intervention de Dieu résulte seulement
d'une
retenue de sa puis-
sance, qu'il pourrait utiliser mais n'utiliserait pas effectivement
« par respect pour le droit propre
de
la création
»14.
Il
faut qu'il
se
soit
dépouillé réellement de sa puissance, qu'il n'ait plus aucun pouvoir
« d'immixtion dans le cours physique des choses
de
ce monde »15. Il
n'est pas intervenu à Auschwitz, non point parce qu'il ne le voulait
pas,
mais ne le pouvait pas16.
Nous n'entendons pas discuter le mythe lui-même, ni sa
congruité à l'égard de l'intention de Jonas17. Relevons seulement
que les caractéristiques du Dieu de son récit s'opposent termes à
termes aux attributs habituels du Dieu souverain (mais par là même
responsable d'Auschwitz)
:
devenir/intégrité divine, imma-
nence/transcendance, contingence/prescience, «hasard cosmi-
que »/maîtrise. Mais dans un second temps, Jonas revient de son
mythe à la Bible, pour comparer les deux récits. Ses paroles, argu-
mente l'auteur, ne sont peut-être pas aussi étrangères au texte sacré
qu'il y paraît à première vue. On trouve aussi «dans la Bible
hébraïque un Dieu qui se voit méprisé et rejeté par l'homme, et qui
s'afflige
à son sujet» 18. Surtout, les prédicats de « supratempora-
lité
»,
«
impassibilité
»,
«
immutabilité »19
ne
conviennent, estime-t-
il,
ni
« à
l'esprit ni au langage de la Bible »20. Ces attributs sont ceux
du dieu de la
«
tradition grecque, platonico-aristotélicienne », qui a
été incorporée à la théologie biblique et « a usurpé à son profit une
autorité à quoi elle n'a nullement droit, selon des critères authenti-
quement juifs (et chrétiens également) » 21. Le fait même de créer
engage Dieu dans une relation de connaissance et d'intérêt avec le
monde, qui implique en lui un changement, ne le laisse pas dans le
14P.33.
15P.35.
16P.34.
17
Jonas ne précise guère si son Dieu avait la possibilité
de
ne pas créer (autrement dit :
si
la création n'est
pas
une émanation
nécessaire),
mais
en parlant d'un
«
choix insondable »
(et puisqu'il est devenu impuissant mais n'était pas limité au départ) il le laisse entendre.
Cela ne permet guère de dégager sa responsabilité, car on pourrait encore lui reprocher
d'avoir pris le
risque
de faire un monde où il
y
a tant
de
mal et
de
souffrance. Peut-être, dira-
t-on, ne connaissait-il et ne prévoyait-il pas le mal, venu de l'homme (au moins le mal
moral,
non point le mal physique), avant
de
créer.
Mais dans
ce cas il
n'était pas absolument
parfait, et donc pas tout-puissant, et l'on tombe dans la difficulté que nous énonçons plus
loin
:
l'impossibilité de penser la création
ex nihilo
si son auteur n'est pas omnipotent.
18P.22.
19P.23.
20P.24.
21
P.23.