MÉTHODOLOGIE M. FORMARIER ENSEIGNANTE,*

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M
ÉTHODOLOGIE
M.ENSEIFORMARI
GNANTE,ER*
QUELQUES
DONNÉES SIMPLES
SUR L’ÉPISTÉMOLOGIE
Le terme épistémologie trouve son sens dans son
étymologie.
Constitué du mot grec epistêmê qui signifie
connaissance, savoiretdelogos : discours, l’épistémologie désigne une très ancienne forme de
connaissance, contemporaine de la pratique des
premiers savants.et philosophes et qui pourrait se
définir comme la connaissance de la productiotvde
la science.
Utilisé déjà par PLATON, mais tombé dans l’oubli
pendant des siècles, l’usage de ce mot n’est devenu
courant qu’à partir du I 9e siècle dans le vocabulaire
de la philosophie.
Qu’entendons-nous
par
Epistémologie
?
Les définitions abondent et l’accord des philosophes et des scientifiques est loin d’être fait sur la
signification du terme. C’est en proposant plusieurs approches que l’on peut tenter de cernet le
sens de l’épistémologie.
A. LALANDE définit l’épistémologie comme
« la philosophie des sciences mais avec un sens
plus précis, ce n’est pas proprement l’étude des
méthodes scientifiques... c’est essentiellement
l’étude critique des principes, des hypothèses et
des résultats des diverses sciences destinées à déterminer leur origine logique, leur valeur et leur
portée objective » (1).
A. VIRIEUX-REYMOND propose aussi un
aspect très philosophique de l’épistémologie.
« Philosophie de la science, théorie de la connaissance au sens plus général du mot : origine, nature
et limites » (2).
G. BACHELARD dans son livre « épistémologie » se refuse à donner une définition lapidaire
tant le thème de la construction d’une science
lui paraît infini. II exprime de façon claire que
l’épistémologie sert à fonder une science, à lui
donner ses bases, les recherches sont les pierres qui
servent à son édification.
« Fonder, échafauder, bâtir ne sont que des images.
En ce qui concerne l’édifice de la science, on peut
le bâtir sans le fonder, on peut aussi fonder sans
bâtir... une modification dans les bases de la science
entraîne un accroissement au sommet, plus on
creuse la science, plus elle s’élève » (3).
* Enseignante,
rieur Lyon.
Département
Enseigncmcnt
InRrmier Supé-
BACHELARD souligne que creuser la science,
c’est-à-dire travailler son épistémologie est aussi
utile que de bâtir, c’est-à-dire travailler son
contenu.
H.A. SIMON fait la transition entre l’approche
philosophique et scientifique de l’épistémologie
qu’il définit comme « l’interface de la philosophie
et de la science » (4). L’interface est la limite commune ou la jonction entre deux systèmes.
Pour SIMON l’épistémologie engloberait à la fois
les règles de la construction d’une science
(approche scientifique) et les questions philosophiques qui se posent lorsque l’on veut approfondir,
bâtir une science (réinvestissement des connaissances, finalité des savoirs etc.).
E. MORINaborde l’épistémologie avec un regard
de scientifique « l’épistémologie se voue à l’examen
critique des conditions et méthodes de la connaissance scientifique, elle examine la validité des formes d’explication, la pertinence des règles logiques
d’inférence, les conditions d’utilisation des
concepts et symboles.
Bien que se refusant à examiner les résultats, c’està-dire les connaissances scientifiques en ellesmêmes, cette épistémologie se pose en tribunal
extérieur: supérieur à la science, apte à l’assigner
en cassauon pour violation des règles » (5).
Pour résumer, nous ~&VO~S dire que l’épistémologie est la science qui a pour objet de permettre la
création, l’émergence, l’élaboration, l’édification
d’une autre science.
Elle est liée au devenir réel et à la progression d’une
science qui est son objet.
« Elle a pour tâche de découvrir dans la pratique
scientifique elle-même, sans cesse affrontée à l’erreur, les conditions auxquelles on peut tirer le vrai
ou le faux en passant d’une connaissance moins
vraie à une connaissance plus vraie » (6) BOURDIEU.
L’épistémologie définit une science à un moment
de son histoire. La science n’est jamais enfermée
dans un cadre qui la limite, car le propre d’une
sciencec’est d’évoluer, dese développer, de bouger
sous l’effet des tensions, des problèmes, des échanges, des concepts, des recherches qui lui confèrent
son dynamisme.
L’épistémologie est donc toujours historique.
