Partie 1. La persistance de la présence publique à travers les

Amel AOUIJ MRAD. Cours de droit public économique. LF3 droit public 2016-2017. Première partie
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Partie 1. La persistance de la présence publique à travers
les entreprises publiques
Pour comprendre cette mainmise et cet attachement de l’Etat à leur égard
nécessite de remonter à leur historique en Tunisie : nationalisme,
souveraineté, indépendance, structuration de l’économie nationale.
Même le mouvement de privatisation des années 90 est le reflet d’un
puissant interventionnisme étatique (auquel se rajoute une opacité totale).
Les entreprises publiques accompagnent ainsi en Tunisie, depuis 60 ans, les
conceptions successives du rôle de l’Etat dans l’économie. Pléthoriques et
mal gérées, elles semblent pourtant encore indispensables dans la conduite
de l’économie du pays.
Elles ont souffert des abus passés. Aujourd’hui, par exemple, elles vivent les
retombées de la crise économique et nombre d’entre elles sont en déficit
chronique. Pourtant, gérant des activités névralgiques (très sensibles), elles
sont imbriquées dans l’action publique économique (Chapitre 1), surtout que
nombre d’entre elles sont en situation de monopole (Chapitre 2).
chapitre 1. L’entreprise publique, un puissant moyen
d’intervention dans l’économie
Les entreprises publiques constituent encore aujourd’hui le principal moyen
d’intervention de l’Etat dans l’économie. Elles sont nombreuses et
interviennent dans tous les secteurs de l’économie. Nous pouvons citer des
noms fort connus d’entreprises publiques qui jouent un rôle essentiel, vital,
dans le fonctionnement de notre économie.
Cependant, nous sommes en droit de nous interroger pour savoir si elles ne
sont pas trop nombreuses, si plusieurs d’entre elles ne devraient pas être
cédées aux privés ou augmenter leur capital par des apports du privé et
donc réduire la part du public
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. Lorsqu’on y réfléchit bien, même cette
privatisation porte la marque de l’Etat et de la puissance publique.
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On parle aujourd’hui (février 2017) de l’éventuelle cession des parts de l’Etat dans les banques publiques.
Voir : http://www.businessnews.com.tn/lamia-zribi--la-tunisie-envisage-la-vente-de-parts-dans-les-banques-
publiques,520,70510,3
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Section 1 : Identification. Une présence publique initiale
L'expression d'"entreprise publique" renvoie à des idées opposées: efficacité
et rentabilité d'un côté ("entreprise"), intérêt général et désintéressement de
l'autre ("publique"). Nous allons rapidement nous rendre compte que l’aspect
« public » prédomine.
Pour se retrouver dans la jungle juridique des entreprises publiques, il faut
commencer par poser les points certains.
L’entreprise publique est toujours un organisme doté de la
personnalité juridique. Cette personnalité lui permet d'agir en son
nom propre, de poursuivre et de aliser ses actions, d’être
(théoriquement) financièrement autonome. Cette personnalité peut être de
droit public (EPNA) ou de droit privé (sociétés).
L’entreprise publique gère toujours une activité économique. Elle
produit des biens ou des services qu'elle vend contre un prix.
L'entreprise publique est toujours soumise au contrôle d’une
entité publique (pas forcément l’Etat). Ce contrôle est généralement
important, prend des formes variables, peut être direct ou indirect .
Section 2. Les différentes formes d’entreprises publiques. Le caractère
essentiel des financements publics dans leur constitution
La loi 89-9 du 1er février 1989 relative aux "participations, entreprises et
établissements publics" énumère les 3 formes d’entreprises publiques dans son
article 8 nouveau:
"Sont considérées entreprises publiques au sens de la présente loi:
- les établissements publics à caractère non administratif et dont la liste
est fixée par décret;
- les sociétés dont le capital est entièrement détenu par l'Etat;
- les sociétés dont le capital est détenu par l'Etat, les collectivités
locales, les établissements publics et les sociétés dont le capital
est détenu entièrement par l'Etat à plus de 50% chacun
individuellement ou conjointement.
Sont considérées participations publiques, les participations de l'Etat, les
collectivités locales, les établissements publics et les sociétés dont le capital
est détenu entièrement par l'Etat".
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Il existe donc deux formes d’entreprises publiques selon la nature de leur
personnalité juridique: l’établissement public et la société. Elles ne peuvent être
créées que par un décret si elles font partie d’une catégorie préexistante ; par
une loi, si elles constituent elles-mêmes une catégorie nouvelle.
La personnalité morale de droit public : l'établissement public
non administratif (EPNA). Seuls sont entreprises publiques ceux
figurant sur une liste établie par décret. Il est clair ici qu’il s’agit d’une
émanation du public. L’établissement est public : il est constitué à partir
de biens publics, d’argent public.
La forme de droit privé : la société. La socié est une personne morale
de droit privé. C’est même la forme par laquelle le droit privé, la volonté
libre, la propriété, s’expriment. Or, nous découvrons que l’une des formes
d’entreprises publiques est la société (société anonyme), ce qui est pour le
moins, du moins à première vue, étonnant. Mais il faut, en fait, comprendre
le pourquoi de cette immixtion et se souvenir que plus de la moitié du
capital social provient d’une personne publique. Selon la propriété du capital
- propriété entièrement publique ou propriété mixte, en partie publique et
en partie privée - nous sommes soit face à une société privée à capital
entièrement étatique, soit face à une société d'économie mixte, à capitaux
majoritairement publics.
