M ÉTHODOLOGIE M.ENSEIFORMARI GNANTE,ER* QUELQUES DONNÉES SIMPLES SUR L’ÉPISTÉMOLOGIE Le terme épistémologie trouve son sens dans son étymologie. Constitué du mot grec epistêmê qui signifie connaissance, savoiretdelogos : discours, l’épistémologie désigne une très ancienne forme de connaissance, contemporaine de la pratique des premiers savants.et philosophes et qui pourrait se définir comme la connaissance de la productiotvde la science. Utilisé déjà par PLATON, mais tombé dans l’oubli pendant des siècles, l’usage de ce mot n’est devenu courant qu’à partir du I 9e siècle dans le vocabulaire de la philosophie. Qu’entendons-nous par Epistémologie ? Les définitions abondent et l’accord des philosophes et des scientifiques est loin d’être fait sur la signification du terme. C’est en proposant plusieurs approches que l’on peut tenter de cernet le sens de l’épistémologie. A. LALANDE définit l’épistémologie comme « la philosophie des sciences mais avec un sens plus précis, ce n’est pas proprement l’étude des méthodes scientifiques... c’est essentiellement l’étude critique des principes, des hypothèses et des résultats des diverses sciences destinées à déterminer leur origine logique, leur valeur et leur portée objective » (1). A. VIRIEUX-REYMOND propose aussi un aspect très philosophique de l’épistémologie. « Philosophie de la science, théorie de la connaissance au sens plus général du mot : origine, nature et limites » (2). G. BACHELARD dans son livre « épistémologie » se refuse à donner une définition lapidaire tant le thème de la construction d’une science lui paraît infini. II exprime de façon claire que l’épistémologie sert à fonder une science, à lui donner ses bases, les recherches sont les pierres qui servent à son édification. « Fonder, échafauder, bâtir ne sont que des images. En ce qui concerne l’édifice de la science, on peut le bâtir sans le fonder, on peut aussi fonder sans bâtir... une modification dans les bases de la science entraîne un accroissement au sommet, plus on creuse la science, plus elle s’élève » (3). * Enseignante, rieur Lyon. Département Enseigncmcnt InRrmier Supé- BACHELARD souligne que creuser la science, c’est-à-dire travailler son épistémologie est aussi utile que de bâtir, c’est-à-dire travailler son contenu. H.A. SIMON fait la transition entre l’approche philosophique et scientifique de l’épistémologie qu’il définit comme « l’interface de la philosophie et de la science » (4). L’interface est la limite commune ou la jonction entre deux systèmes. Pour SIMON l’épistémologie engloberait à la fois les règles de la construction d’une science (approche scientifique) et les questions philosophiques qui se posent lorsque l’on veut approfondir, bâtir une science (réinvestissement des connaissances, finalité des savoirs etc.). E. MORINaborde l’épistémologie avec un regard de scientifique « l’épistémologie se voue à l’examen critique des conditions et méthodes de la connaissance scientifique, elle examine la validité des formes d’explication, la pertinence des règles logiques d’inférence, les conditions d’utilisation des concepts et symboles. Bien que se refusant à examiner les résultats, c’està-dire les connaissances scientifiques en ellesmêmes, cette épistémologie se pose en tribunal extérieur: supérieur à la science, apte à l’assigner en cassauon pour violation des règles » (5). Pour résumer, nous ~&VO~S dire que l’épistémologie est la science qui a pour objet de permettre la création, l’émergence, l’élaboration, l’édification d’une autre science. Elle est liée au devenir réel et à la progression d’une science qui est son objet. « Elle a pour tâche de découvrir dans la pratique scientifique elle-même, sans cesse affrontée à l’erreur, les conditions auxquelles on peut tirer le vrai ou le faux en passant d’une connaissance moins vraie à une connaissance plus vraie » (6) BOURDIEU. L’épistémologie définit une science à un moment de son histoire. La science n’est jamais enfermée dans un cadre qui la limite, car le propre d’une sciencec’est d’évoluer, dese développer, de bouger sous l’effet des tensions, des problèmes, des échanges, des concepts, des recherches qui lui confèrent son dynamisme. L’épistémologie est donc toujours historique. On appelle coupure ou rupture