On appelle coupure ou rupture épistémologique,
le moment où une science se constitue en coupant
avec sa « préhistoire ». En général, il ne s’agit pas
d’un changement brutal, mais du processus qui
permet l’émergence d’une nouvelle naissance
scientifique avec sa double contrainte : démonstration, expérimentation.
QUELQUES DONNÉES SIMPLES
SUR L’tiPISTfiMOLOGIE
Comme exemple récent nous pouvons citer I’avènement de la fécondation artificielle, l’utilisation
de la psychanalyse comme moyen thérapeutique.
Quelques repères historiques
Peuvent nous aider à comprendre l’évolution de
l’épistémologie :
Avec PLATON (428 av. J.C.) l’épistémologie
était essentiellement philosophique et elle est restée
pendant longtemps liée au discours des philosophes.
DESCARTES (discours SUI la méthode 1637) a
été un des premiers à dire qu’il faut faire éclater
l’épistémologie hors de la philosophie pour la mettre au service de la science.
Le vrai tournant ne sera amorcé qu’en 1794.1800
par VHEWELL qui associe la science à la genèse
de sa production. Il s’intéresse à la façon dont une
science s’élabore à partir « d’utopies » ou à partir
de problèmes pratiques.
A. COMTE (I 8 j o) montre la relation très étroite,
l’intimité qui existe entre l’expérience qui est un
processus d’objectivation et la raison de l’expérience qui en est sa justification.
A.
LALANDE (1948) reprend l’idée A.
COMTE et fait une distinction entre raison constituante et raison constituée.
La raison constituante, représente la réflexion dans
son mécanisme constructeur (épistémologie) ; la
raison constituée, représente l’ensemble des théories et concepts que notre raison élabore pour
expliquer la réalité concrète et vécue (science).
BACHELARD (début de son oeuvre 1928 écrit
jusqu’en 19> I) pose les bases véritables de l’épistémologie scientitïque moderne. Il en situe les limites
et les contours. « Nous croyons que la construction
d’un appareil objectif va de soi, nous ne voyons
pas toujours la somme des précautions techniques
que réclame le montage de l’appareil le plus
simple » (7). L’œuvre de BACHELARD fait date
dans l’histoire de la connaissance scientifique.
Plus proche de nous et dans un courant moderniste
E. MORIN (1986) recentre l’épistémologie dans
une dynamique récursive contemporaine de chaque science.
« L’épistémologie n’est pas le centre de vérité, elle
doit tourner autour du problème de la vérité en
passant de perspective en perspective et espéronsle, de vérités partielles en vérités partielles » (8).
Les travaux de PIAGET (1960) occupent une
place à part dans l’histoire de l’épistémologie. Il a
particulièrement développé l’épistémologie génétique qui se rattache au courant philosophique.
« Elle recherche essennellement à étudier la signiiïcation des connaissances, des structures opératoires en recourant d’une part, à leur histoire et à leur
fonctionnement actuel dans une science déterminée, d’autre part à leur formation en psychogénéti~que ou à leurs relations avec les structures
mentales » (9).
Avec PIAGET, l’épistémologie n’est plus seulement le repérage des mécanismes de construction
d’une science, mais il se propose de saisir la connaissance dans son accroissement, et d’identifier les
facteurs qui sont la source de cet accroissement.
Pourquoi certaines sciences progressent et d’autres
pas ?
OBJECTIFS
DE L’ÉPISTÉMOLOGIE
- L’épistémologie donne une place à la connaissance scientifique. Elle la situe par rapport à d’autres formes de connaissance ou de pratique.
- Elle justifie l’émergence d’une science, elle
détïnit aussi des limites à la connaissance scientifique qui ne saurait tout connaître, tout démontrer.
- L’épistémologie fait prendre conscience qu’il
n’y a pas de science en général, mais des systèmes
de connaissance spécifiques en évolution, appropriés à leur objet. Ces multiples disciplines ne sont
pas indépendantes les unes des autres, mais elles
peuvent avoir des liens, des similitudes tout en
étant relativement autonomes.
- L’épisrémologiepermetlacréation etl’élaboration de moyens et de méthodes scientifiques toujours très liés au contenu et à la nature de la science
elle-même.
Le repérage des mécanismes (méthodes) opératoires qui ont contribué à construire une science,
permet des transpositions d’une science à l’autre.
A. COMTE développe la sociologie en transpoSant certaines méthodes de la physique pour étudier
la société. Par l’épistémologie, il légitime le
transfert de cette méthode.
