Partie 1. La persistance de la présence publique à travers les

publicité
Amel AOUIJ MRAD. Cours de droit public économique. LF3 droit public 2016-2017. Première partie
Partie 1. La persistance de la présence publique à travers
les entreprises publiques
Pour comprendre cette mainmise et cet attachement de l’Etat à leur égard
nécessite de remonter à leur historique en Tunisie : nationalisme,
souveraineté, indépendance, structuration de l’économie nationale.
Même le mouvement de privatisation des années 90 est le reflet d’un
puissant interventionnisme étatique (auquel se rajoute une opacité totale).
Les entreprises publiques accompagnent ainsi en Tunisie, depuis 60 ans, les
conceptions successives du rôle de l’Etat dans l’économie. Pléthoriques et
mal gérées, elles semblent pourtant encore indispensables dans la conduite
de l’économie du pays.
Elles ont souffert des abus passés. Aujourd’hui, par exemple, elles vivent les
retombées de la crise économique et nombre d’entre elles sont en déficit
chronique. Pourtant, gérant des activités névralgiques (très sensibles), elles
sont imbriquées dans l’action publique économique (Chapitre 1), surtout que
nombre d’entre elles sont en situation de monopole (Chapitre 2).
chapitre 1. L’entreprise publique,
d’intervention dans l’économie
un puissant
moyen
Les entreprises publiques constituent encore aujourd’hui le principal moyen
d’intervention de l’Etat dans l’économie. Elles sont nombreuses et
interviennent dans tous les secteurs de l’économie. Nous pouvons citer des
noms fort connus d’entreprises publiques qui jouent un rôle essentiel, vital,
dans le fonctionnement de notre économie.
Cependant, nous sommes en droit de nous interroger pour savoir si elles ne
sont pas trop nombreuses, si plusieurs d’entre elles ne devraient pas être
cédées aux privés ou augmenter leur capital par des apports du privé et
donc réduire la part du public1. Lorsqu’on y réfléchit bien, même cette
privatisation porte la marque de l’Etat et de la puissance publique.
On parle aujourd’hui (février 2017) de l’éventuelle cession des parts de l’Etat dans les banques publiques.
Voir : http://www.businessnews.com.tn/lamia-zribi--la-tunisie-envisage-la-vente-de-parts-dans-les-banquespubliques,520,70510,3
1
1
Amel AOUIJ MRAD. Cours de droit public économique. LF3 droit public 2016-2017. Première partie
Section 1 : Identification. Une présence publique initiale
L'expression d'"entreprise publique" renvoie à des idées opposées: efficacité
et rentabilité d'un côté ("entreprise"), intérêt général et désintéressement de
l'autre ("publique"). Nous allons rapidement nous rendre compte que l’aspect
« public » prédomine.
Pour se retrouver dans la jungle juridique des entreprises publiques, il faut
commencer par poser les points certains.
L’entreprise publique est toujours un organisme doté de la
personnalité juridique. Cette personnalité lui permet d'agir en son
nom propre, de poursuivre et de réaliser ses actions, d’être
(théoriquement) financièrement autonome. Cette personnalité peut être de
droit public (EPNA) ou de droit privé (sociétés).
L’entreprise publique gère toujours une activité économique. Elle
produit des biens ou des services qu'elle vend contre un prix.
L'entreprise publique est toujours soumise au contrôle d’une
entité publique (pas forcément l’Etat). Ce contrôle est généralement
important, prend des formes variables, peut être direct ou indirect .
Section 2. Les différentes formes d’entreprises publiques. Le caractère
essentiel des financements publics dans leur constitution
La loi 89-9 du 1er février 1989 relative aux "participations, entreprises et
établissements publics" énumère les 3 formes d’entreprises publiques dans son
article 8 nouveau:
"Sont considérées entreprises publiques au sens de la présente loi:
-
les établissements publics à caractère non administratif et dont la liste
est fixée par décret;
les sociétés dont le capital est entièrement détenu par l'Etat;
les sociétés dont le capital est détenu par l'Etat, les collectivités
locales, les établissements publics et les sociétés dont le capital
est détenu entièrement par l'Etat à plus de 50% chacun
individuellement ou conjointement.
