Mathématiques, économie et idéologie : un essai de clarification
c'est le débat récurrent sur les prévisions en économie (voir Le Monde du 19 octobre 1993 par exemple).
b) les modèles (ou théories) non formalisés
Commençons par rectifier la « démarche scientifique traditionnelle ». Elle n'est en effet pas représentée par : «
hypothèses—formalisation—vérification », mais par : « hypothèses—raisonnement—vérification ». Et la
démarche reste scientifique lorsque le raisonnement, le plus rigoureux possible, ne peut pas être formalisé.
Or, en économie, nombreux sont les domaines où la formalisation est, aujourd'hui, impossible, même si de
nombreuses tentatives ont lieu ; citons par exemple : les phénomènes de pouvoir, de confiance, d'envie, de
conflit-coopération... et encore la prise en compte des organisations, des institutions... tous phénomènes auxquels
des théories scientifiques fournissent des éléments de compréhension. Les rejeter hors de la science sous le
prétexte qu'elles ne sont pas formalisées risque de tomber sous le coup de l'affirmation de A. Sen : « Une
surutilisation des mathématiques peut être un triste moyen pour faire l'impasse sur des sujets qui demeurent
importants même si on ne peut pas les mettre en équations ».
Et c'est bien comme cela que nous entendons l'appel : « L'enseignement de la science économique en débat. Enfin !
». Ce n'est pas — ce ne peut pas être — l'utilisation des mathématiques qui peut faire débat. Ce ne peut être que
leur surutilisation : ne plus traiter que des problèmes formalisables ; ne plus juger les étudiants que sur leur capacité
à poser et à résoudre ces problèmes ; faire l'impasse sur les théories non formalisées, c'est-à-dire sur des sujets
importants parce qu'on ne peut pas les mettre en équations.
C'est d'abord cela, l'esprit de l'appel : non pas nier l'apport des mathématiques à l'économie, mais donner toute leur
place aux théories non formalisées qui, elles aussi, éclairent la réalité économique.
Redonner toute leur place... C'est qu'en effet la place est prise (et trop souvent monopolisée), précisément par les
théories dites néoclassiques, parfaitement formalisées.
Qu'en est-il alors de ces théories ?
Appliquons leur le schéma de la « démarche scientifique traditionnelle ».
Le premier temps (l'identification des concepts et les hypothèses de base relatives aux comportements) existe bien,
mais ces concepts et ces comportements sont d'emblée étrangers à la réalité qu'ils sont censés représenter. C'est le
cas de la théorie néoclassique de base. En effet, elle pose des individus isolés, dont les intérêts sont indépendants
les uns de ceux des autres et qui ne communiquent que par le système des prix alors que la vie économique et
sociale se caractérise d'abord par les phénomènes d'imitation, d'envie, d'interactions de toutes sortes. C'est aussi le
cas de la « rationalité » (concept fondamental de cette théorie) puisqu'elle a été empiriquement réfutée (paradoxe
d'Allais). C'est tout aussi évident dans le cas de la macroéconomie dite néowalrassienne : « Notre modèle théorique
de base comporte un seul type d'unité économique que l'on peut considérer à la fois comme un ménage et une firme
» (R. Barro). Réduisant la société à un seul type d'individu (un ensemble de clones), on ne risque pas de pouvoir
expliquer par exemple le chômage, ni tous les phénomènes issus des conflits sociaux.
Le deuxième temps, la formalisation, est évidemment présent : ah que la théorie est fière d'être axiomatisée !
Quant au troisième temps, celui de la confrontation à la réalité, il suffit de citer un collègue qui a été secrétaire
général de l'Association Française de Science Économique : « De longues années au service de l'économie pure et
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