Claude BERNARD fonde la physiologie moderne
en soumettant la matière, vivante aux mémes procédés d’analyse chimique que la matière inerte, il
légitime ses conceptions sur le plan épistémologique. .« DESCARTES, LAVOISIER nous ont
appris que la matière et ses lois ne diffèrent pas
dans les corps vivants et les corps bruts. Ils nous
Recherche en dos infirmiers
No 19 - Décembre 1989
ont montré qu’il n’y a a” monde qu’une seule
mécanique, celle de la physique, “ne seule chimie
commune à tous les êtres de la nature.
Il n’y a donc’pas deux ordres de science. Toute
science digne de ce nom est celle qui, connaissant
les lois précises des phénomènes, les prédit sûrement et les maîtrise quand ils sont à sa portée »
(14.
- L’épistémologie interroge la science en ce sens
qu’elle s’intéresse au contexte de sa découverte, de
sa production, de sa justification, de sa reproductibilité, de l’élaboration de loi, de théorie, de généralisation.
Elle interroge aussi bien les concepts, les méthodes,
les outils, que les résultats. En ce sens, nous pouvons dire que son objectif est d’être la science des
sciences.
Aura-t-on besoin d’une épistémologie de l’épistémologie, c’est “ne aporie classique.
- Une autre difficulté qu’il faut souligner est de
faire passer pour science de simples expériences.
Où se situent les limites d’une ~Science et d’une
non-science ?
- L’épistémologie doit aussi interroger les conditions non scientifiques de la science, c’est-à-dire sa
production sociale, sa répercussion éthique, philosophique, son réinvestissement et son utilisation
future.
Dans le vocabulaire scientifique un modèle est
entendu comme l’instrument de production et
d’exposition des connaissances.
LES DIFFICULTÉS
DE L’ÉPISTÉMOLOGIE
- Le plus difficile d’après BACHELARD pour
“ne science, est de prendre en compte la réalité
contextuelle à partir de laquelle le chercheur peut
après ses travaux, déduire des généralisations, lois,
théories. II est nécessaire d’avoir “ne vision globale
du domaine où se fait la recherche avant d’avoir
“ne vision électique.
- Une autre difficulté souvent énoncée par les
épistémologues est l’objectivité de la science,
« L’objectivité rationnelle, l’objectivité technique
et l’objectivité sociale sont fortement 1iées:Si l’on
oublie un seul de ces caractères de la culture scientifique moderne, on entre dans le domaine de l’utopic. Une philosophie des sciences qui ne veut pas
être utopique doit essayer de formuler “ne synthèse
de ces trois caractères » (I I).
L’épistémologie, science de la science difficile d’accès pour les néophytes pose le problème de sa
vulgarisation.
L’épistémologue doit simplifier les phénomènes
d’assimilation de la science selon lesquels une
notion d’abord réservée aux seuls érudits devient
le bien commun.
Exemple :
-DESCARTES simplifie l’algèbre par les
méthodes d’algorithme. Cette discipline avant
DESCARTES était inaccessible a” non mathématicien.
Le râle de vigilance de l’épistémologie oblige les
épistémologues à améliorer de façon constante le
niveau des théories et leur exigence scientifique.
Le domaine des sciences humaines est particulièrement vulnérable à cet égard.
LA CONSTRUCTION
D’UNE SCIENCE
On ne peut a.” XY siècle parler de la construction
d’une science sans l’appuyer sur la modélisation.
La modélisation
Nous pouvons lui attribuer le sens de « théorie »
mais, la modélisation et la théorisation sont deux
concepts différents.
Nous parlons de théorie quand nous sommes
convaincus du pouvoir explicatif et généralisable
des résultats produits par la recherche, « mais, si
nous nous interrogeons sur la forme, I’intelligibilité, la communication de nos raisonnements. nous
parlerons plus volontiers de modèle x (I z) J.k LE
MOIGNE.
La notion de modèle est dynamique et évolutive,
elle est plus souvent utilisée en sciences humaines
actuellement, que le concept de théorie.
Pour les modélisateurs, le monde est pers” comme
un grand champ d’interactions multiples où tout
est action, rien n’est passif. Il est peut-être éclairé
par la psychologie, l’anthropologie, la chimie, la
physiologie etc. et c’est à partir de ce champ dynamique que nous parlons de modélisation.
Comment se construit un modèle
Chacun d’entre nous a ses propres représentations,
forgées par sa culture, son développement cognitif,
ses affects etc.