Sont considérées participations publiques, les participations de l'Etat, les
collectivités locales, les établissements publics et les sociétés dont le capital
est détenu entièrement par l'Etat".
2
Amel AOUIJ MRAD. Cours de droit public économique. LF3 droit public 2016-2017. Première partie
Il existe donc deux formes d’entreprises publiques selon la nature de leur
personnalité juridique: l’établissement public et la société. Elles ne peuvent être
créées que par un décret si elles font partie d’une catégorie préexistante ; par
une loi, si elles constituent elles-mêmes une catégorie nouvelle.
La personnalité morale de droit public : l'établissement public
non administratif (EPNA). Seuls sont entreprises publiques ceux
figurant sur une liste établie par décret. Il est clair ici qu’il s’agit d’une
émanation du public. L’établissement est public : il est constitué à partir
de biens publics, d’argent public.
La forme de droit privé : la société. La société est une personne morale
de droit privé. C’est même la forme par laquelle le droit privé, la volonté
libre, la propriété, s’expriment. Or, nous découvrons que l’une des formes
d’entreprises publiques est la société (société anonyme), ce qui est pour le
moins, du moins à première vue, étonnant. Mais il faut, en fait, comprendre
le pourquoi de cette immixtion et se souvenir que plus de la moitié du
capital social provient d’une personne publique. Selon la propriété du capital
- propriété entièrement publique ou propriété mixte, en partie publique et
en partie privée - nous sommes soit face à une société privée à capital
entièrement étatique, soit face à une société d'économie mixte, à capitaux
majoritairement publics.
1) La société à capital entièrement étatique : il y a un seul
actionnaire, c’est l'Etat qui place des capitaux dans une activité
uniquement pour la faire bénéficier en partie au droit privé des sociétés.
De multiples dérogations au droit des sociétés en découlent (Voir infra):
le PDG est nommé par l'Etat , il n'y a pas d'assemblée générale, les
contrôles de la puissance publique sur le fonctionnement sont lourds et
nombreux.
Cette société constitue une bizarrerie juridique puisque le propre d'une société
est d'associer plusieurs personnes et leurs capitaux de divers ordres. Mais
lorsque nous nous efforçons de réfléchir différemment, hors des schémas
« privé/public », si nous nous efforcions au dépassement des catégories rigides
et de répartition des rôles entre le secteur public et le secteur privé, si
nous cessons de rapporter la société au seul secteur privé et admettions
l’amalgame, la fusion de moyens dans les deux sens, nous verrions que la
société peut servir les intérêts, l’action d’un Etat plus actionnaire, moins
puissance publique, plus entrepreneur et moins autoritaire. Mais ce n’est
pas dans cet esprit, nouveau, propre à notre époque, d’ouverture du public
sur d’autres méthodes et d’autres modes d’action qu’ont été créées ces
sociétés.
3
Amel AOUIJ MRAD. Cours de droit public économique. LF3 droit public 2016-2017. Première partie
2) La société à capitaux mixtes ou à participations publiques
(« Société d’économie mixte »). Le terme de "mixte" utilisé ici fait
référence à la mixité du capital de la société, en partie provenant de
personnes privées et en partie de personnes publiques (Etat, collectivités
locales, établissements publics et la société à capital entièrement publique
(supra). Lorsqu'une de ces personnes seule ou deux ou trois ou quatre
d'entre elles détiennent un minimum de 50% du capital de la société (ne
serait-ce que 50, 001%) , cela signifie que la société en question constitue
une société d'économie mixte donc une entreprise publique soumise à la
loi 89-9.
Quelle forme ? La plus classique est la participation au capital de
la société qui va générer une intervention directe dans la gestion de la
société. Cette participation obéit à une procédure lourde en vertu du
code de la comptabilité publique (loi d’autorisation pour l’Etat, Code de la
comptabilité publique). Mais les participations publiques peuvent prendre
d’autres formes.
Article 67 CCP : « Aucune participation au capital d’une société sous forme d’apport
en espèces ou en nature ne peut être faite par l’Etat ou par un établissement public
que dans les limites de l’autorisation donnée par la loi de finances ».
Inégalités entre associés : la présence des participants publics au capital
entraîne des dérogations au régime général des S.A. notamment le fait qu’il
n’y a plus d’égalité de droit entre les « associés ».
