Amel Aouij Mrad. Cours de droit public économique. LF3 public. 2016-2017 1 Introduction Le droit public économique régit l’ensemble des activités économiques manifestant une présence de la puissance publique. Il est la manifestation du lien fondamental existant entre l’Etat et l’économie. En effet, qu’il s’agisse des sources du droit public économique et des institutions qui en ont la charge, la marque de l’Etat est flagrante. Avant d’être économique, le droit public économique est public L’ordre public économique poursuivi est celui que l’Etat détermine librement, en fonction des principes qu’il se doit respecter et des compromis économiques et sociaux à réaliser. L’économie, matière vivante et fluctuante, a toujours été au centre des intérêts des pouvoirs publics. Quel que soit le contenu des règles qui lui sont applicables, le secteur public économique a besoin d’un droit qui lui est spécifique. Le droit public économique permet à la puissance de marquer sa présence en matière économique et d’orienter l’économie. S’appliquant aux entreprises publiques, aux marchés publics, au contrôle des prix ou à la règlementation du marché financier, aux investissements, à la concurrence ou encore aux organismes régulateurs, cet ensemble de règles complexes et enchevêtrées porte toujours la marque de l'Etat. Mais le droit public économique n’a pas un contenu figé. Son sens général reste le même, son objet reste le même, mais la manière de parvenir à ce but change: sans exclure les règles classiques, qui manifestent un besoin d’encadrement à travers des prérogatives de puissance publique, ce droit s’ouvre graduellement à des notions, des règles, des procédures transposées du droit privé (saisies, hypothèques sur le domaine public, contrat….). Le droit public économique, classiquement défini comme le droit de la puissance publique dans l’économie, s’ajuste aux transformations du jeu économique puisque la manière dont l’Etat manifeste sa présence dans l’économie a changé. Amel Aouij Mrad. Cours de droit public économique. LF3 public. 2016-2017 2 I. historique L’Etat tunisien s’étant construit sur la maîtrise de son économie. L’économie de la Tunisie est historiquement liée à l’agriculture, aux mines et à l’énergie (grand producteur de phosphates et dans une moindre mesure d’hydrocarbures), au tourisme et aux industries manufacturières (textiles, agroalimentaire et électromécaniques) dans une perspective extravertie (grand nombre d’entreprises industrielles totalement ou partiellement exportatrices). Durant le Protectorat, l’Etat poursuit l’affirmation de son autorité économique : il régule les échanges économiques et marchands et favorise dès cette époque les exportations agricoles. «Le libéralisme était la règle. L’Etat demeure à l’écart des activités industrielles et commerciales et quand celles-ci semblent présenter un intérêt pour l’ensemble de la collectivité, il cherche à les faire gérer par la voie de la concession par un particulier ou une société privée1 ». Il semble bien que le rejet du système colonial ne se soit pas accompagné du rejet du modèle libéral , notamment en matière économique. A l’indépendance, il y a mise en place d’un Etat interventionniste. Cette situation s’était créée par la force des choses car tous les cadres, exploitants agricoles et investisseurs français étaient rentrés en France à cette époque. Les dirigeants auront à subir le déficit de l'initiative privée et vont investir massivement dans les activités stratégiques. La centrale syndicale véhiculait une idéologie socialisante et interventionniste et établit un programme économique faisant de l'Etat un investisseur, un producteur et un employeur. Le gouvernement tunisien adhère, au lendemain de l’indépendance, au Programme économique et social adopté par la centrale syndicale lors de son 6e congrès en 1956. Cette idéologie va se concrétiser dès les premiers moments de l'indépendance, par la création de grandes entreprises publiques. Le rôle de l’Etat est d’être le garant du développement et de l’unité nationale. C’est en 1961 que le mouvement de socialisation de l’économie prend de l’ampleur. Le choix est fait d'une économie planifiée lors du congrès de H. AYADI, Les entreprises publiques et les offices en Tunisie. Thèse de doctorat d’Etat, Université de Paris, 1968 p.3. 1 Amel Aouij Mrad. Cours de droit public économique. LF3 public. 