LES GROUPES DE PAROLE DU
DOCTEUR WALLENHORST
Au CH de SEMUR-EN-AUXOIS.
Nous avons une nouvelle fois le plaisir de
publier un texte du Docteur Thomas
WALLENHORST, Chef du Secteur de
Psychiatrie au Centre Hospitalier de Se-
mur en Auxois.
Le sujet cette fois concerne les Groupes
de parole qu’il anime chaque premier
vendredi du mois et qui sont plus
particulièrement destinés aux familles
dont un proche est soigné dans le
secteur. Un groupe de parole animé par un
médecin, est-ce « politiquement correct »
? Je n’en sais rien, (et cela m’est
absolument égal).
Comme il est l'un des rares praticiens à
mettre en œuvre cette pratique, le sujet
méritait que je m’y arrête.
Car j’ai assisté moi aussi à ces groupes,
et pendant des années, pas en tant que
« père d’un proche soigné au 3° secteur »,
mais comme représentant des familles, de
toutes les familles et pas seulement de
celles qui sont adhérentes à l’UNA-FAM.
J’ai pu ainsi faire profiter tous les
présents de mon expérience à la fois de
père, d’aidant, un moment d’écoutant (le
meilleur moment de ma vie à l’UNAFAM).
Bien entendu, le Docteur animait les dé-
bats, avec en général un membre de son
équipe (infirmier, assistante sociale…), ce
qui est aussi un point important. Car c’est
ainsi que l’ensemble du service pouvait se
rendre compte des profondes difficultés
que nous pouvons rencontrer.
J’entends souvent une objection à cette
pratique : « N’est ce pas un groupe avec
une connotation trop sanitaire, trop «
maladie », trop « traitement » et pas
assez « problèmes rencontrés par les
familles » ? Certes, ce Groupe est
différent de ceux que l’UNAFAM met en
œuvre à Dijon avec trois psychologues
cliniciennes et une référente UNAFAM.
Pour avoir assisté aux deux, je dirai «
pas tant que cela ». Il m’est arrivé
d’assister à plusieurs séances sur le
sujet que beaucoup de membres de
notre association connaissent : « les 14
principes de Ken Alexander, ou comment
faire face ? ». Et dans ce cas, le
représentant UNAFAM apportait ses
quelques compétences, son expérience
qu’il avait plaisir à faire partager… De
même, quand nous parlions du « que
faire après l’hôpital ? ».
C’est pourquoi chaque famille a le senti-
ment d’être, ici, intégrée dans le
processus de la triple alliance -
personne malade, équipe soignante,
familles -.
Cette alliance n’est donc pas une coquille
vide, un slogan creux.
Au moment je me mets (un peu) en
retrait pour me consacrer à d’autres
tâches, je me devais de rendre hommage
à Thomas WALLENHORST, au
travailleur acharné, car croyez-moi
l'animation de ces groupes lui demandait
une intense préparation.
Je le remercie, au nom de toutes les fa-
milles, pour le travail que lui et son
équipe ont fait et feront encore.
Francis JAN
Un groupe de parole pour
familiers d’un patient atteint
de schizophrénie ou d’une
autre psychose
1) Réflexions préalables
Nous avons créé ce groupe de parole en
2002 à partir d’une observation. Des
infirmières qui travaillaient dans des fa-
milles entendaient souvent des demandes
comme : « Nous aimerions mieux com
prendre la maladie dont notre fils est
atteint … Nous sommes déroutés devant
ses comportements, nous ne savons pas
comment réagir … Nous nous sentons tout
seuls avec cette maladie, nous aurions
besoin d’échanger avec d’autres. » La visite
au domicile du patient semble faciliter de
telles confidences, dans la mesure où les
familles se trouvent dans leur
environnement habituel. Dans la
consultation médicale, les familles
expriment moins leur sentiment de
vulnérabilité face à la maladie psychotique.
Quoique la relation médecin malade se
veuille être une relation de confiance, du
fait de la position du médecin et de son «
pouvoir médical », il y a une barrière qui
met une distance. Dans cette situation, les
familles sont plus pré-occupées par
l’amélioration de l’état du patient et de sa
guérison, tout en vivant une culpabilité de
se dire : « Sommes-nous responsables de la
maladie ? » ; « Avons-nous une tare chez
nous ? » « Qu’avons-nous fait au Bon Dieu ?