Section 3. Les organes dirigeants
Ils sont au nombre de trois : conseil d’administration, Président directeur
Général, Assemblée générale.
Les deux premiers existent dans toutes les entreprises publiques ; le troisième
uniquement dans la société à capitaux majoritairement publics.
§1. Le conseil d'administration
Il est soumis aux dispositions de deux textes : le
commerciales et la loi 89-9 du 1er février 1989.
code des
sociétés
4
Amel AOUIJ MRAD. Cours de droit public économique. LF3 droit public 2016-2017. Première partie
Il obéit à des règles communes de choix et de nomination de ses membres
et il a des compétences communes à toutes les entreprises publiques. Il faut
souligner que pour les sociétés à capitaux « mixtes », siègent au conseil
d’administration 2
catégories
d’administrateurs
(membres): ceux
représentant le capital privé qui sont désignés par l’assemblée générale des
actionnaires et ceux
représentant
les personnes publiques
« actionnaires » de la société qui sont nommés par arrêté de leur ministre
de tutelle.
Les critères de nomination des membres du conseil d’administration
représentant, selon le cas, l'Etat , les collectivités locales, les EPNA ou les
entreprise publique au sein des C.A., ressortent des articles 10,11, 12 du
décret 2002-2197 du 7 octobre 2002 relatif aux modalités d'exercice de
la tutelle des entreprises publiques, à l'approbation de leurs actes de
gestion, à la représentation des participants publics dans leurs organes de
gestion et de délibération et à la fixation des obligations mises à leur charge.
Les attributions des conseils d'administration sont énumérées et
unifiées par l'article 10 nouveau de la loi 89-9 (loi 96-74 du 29 juillet
1996) : il arrête la politique générale de l'entreprise publique et d'en
suivre l'exécution, les bilans, comptes de gestion et de résultat, budgets
prévisionnels d'investissement et de fonctionnement et le suivi de leur
exécution, le contrat-programme de l'entreprise2, il approuver – entre
autres - ses marchés publics et ses conventions d'arbitrage. Mais la
plupart de ses décisions doivent être approuvées par l’autorité de tutelle,
ce qui vide son rôle.
Modalités de fonctionnement. Les
membres
du
conseil
d’administration sont toujours nommés pour un mandat de 3 ans,
renouvelable deux fois au maximum. Cette nomination va permettre un
contrôle « de l’intérieur » sur les décisions du conseil car l’administrateur est
soumis aux directives de celui qui le nomme. La loi 89-9 et le décret 20022197 précise même les points obligatoirement inscrits à l'ordre du jour, les
modalités de fonctionnement, la périodicité des réunions (une fois
chaque trimestre).
§2. Le président-directeur général
C’est l’exécutif de l'entreprise publique.
2
Chaque entreprise publique est tenue d'avoir son contrat-programme, sorte de "convention" cosignée par le
PDG et le ministre de tutelle et précisant, pour les cinq années à venir les obligations respectives des deux
parties. Sur ce point, voir II, chapitre 1.
5
Amel AOUIJ MRAD. Cours de droit public économique. LF3 droit public 2016-2017. Première partie
Il est nommé par décret sur proposition du ministère de tutelle [parmi
une liste de hauts fonctionnaires en activité pour les EPNA et pour les
sociétés à capital public et parmi les administrateurs représentant l'Etat au
conseil d'administration pour les sociétés d’économie mixte]. Ce mode de
désignation autoritaire limite l'indépendance de décision et la liberté
d'action du PDG, qui se trouve, la plupart du temps, soumis à l'égard des
pouvoirs publics.
Attributions du PDG : représenter l'entreprise auprès des tiers ainsi
que dans tous les actes civils et administratifs; il prépare les travaux du
conseil d'administration et en suit l'exécution ce qui est d'autant plus
facile qu'il est, ainsi que nous l'avons relevé, quotidiennement présent
dans l'entreprise C'est lui qui prépare l'ordre du jour des réunions du
C.A et contrôle l'exécution de ses décisions
§3. L’assemblée générale des actionnaires
Elle n’existe que dans la société à capitaux mixtes. Il y a deux types d’AG :
ordinaire (annuelle) pour informer les actionnaires et extraordinaire, pour
voter sur des questions précises (augmentation ou diminution de capital,
modification des statuts…).