épistémologique, le moment où une science se constitue en coupant avec sa « préhistoire ». En général, il ne s’agit pas d’un changement brutal, mais du processus qui permet l’émergence d’une nouvelle naissance scientifique avec sa double contrainte : démonstration, expérimentation. QUELQUES DONNÉES SIMPLES SUR L’tiPISTfiMOLOGIE Comme exemple récent nous pouvons citer I’avènement de la fécondation artificielle, l’utilisation de la psychanalyse comme moyen thérapeutique. Quelques repères historiques Peuvent nous aider à comprendre l’évolution de l’épistémologie : Avec PLATON (428 av. J.C.) l’épistémologie était essentiellement philosophique et elle est restée pendant longtemps liée au discours des philosophes. DESCARTES (discours SUI la méthode 1637) a été un des premiers à dire qu’il faut faire éclater l’épistémologie hors de la philosophie pour la mettre au service de la science. Le vrai tournant ne sera amorcé qu’en 1794.1800 par VHEWELL qui associe la science à la genèse de sa production. Il s’intéresse à la façon dont une science s’élabore à partir « d’utopies » ou à partir de problèmes pratiques. A. COMTE (I 8 j o) montre la relation très étroite, l’intimité qui existe entre l’expérience qui est un processus d’objectivation et la raison de l’expérience qui en est sa justification. A. LALANDE (1948) reprend l’idée A. COMTE et fait une distinction entre raison constituante et raison constituée. La raison constituante, représente la réflexion dans son mécanisme constructeur (épistémologie) ; la raison constituée, représente l’ensemble des théories et concepts que notre raison élabore pour expliquer la réalité concrète et vécue (science). BACHELARD (début de son oeuvre 1928 écrit jusqu’en 19> I) pose les bases véritables de l’épistémologie scientitïque moderne. Il en situe les limites et les contours. « Nous croyons que la construction d’un appareil objectif va de soi, nous ne voyons pas toujours la somme des précautions techniques que réclame le montage de l’appareil le plus simple » (7). L’œuvre de BACHELARD fait date dans l’histoire de la connaissance scientifique. Plus proche de nous et dans un courant moderniste E. MORIN (1986) recentre l’épistémologie dans une dynamique récursive contemporaine de chaque science. « L’épistémologie n’est pas le centre de vérité, elle doit tourner autour du problème de la vérité en passant de perspective en perspective et espéronsle, de vérités partielles en vérités partielles » (8). Les travaux de PIAGET (1960) occupent une place à part dans l’histoire de l’épistémologie. Il a particulièrement développé l’épistémologie génétique qui se rattache au courant philosophique. « Elle recherche essennellement à étudier la signiiïcation des connaissances, des structures opératoires en recourant d’une part, à leur histoire et à leur fonctionnement actuel dans une science déterminée, d’autre part à leur formation en psychogénéti~que ou à leurs relations avec les structures mentales » (9). Avec PIAGET, l’épistémologie n’est plus seulement le repérage des mécanismes de construction d’une science, mais il se propose de saisir la connaissance dans son accroissement, et d’identifier les facteurs qui sont la source de cet accroissement. Pourquoi certaines sciences progressent et d’autres pas ? OBJECTIFS DE L’ÉPISTÉMOLOGIE - L’épistémologie donne une place à la connaissance scientifique. Elle la situe par rapport à d’autres formes de connaissance ou de pratique. - Elle justifie l’émergence d’une science, elle détïnit aussi des limites à la connaissance scientifique qui ne saurait tout connaître, tout démontrer. - L’épistémologie fait prendre conscience qu’il n’y a pas de science en général, mais des systèmes de connaissance spécifiques en évolution, appropriés à leur objet. Ces multiples disciplines ne sont pas indépendantes les unes des autres, mais elles peuvent avoir des liens, des similitudes tout en étant relativement autonomes. - L’épisrémologiepermetlacréation etl’élaboration de moyens et de méthodes scientifiques toujours très liés au contenu et à la nature de la science elle-même. Le repérage des mécanismes (méthodes) opératoires qui ont contribué à construire une science, permet des transpositions d’une science à l’autre. A. COMTE développe la sociologie en transpoSant certaines méthodes de la physique pour étudier la société. Par l’épistémologie, il légitime le transfert de cette méthode. Claude BERNARD fonde la physiologie moderne en soumettant la matière, vivante aux mémes procédés d’analyse chimique que la matière inerte, il légitime ses conceptions sur le plan épistémologique. .