie: «One case is no case – un seul cas ne compte pas», explique Arménio Barata, chef de clinique au Centre médico-psychologique pour enfants et adolescent (CMPEA). «Dans 30% des cas, la première crise sera l’unique», complète Fernando Fiori, qui insiste sur la continuité entre la maladie et la santé mentale. Certaines crises sont facilement repérables: «J’ai été appelé par une famille au sujet de leur fils, parti en camp de ski. Il était incapable de sortir de la chambre, avait peur de tout et était coupé momentanément de la réalité, explique Arménio Barata. Cet épisode ne signifie pas pour autant que l’adolescent souffre ou souffrira de schizophrénie.» Des signes subtils Lorsque la schizophrénie revêt des symptômes positifs, elle est plus facile à détecter. Les symptômes négatifs quant à eux – tel l’isolement – passent plus souvent inaperçus, et c’est là la seconde difficulté pour poser le diagnostic, comme l’explique Gilles Simon, médecin-chef adjoint au CMPEA. «Les malades qui font un clash ou un délire sont repérés tôt, parce qu’ils dérangent la société. Mais si la psychose se développe dans l’inhibition, on ne s’inquiète pas.» Mais attention, tous les ados qui passent du temps seuls ne sont pas atteints de schizophrénie. Alors, quand faut-il s’inquiéter? Les professionnels s’accordent: l’isolement d’un jeune n’est problématique que lorsqu’il constitue un changement de comportement, qu’il est durable, qu’il affecte toutes les sphères de son existence (amis, famille, école et activités extrascolaires) et que le jeune semble en souffrir... Tous ces éléments sont des signes qui peuvent indiquer une possible maladie. Le rôle des amis, des proches On comprendra alors la nécessité d’une sensibilisation globale de la société à cette problématique: ce n’est pas seulement la famille, mais aussi les amis, les professeurs, l’infirmière scolaire ou l’entraîneur de foot qui Mon enfant fume du cannabis, deviendra-t-il schizophrène? Non, il n’existe pas de causalité directe entre consommation de cannabis et schizophrénie. Cependant, des études ont montré que fumer de l’herbe pendant l’adolescence est un facteur de risque important. On peut seulement parler de corrélations: la consommation de cannabis, un environnement social particulier, la génétique, autant d’éléments qui se combinent et peuvent faire apparaître la maladie. «La consommation ne causera pas forcément la schizophrénie, mais il est possible qu’elle déclenche une crise. Fumer du cannabis, pour résumer, est une mauvaise idée», conclut Danielle Charmillot. AM La schizophrénie est une psychose et comme telle, elle est caractérisée par une perte de contact avec la réalité. Elle se manifeste d’ordinaire au moment du passage à l’âge adulte. peuvent alerter les parents en cas de doute, afin que ces derniers puissent engager des démarches auprès des spécialistes. «Les amis des jeunes en difficulté ont un problème de loyauté: ils imaginent que s’inquiéter de la santé d’un de leurs amis et d’en parler à l’infirmière de classe est une sorte de trahison, raconte le Dr Fernando Fiori. Il est impératif de leur dire qu’ils font là une bonne action.» Dans tous les cas, il vaut mieux consulter une fois de trop, qu’une fois de pas assez. «Une mauvaise demande au CMP, ça n’existe pas», résume Arménio Barata. Si vous avez des doutes, n’hésitez pas à vous rendre au centre médico-psychologique, avec ou sans votre enfant: dans le meilleur des cas, vous serez rassuré, dans le pire, vous aurez un plan d’action. «Entre les premiers symptômes psychotiques et le début du traitement, il s’écoule en moyenne deux ans, c’est beaucoup trop long», complète le spécialiste. L’isolement induit par la maladie n’est pas anodin: plus il durera, plus le malade éprouvera des difficultés à s’insérer dans la société, à avoir des amis, à travailler – ou poursuivre sa formation, s’il est étudiant ou apprenti – moins il aura la chance de vivre une vie normale. Par contre, si l’individu atteint de schizophrénie est suivi et sa maladie traitée, il pourra éviter les rechutes et s’épanouir. ALAN MONNAT Vivre avec la maladie, tout en l’inscrivant dans la réalité Souffrir de schizophrénie ne signifie pas vivre coupé du monde La schizophrénie est une maladie multifactorielle, dans ses causes comme dans son traitement. Toute personne qui souffre de schizophrénie devra prendre des médicaments – les neuroleptiques lui éviteront les prochaines crises et les rechutes – et certains suivront une psychothérapie. 14 | Mercredi 1er avril 2015 | Le Quotidien Jurassien «Tout d’abord il s’agit de faire comprendre au patient qu’il est malade, même si cette maladie, il ne la perçoit pas. Qu’il est impératif qu’il suive son traitement», explique Danielle Charmillot, médecin-cheffe au centre médico-psychologique pour adultes (CMPA). La psychothérapie, quant à elle, s’attachera notamment à aider les personnes atteintes de ce mal à conserver ou à retrouver des contacts sociaux, à s’organiser dans la vie de tous les jours. Aménager sa vie Cet aspect médical n’est qu’un des éléments du traitement: pour que le patient soit épanoui, encore faut-il trouver une activité professionnelle qui réponde à ses attentes et à ses capacités. Peut-être faudra-t-il adapter les horaires de travail, trouver une activité avec un stress moindre, voire l’inté- grer dans un atelier protégé. C’est pourquoi une approche globale, intégrant médecins, infirmiers, psychiatres, assistants sociaux, familles et amis, est nécessaire pour traiter efficacement ce mal et permettre à celui qui en souffre de vivre une vie satisfaisante sur le plan personnel et professionnel. «L’entourage social est très important, explique la médecin-cheffe. Trop souvent les individus qui souffrent de troubles mentaux sont isolés, voire montrés du doigt.» Raison pour laquelle le Dr Fernando Fiori martèle: «Il faut dédramatiser, déstigmatiser. La notion de folie devrait disparaître de notre langage. Il y a des gens qui souffrent, voilà tout. Et l’origine de leur souffrance n’est pas éthérée, mais liée au substrat biochimique du cerveau.» AM