La log iq ue et l’ép istémolog ie Un contenu de pensée peut-il être objectif ? Sens, objet et vérité Xavier Verley Philopsis : Revue numérique http ://www.philopsis.fr Les articles publiés sur Philopsis sont protégés par le droit d'auteur. Toute reproduction intégrale ou partielle doit faire l'objet d'une demande d'autorisation auprès des éditeurs et des auteurs. Vous pouvez citer librement cet article en en mentionnant l’auteur et la provenance. Frege, considéré souvent comme le fondateur de la logique moderne, avait une haute idée de la philosophie qu’il a toujours associée directement ou indirectement à sa réflexion sur les mathématiques1. Voir la philosophie se rapprocher de la psychologie l’inquiétait car il y voyait un affaiblissement du pouvoir de la pensée. Le psychologisme qu’il a critiqué, débusqué jusque chez Husserl, tend à réduire la pensée à la représentation révélant son étroite parenté avec l’idéalisme quand ce dernier réduit le monde et les choses à la représentation. Ainsi la psychologie qui découvre les lois de la représentation prétend énoncer aussi les lois de la pensée. Frege réagit vigoureusement en montrant que les lois psychologiques de la représentation dépendent des lois plus fondamentales qui sont les lois des nombres 1 « J’avoue que mon exposé a pris un tour plus philosophique qu’il ne semblera convenable à beaucoup de mathématiciens ; mais une recherche fondamentale sur le concept de nombre ne peut manquer d’être marquée de philosophie. La tâche est commune aux mathématiques et à la philosophie. » Frege, Les fondements de l’arithmétique, Le Seuil, (FA) « Introduction », tr. fr. C. Imbert, Le Seuil, p. 118 ; Écrits logiques et philosophiques , tr. fr. C. Imbert), Le Seuil, sera désigné par (ELP). logique_contenu_objectif_verley.doc © Xavier Verley 1 étroitement liées aux lois de la pensée, d’où la vanité du projet qui consiste à réduire les lois mathématiques à des lois psychologiques. La confusion de la pensée avec la représentation entraîne une seconde conséquence. Pour des philosophies imprégnées de psychologie, comme Brentano ou Husserl, la représentation n’est pas liée à une excitation corporelle dont elle dépendrait mais à une conscience ou subjectivité indépendante des affections naturelles et corporelles. En réduisant la pensée à la représentation, le psychologisme met en péril l’objectivité et la vérité visées par toute pensée ; en faisant dépendre l’objet de la pensée d’une forme qui serait le « je pense », la révolution copernicienne n’échappe au relativisme qu’en postulant l’universalité du sujet. Peut-on sortir du subjectivisme (Brentano, Husserl) ou du naturalisme (Fechner, Mach) propre à la conception psychologique de la pensée et éviter à la fois le solipsisme et le scepticisme ? Frege considère que la pensée, qui doit toujours se compléter par un jugement vrai ou faux, commence quand elle est dite ou écrite, autrement dit formulée dans une proposition. Partir des lois du langage et non des lois de la représentation, telle est la démarche initiale. Les ambiguïtés de dénotation dans les langues naturelles montrent que la langue naturelle, destinée à la communication, est encore imprégnée de représentation, ce qui implique que cette langue, qui nous donne sans doute un sens, ne suffit pas pour traduire l’exigence d’objectivité propre à la pensée. D’où la nécessité de constituer une langue parfaite2, une lingua caracteristica ou idéographie, qui rende possible un calcul au niveau des pensées 3. De la langue usuelle à la langue parfaite, indispensable pour exprimer non seulement les nuances mais aussi les lois de composition des pensées, on passe d’une pensée semi-objective à une pensée objective qui découvre ses concepts et les objets qu’ils subsument. Puisque les propositions qui traduisent les pensées s’analysent en termes de prédicat et de nom propre (langage) , de concept et d’objet (pensée) , il en découle une nécessité de modifier ce que l’on entend par contenu d’une pensée ou d’un jugement. Est-ce le simple concept exprimé par le prédicat, l’objet dénoté par le nom propre ou le sens de la proposition ? Le nombre comme concept En cherchant les fondements de l’arithmétique, Frege poursuit le mouvement d’arithmétisation de l’analyse qui s’efforce de retrouver la filiation des nombres réels aux nombres entiers. Puisque ces nombres forment le socle sur lequel sont construits les autres ensembles de nombres (Q, R et C), il importe de s’entendre sur leur nature. Voilà pourquoi l’essentiel dans la recherche d’un fondement de l’arithmétique consiste à définir le nombre et le successeur d’un nombre. 2 3 Frege, ELP, p. 117. Voir Logique symbolique, « Introduction, », Xavier Verley, Ellipses, 1999. logique_contenu_objectif_verley.doc © Xavier Verley 2 Les lois des nombres s’appliquent aussi bien aux phénomènes naturels que psychiques ce qui permet de dire que ce sont des lois des lois de la nature (physique) et de la représentation (psychologie). Si le nombre s’applique aux représentations dans la mesure où elles sont produites par une excitation sensorielle (psycho-physique), le concept de nombre ne peut être dérivé d’aucune représentation et par suite d’aucune intuition. Frege examine attentivement le point de vue de Kant qu’il a lu soigneusement. Bien qu’il adopte la terminologie kantienne, (analytique, synthétique, a priori et a posteriori), il ne fait aucune concession à cette pensée : s’il s’y réfère, c’est parce que c’est la seule pensée philosophique, avec celle de Leibniz, qui comprend une philosophie des mathématiques. Kant saisit les nombres à partir d’une intuition subjective a priori qui est une forme originaire de représentation ; alors que les figures géométriques sont saisies à partir de l’intuition subjective a priori de l’espace qui est le sens externe, les nombres sont appréhendés à partir de l’intuition subjective a priori du sens interne qui est celui de la subjectivité et du temps. Les nombres sont relatifs à la représentation et engendrés par la succession temporelle des représentations : dans la perspective kantienne, seul le temps permet de comprendre la succession des nombres. En ce qui concerne l’arithmétique, la pensée frégéenne est résolument antikantienne : la succession des nombres peut se définir logiquement à partir d’une relation d’ordre, « plus grand que », « plus petit que » qui exclut la relation temporelle d’antériorité et de postériorité . Le concept de nombre, indépendant de toute intuition d’une forme spatiale ou temporelle, ne peut être conçue comme le schème de la quantité4. Ce sont les fondements mêmes du criticisme que Frege conteste à propos de l’arithmétique : si la succession des nombres est indépendante du temps, on peut concevoir une forme de succession indépendante du temps et du sujet. Les lois des nombres et les lois logiques de la vérité impliquent l’objectivité de la pensée et en même temps l’intemporalité de la loi qui fonde la relation d’un nombre à son successeur ou à son prédécesseur. La succession objective des nombres est indépendante du temps alors que la succession subjective des représentations implique le sujet et le temps comme condition de possibilité de la liaison. En fondant l’arithmétique sur le concept de succession temporelle et sur l’aperception originaire pour comprendre l’unité , Kant ne pouvait comprendre le nombre zéro et le nombre un qui est différent de l’unité. En d’autres termes ces nombres caractéristiques ne peuvent être le résultat d’une synthèse a priori qui implique l’unification d’une multiplicité. L’intuition subjective a priori du temps ne peut servir de fondement à l’arithmétique car la