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(éminemment contemporaine !), la référence duelle pour chaque diagnostic quant au trait
(axe I de personnalité, peu ou prou la structure ou la « constitution » telle que la psycho-
pathologie freudienne et les aliénistes pouvaient chacun à leur manière, l’envisager), et à
l’état (axe II, symptomatique d’un moment critique, partie émergée, « comportementale »,
de l’iceberg psychique), et encore la vocation au comparatisme culturel des troubles men-
taux, comparatisme présupposant l’universalité des grandes blessures humaines et de leurs
cicatrisations.
Mais ici encore et peut-être surtout, apparaît toute la limite de la démarche des DSM
à partir de sa troisième version. Citons Rechtmann : « Les classifi cations américaines du
DSM ou encore la CIM10 élaborée par l’Organisation mondiale de la santé prétendent ainsi
rompre avec l’universalisme théorique de la psychiatrie classique au profi t d’une interna-
tionalisation des critères diagnostiques dont la pertinence devra être évaluée dans chaque
contexte culturel pour être éventuellement validée. L’enjeu est de taille puisqu’il remplace
l’universalisme théorique classique de la discipline psychiatrique par l’internationalisation
des classifi cations. S’il est désormais possible de repérer, de classifi er, de diagnostiquer et
de planifi er les modalités thérapeutiques de l’ensemble des désordres mentaux, ce n’est plus
au nom d’une prétendue universalité du fonctionnement psychique, mais en vertu d’une
accumulation de données empiriques pour certaines également empruntées au domaine de
l’anthropologie. La sommation des différences aboutirait-elle à un savoir cumulatif interna-
tional et non plus universel ? C’est toute la question »7.
L’a-théorisme (le « phénoménisme ») revendiqué du DSM, sa (pseudo-) autonomie se
heurtent au roc épistémologique d’une description pure, faisant fi de ce qu’engage essen-
tiellement d’ambiguïté (désirante, culturelle, sociale, etc.) tout rapport ou fait humain. Nous
retrouvons alors la prévention phénoménologique face au « phénoménisme », qui requiert
pour tout chercheur le passage par la réduction husserlienne entre attitude naturelle et accès
à la phénoménalité du trouble8, la psychanalyse et les travaux socio-anthropologiques qui
vont traquer différentes formes d’inconscient à l’œuvre au travers du symptôme, et encore
bien sûr les soupçons nietzschéen ou marxiste portés au « pragmatisme » descriptif, tou-
jours-déjà entaché d’idéologie, soupçons pour lesquels dire le vrai suppose un impensé qui
est une théorie implicite sur le statut de « la » vérité.
Si décrire (pour tous, universellement) ce qui fait « trouble mental » était « naturel »,
consistait en un simple recueil de signes, d’items ou d’échelles, sans parole indexée d’une
discorde intime, tels que le DSM et la « psychiatrie biologique » le prétendent, en quoi et
comment une intériorité subjective, « en première personne » suivant l’expression quasi
tautologique consacrée par les sciences cognitives, soit tel être marqué, de façon toujours
ambivalente, par sa culture, pourraient s’y révéler ?
7. R. RECHTMANN, « Ethnicisation de la psychiatrie : de l’universel à l’international », L’information psychiatrique, vol.
79, n°2, p. 161-9.
8. Cf. E. HUSSERL, Idées directrices pour une phénoménologie, TEL Gallimard, 1985.