« DESCARTES, LAVOISIER nous ont appris que la matière et ses lois ne diffèrent pas dans les corps vivants et les corps bruts. Ils nous Recherche en dos infirmiers No 19 - Décembre 1989 ont montré qu’il n’y a a” monde qu’une seule mécanique, celle de la physique, “ne seule chimie commune à tous les êtres de la nature. Il n’y a donc’pas deux ordres de science. Toute science digne de ce nom est celle qui, connaissant les lois précises des phénomènes, les prédit sûrement et les maîtrise quand ils sont à sa portée » (14. - L’épistémologie interroge la science en ce sens qu’elle s’intéresse au contexte de sa découverte, de sa production, de sa justification, de sa reproductibilité, de l’élaboration de loi, de théorie, de généralisation. Elle interroge aussi bien les concepts, les méthodes, les outils, que les résultats. En ce sens, nous pouvons dire que son objectif est d’être la science des sciences. Aura-t-on besoin d’une épistémologie de l’épistémologie, c’est “ne aporie classique. - Une autre difficulté qu’il faut souligner est de faire passer pour science de simples expériences. Où se situent les limites d’une ~Science et d’une non-science ? - L’épistémologie doit aussi interroger les conditions non scientifiques de la science, c’est-à-dire sa production sociale, sa répercussion éthique, philosophique, son réinvestissement et son utilisation future. Dans le vocabulaire scientifique un modèle est entendu comme l’instrument de production et d’exposition des connaissances. LES DIFFICULTÉS DE L’ÉPISTÉMOLOGIE - Le plus difficile d’après BACHELARD pour “ne science, est de prendre en compte la réalité contextuelle à partir de laquelle le chercheur peut après ses travaux, déduire des généralisations, lois, théories. II est nécessaire d’avoir “ne vision globale du domaine où se fait la recherche avant d’avoir “ne vision électique. - Une autre difficulté souvent énoncée par les épistémologues est l’objectivité de la science, « L’objectivité rationnelle, l’objectivité technique et l’objectivité sociale sont fortement 1iées:Si l’on oublie un seul de ces caractères de la culture scientifique moderne, on entre dans le domaine de l’utopic. Une philosophie des sciences qui ne veut pas être utopique doit essayer de formuler “ne synthèse de ces trois caractères » (I I). L’épistémologie, science de la science difficile d’accès pour les néophytes pose le problème de sa vulgarisation. L’épistémologue doit simplifier les phénomènes d’assimilation de la science selon lesquels une notion d’abord réservée aux seuls érudits devient le bien commun. Exemple : -DESCARTES simplifie l’algèbre par les méthodes d’algorithme. Cette discipline avant DESCARTES était inaccessible a” non mathématicien. Le râle de vigilance de l’épistémologie oblige les épistémologues à améliorer de façon constante le niveau des théories et leur exigence scientifique. Le domaine des sciences humaines est particulièrement vulnérable à cet égard. LA CONSTRUCTION D’UNE SCIENCE On ne peut a.” XY siècle parler de la construction d’une science sans l’appuyer sur la modélisation. La modélisation Nous pouvons lui attribuer le sens de « théorie » mais, la modélisation et la théorisation sont deux concepts différents. Nous parlons de théorie quand nous sommes convaincus du pouvoir explicatif et généralisable des résultats produits par la recherche, « mais, si nous nous interrogeons sur la forme, I’intelligibilité, la communication de nos raisonnements. nous parlerons plus volontiers de modèle x (I z) J.k LE MOIGNE. La notion de modèle est dynamique et évolutive, elle est plus souvent utilisée en sciences humaines actuellement, que le concept de théorie. Pour les modélisateurs, le monde est pers” comme un grand champ d’interactions multiples où tout est action, rien n’est passif. Il est peut-être éclairé par la psychologie, l’anthropologie, la chimie, la physiologie etc. et c’est à partir de ce champ dynamique que nous parlons de