2/3
rateur. Transmettre ses données personnelles n’est pas
tâche aisée, en l’état de notre droit positif… Deux grands
obstacles s’y opposent.
Le premier tient au fait que les données d’identication
d’un individu après sa mort sont des objets juridiques non
identiés. Considérées comme des données à caractère
personnel de son vivant, les droits qui y sont attachés dis-
paraissent au décès de ce dernier. Impossible alors de les
transmettre. La loi de 1978, dite loi Informatique et Liber-
tés, prévoit en eet que ces droits ne peuvent être exercés
que par la seule personne concernée. Attachés par essence
à un individu, ils disparaissent donc naturellement avec
lui. La CNIL s’est ainsi clairement positionnée en ce sens :
«Les droits d’accès, de modication et de suppression pré-
vus par la loi sont des droits personnels qui s’éteignent à
la mort de la personne concernée » 1. Et la CNIL en déduit
naturellement que les droits du défunt ne sont pas trans-
missibles aux héritiers, qui n’ont donc aucun pouvoir
pour accéder à ses comptes après sa mort: «Par principe,
un prol sur un réseau social ou un compte de messagerie
est strictement personnel et soumis au secret des corres-
pondances. À ce titre, le droit d’accès n’est pas transmis-
sible aux héritiers. C’est la raison pour laquelle il n’est pas
possible pour la famille d’avoir accès aux données du dé-
funt».2
Par exception, les héritiers se voient toutefois reconnaître
certains droits résiduels. Aux termes de l’article 40 de la
loi Informatique et Libertés: «Les héritiers d’une per-
sonne décédée justiant de leur identité peuvent, si des
éléments portés à leur connaissance leur laissent présu-
mer que les données à caractère personnel la concernant
faisant l’objet d’un traitement n’ont pas été actualisées,
exiger du responsable de ce traitement qu’il prenne en
considération le décès et procède aux mises à jour qui
doivent en être la conséquence». Autrement dit, les hé-
ritiers sont en droit de demander au responsable d’un -
chier de tenir compte du décès de son titulaire et de pro-
céder à l’actualisation de ses données. Ce droit ne leur
permet pas toutefois d’en disposer librement ou selon
la volonté du défunt, ni d’exercer post-mortem les droits
d’accès, de rectication et de suppression, reconnus léga-
lement à ce dernier. Ce droit ne permet pas non plus aux
héritiers de fermer le compte du défunt. C’est cette règle
qu’applique notamment Facebook, en donnant la possibi-
lité de transformer la page d’un défunt en page «mémo-
rielle».
Le second obstacle à la transmission des données per-
sonnelles d’un individu après sa mort tient au fait que
les éditeurs de services en ligne, dont notamment les
plus grands réseaux sociaux de la place, n’autorisent pas
cette transmission. Pour une fois que la pratique de ces
derniers rejoint la doctrine de la CNIL, cela mérite d’être
remarqué… La plupart prévoient en eet que le titulaire
d’un compte s’engage à conserver ses identiants et mots
de passe strictement condentiels et qu’il est seul respon-
sable des conséquences de leur communication à des tiers.
Les conditions générales de Facebook interdisent même
expressément cette transmission. À l’article 4 «Inscrip-
tion et sécurité des comptes», l’on peut lire que «Vous ne
communiquerez pas votre mot de passe, ne laisserez per-
sonne accéder à votre compte ni ne ferez quoi que ce soit
qui puisse compromettre la sécurité de votre compte».
Il faut réformer le droit
Réformer, c’est permettre enn à quiconque, simple par-
ticulier ou chef d’entreprise, d’avoir la libre disposition,
après sa mort, de ses identiants et mots de passe pour
autoriser une transmission à ses héritiers, ou à toute per-
sonne de son choix qu’il serait libre de désigner.
Ce droit de disposer doit inclure le droit de «déshériter»
les membres de sa famille qui peuvent ne pas être les per-
sonnes les plus naturellement intéressées à cette trans-
mission. Dans la mesure où les données personnelles ne
sont pas des biens transmissibles, qui rentrent naturelle-
ment dans le patrimoine familial, mais des droits ratta-
chés à la personnalité même de l’individu, le défunt doit
pouvoir ainsi librement en choisir le bénéciaire. Il en va
de sa liberté individuelle. L’on a le droit de vouloir cacher
des choses à sa famille, toute vérité n’étant pas toujours
bonne à transmettre… La famille peut au demeurant ne
pas être la bonne personne quand il s’agit de transmettre
des identiants en relation avec la vie d’une entreprise;
d’autres personnes sont plus légitimes dans l’entreprise à
y avoir accès.
Il faut ainsi pouvoir désigner une sorte d’« exécuteur tes-
tamentaire » au sein de sa famille (mais aussi en dehors
même de sa famille, si telle est notre volonté) lequel aura
pour mission d’exécuter les décisions de la personne dé-
cédée quant au sort de ses données numériques. Car ce
droit de disposer à cause de mort doit s’entendre du droit de
désigner librement un tiers, spécialement choisi à cet eet
mais également de xer, tout aussi librement, les moda-
lités de cette transmission. L’on peut vouloir transmettre
ses données personnelles pour permettre la fermeture
d’un compte, ou son maintien; pour demander à ce tiers
de faire un tri ou le «ménage» avant de remettre à qui de
droit tout ou partie des informations auquel le compte
permet d’avoir accès; mais également an de supprimer
et conserver tout ou partie de ces contenus… Il ne doit y
avoir aucune limite à l’imagination du défunt et à l’action
du tiers ainsi désigné. Après tout, le principe est que le dé-
funt survive en la personne du tiers désigné et que ce der-
nier puisse faire tout ce que la personne décédée avait la
liberté de faire, de son vivant, an de régler, à sa place et
pour son compte, tel un véritable mandataire, le sort de sa
vie numérique pour, en quelque sorte, la liquider. En cela,
ce droit s’apparenterait à l’expression des dernières volon-
tés d’un défunt dont la jurisprudence a reconnu depuis
bien longtemps la force obligatoire.
Un début de solution
Et c’est ainsi que le projet de loi d’Axelle Lemaire sur la
République numérique, débattu au Parlement à l’heure
où ces lignes sont écrites3, le veut. Ce projet institue le
droit pour chacun de «dénir des directives relatives à
la conservation et la communication de ses données à ca-
ractère personnel après son décès», en désignant notam-
Les données d’identification d’un
individu après sa mort sont des objets
juridiques non identifiés.