2016-2017 3 Bizerte. Ahmed Ben Salah dirige l’expérience de collectivisation de l’économie. Mais cette expérience ne durera pas. Ahmed Ben Salah est accusé de Haute trahison et est condamné par la Cour de sûreté de l’Etat à la prison à vie en 1970. Hédi Nouira, défenseur d'une idéologie libérale, le remplace à la tête du gouvernement. Il va prôner le désengagement de l'Etat dans l'économie. Pourtant, l’économie tunisienne va demeurer sous la tutelle de l’Etat. Dans les textes, en 1982, le Sixième Plan de développement préconise le désengagement. En 1986, est signé le Programme d’ajustement structurel, quasiment imposé par le Fonds Monétaire international (FMI) en contrepartie des prêts accordés à la Tunisie par la Banque Mondiale. C’est le début d’une période de libéralisation de l’économie, d’ouverture de certains secteurs d’activités aux privés, de recours accru aux concessions….. Beaucoup de textes juridiques sont, dans ces années-là, modifiés ou carrément refondus. La crise de la finance mondiale en 2008 a fragilisé une économie dépendante des marchés extérieurs et s’est répercuté sur les politiques économiques. La Révolution a fini d’impacter négativement la stabilité et la croissance économique. Quoique l’Etat tunisien conserve certains acquis essentiels de justice sociale (Caisse générale de compensation, gratuité de certains services publics, maintien de tarifs artificiellement bas…), il peine à trouver l’équilibre de son rôle futur, entre stratège et arbitre. La Banque Mondiale en 2014 dans son rapport intitulé « La révolution inachevée» en arrive à la conclusion suivante : le modèle économique tunisien est dans une impasse et pour elle, la seule cause avancée est la persistance du contrôle de l’Etat sur l’économie nationale : « Plus de 50% de l’économie sont fermés ou d’accès restreint ». Plusieurs raisons peuvent justifier l'intervention de l'État dans la sphère économique, parmi lesquelles la nécessité de maintenir la cohésion sociale, l'équilibre des marchés ou le libre exercice de la concurrence. Mais si cette mainmise fut bénéfique dans une phase initiale de développement, elle est aujourd’hui la cause de l’inadaptation des politiques économiques tunisiennes. Amel Aouij Mrad. Cours de droit public économique. LF3 public. 2016-2017 4 II. Sources et contenu du droit public économique Le droit public économique est le droit des interventions publiques dans l’économie. Traditionnellement, la présence du droit public économique est liée à la volonté de modifier le jeu normal de la relation économique, l’intervention de puissance publique étant vue par certains auteurs comme l’objet même de ce droit, faisant référence au pouvoir d’action propre et d’orientation sur les autres unités économiques. Lorsqu’on examine le contenu des règles du droit public économique, l’ensemble du droit public y apparaît d’une manière ou d’une autre. Les branches du droit public, ses branches « mères » pourrait-on dire, constituent à la fois les sources du droit public économique : sources d’inspiration et sources de référence. 1. Le droit international économique L’activité économique des Etats est tributaire des échanges internationaux. Les marchés ne peuvent être uniquement nationaux. Les ouvertures des frontières, la mondialisation des flux économiques, l’explosion de l’immatériel ont accéléré ce mouvement : les politiques économiques nationales actuelles intègrent la concurrence internationale des produits et la libération des capitaux. L’évolution des relations économiques au niveau mondial a entraîné l’apparition d’une nouvelle branche du droit international, le droit international économique. Contenu pour l’essentiel dans les traités et les conventions internationaux s’appliquant aux différentes branches de l’économie il a pour objet de réguler les mouvements économiques transfrontières. Les institutions émanant de ces règles, toutes supranationales, qui interviennent dans la mise en œuvre ont toutes une compétence acceptée par les Etats. Nous pouvons citer l’Organisation mondiale du commerce (OMC). C’est une structure de concertation et d’influence puisqu’il s’agit de promouvoir les échanges internationaux, de marchandises ou de services. Il s’agit aussi du FMI qui a pour objectif premier de veiller à la stabilité du système monétaire international, par l’application de règles précises de Amel Aouij Mrad. Cours de droit public économique. LF3 public. 