modélisation. Comment se construit un modèle Chacun d’entre nous a ses propres représentations, forgées par sa culture, son développement cognitif, ses affects etc. Chacun d’entre nous se représente le monde à sa façon. a Pour se représenter un arbre, on est forcé de se représenter le cadre sur lequel il se détache » P. VALERY. Nous inventons notre vision du monde qui engendre des conceptions et des points de vue différents. Si nous voulons trouver un terrain d’entente, sortir des débats d’idées, nous devons passer par l’étape de la modélisation scientifique. processus opérateur de connaissance, basé &r ;rk représent&ion collective. « Le modélisatcur a un rôle’-capital, critique, décisif. Il doit disposer d’une méthode qui lui permette de concevoir la multiplicité des points de vue puis de passer d’un point de vue à l’autre. Il doit disposer de concepts théoriques qui, au lieu de fermer et d’isoler les entités lui permettent de circuler productivement... il a besoin aussi d’une méthode qui lui permette de passer d’un point de vue à l’autre,... une méthode pour accéder au méta-point de vue sur les divers points de vue y compris le sien, inscrit et kraciné dans une société » E. MORIN (I 3). D’où vient la connaissance ? Est-elle pour nous une éxplication objective des effets que nous percevons en allant jusqu’à la découverte de leurs causes par l’analyse ? Ou estelle une construction cognitive, élaborée à partir des représentations modélisées ? Chacun de ces deux paradigmes, celui de la découverte et celui de l’invention correspond à un courant de pensée actuel. - Le courant positiviste qui est celui de l’analyse, de la méthode est représenté par des auteurs comme PIAGET, SIMON, MORIN. - Le courant consrructiviste qui est celui de la modélisation est basé sur les travaux de P. VALERY, BACHELARD, DUBORST, LE MOIGNE. La modélisation doit rendre compte de la « complexité essentielle » (BACHELARD) de toute réalité sans la trahir. Développée sous l’angle systémique elle est pertinente dans de nombreux domaines, entre autre celui des sciences humaines. La construction de la modélisation repose sur des axiomes (*) qui vont servir de base à une science dynamique. J.C. LE MOIGNE (12) qui a particulièrement travaillé sur la science des systèmes, développe plusieurs axiomes sur lesquels repose toute science construite. Toute connaissance résulte d’un projet. II n’y a pas de connaissance évidente. A la base il y a toujours la volonté de découvrir. « Il n’est de connaissance représentation construite, que intentionnelle » PIAGET (13). ~Connaître c’est d’abord la conjonctipn d’un systerne qui observe sur un système observé: On ne peut connaître qu’à partir d’une réalité. La connaissance est action. « Nous ne connaissons pas les choses, nous ne connaissons que les actes ». Paul VALERY. (*) Axiome : vérité indémontrable pais évidente par quiconque en comprend le sens (dictionnaire Robert). Nous ne pouvons pas parler d’un objet qu’en le situant par rapport à quelque chose, dans quelque chose, en.regard de sa finalité. La connaissance est réflexion. «Je ne sépare jamais l’idée d’un temple de celle de son édification ». Paul VALERY. II n’y a pas de connaissance sans une réflexion qui lui donne un sens, la connaissance en elle-même n’existe pas. La connaissance a un caractère d’irréversibilité. « Tout S’écoule, tu ne baigneras jamais deux fois dans laméme eau du fleuve ». HERACLITE. Le changement s’impose dès sa parution, aucune réalité ne se reproduit. La connaissance est une durée périssable. La connaissance est mémorisation. C’est sur la mémorisation que repose la connaissance, c’est à partir de notre mémoire que nous construisons nos représentations de la réalité. Exemple : Pour illustrer la modélisation et son utilité, je développerai un exemple. Toute organisation est basée SUI une philosophie, plus ou moins explicite, qui détermine sa politique d’action : rendement pour certaines usines, qualité de service pour des entreprises de vente etc. Les services de soins, systèmes organisés, n’échappent pas à cette règle, ils reposent tous sur une conception de soins. Celle-ci émane d’une modélisation élaborée à partir des représentations individuelles de l’équipe soignante, sorte de consensus collectif qui va