succession temporelle des représentations est radicalement différente de la 4 « Le temps n’est qu’un réquisit psychologique de l’acte de compter, il n’a rien à voir avec le concept de nombre. La représentation d’objets qui ne sont ni spatiaux ni temporels par des points d’espace et de temps a l’avantage de rendre plus aisé le dénombrement, mais elle n’entame en rien l’affirmation que le concept de nombre est fondamentalement applicable à ce qui n’est ni spatial, ni temporel. » Frege : FA : § 40. logique_contenu_objectif_verley.doc © Xavier Verley 3 succession logique des nombres. Les lois psychologiques de la représentation s’appliquent à ce qui est en devenir : ce sont des lois génétiques peu différentes des lois physiques. Frege voit un lien étroit entre le naturalisme impliqué par le psychologisme et l’importance reconnue à l’évolution et à l’histoire 5. Il semble que pour lui ce qui est naturel est nécessairement temporel . Par suite ce qui est objectif ne peut provenir du devenir temporel bien qu’il s’y applique ; de là vient le « platonisme » de Frege. Les Fondements de l’arithmétique s’efforcent d’obtenir le concept de nombre cardinal sans faire intervenir la représentation. Frege examine avec attention toutes les tentatives empiristes, idéalistes dont le but commun est de comprendre le nombre à partir de l’expérience, de la représentation ou de l’intuition. Ceux qui recourent au concept de multiplicité ou de collection réduisent le concept de nombre à un agrégat : dans ce cas, le nombre un résulterait du passage très mystérieux du multiple à l’unité 6. Prendre la représentation comme condition originaire d’une enquête sur le nombre, comme le fait Husserl dans Philosophie de l’arithmétique, c’est supposer que le concept de nombre est relatif au sujet qui se représente : mais comment la représentation pourrait-elle comprendre le concept de nombre qui s’applique à cette même représentation ? Le problème de l’objectivité du nombre est de savoir si le nombre n’est qu’une représentation. Frege dissocie l’arithmétique de la représentation : si le nombre était une représentation, il serait subjectif et il y aurait autant de nombres deux que de sujets qui se le représentent 7. Mais si le nombre n’est pas une représentation, comment obtient-on son concept ? Dans la représentation comme dans l’intuition, il n’est pas possible de distinguer le concept de l’objet car tous deux sont des représentations. La théorie kantienne du concept, part de la représentation : elle ne parvient pas vraiment à distinguer le concept de l’objet car on a tantôt une représentation concept, tantôt une représentation objet. L’objet se reconnaît d’abord comme ce qui s’oppose à un sujet et ne peut se définir sans lui (révolution copernicienne). L’objectivité au sens de Kant ne permet pas de dissocier le concept du sujet qui se représente : on ne sait si le concept est du côté du sujet, en tant qu’acte, ou du côté de l’objet comme résultat d’une construction subjective. Un concept formé à partir de la représentation n’a pas l’unité nécessaire pour saisir le concept de nombre : un tel concept serait à la fois subjectif et objectif. 5 Frege voit une complicité entre naturalisme et historicisme : « Si, dans le flux perpétuel qui emporte tout, rien ne demeurait fixe ni ne gardait éternellement son être, le monde cesserait d’être connaissable et tout se perdrait dans la confusion. On semble croire que les concepts poussent dans l’âme individuelle comme les feuilles poussent aux arbres, et on pense connaître leur essence en examinant leur genèse, en cherchant à définir leur être par des voies psychologiques, à partir de l’âme humaine. Or, cette conception tire tout vers la subjectivité et, si l’on va jusqu’au bout, supprime la vérité. » FA, 120 6 Frege : FA : § 28. 7 Frege : id., § 27. logique_contenu_objectif_verley.doc © Xavier Verley 4 Mais peut-il y avoir des concepts sans représentation et par conséquent sans la dichotomie sujet/objet ? Frege ne nie pas l’importance de la représentation : mais puisqu’elle suppose la subjectivité, on peut contester l’objectivité et la vérité des jugements qui en sont issus. Les concepts provenant de la représentation sont subjectifs alors que les concepts de la science sont objectifs, communicables et par conséquent ne sont pas simplement relatifs à un sujet 8 . Le contenu logique du jugement. Chez Kant, la fonction d’unification dans le jugement n’est pas logique mais transcendantale et suppose une conception de l’esprit dont le pouvoir de liaison, qui apparaît en particulier dans la causalité, se fonde sur la liaison synthétique du temps qui lie les représentations les unes aux autres à partir du pouvoir d’aperception originairement synthétique du sujet. Existe-t-il une forme de jugement indépendante du sujet et excluant toute liaison synthétique, autrement dit temporelle ? Le nombre se donne dans un jugement et s’applique à des objets9 . Puisque le jugement n’est pas lié à une représentation mais doit être considéré comme un énoncé formé de symboles, il se donnera sous la forme d’une définition. Celle-ci ne donne pas l’objet (définition réelle) mais pose le sens d’un symbole (définition nominale)10. Il peut donc y avoir plusieurs définitions d’un même objet dans la mesure où il se donne à nous de multiples manières : ainsi il est possible d’identifier les deux expressions « étoile du soir » et « étoile du matin » parce qu’elles dénotent le même objet « Vénus ». La définition, jugement fondé sur l’identité de deux concepts, rend inutile la représentation du contenu de ceux-ci. L’identité peut prendre une forme étroite comme lorsqu’on écrit a = a qui implique la réflexivité et une forme plus large quand on écrit a = b. Cette forme de l’identité correspond à l’équivalence logique des logiciens ; R étant la relation d’identité, l’équivalence logique implique la réflexivité (aRa), la symétrie (aRb bRa) et la transitivité (aRb bRc) aRc et permet de substituer un symbole d’une expression par un symbole équivalent (règle de substitution des identiques) 11. L’analyse frégéenne du jugement est une critique de l’analyse logique traditionnelle, celle d’Aristote aussi bien que celle de Kant : toutes deux confondent le sujet au sens grammatical et métaphysique (Aristote) et le sujet transcendantal (Kant). La logique traditionnelle reconnaît dans le couple sujet/attribut la matrice de tout jugement sans vraiment comprendre leur relation et fait appel au couple métaphysique matière/forme en 8 Frege : id., § 26. Frege : FA : § 46. 10 Frege : FA : § 67. 