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Introduction
«Il y aurait donc, partout répandues, des forces mystérieuses et vagues,
modelant à travers l’espace l’humanité et qui, par-dessus les douanes et les
langues, assimileraient les générations entre elles… Je ne suis pas éloigné de
penser que la publicité serait précisément un de ces agents qui transforment si
profondément et si mystérieusement l’âme même des civilisés.»
Gaston R, « Psychologie de la publicité »,
L’Illustration, 23 juin 1928, n° 4451, p. 650.
Publiphiles et publiphobes. La publicité fascine autant qu’elle agace.
D’un côté, elle est esthétiquement belle, drôle, source de ré exions parfois,
objet de festivals, d’émissions de télévision et même de culte pour certains.
Mais d’un autre côté, elle est irritante, intrusive (spam, af chage public),
opportuniste (ambush marketing…), agressive ou même choquante…
Ce dernier sentiment l’emporte ces dernières années 1 . Les mouvements anti-
pub se sont multipliés 2 , relayés par les pouvoirs publics qui n’ont pas hésité à
parer la publicité de bien des maux. La suppression progressive de la publicité
sur France Télévision par la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 sur la communi-
cation audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, a ainsi été
présentée comme l’un des moyens d’améliorer la qualité des programmes 3
1. Selon les chiffres diffusés par TNS Sofres en novembre 2005, 43 % des français se déclaraient
publiphobes contre 36 % en 2002, et 37 % étaient publiphiles contre 43 % en 2002. Le senti-
ment anti-pub s’est même accru : selon une enquête menée par l’institut TNS en 2010 pour le
compte de l’agence Australie, 8 français sur 10 trouvent la publicité plutôt ennuyeuse (La pub
plaît de moins en moins aux français : La Tribune, 21 octobre 2010).
2. S. D, Le temps de l’antipub. L’emprise de la publicité et ceux qui la combattent : Actes
Sud, 2005.
3. Article 28 de la loi du 5 mars 2009 modi ant l’article 53 VI de la Loi n° 86-1067 du
30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dite Loi Léotard : « Les programmes
diffusés entre vingt heures et six heures des services nationaux de télévision mentionnés au
I de l’article 44, à l’exception de leurs programmes régionaux et locaux, ne comportent pas
[« Droit de la publicité », Linda Arcelin-Lécuyer]
[ISBN 978-2-7535-1456-0 Presses universitaires de Rennes, 2011, www.pur-editions.fr]
Droit de la publicité
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Auto-régulation professionnelle. Pourtant, la profession tente de faire
« patte blanche » depuis bien des années. La publicité est en effet l’un des
secteurs où l’auto-régulation professionnelle – interne et internationale – est
la plus forte. Quelques mois avant la signature d’un code international des
pratiques loyales, naissait l’OCA, l’Of ce de Contrôle des Annonces, institué
le 29 août 1935. L’association réunissait la Chambre syndicale de la publi-
cité, des groupements d’intérêt général tels que l’Association des directeurs
commerciaux de France et douze syndicats, parmi lesquels l’Union syndicale
des maîtres artisans publicitaires, le Syndicat des quotidiens de Paris, celui
des journaux de province, les éditeurs créateurs… En 1953, l’OCA deviendra
le BVP, Bureau de Véri cation de la publicité qui se transforme lui-même en
2008 en ARPP, Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité.
Objectif de l’ouvrage. Dans ce climat mêlé de désamour, de suspicion
mais aussi d’attirance et d’intérêts, un ouvrage consacré au droit de la publicité
trouve toute sa place. Sans prendre parti sur le courant pro ou anti-pub, il se
propose d’analyser les normes en vigueur qui tentent toutes de réconcilier la
publicité et son destinataire, le consommateur.
de messages publicitaires autres que ceux pour des biens ou services présentés sous leur
appellation générique. Cette disposition s’applique également aux programmes diffusés par
ces services entre six heures et vingt heures à compter de l’extinction de la diffusion par voie
hertzienne terrestre en mode analogique des services de télévision mentionnés au même I sur
l’ensemble du territoire métropolitain. Elle ne s’applique pas aux campagnes d’intérêt général.
Le temps maximal consacré à la diffusion de messages publicitaires s’apprécie par heure d’hor-
loge donnée. À l’extinction de la diffusion par voie hertzienne terrestre en mode analogique
des services de télévision sur le territoire d’un département d’Outre-Mer, d’une collectivité
d’outre-mer ou de Nouvelle-Calédonie, et au plus tard le 30 novembre 2011, les programmes
de télévision de la société mentionnée au même I diffusés sur le territoire de la collectivité en
cause ne comportent pas de messages publicitaires autres que ceux pour des biens ou services
présentés sous leur appellation générique, sous réserve de l’existence d’une offre de télévision
privée diffusée par voie hertzienne terrestre en clair. » La distinction faite entre les chaînes
nationales d’un côté et locales et régionales d’un autre côté n’est peut-être pas en conformité
avec la jurisprudence communautaire qui a jugé qu’« en instaurant un dispositif conduisant
à une interdiction de la publicité concernant les traitements médicaux et chirurgicaux sur les
chaînes de télévision nationales, tout en offrant la possibilité de diffuser une telle publicité
sur les chaînes de télévision locales, ce régime présente une incohérence que le gouverne-
ment italien n’a pas essayé de justi er et n’est donc pas de nature à répondre utilement à
l’objectif susmentionné qu’il entend poursuivre ». Aussi constitue-t-elle « une mesure natio-
nale susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice des libertés fondamentales
garanties par le traité aux articles 43 CE et 49 CE » (CJCE, 17 juillet 2008, aff. C-500/06,
Corporacion Dermoestética SA : RLC n° 19/2009, p. 121, obs. L. A-L ; RLDA
n° 30/2008, n° 1810).