L'A.G. est composée de l'ensemble des actionnaires dont les actions ont été
libérées des versements exigibles et présidée par le PDG de l'entreprise ou
par un administrateur représentant l'Etat. Les actionnaires privés y sont
représentés au prorata du nombre d'actions qu'ils détiennent, les entités
publiques ayant placé des fonds dans la société sont représentées chacune
par un représentant qu'elles désignent. L'Etat est représenté par une seule
personne, le mandataire spécial, dans les AG des sociétés d’’économie
mixte.
Section 4 : Les contrôles sur les entreprises publiques
C’est à travers ces contrôles que l’on se rend compte que les entreprises
publiques constituent, en elles-mêmes, un élément de la gestion de son
économie par l’Etat. Pour le ministère de tutelle, l’entreprise publique fait
partie de ses objectifs, elle aide à les réaliser. Dans quelles conditions les
pouvoirs publics contrôlent et orientent la politique des entreprises
publiques et fixent un cadre à leur activité ? Le dualisme de la notion
d'entreprise publique penche ici du côté "public" plutôt que du côté
"entreprise". Il y a une lourdeur et une complexité des contrôles pesant sur
les entreprises publiques.
6
Amel AOUIJ MRAD. Cours de droit public économique. LF3 droit public 2016-2017. Première partie
La caractéristiques de ces contrôles est d'être multiples, enchevêtrés,
superposés, fragmentés.
1. Contrôle des directions ministérielles : chaque ministère est chargé
de concevoir et de fixer les politiques du secteur d'activité dont il est
responsable, de déterminer les objectifs à atteindre par les entreprises et
donc d’orienter leurs actions en ce sens.
Il y a le suivi ou contrôle général de la gestion de l'entreprise
publique, qui consiste à "faire respecter la législation et la réglementation,
la cohérence par rapport aux orientations générales de l'Etat et la
conformité par rapport aux règles de bonne gouvernance" (article 3 alinéa
1 du décret 2002-2197), et les contrôles d'approbation (contratsprogrammes, budgets, états financiers, rémunérations…).
Les directions du ministère de tutelle élaborent la politique générale du
secteur d'activité et fixent les objectifs à atteindre par les entreprises
sous tutelle. Chaque direction générale de ministère suit, oriente et
coordonne l'action des entreprises publiques placées sous sa tutelle. A ces
directions, se rajoutent les inspections ministérielles, qui effectuent un
contrôle sur place.
Il y a, surtout, le ministre lui-même qui refuse de perdre son contrôle sur les
entreprises publiques dépendant de son département : ils sont impliqués
dans les décisions stratégiques de l’entreprise.
2. Le contrôleur d'Etat. Le corps des contrôleurs d’Etat relève de la
Présidence du gouvernement. C’est un contrôle permanent et interne à
l'entreprise publique. Le contrôleur d’Etat est placé de manière permanente
au sein de cette entreprise, mais il ne fait pas partie de son personnel. Il
vise à assurer plus d'efficacité aux contrôles a priori et à garantir la
régularité des dépenses de l'entreprise.
La mission des contrôleurs d’Etat est de défendre la politique de l'Etat et
d'informer le Premier Ministère de l'évolution générale de la situation de
l'entreprise publique; ils assurent un contrôle de conformité de la gestion
de l'entreprise à la législation en vigueur et un contrôle de conformité de
leurs accords et contrats.
Le contrôleur d’Etat assiste aux réunions du conseil d'administration, du
conseil de surveillance et des assemblées générales. Il donne son avis sur
toutes les questions sur toutes les questions ayant une répercussion
financière; il assiste aux réunions de la commission d'ouverture des plis
et de la commission des marchés pour vérifier la conformité des marchés
aux besoins réels et le respect des procédures.
7
Amel AOUIJ MRAD. Cours de droit public économique. LF3 droit public 2016-2017. Première partie
Il suit l'exécution des décisions de la tutelle, les programmes
d'investissement et le recouvrement des créances de l'entreprise
Ces contrôles sont complétés par d’autres.
Il y a d’abord les contrôles des corps de contrôles généraux: Corps
de contrôle général des services publics (relevant de la Présidence du
gouvernement) ; le Corps de contrôle général des finances (relevant du
ministère des Finances) et le Corps de contrôle général des domaines de l’Etat.