Chacun d’entre nous se représente le monde à sa
façon.
a Pour se représenter un arbre, on est forcé de se
représenter le cadre sur lequel il se détache » P.
VALERY.
Nous inventons notre vision du monde qui engendre des conceptions et des points de vue différents.
Si nous voulons trouver un terrain d’entente, sortir
des débats d’idées, nous devons passer par l’étape
de la modélisation scientifique. processus opérateur de connaissance, basé &r ;rk représent&ion
collective. « Le modélisatcur a un rôle’-capital,
critique, décisif. Il doit disposer d’une méthode
qui lui permette de concevoir la multiplicité des
points de vue puis de passer d’un point de vue à
l’autre. Il doit disposer de concepts théoriques
qui, au lieu de fermer et d’isoler les entités lui
permettent de circuler productivement... il a
besoin aussi d’une méthode qui lui permette de
passer d’un point de vue à l’autre,... une méthode
pour accéder au méta-point de vue sur les divers
points de vue y compris le sien, inscrit et kraciné
dans une société » E. MORIN (I 3).
D’où vient la connaissance ?
Est-elle pour nous une éxplication objective des
effets que nous percevons en allant jusqu’à la
découverte de leurs causes par l’analyse ? Ou estelle une construction cognitive, élaborée à partir
des représentations modélisées ?
Chacun de ces deux paradigmes, celui de la découverte et celui de l’invention correspond à un courant de pensée actuel.
- Le courant positiviste qui est celui de l’analyse,
de la méthode est représenté par des auteurs comme
PIAGET, SIMON, MORIN.
- Le courant consrructiviste qui est celui de la
modélisation est basé sur les travaux de P.
VALERY, BACHELARD, DUBORST, LE
MOIGNE.
La modélisation doit rendre compte de la
« complexité essentielle » (BACHELARD) de
toute réalité sans la trahir.
Développée sous l’angle systémique elle est pertinente dans de nombreux domaines, entre autre
celui des sciences humaines.
La construction de la modélisation repose sur des
axiomes (*) qui vont servir de base à une science
dynamique.
J.C. LE MOIGNE (12) qui a particulièrement
travaillé sur la science des systèmes, développe
plusieurs axiomes sur lesquels repose toute science
construite.
Toute connaissance résulte d’un projet. II n’y a
pas de connaissance évidente. A la base il y a
toujours la volonté de découvrir. « Il n’est de
connaissance
représentation
construite,
que
intentionnelle » PIAGET (13).
~Connaître c’est d’abord la conjonctipn d’un systerne qui observe sur un système observé: On ne
peut connaître qu’à partir d’une réalité.
La connaissance est action. « Nous ne connaissons pas les choses, nous ne connaissons que les
actes ». Paul VALERY.
(*) Axiome : vérité indémontrable pais évidente par quiconque en comprend le sens (dictionnaire Robert).
Nous ne pouvons pas parler d’un objet qu’en le
situant par rapport à quelque chose, dans quelque
chose, en.regard de sa finalité.
La connaissance est réflexion. «Je ne sépare
jamais l’idée d’un temple de celle de son
édification ». Paul VALERY. II n’y a pas de
connaissance sans une réflexion qui lui donne un
sens, la connaissance en elle-même n’existe pas.
La connaissance a un caractère d’irréversibilité.
« Tout S’écoule, tu ne baigneras jamais deux fois
dans laméme eau du fleuve ». HERACLITE.
Le changement s’impose dès sa parution, aucune
réalité ne se reproduit. La connaissance est une
durée périssable.
La connaissance est mémorisation. C’est sur la
mémorisation que repose la connaissance, c’est à
partir de notre mémoire que nous construisons nos
représentations de la réalité.
Exemple : Pour illustrer la modélisation et son
utilité, je développerai un exemple. Toute organisation est basée SUI une philosophie, plus ou moins
explicite, qui détermine sa politique d’action : rendement pour certaines usines, qualité de service
pour des entreprises de vente etc. Les services de
soins, systèmes organisés, n’échappent pas à cette
règle, ils reposent tous sur une conception de soins.
Celle-ci émane d’une modélisation élaborée à partir
des représentations individuelles de l’équipe soignante, sorte de consensus collectif qui va donner
un sens à chaque acte réalisé par les soignants.
Si la modélisation n’existe pas, chaque soignant
forgera, sa propre conception de soins en fonction
de ses représentations personnelles. Ainsi, vis-à-vis
d’un même patient qui souffre, en suivant les
mêmes prescriptions médicales, une infirmière peu
sensible à la douleur calmera moins un patient
qu’une infirmière très sensible.