», et elles redoutent que le médecin ne
laisse échapper des paroles les mettant en
cause. Naturellement, les familles se
défendent du médecin psychiatre.
De l’autre côté j’avais entendu plusieurs
fois des remarques comme ceci : « On ne
nous dit rien ; on ne nous dit même pas le
diagnostic de la maladie ; … quand notre
fille est sortie de la clinique, on nous l’a
rendue comme cela, sans nous dire
comment nous devions nous comporter avec
elle, et nous étions perdus. »
J’avais conclu qu’il était nécessaire de
proposer un lieu d’échange aux familles leur
permettant une approche pour se former à
une connaissance de la maladie et pour leur
offrir un espace de parole, afin de pouvoir
déposer leur difficultés et d’en dialoguer
avec d’autres familles concernées et avec
des professionnels du
soin. Dans sa particularité, c’est l’équipe
qui soigne les patients qui propose ces
rencontres. L’un de ses buts est de
rendre son action plus transparente et
accessible aux familles et à leurs
patients ; mais d’autres familles y
participent aussi dont le malade n’est pas
soigné par cette
équipe.
2) Les besoins constatés
Différents besoins sont constatés de la
part des familles.
Un besoin de formation : Quelle est cet-te
maladie appelée schizophrénie ? Quels sont
les différents symptômes ? Quels
comportements est-ce qu’on rencontre
fréquemment ? Quelle est l’origine de cette
maladie ? Y a-t-il une hérédité ? Une
guérison est-elle possible ou doit-on se
contenter d’une stabilisation ? Comment
peut-on obtenir cette stabilisation ? La
maladie est-elle liée à des traumatismes, au
stress, à des conditions de vie difficile ?
Comment doit-on se comporter devant
différents comportements ?
A l’heure des multimédia, chacun peut
chercher sur Internet des écrits
concernant tout sujet qui l’intéresse.
Cependant, ces documents ne sont pas
faits pour rassurer les personnes qui les
lisent qui peu-vent en plus être mal
compris. Les familles ont besoin d’une
formation faite par des spécialistes qui
côtoient les patients tous les jours, et qui
peuvent expliquer la maladie à bon escient,
pouvant aussi répondre aux questions
posées avec précision.
Il est nécessaire d’expliquer les
symptômes. Par exemple, les patients « ne
mentent pas » quand ils entendent des
hallucinations ; ils ne sont « pas paresseux
» quand ils ne veulent pas se lever le matin,
ils ont des modifications de leur tonus et
de leur dynamisme, reconnues dans ce
que l’on appelle le handicap psychique. En
revanche, comprendre ne veut pas dire
laisser faire : il est important que la
famille n’autorise pas le patient à
prendre les habitudes de dormir
(presque) tous les jours jusqu’à midi.
Les patients sont hypersensibles au
contexte de vie, cela explique les idées
délirantes : ils se sentent agressés par les
autres. Du fait de leur maladie, ces idées
sont loin d’être exprimées spontanément ;
elles donnent plutôt l’occasion à des
modifications des comportements.
Par exemple, si un patient ne dort plus la
nuit, s’il ne veut plus prendre ses repas en
famille, s’il change brutalement de relation
amicale ou s’il commence à s’isoler ou à
s’intéresser à des sujets ésotériques, le
risque est grand qu’il soit déjà entré dans
une récidive. Dans ce cas il est nécessaire
de revoir le médecin traitant.
Un besoin d’information : Quels sont les
différents lieux de soin ? Quelle est la
place de l’hospitalisation complète, puis
de l’hospitalisation de jour ? Que fait-on
dans un CMP ? Quelles sont les
différentes thérapies ? Un patient peut-
il travailler et à quelles conditions ? Y a-
t-il des associations d’usagers ?
L’information est un pas pour sortir de la
solitude, les personnes cherchent ainsi
d’autres solutions. En s’informant, elles ne
restent pas passives, elles veulent
contribuer à améliorer le sort du ou de la
malade qu’elles ont à charge. Dans la
mesure des professionnels animent le
groupe de parole, ce sont eux qui donnent
les exemples de leur manière d’agir au sein
des différentes structures. Ceux-ci
expliquent aussi comment faire les
démarches complémentaires lorsqu’il s’agit,
par exemple, de contacter la MDPH, un
centre de soin de suite ou de préparer une
mise sous protection des biens.
Un besoin de communication : Le groupe
a un effet stimulant sur les participants.
Le fait de rencontrer d’autres personnes
touchées par la maladie est réconfortant.