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Introduction
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I. Histoire de la publicité
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« Cette prise d’assaut de l’opinion publique engendra trois succès trois fortunes,
et valut l’invasion des milles ambitions descendues depuis en bataillons épais
dans l’arène des journaux où elles créèrent les annonces payées, immenses
révolutions ! En ce moment, la maison A. Popinot et Compagnie se pavanait
sur les murs et dans toutes les devantures. Incapable de mesurer la portée
d’une pareille publicité, Birotteau se contenta de dire à Césarine : “Ce petit
Popinot marche sur mes traces !” sans comprendre la différence des temps,
sans apprécier la puissance des nouveaux moyens d’exécution dont la rapidité,
l’étendue embarrassaient beaucoup plus promptement qu’autrefois le monde
commercial. »
B, César Birotteau, La Pléiade, tome V, p. 489.
La nuit des temps… La publicité au sens large est aussi ancienne que
le commerce. Si l’on entend la publicité comme le fait de vanter son produit
pour que le chaland l’achète alors il faut remonter aux temps ancestraux,
dès le début du commerce avec le troc, les marchés, les foires… Pour attirer
l’attention d’une population en grande majorité illettrée, deux techniques sont
privilégiées : l’enseigne et les crieurs.
Les temps modernes… Il est courant de faire remonter l’histoire de la
publicité moderne en 1836 lorsqu’Émile de Girardin publia dans son premier
journal La Presse les premières annonces commerciales 5 . L’intérêt pour lui
était de rentabiliser son journal en baissant le prix grâce aux recettes liées aux
annonces et ainsi gagner des lecteurs. Cette bonne idée  t des émules et dès
1896 Le Figaro faisait 37 % de recettes publicitaires.
Le e siècle… D’abord réservée à la presse, la publicité diversi a ses
supports. Vint ainsi le temps des af ches publicitaires au début du e siècle.
Qui n’a pas en tête les af ches de Toulouse Lautrec peignant les lieux de fête
parisiens ou celles de Jules Chéret, « le roi de l’af che ».
Les logos de marque commencent aussi à faire leur apparition à cette
époque et vont s’étendre à partir des années vingt aux produits dérivés
(cendriers, boites d’allumettes, bob…).
Bien évidemment, la publicité suivra l’émergence des nouveaux médias.
En 1922, apparaît la radio et 6 ans après les premiers spots sont diffusés.
4. V. 150 ans de Publicité, Musée de la publicité, 2004. – M. M, Trois siècles de publicité
en France : Odile Jacob, 1992. – M.-E. C, La publicité. Naissance d’une profession.
1900-1940 : CNRS éditions, 2002.
5. Des pratiques similaires antérieures n’ont cependant pas été retenues par l’histoire. On citera
quand même celle du périodique Le Tam-Tam, créé en 1835, premier journal gratuit entière-
ment payé par les annonces. Même avant, dès 1825, de grands quotidiens (Le Constitutionnel,
Le Siècle, La Gazette de France, Les débats) disposent de recettes publicitaires non négli-
geables. V. M. M, Trois siècles de publicité en France, op. cit., p. 55 et suiv.
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Droit de la publicité
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La publicité va utiliser la musique et se doter de slogans. C’est ainsi que
le graphiste-af chiste Cassandre va réaliser la célèbre af che du paquebot
Normandie en 1930 mais aussi le slogan : Dubo, Dubon, Dubonnet pour la
marque de Vermouth français. Le 1er octobre 1968, les téléspectateurs peuvent
découvrir les premiers spots publicitaires télévisés. Ils sont encore en noir et
blanc et d’une accroche marketing « minimaliste 6 ». Tout s’accélère à la  n
du e siècle : le bouleversement des nouvelles technologies n’échappera pas
aux annonceurs qui s’empareront de ces nouveaux canaux. Ainsi verra-t-on
le développement des publicités sur Internet, sur les consoles de jeux, les
téléphones portables, pad…
e siècle… L’aphorisme d’Andy Warhol selon lequel « n’importe quelle
publicité est une bonne publicité » est loin d’être véri ée aujourd’hui. On a
plutôt le sentiment que trop de pub tue la pub ! Rien de pire qu’une publi-
cité qui passe inaperçue. Pour mesurer l’impact d’un message, les agences
ont désormais recours à des dispositifs de mesure d’audience publicitaire.