donner un sens à chaque acte réalisé par les soignants. Si la modélisation n’existe pas, chaque soignant forgera, sa propre conception de soins en fonction de ses représentations personnelles. Ainsi, vis-à-vis d’un même patient qui souffre, en suivant les mêmes prescriptions médicales, une infirmière peu sensible à la douleur calmera moins un patient qu’une infirmière très sensible. Conception du scmicc 1 Organisation des sains Dans cette situation, la modélisation consisterait à adopter, avec le prescripteur et l’équipe soignante, une philosophie commune débouchant sur des actes similaires, étroitement adaptés à la demande du patient. La modélisation sert alors de référent à chacun des soignants. Recherche en soins infirmiers N” 19 . Décembre 1989 L’ÉPISTÉMOLOGIE DE LA SCIENCE HUMAINE La rupture épistémologique Si nous remontons à la pratique des femmes soignantes, nous pouvons constater que les soins s’exercent depuis toujours. De plus en plus sophistiqués et techniques depuis 21 ans les soins infirmicrs n’en restent pas moins empiriques, ils « s’appuient essentiellement surl’expérienceetnon sur des données scientifiques et rationnelles » (**). Or actuellement, nous sommes en train de vivre en France, comme dans beaucoup d’autres pays une rupture épistémologique. Les soins infirmiers changent de fondement. Les intïrmières, à partir de leur pratique (leur préhistoire) élaborent petit à petit une science et, en même temps qu’elles bâtissent et développent son contenu, elles repèrent la manière dont leurs savoirs se structurent, elles recherchent dans quelles conditions ils peuvent être considérés comme valables, elles créent leurs propres outils conceptuels, en un mot, eles travaillent à l’épistémologie de la science infirmière. Celle-ci ne surgit pas du néant, elle apparaît comme une pratique qui remplace sans cesse des représentations que nous nous étions données antérieurement ou transmises par tradition. Une science ne peut gommer ses origines, c’est à partir des concepts existants, déjà sélectionnés par la pratique quotidienne que la recherche prend un sens pour justifier, prouver, approfondir, permettre de comprendre, rationaliser, améliorer I’effïcacité, la qualité. Dans un courant de pensée scientifique, la rupture épistémologique s’opère dans un esprit de questionnement. Une réalité familière échappe au contrôle de son acteur puisque « ça va de soi )). Aussi, il ne s’interroge que rarement à son propos. Or, c’est cette interrogation permanente, ce « doute permanent » dont parle BACHELARD quipermetdepasserdel’empirismeauscientifique. Exemple : si nous considérons le concept « prévention d’escarres », nous pouvons remarquer que sous ce vocable les inftrmières mettent des pratiques, des savoir-faire différents, appris, forgés par l’expérience ou en usage dans l’endroit où elles travaillent. Mais, si nous prenons ce terme scientifiquement, il signifie que chaque infirmière, pour chaque patient, avec un outil approprié, évalue méthodiquement les risques qu’il présente à constituer des escarres et qu’elle mette en place des soins spécifiquement adaptés, reconnus efficaces pour ce patient, avec une économie de moyen (temps de l’infirmière, matériel) et un coût humain a minima pour le pauent. (““1 Définition du Dictionnaire Robert Le savoir scientifique est bien une construction de l’esprit, fondé en confrontation avec la réalité s’élaborant en rupture par rapport aux évidences anciennes. II apparaît comme une nouvelle manière de questionner et d’appréhender le monde et sa réalité en résonance avec les conditions culturelles, économiques, sociales et les idées de valeur de l’époque. LA CONSTRUCTION DE LA SCIENCE INFIRMIÈRE A quelques exceptions près (exemple : l’éthique) tous les thèmes de soins infirmiers peuvent être approchés par la recherche. Les infirmières ont prouvé depuis de longues années qu’elles savent faire de la recherche et améliorer la qualité de leurs soins et, un grand nombre d’équipes ou de chercheurs solitaires, travaillent sur des thèmes et dans des directions qui leur sont propres. Scientifiquement reconnues valables, ces recherches ne font pas avancer le corpus scientifique de la connaissance infirmière. Trois obstaclesmajeursnesontpasprisencompte : - Une recherche