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le bouddhisme. Toutefois, je crois que la pensée orientale est, de part l’histoire, si 
éloignée de notre mode de pensée occidentale qu’il n’est pas forcément aisé pour 
les  occidentaux  d’intégrer  sans  risque  d’erreur  doctrinale  la  pensée  bouddhique. 
Comment ainsi appréhender correctement la doctrine bouddhiste du non-soi tandis 
que des siècles de réflexion occidentale ont, au contraire, eu le moi individuel pour 
sujet ? 
Il  est  des  rencontres  intellectuelles  qui  savent  répondre  à  une  attente  et  dont 
l’éclairage devient alors une révélation. Ainsi, lors de mes recherches réalisées pour 
l’écriture de ma biographie consacrée à l’astronome, mathématicienne et philosophe 
néoplatonicienne du IV-Ve siècle Hypatie d’Alexandrie, je suis tombé sur l’œuvre de 
Pierre Hadot,  philosophe spécialiste de l’Antiquité disparu en avril 2010, qui propose 
une relecture de la pensée philosophique antique comme pratique, manière de vivre 
et  exercice  spirituel.  Sa  vision  m’a  tout  de  suite  enthousiasmé.  La  philosophie 
antique  a,  pour  lui,  encore  des  choses  à  dire  à  nous  contemporains.  La 
démonstration de Pierre Hadot montre qu’il est possible de mener aujourd’hui un 
mode de vie selon une attitude épicurienne ou stoïcienne. On ne peut pas en effet 
prendre pour base la philosophie spéculative de Platon ou de Plotin qui apparaît trop 
éloignée  des  réalités  vécues  par  les  gens alors  que celle  d’Epicure  et d’Epictète 
faisant appel à la raison reste actuelle. Ces deux penseurs ont tenté dans leurs écrits 
de  répondre  aux  interrogations  de  leurs  contemporains  mais  aussi  par  la  même 
occasion  aux nôtres,  ceci grâce  à  l’intemporalité  de  leurs propos.  La  philosophie 
épicurienne ou stoïcienne n’est pas du baratin spéculatif, elle se vit d’abord. On est 
épicurien ou stoïcien par la vie que l’on mène et non parce que l’on ânonne une 
heure par jour des concepts doctrinaux. 
 
Ma conception spirituelle est immanente. Le monde est foncièrement un. Rien ne 
m’est plus étranger qu’une vision dualiste ainsi que l’idée de transcendance. L’idée 
stoïcienne de revenir au final au sein de la substance est séduisante mais qu’est-ce 
cela  induit  ou  pas  ensuite ?  Une  forme  de  survivance  de  notre  pensée  est-elle 
envisageable ou bien n’est-ce finalement qu’un simple recyclage, comme le défend 
Epicure, de notre matière pour la création de nouveaux éléments ? Ici, on s’éloigne 
de  la  notion  de  philosophie  pour  glisser  vers  le  champ  de  la  croyance.  Aucune 
réponse n’est véritablement donnée par les philosophes stoïciens (cette interrogation 
relève  plutôt  du  domaine  de  l’espérance)  mais  finalement  cela  n’avait  que  peu 
d’importance pour eux car leur priorité était de vivre et bien gérer le temps présent.  
Pour conclure cette petite réflexion, Pierre Hadot a déclaré que pour mener une vie 
en se réclamant à la fois de la philosophie d’Epicure et d’Epictète  il faut « tantôt 
adopter  une attitude  épicurienne,  tantôt  stoïcienne,  dans  la  mesure où  il est  des 
circonstances où il faut se détendre comme un épicurien, et des circonstances de 
“tensions“, malheureusement souvent tragiques, où il faut être fort et actif en faisant 
consciencieusement  son  devoir  comme  un  stoïcien »  (interview  à  Philosophie 
Magazine n° 21). Ainsi, contrairement à la période  antique où il fallait à l’étudiant 
sélectionner sa tradition philosophique, de nos jours, ceux qui le souhaitent peuvent 
désormais ne pas avoir à choisir entre la voie d’Epicure ou d’Epictète mais choisir au 
contraire  celles  d’Epicure  et  d’Epictète  car  les  deux  pensées  se  complètent 
parfaitement.  Ainsi,  je  peux  sans  problème  me  définir  comme  un  épicurien  de 
tradition  philosophique avec  des  influences  stoïciennes, me  sentant  en  effet  plus 
attiré par la philosophie paisible d’Epicure - à rapprocher de celle du Bouddha -  tout 
en y intégrant une partie de la métaphysique stoïcienne (et notamment cette idée 
que nous faisons partie d’un grand Tout) et en sachant également que les épreuves 
de la vie nécessiteront d’y résister à la manière d’Epictète ; Tout ceci sans oublier 
d’ajouter  en  complément  du  suivi  de  ces  deux  pratiques  philosophiques  des 
exercices  méditatifs  de  calme  bouddhique.  Epicure  et  Epictète,  ces  deux  grands