1) La société à capital entièrement étatique : il y a un seul
actionnaire, c’est l'Etat qui place des capitaux dans une activité
uniquement pour la faire bénéficier en partie au droit privé des sociétés.
De multiples dérogations au droit des sociétés en découlent (Voir infra):
le PDG est nommé par l'Etat , il n'y a pas d'assemblée générale, les
contrôles de la puissance publique sur le fonctionnement sont lourds et
nombreux.
Cette société constitue une bizarrerie juridique puisque le propre d'une société
est d'associer plusieurs personnes et leurs capitaux de divers ordres. Mais
lorsque nous nous efforçons de réfléchir différemment, hors des schémas
« privé/public », si nous nous efforcions au dépassement des catégories rigides
et de répartition des rôles entre le secteur public et le secteur privé, si
nous cessons de rapporter la société au seul secteur privé et admettions
l’amalgame, la fusion de moyens dans les deux sens, nous verrions que la
société peut servir les intérêts, l’action d’un Etat plus actionnaire, moins
puissance publique, plus entrepreneur et moins autoritaire. Mais ce n’est
pas dans cet esprit, nouveau, propre à notre époque, d’ouverture du public
sur d’autres méthodes et d’autres modes d’action qu’ont été créées ces
sociétés.
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2) La société à capitaux mixtes ou à participations publiques
Société d’économie mixte »). Le terme de "mixte" utilisé ici fait
référence à la mixité du capital de la société, en partie provenant de
personnes privées et en partie de personnes publiques (Etat, collectivités
locales, établissements publics et la société à capital entièrement publique
(supra). Lorsqu'une de ces personnes seule ou deux ou trois ou quatre
d'entre elles tiennent un minimum de 50% du capital de la société (ne
serait-ce que 50, 001%) , cela signifie que la société en question constitue
une société d'économie mixte donc une entreprise publique soumise à la
loi 89-9.
Quelle forme ? La plus classique est la participation au capital de
la société qui va générer une intervention directe dans la gestion de la
société. Cette participation obéit à une procédure lourde en vertu du
code de la comptabilité publique (loi d’autorisation pour l’Etat, Code de la
comptabilité publique). Mais les participations publiques peuvent prendre
d’autres formes.
Article 67 CCP : « Aucune participation au capital d’une société sous forme d’apport
en espèces ou en nature ne peut être faite par l’Etat ou par un établissement public
que dans les limites de l’autorisation donnée par la loi de finances ».
Inégalités entre associés : la présence des participants publics au capital
entraîne des dérogations au régime général des S.A. notamment le fait qu’il
n’y a plus d’égalité de droit entre les « associés ».
Section 3. Les organes dirigeants
Ils sont au nombre de trois : conseil d’administration, Président directeur
Général, Assemblée générale.
Les deux premiers existent dans toutes les entreprises publiques ; le troisième
uniquement dans la société à capitaux majoritairement publics.
§1. Le conseil d'administration
Il est soumis aux dispositions de deux textes : le code des sociétés
commerciales et la loi 89-9 du 1er février 1989.
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Il obéit à des règles communes de choix et de nomination de ses membres
et il a des compétences communes à toutes les entreprises publiques. Il faut
souligner que pour les sociétés à capitaux « mixtes », siègent au conseil
d’administration 2 catégories d’administrateurs (membres): ceux
représentant le capital privé qui sont désignés par l’assemblée générale des
actionnaires et ceux représentant les personnes publiques
« actionnaires » de la société qui sont nommés par arrêté de leur ministre
de tutelle.
Les critères de nomination des membres du conseil d’administration
représentant, selon le cas, l'Etat , les collectivités locales, les EPNA ou les
entreprise publique au sein des C.A., ressortent des articles 10,11, 12 du
décret 2002-2197 du 7 octobre 2002 relatif aux modalités d'exercice de
la tutelle des entreprises publiques, à l'approbation de leurs actes de
gestion, à la représentation des participants publics dans leurs organes de
gestion et de délibération et à la fixation des obligations mises à leur charge.
Les attributions des conseils d'administration sont énumérées et
unifiées par l'article 10 nouveau de la loi 89-9 (loi 96-74 du 29 juillet
1996) : il arrête la politique générale de l'entreprise publique et d'en
suivre l'exécution, les bilans, comptes de gestion et de résultat, budgets
prévisionnels d'investissement et de fonctionnement et le suivi de leur
exécution, le contrat-programme de l'entreprise
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, il approuver entre
autres - ses marchés publics et ses conventions d'arbitrage. Mais la
plupart de ses décisions doivent être approuvées par l’autorité de tutelle,
ce qui vide son rôle.
Modalités de fonctionnement. Les membres du conseil
d’administration sont toujours nommés pour un mandat de 3 ans,
renouvelable deux fois au maximum. Cette nomination va permettre un
contrôle « de l’intérieur » sur les décisions du conseil car l’administrateur est
soumis aux directives de celui qui le nomme. La loi 89-9 et le décret 2002-
2197 précise même les points obligatoirement inscrits à l'ordre du jour, les
modalités de fonctionnement, la périodicité des réunions (une fois
chaque trimestre).
§2. Le président-directeur général
C’est l’exécutif de l'entreprise publique.
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Chaque entreprise publique est tenue d'avoir son contrat-programme, sorte de "convention" cosignée par le
PDG et le ministre de tutelle et précisant, pour les cinq années à venir les obligations respectives des deux
parties. Sur ce point, voir II, chapitre 1.
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