11 Voir Logique symbolique, « L’équivalence logique », Xavier Verley, Ellipses, 1999 9 logique_contenu_objectif_verley.doc © Xavier Verley 5 assimilant le sujet à la matière et le prédicat à la forme12. Avec Descartes et Kant, le sujet devient la forme universelle qui détermine tout objet : le « je pense » devient la condition formelle de toute pensée et de tout jugement. On parle alors du caractère transcendantal du sujet comme condition a priori de tout jugement objectif. De plus, en affirmant que le jugement consiste dans une relation du sujet à un prédicat, on laisse indécise la question de savoir si le sujet est un concept ou un objet 13 . L’ambiguïté de l’analyse logique vient de ce qu’elle ne voit pas que dans le jugement, deux relations logiquement très différentes peuvent relier le « sujet » au « prédicat » : la relation de subsomption de l’objet sous le concept doit être distinguée de la relation de subordination d’un concept à un autre concept. Pour saisir le concept en rapport avec l’objet, il importe avant tout de développer une théorie du jugement éliminant le sujet . Dans la mesure où le concept est détaché du sujet, on peut dire qu’il est tout aussi objectif que l’objet. L’objectivité du jugement dans les limites du symbolique. Pour être vraiment objective, l’analyse logique du jugement doit se distinguer d’une analyse psychologique et grammaticale : en effet, le jugement d’attribution d’un nombre se donne moins comme une représentation que comme une suite de symboles accompagnée ou non d’une représentation. Lorsque Kant dit que penser, c’est juger, il néglige son aspect symbolique et ne retient de son contenu que ce qui est représenté par le sujet14. Pour être indépendante de la psychologie, l’analyse logique ne peut saisir le contenu conceptuel d’un jugement incluant des nombres qu’en partant du symbolique. Institués par la communauté, les symboles de la langue nous permettent d’accéder à l’objectivité de la pensée, à savoir celle de l’humanité qui parle ou écrit et non celle des sujets qui se représentent15. La diversité des langues ne nous enferme pas dans un relativisme culturel : les symboles de la langue ne peuvent se réduire à des instruments au service des échanges et de la communication. Pour Frege comme pour Leibniz la langue est le miroir de la pensée 16. On voit combien la logique transcendantale fondée, sur le primat du sujet, est incompatible avec la logique symbolique qui présuppose une objectivité de la pensée sans que soit 12 Saint Thomas écrira : « Subjectum se habet materialiter, praedicatum se habet formaliter » Commentaires in Hermeneuia : I, lect. 8 et 10. 13 Frege : Écrits posthumes (EP), « Précisions sur sens et signification », tr ; fr ; J. Bouveresse, p. 141. 14 Dans les philosophies idéalistes, Descartes, Kant, Husserl, le symbole n’est qu’une représentation contingente car le langage, extérieur à la représentation, ne peut en être que l’instrument ; ainsi Kant (Critique du jugement) et Hegel (Esthétique) réduisent la pensée symbolique à une pensée prélogique, primitive… 15 Frege : ELP : p. 131, note. 16 « ...les langues sont le meilleur miroir de l’esprit humain... » Leibniz : Nouveaux Essais , LIII, ch. VII, fin du chapitre. Pour Frege, cf. ELP : 201 logique_contenu_objectif_verley.doc © Xavier Verley 6 nécessaire la représentation : la pensée prend son essor à partir des symboles de la langue usuelle et des symboles de la langue des nombres. Contre Bruno Kerry qui conteste la possibilité de fonder des distinctions logiques sur le langage, Frege fait valoir qu’il est le fondement de l’objectivité de la pensée 17 . Le langage est donc un substitut de la représentation subjective : partir du langage, c’est se libérer de la subjectivité et inaugurer une théorie véritablement logique et objective du jugement. Cependant Frege reconnaît que le langage usuel fondé sur la voix et l’écriture phonétique, demeure encore dépendant de la représentation : la succession des symboles phonétiques est tributaire de la succession linéaire et temporelle des représentations. De là proviennent les ambiguïtés bien connues de la langue usuelle. La langue des noms et la langue des nombres. La langue symbolique s’enracine dans deux souches primitives : elle comprend les symboles comme noms et les symboles comme nombres. Les nombres sont des symboles qui dépeignent la pensée sans passer par la représentation (ce sont des caractères au sens leibnizien) alors que les noms (excepté les termes syncatégorématiques telles que les prépositions, les conjonctions, etc.) peuvent garder un lien avec elle. L’analyse logique du jugement s’accomplira en suivant ces deux voies : celle du langage usuel des noms et celle du langage des nombres. Le jugement se donne d’abord comme énoncé ou proposition qui est une « image » de la pensée . Pour retrouver l’image vraie de la pensée, il faut sortir de la représentation et partir d’une analyse de la langue symbolique. Si la symbolique des noms et des nombres est bien le miroir de la pensée, il doit exister une correspondance entre l’analyse logique qui vient de la pensée et l’analyse symbolique qui la traduit 18. La pensée comme la proposition peuvent être analysées logiquement. La conception métaphysique de la pensée issue de la représentation lui confère une unité et une indivisibilité que Frege récuse : l’unité du cogito, selon Descartes, élimine toute interprétation en terme d’inférence. Pour Frege, non seulement la pensée peut être analysée mais on peut la composer pour obtenir de nouvelles pensées à partir de lois. En appliquant l’analyse à la pensée et au contenu du jugement, Frege prend soin de maintenir l’accord entre pensée et langue en raison du principe que la langue est le miroir de la pensée. Un certain nombre d’indices grammaticaux servent de fil conducteur à l’analyse logique du contenu conceptuel donné dans le jugement. Les termes du jugement sont parfois précédés d’articles, définis ou indéfinis ou de pronoms démonstratifs. La généralité des noms qui désignent alors des concepts se reconnaît à ce qu’ils sont précédés de l’article indéfini ou alors ils sont au pluriel sans article. 17 18 Frege : ELP, p. 130. Frege : ELP : tr. fr. p.214. logique_contenu_objectif_verley.doc © Xavier Verley 7 Le langage des noms ne peut être compris simplement à partir de la grammaire qui n’est pas vraiment libérée de la représentation. La structure primitive de la phrase n’est pas dans l’opposition sujet/prédicat mais dans l’opposition nom propre/prédicat : en effet, dans un jugement, le nom propre ne peut jamais être utilisé comme prédicat. Frege conteste la conversion réciproque du prédicat et du nom propre car leur relation n’est pas symétrique. Ce qu’on appelle sujet du point de vue de la grammaire n’est finalement du point de vue logique que le nom propre qui désigne une chose et complète le prédicat : pour qu’il y ait pensée (et pas seulement représentation) un nom propre doit tomber sous un prédicat. Les noms propres (nomen proprium) ou termes singuliers s’opposent au termes généraux ou prédicat (nomen appelativum). Dans une perspective symbolique comme celle de Frege, le concept se définit par sa généralité. Le langage des noms soumis à l’analyse logique révèle que des énoncés différents peuvent avoir le même contenu conceptuel et que des énoncés très voisins ont un contenu conceptuel différent 19. L’analyse frégéenne libère la logique des règles de la grammaire pour retrouver le lien plus profond du symbolique et de la pensée comme si la pensée se réfléchissait dans le symbole. Le contenu conceptuel d’un jugement ne peut être analysé que si nous dépassons la représentation et que nous nous élevons au niveau de la pensée en cherchant où est le terme général et où est le terme singulier. La question du sens à donner au verbe « être » est tout à fait secondaire car on s’aperçoit qu’en fait il appartient au prédicat . Si le verbe « être » était une copule, on pourrait convertir le nom propre en prédicat et réciproquement. Or ce n’est pas possible. Quand on considère le jugement dans une perspective symbolique, il apparaît que les termes à analyser dépendent les uns des autres et c’est sans doute cela qui explique pourquoi Frege peut dire qu’il faut chercher le sens des mots non pas isolément mais pris dans leur contexte. La langue naturelle n’est sans doute pas une langue parfaite mais à la différence de la représentation elle permet de communiquer et d’atteindre une forme d’objectivité. Elle inclut des symboles qui ont un sens sans qu’on puisse nécessairement se représenter leur contenu, tels « et », « ou », « par » , etc. En pareil cas, les mots peuvent avoir un sens sans qu’il soit nécessaire de trouver une image interne. Un mot peut alors se définir en fonction du contexte qu’il occupe dans une proposition : ce que l’on a appelé le « holisme sémantique » chez Frege résulte avant tout de la nécessité de concevoir le sens d’un énoncé sans s’inquiéter de savoir si une représentation y correspond. Il s’agit bel et bien de ne pas confondre la signification psychologique comme représentation ou image, de la signification logique qui relève de la généralité du concept 20. Le mot se rapporte aux autres mots et à la proposition avant de renvoyer à un sujet 21. 