La Lettre de l’Infectiologue - Tome XV - n° 7 - septembre 2000
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MISE AU POINT
Vancomycine et dépendance bactérienne
L’entérocoque vancomycine-dépendant (phénotype VmD) se
caractérise par son aptitude à pousser uniquement en présence
de vancomycine, ce qui suggère qu’il ne peut synthétiser les
précurseurs de sa paroi que si la vancomycine induit la pro-
duction des protéines de résistance. Autrement dit, la voie de
synthèse chromosomique “normale” des précurseurs du pepti-
doglycane doit être inactivée. De fait, si l’on identifie les pré-
curseurs produits, on constate que la souche dépendante syn-
thétise 100 % de précurseurs terminés par D-Ala-D-Lac en
présence de vancomycine (figure 4). La comparaison des voies
de synthèse des précurseurs (chromosomique sensible et alter-
native résistante) révèle que l’enzyme qui diffère est la ligase
qui catalyse la dimérisation de la D-alanine dans les souches
sensibles ou la fixation du D-lactate à la D-alanine dans les
souches résistantes (figure 2). Le caractère dépendant doit donc
être lié à une inactivation de la D-Ala:D-Ala ligase. La
séquence du gène de structure de cette enzyme a été détermi-
née pour plusieurs souches dépendantes et a révélé dans chaque
cas une mutation qui affecte un résidu hautement conservé (2,
6, 7) ou provoque l’apparition d’un codon d’arrêt conduisant à
la production d’une protéine tronquée (8). Dans le cas choisi
ici à titre illustratif (2), une délétion de six paires de bases
conduit au remplacement par un glutamate (E) d’un triplet
d’acides aminés comportant une lysine (K) hautement conser-
vée parmi les D-Ala:D-Ala, D-Ala:D-Lac ou D-Ala:D-Sér
ligases. La mutation entraîne donc la perte de deux acides ami-
nés et la substitution d’un troisième acide aminé chargé posi-
tivement par un résidu chargé négativement. Au niveau molé-
culaire, ce changement a des répercussions majeures sur
l’activité de l’enzyme. En effet, le résidu lysine joue un rôle
important dans la réaction enzymatique, facilitant par sa charge
le transfert du phosphate depuis l’ATP vers la D-alanine comme
préliminaire à la réaction de dimérisation (9).
!Rapport coût-bénéfice. L’investissement génétique condui-
sant au phénotype dépendant est minime (une mutation), de
même que l’effort métabolique (niveau d’expression des
protéines de résistance très bas). Le bénéfice est majeur en
termes de résistance, puisque la CMI de la vancomycine passe
de 32 à 512 µg/ml et celle de la teicoplanine, en présence de
vancomycine comme inducteur, atteint 64 µg/ml. Ce gain s’ex-
plique par le fait que seul le depsipeptide D-Ala-D-Lac est pro-
duit. L’activité des protéines de résistance, mesurée par celle
de VanX, est cependant faible (figure 4). Toutefois, la bactérie
se trouve fortement pénalisée dans sa croissance, puisqu’elle
ne peut se multiplier qu’en présence de vancomycine.
Vancomycine-dépendance et réversion
La souche résistante isolée en fin de traitement chez la patiente
n’ayant malheureusement pas été conservée, on ne peut affir-
mer qu’il s’agit d’un révertant de la souche dépendante. Cette
éventualité mérite toutefois d’être retenue. En effet, in vitro, la
culture de mutants dépendants en l’absence de vancomycine
permet de sélectionner aisément des révertants ayant perdu leur
caractère dépendant et acquis un niveau élevé de résistance à
la vancomycine et, dans certains cas, à la teicoplanine (figures 1
et 4, tableau I). À ces deux phénotypes correspondent deux
mécanismes, que l’on peut proposer sur la base de l’analyse
des précurseurs produits et des niveaux d’expression des pro-
téines de résistance. Le phénotype restant sensible à la teico-
planine (VmRTeS) est associé à la production de D-Ala-D-Ala
en l’absence d’inducteur mais à la production essentiellement
de D-Ala-D-Lac en présence d’inducteur, associée à une acti-
vité importante des protéines de résistance. Ces propriétés indi-
quent que la D-Ala:D-Ala ligase est à nouveau fonctionnelle.
La séquence du gène ddl présente en effet une nouvelle muta-
tion à la position altérée chez le mutant dépendant, restaurant
un triplet d’acides aminés différent de celui de la souche sau-
vage mais présentant la lysine critique en position 253 (figure 4)
(2). Le phénotype résistant à la vancomycine et à la teicopla-
nine (VmRTeR) est associé à la production exclusive de D-Ala-
D-Lac et à un niveau élevé d’expression des protéines de résis-
tance, aussi bien en l’absence qu’en présence d’inducteur. Ces
données indiquent que ces révertants conservent une ligase inac-
tive, ce que confirme la détermination de la séquence du gène
correspondant (figure 4), mais que l’expression de leurs gènes
de résistance est désormais constitutive. Cela leur confère la
possibilité d’exprimer leurs protéines de résistance, et donc de
synthétiser du D-Ala-D-Lac, en l’absence de vancomycine. Ce
phénotype est dû à une mutation ponctuelle au niveau du sen-
seur VanS qui conduit à l’activation permanente de l’activateur
de la transcription (figure 5, page 293) (2).
!Rapport coût-bénéfice. L’investissement génétique est à
nouveau limité, impliquant dans les deux cas une seule muta-
tion. L’investissement métabolique est cette fois important,
imposant un niveau d’expression élevé des protéines de résis-
tance. Cependant, le gain pour la bactérie est majeur, puisqu’il
lui assure une résistance de haut niveau à la vancomycine et à
la teicoplanine, tout en abolissant les contraintes de croissance
de la cellule parentale dépendante (figure 4). Deux mutations
successives (c’est-à-dire une première dans le gène ddl confé-
rant le caractère dépendant et une seconde dans le gène vanS
ou le gène ddl assurant la réversion) suffisent donc pour confé-
rer à l’entérocoque au départ faiblement résistant un niveau de
résistance très élevé aux glycopeptides.
VANCOMYCINE-DÉPENDANCE :
UNE CURIOSITÉ DE LABORATOIRE
OU UNE MENACE POTENTIELLE EN CLINIQUE ?
La nécessité de la présence d’antibiotique pour la croissance
bactérienne est pour le moins un paradoxe étonnant. La litté-
rature rapporte des exemples isolés de dépendance aux bêta-
lactamines (10), aux aminosides (11) ou à la polymyxine (12).
Ces isolats ont été considérés comme des curiosités ne justi-
fiant aucun effort diagnostique ou thérapeutique étant donné
que leur mode de croissance particulier assure en principe leur
élimination spontanée. Depuis la description du premier enté-
rocoque dépendant des glycopeptides pour sa croissance en
1994 (1), de telles souches ont été isolées chaque année chez
des patients qui, en général, ont reçu un traitement prolongé
par la vancomycine (tableau I, page 292) et des antibiotiques
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