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Elle néglige donc les causes finales, sou-
vent considérées depuis Descartes
comme non scientifiques.
Une méthodologie descriptive des
troubles ne rend pas compte des aspects
fondamentaux de ceux-ci. Elle espère
cependant pouvoir être un point de départ
pour la recherche de ces aspects fonda-
mentaux. Nous reviendrons sur ce point
quand nous examinerons la question de
l’objectivité.
Des individus isolés
Le DSM, comme la majorité des classifi-
cations psychiatriques, décrit des indivi-
dus isolés de leur contexte familial, pro-
fessionnel, social ou culturel. Il
méconnaît l’importance des interactions
dans la constitution de l’être humain.
Les troubles qui y sont décrits deviennent
ainsi de pures abstractions déshumani-
sées, que l’on ne rencontre jamais dans la
pratique courante – à moins de penser et
de se comporter comme un robot social
sans affectivité.
Un patient quel qu’il soit ne peut exister
que dans un contexte qui l’influence et
qu’il influence, avec lequel il interfère.
Dans le DSM, autrui n’apparaît le plus
souvent que si le patient lui pose problè-
me (c’est en particulier le cas des
enfants) ou si le patient doit se cacher de
lui (c’est le cas des boulimiques qui
vomissent).
Pourtant, un trouble quel qu’il soit est
autant montré, vu et entendu qu’il est
vécu. Un trouble est également commu-
nication.
La temporalité
Malgré l’existence de critères de durée
(arbitraires) et quelques éléments
concernant l’évolution, les pathologies
sont décrites de façon intemporelle.
Le DSM décrit des états dans lesquels
l’histoire du sujet est absente. Ces états
sont théoriquement censés être les
mêmes en tout temps et à toute époque.
L’objectivité
La constatation est le point de départ de
toute classification. Les organes des
sens, indispensables à la constatation,
interviennent dans une proportion relati-
vement faible, tandis que la personnalité
de l’observateur participe tout entière à
cette activité.
En effet, en matière de psychiatrie,
l’homme utilise deux méthodes pour dif-
férencier les objets auxquels il est
confronté : il observe ce qui est à l’exté-
rieur de lui-même et analyse ce qui est à
l’intérieur de lui-même. L’homme, donc,
observe à partir de ses organes des sens,
et des éventuels outils qu’il a créés pour
prolonger ceux-ci (le microscope, le
scanner, les dosages biologiques…).
Mais l’homme ressent également, et il a
tendance à assimiler ses états internes à
ce qu’il observe : ma tristesse se caracté-
rise par telle ou telle manifestation (je
pense, je me comporte, je me présente de
telle ou telle manière) ; donc, si je
constate des manifestations identiques
chez une autre personne, je peux les rap-
porter à la tristesse, à la dépression.
Les penseurs se sont préoccupés d’élimi-
ner cette influence d’observateur afin
d’obtenir un résultat qui soit identique
pour n’importe quel individu qui consta-
te. C’est en cela que réside l’objectivité.
Il peut arriver, cependant, que par un rai-
sonnement inverse, on soit conduit à pen-
ser que si l’on a un résultat sur lequel tout
le monde s’accorde, comme la définition
d’un syndrome psychiatrique quel qu’il
soit, c’est un signe d’objectivité.
Ainsi, la méthode des critères diagnos-
tiques peut donner l’illusion d’une par-
faite objectivité, d’un repérage précis de
l’objet décrit, appréhendé. En réalité,
l’usager du DSM ne fait que préciser ce
qu’il entend (et ce que, éventuellement,
d’autres entendent de façon consensuel-
le). Il ne fait que préciser ses concepts.
Le DSM se situe dans une épistémologie
positive-réaliste. Il postule qu’il existe
une réalité extérieure à l’observateur que
ce dernier peut décrire avec objectivité de
façon précise s’il dispose des outils adé-
quats. Le DSM veut être l’un de ces
outils. Le DSM prétend éliminer la sub-
jectivité.
Comme il existe des objets dont la des-
cription ne peut rendre compte parfaite-
ment, il va modifier cette description et
évoluer au fil du temps, avec l’espoir
d’atteindre un jour à une description
complète et parfaite. En fait, c’est un
processus infini. En quoi la définition
suivante est-elle plus valide que la précé-
dente ? Cela n’est jamais explicité.
La description objective n’est peut-être
pas d’ailleurs l’élément fondamental per-
mettant d’appréhender un phénomène
dans le champ des sciences humaines.
Prenons un exemple linguistique (4) : le
locuteur français est persuadé que les
deux unités phoniques minimales, “r” et
“l”, sont distinctes en soi, dans leur
essence immuable, par leur substance
phonique même, et cela pour toutes les
langues. Il ne paraît pas possible de
confondre un son produit par une vibra-
tion de deux à cinq battements de la poin-
te de la langue contre les dents d’en haut,
le “r”, avec un son si totalement différent,
produit par l’écoulement latéral de l’air à
droite et à gauche de la pointe de la
langue touchant les dents d’en haut, le
“l”. Or, les Français ne distinguent ces
deux productions que parce qu’elles ont
des fonctions distinctives : elles permet-
tent de distinguer pale de pare, mille de
mire, bulle de bure, père de pelle, bar de
bal…
En sango, et dans de nombreuses langues
africaines, ces deux sons “objective-
ment” (physiquement) si différents ne
sont pas utilisés pour opposer des paires
de mots qui seraient autrement sem-
blables. Ils n’ont donc pas cette valeur
d’opposition distinctive dans la commu-
nication : “r” ne commute pas avec “l”
pour créer des unités significatives diffé-
rentes.
mise au point
Mise au point