Il y a ensuite les contrôles exercés par les juridictions financières :
Cour des comptes et Cour de discipline financière3. La Cour des comptes n’a
pas d’attributions juridictionnelles à l’égard des entreprises publiques, car elles
ne sont pas soumises à la comptabilité publique, n’ont pas de comptable public.
Elle a des attributions que l’on qualifie d’ « administratives », des contrôles
sur dossiers et sur place. La Cour de discipline financière est le juge des
infractions (« fautes de gestion ») commises par les gestionnaires des
entreprises publiques. Elle ne peut prononcer que des sanctions pécuniaires.
Il y a enfin
les contrôles des organes spécialisés, qui sont
obligatoires de par la loi : il s’agit des auditeurs aux comptes et des
réviseurs comptables).
La présence de l’Etat est donc marquée au sein des entreprises publiques.
Il n’empêche que, depuis 2011, leur crise s’est aggravée et c’est comme une
réaction en chaîne : cela aggrave la crise économique de l’Etat, qui est très
impliqué dans leur fonctionnement et leur gestion. Il leur accorde des
subventions de plus en plus importantes, alors que les excédents qu’elles
reversent à l’Etat sont de plus en plus faibles.
Certaines d’entre elles connaissent des difficultés plus importantes que
d’autres : CTN, SNCFT, STS.
Ces difficultés sont en grande partie dus à la période trouble de la post
révolution : la STEG a été contrainte d’intégrer des dizaines d’employés en
surnombre ; Tunisair a souffert de la crise du tourisme ; Le CPG et GCT des sitin et des grèves en série.
Mais surtout, ces difficultés sont structurelles : absence de stratégie de
développement, contrôles excessifs et mal organisés, aucune visibilité sur leur
gestion. Il y a une confusion totale de ses rôles par l’Etat ou, plus exactement,
une nette domination d’un rôle (contrôleur) par rapport à l’autre (actionnaire)
3
Les rapports annuels de ces deux juridictions sont disponibles en ligne.
8
Amel AOUIJ MRAD. Cours de droit public économique. LF3 droit public 2016-2017. Première partie
Chapitre 2. Les entreprises publiques
monopole
en situation de
Les monopoles constituent une limitation de l’accès au marché.
En Tunisie, certains secteurs
demeurent encore fermés (totalement ou
partiellement) aux particuliers. On parle de monopoles, « régime de droit ou
une situation de fait ayant pour objet ou pour résultat de soustraire à
toute concurrence sur un marché donné une entreprise privée ou un organe
ou un établissement public » (Vocabulaire juridique G. Cornu). Par ses
entreprises publiques monopolistiques, l’Etat se réserve à lui-même (puisque
le secteur public économique est le sien) des secteurs économiques. Ces
monopoles limitent le nombre d’entreprises privées qui peuvent se créer
dans les domaines en question et, donc, limitent la liberté d’entreprendre, la
liberté de la concurrence.
En Tunisie, les principaux services de réseaux, tels que l'énergie (distribution de
produits pétroliers, de gaz, d'électricité), les télécommunications, la poste et le
courrier express, et les services financiers, n'ont été que peu ouverts à la
concurrence, ou le sont depuis peu de temps, conservant encore des réflexes
d’ « opérateur historique ». Ces monopoles ont tous la forme d’entreprises
publiques.
Les monopoles ne sont pas propres à la Tunisie. Bien qu’ils soient prohibés
par le droit européen, ils existent aussi en France mais ce sont des monopoles
qui ne disent pas leur nom. Par exemple, concernant la production nucléaire
d’électricité, il est clair qu’il y a une hégémonie d’EDF. Les textes initiaux,
instituant le monopole d’EDF n’ont jamais été abrogés. C’est un monopole de
fait, où apparaissent clairement les intérêts de l’Etat. Pour le CE, Assemblée,
12/4/2013 « C’est une position dominante érigée en service public ».
Il y a en Tunisie différents monopoles. Certains sont classiques et ne sont
pas propres au pays. Il s’agit de ce qu’on appelle les « monopoles fiscaux ».