Le constat est fait de ne plus être seuls à
vivre avec un malade atteint de
schizophrénie : un sentiment de solidarité
se développe. Le partage des observations,
questions, craintes et espoirs, le fait de
réagir aux interventions des autres
participations permet de réfléchir
ensemble et d’entrer dans une meilleure
compréhension de l’ensemble de la maladie
et de ses effets sur les personnes, pour
pouvoir mieux réagir et mieux gérer la
maladie.
Les familles reprennent confiance en -el
les.
Un besoin de pouvoir déposer un poids :
Vivre avec un membre de sa famille atteint
de schizophrénie peut être très lourd,
surtout s’il s’agit d’une forme clinique
grave, si le malade ne peut pas travailler et
si le handicap progresse. La maladie
affecte davantage la vie émotionnel-le de
la famille si les patients deviennent
méfiants, persécutés, se comportent avec
une toute puissance et rejettent la fa-
mille et dans d’autres cas où les récidives
sont fréquentes ou encore lorsque il y a de
lourds effets secondaires à supporter.
Certaines fois, plusieurs personnes de la
même famille sont atteintes de
schizophrénie ; il arrive qu’un patient se
soit suicidé. Dans tous les cas le groupe a
un rôle d’accueil, d’écoute et de porter les
uns et les autres avec compassion.
3) Difficultés souvent constatées dans
les familles
La schizophrénie fait partie des maladies
qui communiquent un sentiment de honte,
comme l’alcoolisme, le SIDA, le suicide, les
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maladies congénitales. La honte concerne
le fait d’être atteint par la maladie. Elle
est liée au regard que posent les per-
sonnes sur elles-mêmes, sur les autres et
sur la vie en général : elles se sentent
jugées par les autres, elles peuvent se
sentir exclues parce que stigmatisées du
fait d’être atteint de cette maladie. Une
conséquence peut en être un isolement de
la famille qui ne fréquente plus les autres,
évitant de sortir : le fait d’être vu en
pré-sence du malade peut faire mal, ou
encore de se sentir « étiqueté » ou objet
d’un sentiment de pitié. En plus de
l’isolement vis-à-vis de la communauté,
certaines personnes se replient sur elles,
évitant de communiquer avec les autres
membres de la famille. L’isolement est
parfois vécu par un membre familial : un
père de fa-mille peut ainsi se réfugier
dans son tra-vail pour y consacrer de
plus en plus de temps ; une mère de
famille peut se lais-ser absorber par des
tâches ménagères et ce, dans la mesure
les patients sont très dépendants des
parents, malgré tou-te l’agressivité
exprimée dans des phases délirantes.
Les frères et sœurs du (de la) malade peu-
vent ressentir qu’ils n’ont plus leur place à
la maison, si toute la vie familiale est or-
ganisée autour du (de la) malade. Ils peu-
vent avoir le sentiment que le patient « ne
fait pas d’efforts » ; « ne cherche pas à
travailler » ; « ne pense qu’à écouter de la
musique ou à fumer », quand il s’agit d’une
forme de la maladie prédomine le com-
portement autistique. Dans d’autres cas,
lorsqu’un patient cherche à communiquer,
ils peuvent le percevoir « envahissant » ;
« attirant toujours l’attention à lui » ; et
ils peuvent manquer de patience avec lui
(avec elle).
Un comportement d’hyper-maturité peut
être constaté chez l’un des frères et
sœurs : il ou elle cherche à ne pas se faire
remarquer par ses parents ; il agit dans le
sens d’éviter toute critique ; il devient
prévoyant, renonce à certains besoins per-
sonnels, anticipe les réactions du malade ;
et surtout, il (elle) cherche à soulager les
parents dont l’effort continuel est perçu.
Un sentiment d’hypersensibilité est
constaté chez les frères et sœurs : cer-
tains s’en défendent en se blindant contre
les comportements du (de la) malade, se
durcissent intérieurement disant même
parfois qu’ « il fait semblant être mala-de
». Il arrive aussi qu’ils développent des
maladies dépressives ou comportementa-
les (anorexie, boulimie …).
Un piège important est la focalisation sur
le (la) malade, ce qui peut être remar-qué
dans le cas d’autres maladies au long cours.