19 Frege : ibid. : p.135. Frege : id., § 60. 21 Entre la langue des noms, la langue des choses telle que la révèle la classification périodique des éléments de Mendeléïev, et la langue des couleurs 20 logique_contenu_objectif_verley.doc © Xavier Verley 8 Frege se sert souvent d’images empruntées à la chimie 22 : entre les atomes et les molécules il existe des lois de combinaison comme il existe des lois de composition qui permettent de comprendre le rapport de l’objet au concept ainsi que les relations d’une pensée à une autre. Les désignations dont se sert l’écriture conceptuelle n’interviennent jamais isolément mais se combinent au contenu d’autres jugements possibles. Isoler un mot de la proposition dans laquelle il figure, c’est rester tributaire de la représentation tout comme Descartes croyait qu’il y avait une représentation primitive, le cogito (résidu du doute hyperbolique qui avait éliminé les représentations issues des sens et de la mémoire) contenant en germe la vérité de toutes les autres représentations. Dans une perspective psychologique, la signification dépend de la représentation et du sujet qui en unifie la diversité. Un symbole signifie parce qu’on peut lui assigner une représentation ou une image. Mais dans la perspective de Frege, la signification du jugement compris comme proposition n’a rien à voir avec une image psychologique interne. En partant de la représentation, on se donne le sujet dans sa solitude et son isolement alors que la pensée est indépendante des porteurs ou sujets qui pensent. Voilà pourquoi la notion de sujet est incapable de rendre compte du contenu de pensée : la notion d’objet ou de nom propre qui la remplace est relative au prédicat. Ce qui se donne de prime abord dans le symbolique c’est la relation de subsomption de l’objet sous le concept qui fonde l’objectivité de la pensée. La seconde voie ouverte pour explorer la pensée objective consiste à partir de la langue des nombres : l’analyse logique du concept mathématique de fonction doit confirmer l’analyse logique du jugement en tant qu’énoncé. Les deux voies du symbolique, celles des noms et des nombres, s’accordent pour retrouver non pas l’essence mais un reflet de la pensée débarrassée des résidus représentatifs. La recherche d’une définition du nombre cardinal a déjà permis de montrer le lien profond qui unit le nombre et le concept. En analysant la notion de fonction et en la liant au concept, Frege retrouve l’inspiration profonde de la philosophie leibnizienne : il existe une parenté, un lien étroit des nombres et de la pensée23. Le concept mathématique de fonction n’a de signification logique que si on ne le réduit pas à un pur symbole sans désignation. Les Fondements de l’arithmétique ont permis de (analyse spectrale) il y a au moins une analogie : les noms et les nombres permettent de découvrir un ordre dont le sujet ne peut être le constructeur. Il découvre un ordre qu’il n’a pas pu constituer . 22 Frege, EP, « La logique calculatoire de Boole et l’idéographie » p.26-27, tr. fr. E. Schwarz.. Quand on part du symbolique, les symboles se combinent à d’autres symboles (langage de noms, de choses (chimie), des nombres, etc. 23 « J’ai même trouvé une chose estonnante, c’est qu’on peut représenter par les Nombres, toutes sortes de vérités et conséquences. » G. W. Leibniz, Opuscules et fragments indédits, Olms, p. 175. Le nombre sert de critère pour distinguer l’image du chiliiogone de son idée, Leibniz, Nouveaux Essais sur l’entendement humain, Livre II, ch. XXIX, p. 223, éd. Garnier Flammarion. logique_contenu_objectif_verley.doc © Xavier Verley 9 se convaincre que les nombres ne sont pas de purs symboles mais qu’ils dénotent toujours un contenu. Frege analyse la notion de fonction comme il a analysé le jugement afin d’en découvrir le contenu conceptuel. L’analyse logique du concept de fonction confirme l’analyse logique du nombre comme concept : si à tout symbole de nombre correspond un contenu, à toute fonction définie comme expression correspond aussi un contenu. Ainsi le lien étroit entre le concept logique et la fonction mathématique permet de sortir de manière définitive du psychologisme : on peut définir une théorie logique du concept sans recourir à la représentation. Le contenu logique de l’analyse à partir des nombres et des fonctions fondent l’objectivité de la pensée. La définition logique du nombre un nous libérait de l’unité transcendantale de Kant, pressenti dans l’unité subjective de l’aperception originaire. Si le contenu logique d’une fonction reflète une pensée objective, formée d’un objet subsumé sous un concept, la langue des nombres pourra compléter la langue des noms puisque toutes deux pourront alors être dites « miroir de la pensée ». Seulement le contenu de la fonction ne peut se réduire à son argument ou objet. Pour plusieurs arguments, une fonction peut prendre plusieurs valeurs. Si on représente la fonction à partir de coordonnées cartésiennes, l’argument est noté sur l’axe des x et la fonction f(x) sur l’axe des y. L’ensemble des points x correspondant à l’ensemble des points f(x) définit une courbe dont chaque argument x définit une valeur pour la fonction qui lui est associée. Dans le contenu de la fonction, il faut aussi inclure son parcours de valeurs, c’est-à-dire l’ensemble des arguments qui la vérifient. Cet ensemble de valeurs ou arguments d’une fonction se divise en deux groupes ceux qui la rendent vraie et ceux qui la rendent fausse. Si x2 = 1, on peut substituer par exemple les arguments — 1, 0, 1, 2 mais les valeurs de cette fonction sont le vrai pour — 1 et 1 et le faux pour les autres arguments. Prédication logique et fonction logique. L’analyse du contenu logique de la notion de fonction (mathématique) comme l’analyse logique de la prédication dans le jugement convergent toutes pour donner une certaine image de la pensée : bien que la pensée soit un tout qui est plus que la somme de ces éléments, elle se prête à l’analyse car les parties de l’énoncé ou de la fonction sont aussi des parties de la pensée. En permettant de compléter la fonction, l’argument est semblable au nom propre qui complète le prédicat : la saturation de la fonction par un argument s’accorde avec la complétion du prédicat par le nom propre. La langue des noms, liée à la représentation et à la fonction de communication, ne contredit pas la langue des nombres qui en est indépendante : ces deux formes du symbolique permettent de saisir la pensée dans son objectivité. L’analyse logique de la fonction mathématique permet de découvrir la complexité du contenu logique. Celui-ci inclut non seulement l’ensemble des logique_contenu_objectif_verley.doc © Xavier Verley 10 arguments mais encore ce que Frege appelle la valeur de vérité de la fonction : celle-ci peut être le vrai quand la fonction est vraie et le faux quand elle est fausse. Redéfinir le jugement à partir du couple fonction/argument confirme son caractère objectif et logique dans la mesure où le contenu de la fonction inclut une valeur de vérité, à savoir le vrai et le faux, qui préexistent virtuellement lorsque la fonction