Ces outils consistent à placer des caméras sur des panneaux publicitaires
a n de compter le nombre de personnes qui regardent le panneau, le temps
passé devant celui-ci, et parfois même l’estimation de leur âge et de leur sexe.
Existent également des dispositifs de mesure de fréquentation des lieux (tels
que les centres commerciaux et les aéroports), par lesquels des boîtiers captent
les données émises par le téléphone portable et calculent la position géogra-
phique des personnes. Grâce à ces systèmes, des statistiques de fréquentation
sur la base d’une analyse des comportements sont réalisées. Par exemple, dans
le cas des centres commerciaux, il est possible de savoir combien de personnes
ont fréquenté un centre tel jour à telle heure mais aussi avoir connaissance
des trajets, à l’intérieur du centre, d’une même personne. Certains capteurs
reconnaissent même la « cible » en lui envoyant au moment de son passage
devant l’écran, par exemple un bon de réduction sur son téléphone portable.
C’est l’enjeu des marques et des agences : connaître intimement le consomma-
teur pour lui adresser des publicités personnalisées. Il y a un côté Big Brother
qui ne manque pas de faire peur et qui ne laisse assurément pas la CNIL
indifférente 7 .
L’avenir… Plus inquiétant, les agences de publicité, associée aux neuros-
cienti ques, développent depuis peu de nouveaux modes de communication
basés sur l’exploration du cerveau du consommateur et la détection des inten-
tions de ce dernier 8 . Cette discipline, appelée le neuromarketing, suscite
6. V. Sur www.snptv.org (Syndicat national de la publicité télévisée) et sur www.lesartsdécoratifs.fr
7. CNIL, Dispositifs d’analyse du comportement des consommateurs : souriez, vous êtes
comptés !, 19 avril 2010. – Mesure d’audience des panneaux publicitaires : la loi « Grenelle II »
renforce le contrôle de la CNIL, 4 octobre 2010.
8. V. L. G, « La pub s’incruste dans nos neurones » : Le Monde, 30 avril/2 mai 2006 ;
« Les publicitaires s’intéressent à notre cerveau : leader mondial de la publicité, Omnicom
lance, en France, l’agence conseil en média PHD, qui fonde son expertise sur le neuromar-
keting », Le Monde, 28 mars 2007.
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perplexité et crainte. Le temps où le consommateur devient « la chose » des
publicitaires ne semble plus très loin : de maître de ses choix, il risque de
devenir assujetti à la publicité.
II. Historique du droit de la publicité
« La publicité endort et fait rêver ; mais le jour où le consommateur se réveille
naît le consumerism. »
Paul O, Le passé du « consumerism »,
annales de l’université de Toulouse, 1979, p. 217.
Soft law. Nous sommes bien loin des premières « réclames » vantant
les boissons alcoolisées comme remèdes contre la grippe, les rhumes, les
bronchites et autres refroidissements, ou encore les potions un peu magiques
soignant à la fois les aigreurs d’estomac et la calvitie… Aujourd’hui, la publi-
cité se veut plus honnête, mais elle est surtout plus subtile.
Le client, ancêtre du consommateur, aurait pu tomber dans une mé ance
absolue de la publicité. La profession aurait alors sombré avant même de
s’épanouir. Tout au contraire, les annonceurs et les agences ont souhaité rassu-
rer le client pour mieux communiquer le message publicitaire 9 . Des codes
de bonne conduite, normes de loyauté envers le destinataire de la publicité,
ont été rédigés a n de tranquilliser et amadouer le consommateur. L’auto-
régulation présente aussi l’avantage d’une plus grande acceptation. Les règles
restrictives d’une activité sont d’autant mieux reçues qu’elles sont issues de
la profession. Il ne faut alors guère s’étonner de ce que le secteur publicitaire
se soit très vite doté de ses propres normes et que le « soft law » connaisse ici
un succès considérable.
Le premier pas fut international, ce qui n’est pas étonnant face à la dimen-
sion mondiale de la publicité. La Chambre de commerce internationale publia
ainsi un Code des pratiques loyales en matière de publicité dès 1937, devenu
par la suite le Code sur les pratiques de publicité et de communication de
marketing et réformé en dernier lieu en 2006. Au niveau européen, a été
créée en 1992 l’Alliance Européenne pour l’Éthique en Publicité (AEEP),
dénommée en anglais « European Advertising Standards Alliance » (EASA),
et qui rassemble des organismes d’autodiscipline publicitaire de différents
pays. Néanmoins, comme le relève l’AESA, l’auto-régulation doit d’abord être
pensée d’un point de vue national : « advertising regulation works best at natio-
nal level, where it can re ect national cultural, commercial and legal traditions
9. Selon l’EASA (European Advertising Standards Alliance), « des consommateurs trompés ou
choqués par la publicité n’achètent plus. Même si elle ne représente qu’un faible pourcen-
tage de l’ensemble, la mauvaise publicité mine peu à peu la con ance des consommateurs et
affecte l’ensemble de la publicité. Par conséquent, il y va de l’intérêt du secteur publicitaire
de veiller à ce que la publicité soit sainement réglementée ».
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