Conception du scmicc
1
Organisation des sains
Dans cette situation, la modélisation consisterait à
adopter, avec le prescripteur et l’équipe soignante,
une philosophie commune débouchant sur des
actes similaires, étroitement adaptés à la demande
du patient.
La modélisation sert alors de référent à chacun des
soignants.
Recherche en soins infirmiers
N” 19 . Décembre 1989
L’ÉPISTÉMOLOGIE
DE LA SCIENCE HUMAINE
La
rupture
épistémologique
Si nous remontons à la pratique des femmes soignantes, nous pouvons constater que les soins
s’exercent depuis toujours. De plus en plus sophistiqués et techniques depuis 21 ans les soins infirmicrs n’en restent pas moins empiriques, ils
« s’appuient essentiellement surl’expérienceetnon
sur des données scientifiques et rationnelles » (**).
Or actuellement, nous sommes en train de vivre
en France, comme dans beaucoup d’autres pays
une rupture épistémologique.
Les soins infirmiers changent de fondement. Les
intïrmières, à partir de leur pratique (leur préhistoire) élaborent petit à petit une science et, en
même temps qu’elles bâtissent et développent son
contenu, elles repèrent la manière dont leurs
savoirs se structurent, elles recherchent dans quelles conditions ils peuvent être considérés comme
valables, elles créent leurs propres outils conceptuels, en un mot, eles travaillent à l’épistémologie
de la science infirmière. Celle-ci ne surgit pas du
néant, elle apparaît comme une pratique qui remplace sans cesse des représentations que nous nous
étions données antérieurement ou transmises par
tradition.
Une science ne peut gommer ses origines, c’est à
partir des concepts existants, déjà sélectionnés par
la pratique quotidienne que la recherche prend un
sens pour justifier, prouver, approfondir, permettre de comprendre, rationaliser, améliorer I’effïcacité, la qualité.
Dans un courant de pensée scientifique, la rupture
épistémologique s’opère dans un esprit de questionnement. Une réalité familière échappe au
contrôle de son acteur puisque « ça va de soi )).
Aussi, il ne s’interroge que rarement à son propos.
Or, c’est cette interrogation permanente, ce
« doute permanent » dont parle BACHELARD
quipermetdepasserdel’empirismeauscientifique.
Exemple : si nous considérons le concept
« prévention d’escarres », nous pouvons remarquer que sous ce vocable les inftrmières mettent
des pratiques, des savoir-faire différents, appris,
forgés par l’expérience ou en usage dans l’endroit
où elles travaillent. Mais, si nous prenons ce terme
scientifiquement, il signifie que chaque infirmière,
pour chaque patient, avec un outil approprié, évalue méthodiquement les risques qu’il présente à
constituer des escarres et qu’elle mette en place des
soins spécifiquement adaptés, reconnus efficaces
pour ce patient, avec une économie de moyen
(temps de l’infirmière, matériel) et un coût humain
a minima pour le pauent.
(““1 Définition
du Dictionnaire
Robert
Le savoir scientifique est bien une construction
de l’esprit, fondé en confrontation avec la réalité
s’élaborant en rupture par rapport aux évidences
anciennes. II apparaît comme une nouvelle manière
de questionner et d’appréhender le monde et sa
réalité en résonance avec les conditions culturelles,
économiques, sociales et les idées de valeur de
l’époque.
LA CONSTRUCTION
DE LA SCIENCE INFIRMIÈRE
A quelques exceptions près (exemple : l’éthique)
tous les thèmes de soins infirmiers peuvent être
approchés par la recherche. Les infirmières ont
prouvé depuis de longues années qu’elles savent
faire de la recherche et améliorer la qualité de
leurs soins et, un grand nombre d’équipes ou de
chercheurs solitaires, travaillent sur des thèmes et
dans des directions qui leur sont propres. Scientifiquement reconnues valables, ces recherches ne font
pas avancer le corpus scientifique de la connaissance infirmière.
Trois obstaclesmajeursnesontpasprisencompte
:
- Une recherche concerne toujours, c’est son
caractère et sa natute, un sujet très pointu limité,
cerné ; ce qui signifie que les résultats obtenus par
une recherche isolée sont difficilement réinvestissables dans la pratique quotidienne. Il faut un
certain nombre de travaux pour cerner un thème
et faire évoluer les soins dans une trajectoire scientifique. L’atomisation des recherches qui entraîne
leur inefficacité est généré par l’absence de politique concertée, l’absence de cohésion professionnelle, la méconnaissance de la recherche scientifique.