est définie. En incluant le vrai et le faux comme valeurs que prend la fonction pour certains de ses arguments, Frege découvre une objectivité de la vérité et en même temps une objectivité de la logique qui la protège désormais du relativisme subjectif impliqué par le psychologisme. Le lien de la pensée aux nombres donne un sens à l’objectivité de la pensée fondée sur les lois de l’être-vrai. Il existe une vérité des nombres qui saturent ou non une fonction : elle sert de fondement à l’objectivité des lois logiques de la pensée. La logique n’est plus simplement la science qui traite des lois de la pensée mais des lois de l’être-vrai. L’avantage de la notion de fonction vient aussi de ce qu’elle donne au contenu objectif de la pensée une généralité absente du jugement énoncé dans la langue des noms. Si on part de la fonction mathématique pour retrouver la pensée, on s’aperçoit que cette notion s’est élargie d’abord dans le domaine des opérations susceptibles de construire une fonction (addition, multiplication, exponentiation et opérations inverses, opérations sur les limites, etc.) mais aussi dans celui des arguments susceptibles d’être des valeurs possibles pour une fonction (introduction des nombres complexes par exemple). Si l’argument est l’équivalent de l’objet et le prédicat l’équivalent de la fonction 24, on s’aperçoit que la généralisation de la fonction entraîne également une généralisation du concept et de l’objet. Cette conception de l’objet est beaucoup plus proche de la conception de l’objectivité de la pensée et de la vérité que celle issue de la représentation. Si on part de celle-ci, on ne voit pas comment il pourrait y avoir objet lorsqu’il n’y a pas représentation et un sujet qui fait face à cet objet 25. La généralisation de la notion d’objet n’est possible que si elle est détachée de la représentation et du sujet. Le risque de l’entreprise est d’admettre des objets sans représentation : cela ne pose guère de problème quand on parle de limites, de nombres infinis puisque la possibilité de ces objets dépend du calcul. Dire que le nombre comme argument pour une fonction a un statut d’objet oblige à réviser complètement la notion d’objet. L’ontologie doit admettre une dimension virtuelle de sorte que Pégase, Baba Yaga puissent bien être considérés comme des objets capables de devenir valeur de vérité d’une 24 Frege : « On voit combien ce que l’on appelle concept en logique est étroitement lié à ce que nous appelons fonction. On pourra même dire simplement : un concept est une fonction dont la valeur est toujours une valeur de vérité ... » ELP : p.90. 25 Frege : ELP : p. 92. logique_contenu_objectif_verley.doc © Xavier Verley 11 fonction ou prédicat26 . L’objectivité entendue à la manière de Frege impose un critère, c’est-à-dire une loi, pour distinguer l’objet réel de l’objet fictif. Même le domaine du fictif est régi par des lois logiques, tel le principe de contradiction. La philosophie issue de la représentation n’a pas besoin de chercher de lois : d’abord l’entendement est solidaire de l’imagination productrice et de ce fait le rapport du concept à l’image suppose un schème, produit d’un art caché dans les profondeurs de l’âme humaine. Le seul critère qui permet de distinguer le réel du fictif dans un tel cas est le savoir que le sujet a de lui-même à partir du « je pense ». Le critère de démarcation du réel et du fictif repose sur le sujet et non sur la loi. Le couple concept/objet remplace les couples sujet/objet, matière/ forme qui n’ont de sens que dans une philosophie de la représentation. L’idée de matière suppose une indifférence et une indétermination incompatible avec la parfaite délimitation exigée par le concept : le dualisme forme/matière entraîne une sorte de résistance de la matière à la forme que lui impose l’esprit. Dans la philosophie de la représentation, la forme ne peut s’appliquer à toute la matière et il subsiste toujours un résidu d’inconnaissable. La dépendance de l’entendement par rapport à la représentation et à l’imagination (Kant) entraîne l’impossibilité de saisir complètement l’objet à partir du concept car ils sont donnés à partir de sources différentes. La philosophie critique parlera alors de l’intuition qui donne l’objet (phénomène) et de l’entendement qui donne les concepts. L’introduction du concept d’extension et ses conséquences pour la logique Etant donné la spécificité de la relation du concept à l’objet, on doit admettre que la relation d’un objet aux autres objets doit être différente. Le concept mathématique de fonction inclut non seulement un argument mais un ensemble d’arguments susceptibles de saturer la fonction et de lui donner une valeur de vérité : c’est ce que Frege appelle le parcours de valeurs de la fonction qui sert à définir ensuite le concept d’extension27. Les fonctions x2 = 1, (x + 1)2 = 2(x + 1) ont la même valeur de vérité, à savoir le vrai, pour x = – 1 et x = + 1. L’analyse du concept de fonction permet d’abord d’enrichir 26 Meinong introduira les notions d’existence et de subsistance mais Russell protestera...La question du statut « ontologique » des objets fictifs est sans doute la pierre de touche de cette nouvelle conception de l’ontologie que nous qualifierions de virtuelle. « Dès lors que l’on admet tout objet sans restriction comme argument ou valeur d’une fonction, la question est de savoir ce que l’on entend par objet. Une définition dans les règles de l’Ecole est impossible à mon sens, car nous touchons à quelque chose dont la simplicité ne permet aucune analyse logique. On peut seulement dire brièvement ceci : un objet est tout ce qui n’est pas une fonction, c’est ce dont l’expression ne comporte aucune place vide. » Frege : ibid , p.91. 27 Frege : ELP : p. 90. logique_contenu_objectif_verley.doc © Xavier Verley 12 l’analyse logique en termes de concept et d’objet et ensuite d’écarter toute perspective intensionnelle de la logique qui tendrait à confondre le concept et l’essence. Sans le concept mathématique d’extension, l’analyse logique serait incomplète car on ne saurait dire si un contenu est identique à un autre contenu. L’identité du contenu logique peut se définir en termes de valeurs de vérité : deux fonctions vraies pour les mêmes arguments ont le même contenu ou même extension. De par son lien à l’analyse (nombres et fonction), la notion d’extension renforce la thèse de l’objectivité du jugement. Dire que les objets qui tombent sous le concept forment une extension, c’est reconnaître que ces objets sont énumérables et dénombrables. Ils pourront être mis en correspondance avec les objets tombant sous un autre concept tout comme dans une fonction mathématique les valeurs de la variable indépendante x peuvent être mis en rapport avec celles de la variable dépendante y au moyen de la loi fonctionnelle f(x). Par conséquent, si deux concepts ont la même extension, ils pourront être mis en correspondance bijective et à tout objet de l’un correspondra un objet de l’autre. Si deux concepts ont la même extension, tout objet tombant sous un concept est substituable à un objet tombant sous l’autre concept. Les conséquences de l’introduction de la notion d’extension comme généralisation de la notion d’objet fondent la possibilité d’une logique mathématique. Sans la possibilité de reconnaître l’égalité d’extension, on ne pourrait parvenir à une définition logique du nombre en terme de concept et d’extension : si l’extension d’un concept F peut être mise en relation bijective avec celle d’un autre concept G, on peut parler d’une relation d’équinuméricité 28. Cette relation d’équivalence logique (réflexivité, symétrie et