2016-2017 5 gestion des finances publiques et d’organisation des systèmes bancaires nationaux. Le FMI est globalement chargé de promouvoir l’expansion du commerce international, par la stabilité des changes, par une limitation de la souveraineté monétaire des Etats. Il s’agit également de la Banque Mondiale qui, dans le cadre de sa mission de soutien économique aux Etats, agit comme une banque, en prêtant aux conditions du marché et en accordant des garanties assorties de conditions aux Etats. 2. Droit constitutionnel et économie. L’interaction droit public et économie amène à réfléchir sur des concepts fondamentaux, en rapport avec les libertés individuelles et collectives, particulièrement la notion de liberté économique qui confronte les droits individuels, la justice sociale et les exigences économiques. Les libertés économiques sont des libertés constituées « des faisceaux de prérogatives ou d’intérêts attribués par le droit positif qui permettent l’accès ou l’exercice de toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné »2. Or, ce droit positif a, à sa tête, la Constitution de l’Etat. Ces libertés économiques englobent la liberté d’entreprendre, la libre concurrence, la liberté du commerce et de l’industrie, les deux premières étant prépondérantes. Les autres libertés économiques constituent des déclinaisons formelles de la liberté d’entreprendre. La Constitution du 26 janvier 2014, également d’esprit libéral, consacre les principes universels des droits de l’Homme, le respect des libertés (Préambule et art.21) ne pouvant être restreintes que par la loi (art.49). Elle évoque le développement économique et social et cherche à promouvoir les énergies des jeunes (article 8). Elle place sous la responsabilité de L’Etat la réalisation de la justice sociale, du développement durable et de l’équilibre entre les régions et à l’exploitation rationnelle des richesses (ressources) nationales (art.12) avec une protection marquée des richesses naturelles. Elle consacre le droit au travail (art.40) et enfin, garantit le droit de propriété (art.41). 2 G. MARSON. Le juge administratif et les libertés économiques – Contribution à la définition des libertés économiques au sein de la jurisprudence administrative. Thèse de doctorat en droit, Université Paris Nanterre 2012. Amel Aouij Mrad. Cours de droit public économique. LF3 public. 2016-2017 6 3.Finances publiques et économie. Le système financier d’un pays, et plus particulièrement son système fiscal et son droit budgétaire et financier présente une dimension macro économique. Le droit financier est une branche active du droit public économique. Finances et fiscalité sont des instruments privilégiés de l’exécution de la politique économique de l’Etat. La fiscalité redistributive, les exonérations fiscales, les dégrèvements et encouragements fiscaux, notamment en matière d’investissements sont révélateurs des choix de l’Etat. Le choix d’une place privilégiée de la fiscalité indirecte, par la création de taxes, est significatif. Le budget de l’Etat et des collectivités territoriales concrétisent ces choix par leur orientation de l’économie. La loi de finances annuelle est un exposé de politique économique de l’Etat. Plus encore que les mesures concrètes qu’elle contient, elle fait le choix de politiques économiques, se situant dans une optique de relance ou d’austérité. 4. Droit administratif et économie. Cette branche du droit public est celle qui est la plus prépondérante dans la définition et le contenu du droit public économique. Au niveau des organes chargés de règlementer et d’encadrer l’économie, il s’agit d’autorités administratives classiques, structures ministérielles, établissements publics ou sociétés à capitaux mixtes, ou plus récemment autorités de régulation. Les agents chargés de l’application et du contrôle de la économique de l’Etat sont pour la plupart des agents publics. politique Au niveau des instruments juridiques utilisés, le droit public économique peut être autoritaire et recourir à l’autorisation ou plus consensuel et utiliser le contrat administratif. Amel Aouij Mrad. Cours de droit public économique. LF3 public. 2016-2017 7 Amel Aouij Mrad. Cours de droit public économique. LF3 public. 2016-2017 8