- Très lié au phénomène d’atomisation, il faut
noter que notre profession en France ne compte
pas d’unité de recherche. Le cursus universitaire
n’ayant pas de troisième cycle, celui où une discipline a pour mission de produire de la connaissance, le regroupement des recherches autour d’un
chercheur n’existe pas. C’est au niveau d’un troisième cycle (DEA, Doctorat) que les chercheurs
peuvent s’intéresser non seulement à la connaissance produite, mais aussi à son épistémologie :
Dans quelle direction travailler ? Comment rendre
des recherches complém~ntaircs ? Comment bâtir
des outils pour faire de la recherche plus facilement
etc.
~ Le troisième obstacle important est l’absence
de diffusion de la recherche et de centralisation
des travaux réalisés, aussi bien en France qu’à
l’étranger. Aucun centre de documentation ne peut
offrir à l’heure actuelle un thésaurus de recherches
infknières complets. De tradition orale, la profession d’infirmière lit peu et écrit peu. La circulation
des connaissances en dehors des écoles de base et
de cadres est’presque
inexistante.
Il faut cependant noter que de plus en plus d’intïrmières poursuivent des études universitaires de
premier et deuxième cycle ou, la sensibilisation à
la recherche est marquée. La formation continue
développe des sessions d’initiation à la recherche,
mais, là encore les travaux entrepris par les équipes
restent très morcelés, rarement publiés 0 non
répertoriés.
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
I LALANDE (A.). - Vocabufaire
technique et
critiquede laphiloJophie, Paris, PUF, I l’édition,
‘972.
2. VIRIEUX-REYMOND. - L’Epirtémologie,
PUF, Coll. SU~., Paris, 1966, p. 12.
3. BACHELARD (G.). - Epistémologie, textes
choisis, Paris, PUF, 4’ édition, 1987, p. I 3).
4. SIMON (H.A.). - La rcience des yvrtèmei,
Science de Partifi&/ (traduction Française J.L.
LEMOIGNE), Paris, Ed. EPI, 1974, p. 92.
1. MORIN (E.). - La méthode. La nature de fa
nature, Tome 3, Paris, Seuil, 1977, p. 13.
6 . B O U R D I E U (P.), C H A M B O R E D O N
(J.C.), PASSERON (J.C.). - Le métier de
Sociologue, Paris, Mouton, 1968, p. 27.
Les infirmières dans leur pratique quotidienne
sont-elles préparées à sortir d’une normalisation
intellectuelle pour élargir leur champ de représentation à cette « quête des possibles ? ».
7. BACHELARD (G.). -Le nouvel ei,britscientifique, PUF, Ed. Quadrige, 16~ édition, Paris,
1984, P. ‘rj.
MORIN (E.). - La méthode., La connaissance
de la connaissance, Tome 1, Seuil, Paris, 1986,
P. 24.
V I R I E U X - R E Y M O N D ( A . ) . - 0). cit.,
p. 123.
CLARKE (R.). - Claude Bernardet la Médecine
expérimentale, Seghers, Paris, 1975, p. 47.
L’activité scientifique nous demande créativité et
rigueur pour formuler nos projets de développement scientifique et choisir nos priorités. Elle nous
invite à une démarche féconde, stimulante qui
nous amène à poser un autre regard su les soins
infirmiers pour en faire des soins créatifs et non
plus normatifs, actuels et non plus traditionnels,
novarion personnalisée et non plus emprunt inadapté. La première étape de ce cheminement est
sans conteste épidémiologique.
BACHELARD. - Op. cit., p. 145.
LE MOIGNE (J.L.). - La théorie du système
@néral. Théorie de la modéhtion, Ed. PUF,
Paris, 1977. p. 74.
MORIN (E.). - La méthode. La nafrrre de fa
nattrre, Tome I, Paris, Seuil, 1977, p. 179.
PIAGET (J.). -Logique et connaimnce scientifique, Encyclopédie Pléiade, N.R.F., Paris, 1968,
P. 92.
L’épistémologie, loin d’être une dimension rébarbative de la science est au contraire une ~wertwe
sur ce que J.L. LEMOIGNE appelle « une quête
de l’identification des possibles ».
La science n’est pas seulement une formalisation
du nécessaire, elle est aussi et avant tout créative.
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