transitivité) entre concepts, permet de découvrir l’identité quand la représentation ne voit qu’altérité. Mais cela n’aurait pas été possible sans supposer l’énumérable ou l’extensionnel comme fondement de l’objectivité du concept. L’apport du concept d’extension est décisif pour le projet frégéen d’une logique mathématique : il permet de définir l’identité ou égalité d’extension grâce au concept logique de fonction dérivé du concept mathématique de fonction. De l’identité d’extension, on peut déduire la définition leibnizienne de l’identité par la substituabilité des identiques. Elle établit un lien analytique entre l’identité et la vérité : quand deux concepts sont les mêmes, c’est-à-dire coïncident dans leur extension, l’un peut être substitué à l’autre sans que change la valeur de vérité. Seule l’extension définie comme « parcours de valeurs » à partir d’une fonction rend possible cette définition analytique (fondée sur l’identité) de la vérité. Si deux concepts ont la même extension, on ne change pas la valeur de vérité de la pensée quand on substitue un objet de l’un à un objet de l’autre. Le concept d’extension est un substitut du concept de quantité que la logique formelle classique applique au sujet du jugement mais non à l’attribut : personne ne saurait définir d’un point de vue logique ce que signifie « être plus ou moins sage » mais il est possible de dire combien 28 Frege : FA : § 68. logique_contenu_objectif_verley.doc © Xavier Verley 13 d’individus ont cet attribut. Le jugement universel et particulier de la logique traditionnelle laisse indéterminé le contenu logique de l’attribut tant qu’on n’a pas vérifié par l’expérience ou la représentation qu’il y a au moins un individu porteur de cet attribut. La quantité s’applique à des objets définis en compréhension par une essence, ou en extension par une classe. Mais même interprétée comme classe, l’extension du jugement de la logique formelle classique, laisse une indétermination du contenu tant qu’on n’a pas une loi permettant de dénombrer les individus ou éléments qui entrent dans la classe. C’est en partie pour cette raison que Frege ne comprend pas la logique extensionnelle de Schröder qui impose une interprétation de la classe après le calcul : pour Frege au contraire, la langue de la logique ne peut donner lieu à un calcul sûr que si le contenu logique des concepts est d’abord parfaitement déterminé dans la langue logique qui doit être autant que possible une langue parfaite. Si le contenu d’un concept est une extension, il devient dès lors possible de comprendre la quantité appliquée au concept : de la correspondance entre concept et extension, on peut savoir alors si le contenu d’un concept est plus ou moins étendu que celui d’un autre. Dans la mesure où l’extension peut varier de zéro à l’infini, la pensée, exprimée dans un jugement « extensionnel », est toujours générale et acquiert force de loi quand elle est affirmée ou niée. L’introduction du concept d’extension affranchit le jugement de toute référence à une matière et permet de le transformer en pure relation sans qu’il soit nécessaire de poser des termes ou une matière entre lesquels se produit la relation 29. La généralisation de l’objet par le concept d’extension s’accompagne d’une généralisation du concept réduit à une simple relation ou forme indépendante de toute matière. La forme logique renvoie désormais à une extension : la notion de contenu est dissociée de celle de matière. Pour être totalement indépendante de la représentation et des couples de concepts qui lui sont associés, le contenu de la pensée est réduit à une simple relation complétée par des objets 30. La généralité du concept défini comme relation n’est possible que par la généralité de l’objet pris dans un ensemble défini non pas comme multiplicité mais comme extension. Lorsque Kant parle d’extension d’un prédicat, son concept d’extension reste encore géométrique, lié à l’intuition a priori de l’espace : elle implique une certaine indétermination venant de ce que cette intuition de l’étendue comporte une matière et une forme. Le lien du concept d’extension avec les nombres change complètement le concept de quantité qui restait lié au couple métaphysique un/multiple. Puisqu’un concept subsume un ensemble dont on peut dénombrer les éléments, la quantification au moyen de « Tous » et de « Quelques » va s’appliquer au prédicat ou concept et non au sujet le faisait la logique classique. Quand on dit : « Tous les hommes sont mortels », « Tous » porte en réalité sur le prédicat « sont mortels » et 29 Frege : FA : § 70. Le relation de subsomption de l’objet sous le concept est très différente de la conception phénoménologique de l’intuition qui remplit une intention : celle-ci rappelle le remplissement de la forme par la matière. 30 logique_contenu_objectif_verley.doc © Xavier Verley 14 non sur « les hommes ». Pour le vérifier, il suffit d’appliquer la négation à cet énoncé : on s’aperçoit qu’elle ne porte pas sur les objets « hommes » mais sur le prédicat « sont mortels » : nier cet énoncé, ce n’est pas dire « aucun homme » mais « sont mortels » ne subsume pas l’extension « Tous les hommes ». La quantification du prédicat aurait été impossible sans l’application de l’extension aux objets tombant sous le concept. En définissant l’extension d’un prédicat ou concept à partir du concept « parcours de valeurs d’une fonction », Frege introduit une nouvelle conception de la quantification du prédicat, très différente de celle d’Hamilton qui comparait la quantité du sujet à la quantité du prédicat et ensuite affirmait ou niait cette égalité dans un jugement réduit à une équation. Frege fonde vraiment une logique nouvelle, la logique des prédicats, dont l’ancienne logique des jugements n’est qu’un cas particulier. Il ne parle pas de théorie de la quantification mais simplement d’expression de la généralité : il s’agit avant tout de donner à la pensée la forme d’une loi qui permet toujours de décider si elle est vraie ou fausse sans avoir à se représenter quoi que ce soit. Une logique extensionnelle peut-elle inclure le sens ? La possibilité de définir l’extension à partir de l’arithmétique ne laisse plus le choix : la logique doit être extensionnelle ou elle n’est pas la logique. Les discussions classiques sur l’interprétation intensionnelle et extensionnelle de la logique deviennent caduques. Pourtant on peut se demander si la notion d’intension ou de sens peut être totalement éliminée car la langue utilise des noms propres ne dénotant aucun objet, tel Ulysse ou Pégase. Lorsque ceux-ci interviennent dans un jugement, se pose la question de la valeur de vérité qu’on peut lui attribuer. Le contenu d’un nom propre peut donc être l’objet désigné ou le sens, c’est-à-dire un mixte de représentation et de langage. Peut-on inclure le sens en plus des extensions dans le contenu de la pensée ? Puisqu’on doit partir de symboles, on s’aperçoit que différentes suites de symboles peuvent avoir la même extension : l’objet dénoté par les expressions « étoile du soir » et « étoile du matin » est le même et pourtant les deux expressions sont différentes. Les symboles de la langue peuvent être donnés différemment et dénoter le même objet. Ce fait permet de préciser la théorie du contenu logique de la pensée sans vraiment compromettre apparemment la conception extensionnelle du jugement. Le contenu objectif d’un jugement logique inclut non seulement l’extension ou les objets subsumés sous le prédicat mais aussi le sens du nom propre dans l’extension du prédicat. On pourrait objecter que l’extension est objective alors que le sens ne l’est pas bien qu’il