concerne toujours, c’est son caractère et sa natute, un sujet très pointu limité, cerné ; ce qui signifie que les résultats obtenus par une recherche isolée sont difficilement réinvestissables dans la pratique quotidienne. Il faut un certain nombre de travaux pour cerner un thème et faire évoluer les soins dans une trajectoire scientifique. L’atomisation des recherches qui entraîne leur inefficacité est généré par l’absence de politique concertée, l’absence de cohésion professionnelle, la méconnaissance de la recherche scientifique. - Très lié au phénomène d’atomisation, il faut noter que notre profession en France ne compte pas d’unité de recherche. Le cursus universitaire n’ayant pas de troisième cycle, celui où une discipline a pour mission de produire de la connaissance, le regroupement des recherches autour d’un chercheur n’existe pas. C’est au niveau d’un troisième cycle (DEA, Doctorat) que les chercheurs peuvent s’intéresser non seulement à la connaissance produite, mais aussi à son épistémologie : Dans quelle direction travailler ? Comment rendre des recherches complém~ntaircs ? Comment bâtir des outils pour faire de la recherche plus facilement etc. ~ Le troisième obstacle important est l’absence de diffusion de la recherche et de centralisation des travaux réalisés, aussi bien en France qu’à l’étranger. Aucun centre de documentation ne peut offrir à l’heure actuelle un thésaurus de recherches infknières complets. De tradition orale, la profession d’infirmière lit peu et écrit peu. La circulation des connaissances en dehors des écoles de base et de cadres est’presque inexistante. Il faut cependant noter que de plus en plus d’intïrmières poursuivent des études universitaires de premier et deuxième cycle ou, la sensibilisation à la recherche est marquée. La formation continue développe des sessions d’initiation à la recherche, mais, là encore les travaux entrepris par les équipes restent très morcelés, rarement publiés 0 non répertoriés. CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE I LALANDE (A.). - Vocabufaire technique et critiquede laphiloJophie, Paris, PUF, I l’édition, ‘972. 2. VIRIEUX-REYMOND. - L’Epirtémologie, PUF, Coll. SU~., Paris, 1966, p. 12. 3. BACHELARD (G.). - Epistémologie, textes choisis, Paris, PUF, 4’ édition, 1987, p. I 3). 4. SIMON (H.A.). - La rcience des yvrtèmei, Science de Partifi&/ (traduction Française J.L. LEMOIGNE), Paris, Ed. EPI, 1974, p. 92. 1. MORIN (E.). - La méthode. La nature de fa nature, Tome 3, Paris, Seuil, 1977, p. 13. 6 . B O U R D I E U (P.), C H A M B O R E D O N (J.C.), PASSERON (J.C.). - Le métier de Sociologue, Paris, Mouton, 1968, p. 27. Les infirmières dans leur pratique quotidienne sont-elles préparées à sortir d’une normalisation intellectuelle pour élargir leur champ de représentation à cette « quête des possibles ? ». 7. BACHELARD (G.). -Le nouvel ei,britscientifique, PUF, Ed. Quadrige, 16~ édition, Paris, 1984, P. ‘rj. MORIN (E.). - La méthode., La connaissance de la connaissance, Tome 1, Seuil, Paris, 1986, P. 24. V I R I E U X - R E Y M O N D ( A . ) . - 0). cit., p. 123. CLARKE (R.). - Claude Bernardet la Médecine expérimentale, Seghers, Paris, 1975, p. 47. L’activité scientifique nous demande créativité et rigueur pour formuler nos projets de développement scientifique et choisir nos priorités. Elle nous invite à une démarche féconde, stimulante qui nous amène à poser un autre regard su les soins infirmiers pour en faire des soins créatifs et non plus normatifs, actuels et non plus traditionnels, novarion personnalisée et non plus emprunt inadapté. La première étape de ce cheminement est sans conteste épidémiologique. BACHELARD. - Op. cit., p. 145. LE MOIGNE (J.L.). - La théorie du système @néral. Théorie de la modéhtion, Ed. PUF, Paris, 1977. p. 74. MORIN (E.). - La méthode. La nafrrre de fa nattrre, Tome I, Paris, Seuil, 1977, p. 179. PIAGET (J.). -Logique et connaimnce scientifique, Encyclopédie Pléiade, N.R.F., Paris, 1968, P. 92. L’épistémologie, loin d’être une dimension rébarbative de la science est au contraire une ~wertwe sur ce que J.L. LEMOIGNE appelle « une quête de l’identification des possibles ». La science n’est pas seulement une formalisation du nécessaire, elle est aussi et avant tout créative.