
Expression du temps et de l’aspect par des bilingues russes/français  
Notre  étude  s’intéresse  aux  productions  en  français (L2) et en russe (L1) de quasi-
bilingues, mises en regard de productions de monolingues francophones et russophones. Elle 
a  un  double  objectif.  D’une  part,  il  s’agit  d’analyser  les  productions  en  L2  et  fournir  une 
description  des  phénomènes  liés  à  l’acquisition  d’une  L2  au  niveau  très  avancé.  Et  d’autre 
part, il est question de voir dans quelle mesure la maîtrise très élevée dans une L2 pourrait se 
refléter dans les productions des quasi-bilingues dans leur langue maternelle.  
Tous nos sujets sont soumis à la tâche du récit d’un film muet appelé «Quest »
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 mettant 
en scène un personnage de sable à la recherche d’eau.  
Les  résultats  des  études  comparatives  (Stutterheim  von,  Carroll,  Klein,  2003)  ont 
montré,  que  les  locuteurs  de  différentes  langues  utilisent  les  stratégies  d’organisation  de 
l’information  différentes  selon  les  moyens  grammaticalisés  spécifiques  aux  langues.  Le 
français  et  le  russe  possèdent  une  morphologie  verbale  et  des  adverbes  temporels  pour 
l’expression  des  relations  temporelles  et  de  l’aspect.  Le  français  a  plusieurs  temps 
grammaticaux  pour  l’expression  des  relations  entre  les  événements,  par  exemple  dans  le 
passé :  Le  Passé  Récent,  Le  Passé  Composé,  L’imparfait,  Le  Passé  Simple,  Le  Plus-que-
parfait.  En  revanche,  presque  chaque  verbe  russe  forme  une  paire  aspectuelle  imperfective/ 
perfective.  Par  exemple,  au  verbe  français  faire,  peuvent  correspondre  en  russe  la  forme 
imperfective  –  delat’-  être  en  train  de  faire  quelque  chose,  et  la  forme  perfective  sdelat’  – 
avoir fait quelque chose. La forme imperfective, qui est la forme non marquée dans la paire, 
encode  l’action  sans  référer  à  ses  limites  temporelles.  La  forme  perfective  encode  l’action 
accomplie. Elle est généralement dérivée de la forme imperfective par l’addition d’un préfixe 
ou un suffixe, mais parfois peut être formée à partir d’une racine verbale différente. La forme 
imperfective  peut être  conjuguée aux  trois temps :  le présent, le passé  et le futur.  La  forme 
perfective – aux  deux  temps :  le  passé  et  le  futur.  L’accord avec le  sujet  est  marqué sur  le 
verbe, qui s’accorde en personne et en nombre au présent et au futur, et en genre et en nombre 
lorsque qu’il s’agit des formes du passé (imperfectives et perfectives).  
Pour l’analyse des temps et aspects, nous nous appuyons sur les travaux de Klein (1994) 
qui prend en compte trois intervalles temporels : TU (time of utterance – temps de l’énoncé), 
TSit  (time  of  situation  –  temps  de  situation)  et  TT (Topic time – temps de l’assertion). 
L’expression de l’aspect grammatical est en lien avec les propriétés internes des prédicats, ou 
l’aspect  lexical.  Klein  fait  la  distinction  entre  trois  types  de  prédicats  pour  décrire  les 
situations : prédicats à zéro temps (être russe), prédicats à un temps (lire), et prédicats à deux 
temps qui amènent aux changements de la situation (lire un livre, sortir).  
Les  analyses  des  productions  ont  montré  que  90%  des francophones produisent des 
récits  au  présent.  Cependant,  la  moitié  des  locuteurs  réfère  aux  formes  du  passé,  qui  sont 
rencontrées 2 fois par production en moyenne. Dans 60% des cas, ces recours sont effectués 
pour  l’expression  de  l’aspect  perfectif  et  sont  associés  aux  prédicats  à  deux  temps :  il  est 
tombé. Les francophones encodent la phase du début des actions par les verbes : commencer, 
se mettre à, qui occupent 2% du répertoire verbal et accompagnent les  prédicats  à  1 temps, 
comme : creuser, taper, marcher, etc. Les francophones produisent des récits détaillés et ont 
tendance à présenter les événements dans l’ordre dans lequel ils se sont produits dans le film 
en marquant les liens de la postériorité encodés majoritairement par un moyen non spécifique, 
la conjonction et : mais  donc  le  sol  se  dérobe  sous  lui,  et  il  est  entraîné  par  le  sable,  et  il 
tombe sous le sable.  
Chez les russophones, 34% des narrateurs commencent leurs productions par les formes 
perfectives,  en  les  associant  aux  prédicats  à  2  temps :  rojdat’sa – naître, prosipat’sa – se 
                                                 
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 Méthodologie utilisée par les chercheurs de l’Université de Heidelberg, Allemagne (Stutterheim von, Carroll, 
Klein, 2003).