ne soit pas non plus subjectif. Le sens dépend d’une relation différente de celle qui unit le concept ou relation à son extension. Ce fait oblige Frege à distinguer deux modes de relation des symboles ou expressions à leur contenu : avec le symbole, on peut exprimer un sens logique_contenu_objectif_verley.doc © Xavier Verley 15 (Sinn) et désigner la dénotation (Bedeutung). Le sens est relatif à la manière dont le symbole se donne dans la perception. Partant de cette distinction, on doit se demander si l’introduction du sens dans le contenu logique ne nous fait pas perdre le contenu objectif de la pensée et si l’interprétation extensionnelle de la logique n’est pas limitée par ce qu’on pourrait appeler un retour du sens. Lié à la manière d’être donné, le sens n’implique-t-il pas un retour indirect à la subjectivité et à la représentation ? Frege ne concède rien au psychologisme dans la mesure où le sens est à mi-chemin de l’objectivité du concept et de la subjectivité de la représentation comme le montre l’exemple de l’observation de la lune au moyen du télescope31. La dénotation d’un nom propre est l’objet qu’il désigne : mais quelle est la dénotation d’une proposition ? Une proposition affirmative composée de parties peut être considérée comme un nom propre dont la dénotation est le vrai ou le faux. Vérité et fausseté sont pour Frege des données objectives. Cela n’a rien d’extravagant dans la mesure où la notion d’objet est inséparable du concept ou relation. Du lien de la proposition affirmative avec le vrai et l’objet dérive l’idée qu’il revient au même de dire « Le nombre est irrationnel » et « Il est vrai que le nombre est irrationnel » 32. Mais si le contenu logique ne comprend pas simplement la dénotation mais aussi le sens, il convient de se demander s’il peut y avoir une logique du sens et de la vérité ? La dénotation d’une proposition étant sa valeur de vérité, on ne change pas cette dernière quand on substitue à un mot qui la compose un mot équivalent, c’est-à-dire ayant même dénotation. C’est le principe leibnizien bien connu de substitution des identiques : Eadem sunt qui substitui possunt salva veritate. Si du point de vue de la dénotation (le vrai et la faux) toutes les propositions vraies sont équivalentes, du point de vue du contenu elles diffèrent dans la mesure où chacune a sa singularité ; celle-ci vient-elle de la représentation propre à celui qui la formule ou de sa manière d’être donnée dans des symboles différents ? Si toutes les propositions vraies sont équivalentes logiquement, elles ne sont pourtant pas identiques parce 31 Frege : « La dénotation d’un nom propre est l’objet même que nous désignons par ce nom ; la représentation que nous y joignons est entièrement subjective ; entre les deux gît le sens, qui n’est pas subjectif comme l’est la représentation, mais qui n’est pas non plus l’objet lui-même. La comparaison suivante éclairera peut-être ces rapports. On peut observer la lune au moyen d’un télescope. Je compare la lune elle-même à la dénotation ; c’est l’objet de l’observation dont dépendent l’image réelle produite dans la lunette par l’objectif et l’image rétinienne de l’observateur. Je compare la première imaga au sens, et la seconde à la représentation ou intuition. L’image dans la lunette est partielle sans doute, elle dépend du point de vue de l’observation, mais elle est objective dans la mesure où elle est offerte à plusieurs observateurs. » ELP : 106. 32 Du point de vue de la sémantique logique de Tarski , il faudrait dire que la première proposition appartient au langage objet et la seconde au métalangage. La définition sémantique de la vérité consiste à démontrer l’équivalence logique des deux. Tarski réintroduisait ainsi en logique le concept de vérité devenu suspect au yeux de beaucoup de logiciens le tenant responsable de certaines antinomies. logique_contenu_objectif_verley.doc © Xavier Verley 16 qu’elles n’ont pas le même sens. Puisque la proposition est l’«image» de la pensée, l’analyse de la proposition en parties suppose également la possibilité d’analyser la pensée en parties 33 ; la relation tout-partie inhérente au jugement défini en extension qui a permis l’analyse de la proposition devrait donc s’appliquer aussi à la pensée34. La composition des propositions reflète la composition des pensée mais la relation partie/tout s’applique-t-elle à toutes les propositions ? La grammaire montre certaines propositions contiennent comme parties d’autres propositions (principales et subordonnées). La règle de la substitution des identiques devrait s’appliquer et par suite en remplaçant la proposition subordonnée par une proposition équivalente logiquement, la proposition globale devrait rester identique et dénoter la même valeur de vérité. Dans sa théorie des descriptions définies, Russell a donné un exemple célèbre35 qui cantonne l’application de la règle de la substitution des identiques aux seuls contextes extensionnels. Ainsi, Georges IV voulait savoir si Scott était l’auteur de Waverley et comme Scott est bien l’auteur de Waverley, il faudrait conclure que Georges IV voulait savoir si Scott est bien Scott. Il apparaît clairement qu’une telle conclusion n’est pas équivalent logiquement à la proposition initiale. Les deux propositions ne correspondant pas à la même pensée car elle n’ont ni la même valeur de vérité, ni le même sens. Ainsi il existe des propositions dans lesquelles la relation extensionnelle tout-partie met en échec le principe logique de la substitution des identique. Dans la mesure où la logique traite les jugements formulés dans des propositions, il appert que certaines propositions expriment un sens ou une pensée dont le contenu n’est pas susceptible de 33 « Qu’un citoyen de ce monde vienne à former pour la première fois une pensée, le langage lui trouve un vêtement sous lequel un autre homme, pour qui cette pensée est totalement nouvelle, la reconnaîtra. La chose serait impossible si on ne discernait des parties dans la pensée, auxquelles correspondent des membres de la proposition, en sorte que la structure de la proposition peut jouer comme une image de la structure de la pensée. A la vérité, il y a métaphore quand on transpose à la pensée le rapport de la partie au tout. Mais la métaphore est si exacte et tombe si juste dans l’ensemble, que les discordances éventuelles ne créent pas de gêne. » Frege, ELP, p. 214. 34 L’idée que la pensée puisse être composée à partir de lois (lois de composition des pensées) s’oppose à la conception métaphysique de la pensée admettant son unité a priori, d’où l’idée de forme de la pensée (Je « je pense » n’est pour Kant qu’une forme) ou d’être de la pensée (le cogito cartésien). 