Il s’agit par exemple de la Régie nationale des tabacs et des allumettes et
la Manufacture des tabacs de Kairouan pour le tabac, les allumettes, les cartes
à jouer (depuis 1870, l’Etat tunisien détient le monopole de l’exploitation
directe du tabac, puis de la poudre, puis des allumettes et des cartes à jouer);
Quelques illustrations sectorielles :
-
Dans le domaine agricole et alimentaire :
Dans le domaine agricole, outre les mesures à la frontière et les prix
subventionnés à la consommation (céréales et huiles), les principales formes
9
Amel AOUIJ MRAD. Cours de droit public économique. LF3 droit public 2016-2017. Première partie
d'intervention de l’Etat sont les prix garantis à la production et des stocks
régulateurs (céréales).
Des entreprises publiques sont toujours actives dans le commerce international,
notamment de céréales et de sucre (à l'importation), et d'huile d'olive et de vin
(à l'exportation). Les « Offices » jouent un rôle de réglementation du marché
et/ou de contrôle de la qualité de la production.
L'Office des céréales détient le monopole de la collecte, du transport, de
l’importation des céréales (blé, orge). Il est chargé d'acheter sur le marché local
le blé dur et le blé tendre à des prix fixés par l'État. Il effectue la totalité des
importations dans le cadre du contingent tarifaire ouvert à l'OMC. L'Office vend
les céréales (locales et importées) aux usines de transformation (minoteries et
semouleries) à un prix fixé et récupère auprès de la Caisse générale de
compensation (CGC) la différence entre ce prix fixé et le prix de revient.
Le Complexe sucrier de Tunisie, qui effectuait l'extraction du sucre à partir de la
betterave, a été offert à la privatisation en janvier 2005. Pour aider cette entreprise,
étaient suspendus les droits de douane sur la mêlasse de betterave à sucre depuis
20004, et ce, dans la limite d'un contingent global de 23 600 tonnes. 5 L'Office du
commerce de Tunisie (OCT), entreprise commerciale d'État, importe du sucre raffiné
en fonction des besoins du marché, compte tenu de la production effectuée par la STS.
Cette dernière importe du sucre brut destiné au raffinage. Ces deux entreprises se
partagent le contingent tarifaire de sucre sous l'OMC.
L’Office de l’huile détient le monopole de l’importation des huiles et
contrôle la qualité de l’huile d’olive à l’export et fixe les quotas d’exportation.
L’ONH est représenté par 5 centres régionaux dans les principales zones de
production. L’ouverture du secteur à la concurrence s’est faite par la loi du 24
février 1994 et le décret du 23 mai 1994 définissant les conditions de
commercialisation de l’huile d’olive par des personnes physiques et morales.
Cette loi a mis fin à la situation de monopole de l’ONH en matière de collecte,
de commercialisation et d'exportation
L’Office
du
commerce de Tunisie a une mission stratégique : il
approvisionne le marché local en produits de base de première nécessité à prix
fluctuants (sucre, café vert, thé, riz). Il détient le monopole de
leur
importation. C’est également lui qui assure le contrôle technique des produits
agricoles destinés à l’exportation.
4
5
HS 17039000.
JORT nº 92, 17 novembre 2000.
10
Amel AOUIJ MRAD. Cours de droit public économique. LF3 droit public 2016-2017. Première partie
-
Dans le domaine des hydrocarbures et de l’énergie :
Pour couvrir les besoins de la consommation intérieure tunisienne,
l'Entreprise tunisienne des activités pétrolières (ETAP) a le droit
d'acheter, en priorité, jusqu'à 20% des hydrocarbures liquides extraits sous
concession en Tunisie. De plus, l'ETAP peut participer dans toute nouvelle
concession d'exploitation d'hydrocarbures, dans la limite fixée par la convention
(généralement 40% des investissements).
L'ETAP détient, avec la Société tunisienne des industries du raffinage
(STIR), les droits exclusifs d'importation de tous les produits pétroliers en
Tunisie (pétrole brut, GPL, gasoil, jet, fuel, bitumes, huiles de base, pétrole
lampant, essence), ainsi que du gaz naturel. Elles détiennent aussi le monopole
le monopole des ventes nationales de produits pétroliers.