Il arrive que le père ou la mère ar-rête de
travailler pour pouvoir s’occuper du
patient. Il y a souvent comme moti-vations
le fait de lui faire découvrir des aspects
positifs de la vie, de le rassurer sur
l’amour familial, d’insister sur le fait qu’il
peut compter sur la relation avec les
parents. Les parents veulent réparer les
dommages constatés dans le fonctionne-
ment du patient, ils veulent le faire pro-
gresser malgré son handicap.
Certaines motivations prennent origine
dans une culpabilité plus ou moins conscien-
te, les parents se sentant responsables de
la maladie de leur enfant. Il convient de
dire aussi que dans bien des cas, les
parents ont assumé leur rôle de s’occuper
de leur fils ou de leur fille malade devant le
constat qu’il ou elle ne pouvait pas devenir
indépendant du fait de sa maladie, et ils ont
suivi la lente progression du handicap tout en
se sentant impuissants. Ce qui est piégeant
est par exemple le dysfonction-nement de «
se sacrifier», c’est-à-dire de renoncer à
avoir une vie personnelle avec
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des loisirs et des plaisirs. Ou encore un
autre dysfonctionnement de vouloir agir à
la place du patient en l’infantilisant ou de
fonctionner comme s’il était encore un
petit enfant il arrive que certains pa-
tients induisent ce fonctionnement, dans
la mesure ils cherchent à obtenir une
relation exclusive avec un parent (le fils
avec sa mère).
4) Les bénéfices constatés
Plusieurs bénéfices peuvent être rele-vés
:
Un échange de réciprocité : Le médecin et
l’équipe soignante ont besoin d’entendre
comment le patient se comporte dans la vie
de tous les jours, comment la maladie et le
traitement médicamenteux avec ses
effets secondaires sont cus. Le médecin
animateur du groupe de parole peut alors
expliquer le sens du traitement et l’évolu-
tion possible des effets secondaires.
Les informations données oralement per-
mettent une meilleure compréhension des
brochures, livres et pages d’Internet ; puis
elles se mettent à circuler parmi les
membres du groupe. Un autre aspect est le
fait que les témoignages d’observations
personnelles peuvent être utiles pour les
autres participants. Les familles de leur
côté vivent un besoin d’entendre les soi-
gnants dans leur quotidien : leurs obser-
vations, leurs préoccupations, leurs sou-
cis, leurs points de vigilance et exigences
concernant les patients : ceci a un effet
de dédramatiser le soin, car le fonctionne-
ment des structures de soin devient plus
transparent. Puis une équipe qui montre
comment elle travaille et fonctionne peut
être contactée en cas de besoin plus faci-
lement : la « barrière » d’un contact avec
la psychiatrie se défait. Ceci est aussi un
engagement de disponibilité, de répondre
rapidement à une demande supplémentai-
re lorsqu’une famille se trouve dans une
difficulté avec un patient.
La réciprocité dans l’échange progresse
vers l’établissement d’un partenariat. Il
est important de souligner cette nécessi-
pour les familles qui pouvaient avoir le
sentiment d’être laissées de côté, parce
que certains psychiatres voulaient tra-
vailler de manière exclusive avec les pa-
tients, refusant de leur communiquer des
informations sur l’évolution de la maladie.
Or les familles sont une ressource indis-
pensable pour les malades, et en tant que
ressource, il est nécessaire d’en prendre
soin, car aucune ressource n’est inépuisa-
ble.
La mise en commun des observations
concernant la vie avec le malade est pra-
tiquée : la réalité de la maladie est re-
gardée en face. Le fait de partager les
observations crée une distance : la mala-
die est moins « subie », elle est observée,
les personnes cherchent à mieux la com-
prendre pour mieux la gérer. Les familles
peuvent se sentir ainsi « plus compéten-
tes » : nous leur proposons d’ailleurs, de
partager leur compétence avec la nôtre,
pour que chacun agisse à sa place.
Le patient subit un enfermement dans sa
maladie par les signes négatifs (aboulie,
retrait social, ambivalence, préoccupa-tion
excessive avec soi-même, craintes
hypochondriaques) et par des signes dits
positifs (troubles du cours de la pensée,
dépersonnalisation, hallucinations, délire).
C’est notre souci autant que celui de la fa-
mille que le patient quitte cet enferme-
ment et s’ouvre à la vie en reconnaissant la
réalité, au lieu de vivre dans sa subjec-
tivité maladive. En cours de suivi, les pa-
tients font preuve de pertinence : ainsi un
patient demande de temps à autre, s’il a
raison de se demander, quand il entend
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