35 Frege prend un autre exemple : « Comparons les deux propositions « Copernic croyait que les orbites des planètes étaient des cercles » et « Copernic croyait que le mouvement apparent du soleil était produit par le mouvement réel de la terrre ». On peut substituer une suubordonnée à l’autre sans nuire à la vérité. La principale et la subordonnée prises ensemble ont pour sens une unique pensée et la vérité du tout n’implique ni la vérité ni la fausseté de la subordonnée. Dans de tels exemples, il n’est pas permis de remplacer une expression figurant dans la subordonnée par une autre ayant même dénotation habituelle ; on peut seulement lui substituer une expression ayant même dénotation indirecte, c’est-à-dire le même sens habituel. » ELP, p. 113. logique_contenu_objectif_verley.doc © Xavier Verley 17 recevoir une valeur de vérité. Il en va de même des propositions qui commencent par « il pense que… », « Il croit que … ». La notion de dénotation n’a plus le même sens quand on l’applique à la proposition globale et à sa partie la subordonnée : il faut distinguer alors entre dénotation directe et indirecte. Frege conclut en reconnaissant le caractère complexe de la pensée : « Dans la plupart des cas, la subordonnée n’a pas pour sens une pensée mais une partie de la pensée ; par suite, sa dénotation n’est pas une valeur de vérité. La raison en est ou bien que les mots de la subordonnée ont une dénotation indirecte, en sorte que c’est la dénotation (indirecte) de la subordonnée et non son sens qui constitue une pensée ; ou bien que la subordonnée est incomplète en ce qu’elle contient un élément indéterminé et, en ce cas, elle exprime une pensée en union avec la principale. Mais on rencontre aussi des cas où le sens de la subordonnée est une pensée complète. On peut alors lui substituer, sans atteinte à la vérité de la proposition totale, une proposition de même valeur de vérité, pour autant que la grammaire n’y fait pas obstacle. »36 La correspondance entre structure du langage et structure de la pensée trouve ici une limite et brouille la conception extensionnelle de la logique sans remettre en cause l’objectivité de la vérité. Pourtant la découverte du sens remet en question la possibilité d’un calcul logique fondée sur l’application du tiers exclu aux propositions : il existe des propositions dont le contenu résiste à l’analyse et dont la valeur de vérité ne peut être réduite à l’alternative Vrai/Faux (principe du tiers exclu). Concluons Le projet philosophique inhérent à l’entreprise frégéenne est de libérer la pensée de sa dépendance par rapport à la représentation 37 . Un contenu de pensée doit pouvoir être défini par des moyens exclusivement extensionnels ce qui exclut tout recours à l’intuition qui n’est en fin de compte qu’une représentation première, sans lien avec d’autres représentations. Si la pensée ne dépend plus de la représentation et par suite du sujet, la vérité ou la fausseté du jugement qui la manifeste ne peut se comprendre qu’à partir d’une relation primitive entre le concept et l’objet indépendante de la relation au sujet. La relation de subsomption entre le concept et l’objet montre que le concept est complètement défini quand on connaît l’objet qu’il subsume ce qui contredit le sens de la révolution copernicienne, qu’il n’y a d’objet que par un sujet. L’ensemble des objets subsumés par le concept constitue son extension. Ainsi les objets de pensée du logicien sont à la fois différents des représentations de l’idéalisme et des essences du métaphysicien. 36 Frege, ELP, p. 122. L’article La pensée , 1918-1919, (ELP, p . 170/195) montre bien l’importance de cet objectif : distinguer pensée et représentation c’est la même chose que distinguer logique et psychologie. 37 logique_contenu_objectif_verley.doc © Xavier Verley 18 Frege défend la conception extensionnelle de la logique soutenue par Boole, De Morgan, Schröder et s’oppose à Husserl qui rejette une telle conception. Dans un compte-rendu des Leçons sur l’algèbre de la logique de Schröder, ce dernier refuse d’identifier extension et contenu d’un concept : « C’est que la pure indication de l’extension n’est absolument pas un moyen pour déterminer un concept, que toute détermination de concept est une détermination de contenu, et que, partout où il est question de la détermination d’un concept par son extension, on veut parler et on ne peut vouloir parler que d’une détermination indirecte du contenu du concept à définir, par un autre contenu qui lui correspond d’une manière équivalente parce qu’il a la même extension. Et ceci aurait déjà suffi à faire connaître que l’idéal d’une « logique de l’extension », c’est-à-dire d’une logique qui réfléchit par principe seulement sur les extensions de concepts, est sans valeur parce que sans objet. » 38 Dans le différent qui a opposé Frege et Husserl, le problème du statut de la représentation dans la connaissance ou pensée vraie prend une importance essentielle. Repenser ce qu’on entend par contenu objectif d’une pensée oblige à réviser complètement le rôle du sujet ou de la conscience dans la définition de la connaissance. Alors que Husserl croit qu’on ne peut séparer science et conscience, pensée et représentation, Frege soutient au contraire, comme Spinoza39, que la conscience, même réflexive n’a pas vraiment de pouvoir de connaissance. Comme le contenu d’un nom propre peut inclure à la fois le sens et l’objet, Frege se trouve confronté au problème de l’accord du sens et de la vérité sans sortir du cadre extensionnel fixé pour la logique ; puisqu’on ne sait pas décider quand est-ce que deux propositions ont le même sens alors qu’on peut savoir si elles ont la même valeur de vérité, les conditions d’identité du sens sont différentes de celles de la vérité. Puisque le sens est à la fois subjectif et objectif, le contenu logique d’une proposition reste indéterminé car le rapport des propositions subordonnées aux principales ne peut être compris dans un cadre purement extensionnel. Deux conséquences en résultent : d’abord la différence entre les conditions de la réflexivité de la pensée et celle de la proposition montre la difficulté pour la logique d’inclure dans le contenu objectif ce qu’on peut appeler une pensée de la pensée. Ensuite une telle pensée qui se réfléchit en elle-même ne peut être saisie par la relation de subsomption (concept/objet) ou de subordination (concept/concept) car la pensée résiste à devenir objet d’une autre pensée alors qu’au niveau symbolique du langage rien n’empêche une proposition d’être l’objet (langage objet) d’une autre proposition (métalangage). Cette difficulté a conduit certains logiciens, tel Carnap et Quine, à des positions radicales, nominalistes , en excluant de la logique l’idée de pensée, trop fluctuante, pour s’en tenir aux seules expressions qui dénotent un 38 Husserl, Articles sur la logique, « Recension de Schröder », p. 25, Tr. fr Jacques English, PUF, 1975. 39 La référence à Spinoza peut surprendre mais pour définir le nombre 1, différent de l’idée d’unité, Frege renvoie à la lettre de Spinoza à Jerig Jelles, Fondements de l’arithmétique, § 49, p. 178. logique_contenu_objectif_verley.doc © Xavier Verley 19 contenu : la sémantique logique de l’un et l’autre finit par réduire la signification et la pensée à leur manifestation comportementale, à savoir une simple réponse à une phrase émise par un locuteur. Faut-il en conclure que, pour Frege, la pensée ne peut se prendre elle-même pour objet ? Il semblerait que le sens de la pensée, dépendant de la succession des représentations, s’oppose à sa vérité qui est intemporelle : « Presque toujours, semble-t-il, nous lions à une pensée principale que nous exprimons, des pensées annexes que l’auditeur associe, lui aussi, à nos paroles selon des lois psychologiques et bien que ces pensées ne soient pas réellement exprimées. Et parce qu’elle sont si évidemment liées à nos paroles, presque aussi étroitement que la pensée principale, nous voulons qu’elles soient effectivement exprimées en même temps que la principale. » 40 Le brouillage de la pensée dans les limites de la simple logique pourrait venir de ce que celle-ci se déploie entre l’intemporalité de la vérité et la temporalité du sens car semblable au baron de Münchausen qui croyait se sortir du marais en se tirant par les cheveux, en croyant tirer la vérité de son propre fonds, la pensée logique tend à oublier que l’intemporalité du vrai (wahrsein) ne peut être pensée sans la temporalité et la sensibilité du sens. 40 Frege, ELP, p. 122. logique_contenu_objectif_verley.doc © Xavier Verley 20