La STIR a le monopole du raffinage de pétrole, ainsi que de tous les autres
combustibles, tels que les carburants, gaz liquides et lubrifiants, pour le marché
tunisien. Elle exporte les produits tels que le fuel-oil.6
-
L’électricité et le gaz
90% de la production d’électricité7 est effectuée par la STEG avec une légère
ouverture depuis 1996.
Des dispositions spéciales s'appliquent au marché du gaz naturel qui
représente près de la moitié de la demande primaire de produits énergétiques,
et 11 % de la demande finale. Ici, c’est British Gas qui produit près de la moitié
du gaz et le revend à la STEG, l'unique acheteur de ces produits 8, et seule
habilitée à transporter et à distribuer le gaz localement.
-
Dans le secteur des télécommunications :
Depuis l'indépendance jusqu'en 1996, les services de télécommunications ont
été fournis par un département du Ministère des communications (ancienne
Direction générale des télécommunications). L'entreprise Tunisie Télécom fut
créée en 1996 pour continuer d’assurer ces activités, en tant que concessionnaire
d’Etat. En pratique, la situation actuelle est de type monopolistique ou, dans
certains sous-secteurs, duopolistique (Tunisie Telecom, Ooredoo, Orange)9.
6
Société tunisienne des industries du raffinage, information en ligne. Disponible sur: http://www.stir.com.tn.
Mais n’a pas le monopole pour le gaz naturel, le gaz liquéfié, le gaz combustible.
8
Société tunisienne de l'électricité et du gaz, information en ligne. Disponible sur:
http://www.steg.com.tn/fr/institutionnel/electricite.html.
9
TT possède des participations dans des réseaux internationaux à fibre optique et à grande vitesse pour
acheminer le trafic à destination et en provenance des fournisseurs de services Internet ou des
7
11
Amel AOUIJ MRAD. Cours de droit public économique. LF3 droit public 2016-2017. Première partie
Les tarifs des services de télécommunication sont déterminés de manière
autoritaire par l’Etat et d’autres acteurs publics. Le Ministère des technologies
de la communication fixe périodiquement, par arrêté, les maxima pour les
services de base qui sont ensuite notifiés à l'Instance nationale des
télécommunications (INT)10.
Pour ce qui concerne les services postaux, la principale législation les
concernant est le Code de la poste (Loi n° 98-38 du 2 juin 1998, et décret n° 981305 du 15 juin 1998). Leur fourniture est, jusqu'à présent, un monopole d'État,
confié à l'Office national des postes (La Poste tunisienne).11 C’est une entreprise
publique chargée de la collecte, du transport, de la distribution des envois mais
aussi de l'exploitation des services d'épargne et des comptes courants postaux
et des mandats postaux. Les sociétés privées étrangères souhaitant offrir des
services de courrier express ne sont autorisées à opérer en Tunisie qu'en
partenariat avec la société de courrier express Rapid-Poste EMS, elle-même
propriété de la Poste tunisienne.
-
Les produits pharmaceutiques
Ils sont importés exclusivement par la Pharmacie centrale de Tunisie (PCT)
12
. Toutefois, l'Institut Pasteur de Tunisie exerce encore le monopole
d'importation de sérums, d'allergènes et vaccins à usage humain et animal. Les
prix de vente au secteur public (hôpitaux), aux pharmaciens grossistes
répartiteurs, aux pharmaciens et aux consommateurs finals sont déterminés par
l'État. La Tunisie n'a pas signé le Mémorandum d'accord sur les produits
pharmaceutiques de l'OMC (chapitre 30 du SH).
On peut rajouter, pour les grands monopoles gérés par nos entreprises
publiques, la gestion de l’eau potable par la SONEDE qui a un « monopole
total qu’elle peut partiellement concéder » et celui du transport ferroviaire par
la SNCFT.
utilisateurs finaux. Tunisie Télécom négocie des accords commerciaux pour l'échange de trafic avec
d'autres fournisseurs de dorsales dans le monde.
Le département chargé des technologies de la communication fixe périodiquement les maxima pour
les services de base (article 17 code des télécommunications)
11
La Poste tunisienne, information en ligne. Disponible sur: http://www.poste.tn.
12
Le monopole a été levé pour la production et préparation des médicaments
10
12
Amel AOUIJ MRAD. Cours de droit public économique. LF3 droit public 2016-2017. Première partie
13
Téléchargement